SEDIMA À LA CROISÉE DES CHEMINS
Le groupe fondé par Babacar Ngom serait en passe d'être cédé au géant américain Seaboard. Derrière ce mouvement stratégique se cachent des défis financiers et managériaux que l'entreprise peine à surmonter seule
(SenePlus) - Sedima, le fleuron national de l'aviculture et symbole de la réussite entrepreneuriale locale, serait sur le point de changer de mains. Selon les informations de Jeune Afrique (JA), le fondateur Babacar Ngom, figure emblématique du patronat sénégalais, envisagerait de céder le contrôle de son groupe au géant américain Seaboard, déjà bien implanté dans le pays à travers les Grands Moulins de Dakar (GMD).
Ce revirement stratégique marque un tournant décisif pour Sedima. JA rappelle que "jusqu'ici réticent à ouvrir le capital de son groupe, Babacar Ngom [...] a changé d'avis".
Le groupe Sedima, véritable success-story sénégalaise, a connu une croissance remarquable depuis sa création. JA rapporte que l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 60 milliards de francs CFA en 2022 (plus de 90 millions d'euros) et vise les 100 milliards en 2025. Sedima n'est pas seulement un acteur majeur de l'aviculture au Sénégal, mais s'est également diversifié dans l'alimentation animale, la minoterie et la restauration, notamment via la franchise KFC.
Cependant, derrière cette façade de succès, JA révèle que le groupe traverse une période délicate. Un financier familier du dossier, cité par le magazine, déclare : "Ce n'est pas dit mais c'est un secret de polichinelle : la société ne va pas bien, comme en témoignent les récurrents retards de paiement aux fournisseurs et les ruptures de stocks constatées ces derniers temps". Cette situation préoccupante serait le résultat d'une conjonction de facteurs.
D'une part, la guerre en Ukraine a engendré une flambée du prix des matières premières, en particulier le blé, céréale cruciale pour le secteur avicole. Cette hausse a considérablement réduit les marges du groupe et pesé sur sa trésorerie. D'autre part, JA pointe du doigt une "diversification de ses activités mal maîtrisée, donc coûteuse". L'exemple emblématique cité est celui d'un investissement dans un abattoir ultramoderne mais surdimensionné, qui ne tourne qu'à faible capacité et grève les comptes de l'entreprise.
Le management du groupe est également remis en question. JA rapporte que de nombreux connaisseurs du secteur évoquent "la fragilité du management du groupe, pas à la hauteur de ses ambitions, alors même que Sedima fait face à une concurrence croissante sur l'ensemble de ses activités". Un concurrent, actif dans la production de poussins, observe : "La société a tout ce qu'il faut, notamment l'outil industriel, pour être numéro un sur tous les créneaux. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui".
La question de la succession à la tête de Sedima ajoute une couche de complexité à la situation. JA rappelle que Babacar Ngom avait passé la main dès 2016 à l'une de ses filles, Anta Babacar Ngom Diack. Cependant, cette dernière s'est lancée dans la course à la dernière élection présidentielle fin 2023, laissant les commandes du groupe à une cadre de longue date, Seynabou Seck. Ce dispositif, selon des observateurs cités par JA, "ne suffit pas à relever les défis auxquels est confronté le fleuron sénégalais".
La possible cession de Sedima à Seaboard soulève des questions cruciales sur la souveraineté économique du Sénégal. JA souligne que "dans un pays où l'on compte peu de champions locaux, l'avenir d'un fleuron national, devenu un emblème du groupe familial ouest-africain à succès, intéresse bien au-delà de la sphère de sa famille fondatrice". Le magazine rappelle que des échos dans la presse sénégalaise sur la vente de Sedima à un acteur étranger avaient déjà fait grand bruit à Dakar en juillet dernier.
Malgré ces défis, Sedima maintient des ambitions de croissance ambitieuses, visant non seulement à atteindre les 100 milliards de francs CFA de chiffre d'affaires en 2025, mais aussi à se développer au Mali et au Congo. La cession à Seaboard, si elle se concrétise, pourrait ouvrir un nouveau chapitre pour cette entreprise emblématique du Sénégal et redéfinir son rôle dans le paysage économique ouest-africain.
JA précise que les négociations, menées sous couvert d'un accord de confidentialité, sont toujours en cours bien qu'en très bonne voie. L'issue de ces discussions sera scrutée de près, non seulement par les acteurs économiques, mais aussi par l'ensemble de la société sénégalaise, pour qui Sedima représente bien plus qu'une simple entreprise : un symbole de réussite nationale et un pilier de l'économie locale.