LA CHAPPE DE PLOMB DE L’EXTRÊME DROITE SUR LES ÉLITES FRANÇAISES MÉTISSÉES
Une onde de choc parcourt la haute administration française après la promesse du Rassemblement national d'interdire aux Français binationaux d'accéder aux postes les plus "sensibles" s'il arrive au pouvoir
(SenePlus) - Une onde de choc parcourt la haute administration française après la promesse du Rassemblement national d'interdire aux Français binationaux d'accéder aux postes les plus "sensibles" s'il arrive au pouvoir. Diplomates, militaires, magistrats, policiers... de nombreux cadres s'inquiètent et dénoncent cette proposition qui remet en cause leur loyauté envers la France.
"Mettre en doute notre loyauté me heurte et me blesse. Je ne vis pas cette double appartenance comme un handicap, mais comme une richesse", s'indigne Sid Rouis, attaché de coopération franco-algérien auprès de l'ambassade de France en Libye, dans une enquête du journal Le Monde.
Pour cette diplomate franco-latino-américaine qui préfère rester anonyme, "il ne faut pas tomber dans le piège identitaire posé par le RN, mais partir des principes d'égalité et de non-discrimination". "L'accusation de défaut de loyauté ou de double allégeance cible d'abord, personne n'est dupe, un certain nombre de catégories de Français de façon implicite. On voit bien que ceux qui sont concernés, ce ne sont pas les Franco-Allemands ou les Franco-Canadiens", ajoute Karim Amellal, ambassadeur délégué à la Méditerranée.
Des menaces de démission au Quai d'Orsay en cas d'arrivée au pouvoir du RN
Certains diplomates n'excluent même pas de démissionner si cette mesure devait être appliquée. "Je n'attendrai pas l'humiliation d'être regardée avec le moindre soupçon de déloyauté en raison de ma double culture et nationalité", prévient Inès Ben Kraiem, diplomate franco-tunisienne.
Dans une tribune au Monde, Mohamed Bouabdallah, conseiller culturel franco-marocain aux États-Unis, accuse le RN de s'inscrire "dans la droite ligne du régime raciste de Vichy" en visant "les Arabes et les musulmans" après les juifs.
Au ministère de l'Intérieur aussi, l'émoi est grand face à cette "suspicion" qui remet en cause l'engagement des agents binationaux, comme ce "Franco-Marocain limier du renseignement territorial" qui a permis de déjouer un projet d'attentat. "Nous sommes conscients plus que quiconque du risque d'être retournés ou sollicités par notre second pays et, en même temps, nous avons clairement choisi qui on servait", assure Mohamed, haut cadre du ministère.
Dans la préfectorale, on s'interroge sur le cas de Frédérique Camilleri, première femme nommée préfète de police de Marseille à 36 ans malgré sa double nationalité franco-libanaise. "Et le RN voudrait priver le pays de profils aussi exceptionnels?", s'inquiète un haut fonctionnaire.
Un "citoyen de seconde zone" pour ce magistrat
La polémique touche aussi les magistrats. "C'est humiliant et injuste. Je suis magistrat depuis 15 ans, je sers la République tous les jours. J'ai l'impression d'être un citoyen de seconde zone", déplore Youssef Badr, né en France de parents marocains.
Pour ce premier vice-président au tribunal de Bobigny issu d'un milieu modeste, la proposition contrarie le principe méritocratique censé permettre l'ascension sociale par les concours, quelles que soient les origines.
Dans l'armée en revanche, l'inquiétude semble plus discrète, les binationaux étant peu nombreux dans la haute hiérarchie militaire. Mais des voix s'élèvent pour souligner "l'absurdité" de remettre en cause les procédures d'habilitation au secret-défense déjà en vigueur.
En définitive, alors que le flou persiste sur la définition des "postes stratégiques" visés, cette proposition du RN fait souffler un vent de panique chez de nombreux cadres de la haute fonction publique binationaux. Une mesure jugée discriminatoire et contraire aux principes républicains d'égalité par de nombreux agents, qui craignent de se voir relégués au rang de "citoyens de seconde zone".