LA FEMINISATION DU PHENOMÈNE DE L'ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE
«Une pirogue est arrivée avec des corps sans vie de femmes». «Une embarcation a été sauvée par les garde-côtes espagnols avec une femme enceinte». «Des dizaines de migrants secourus avec des bébés à bord»
A Mbour, tout comme dans les autres zones côtières, l’émigration irrégulière continue de plus belle. En dépit des nombreuses pertes en vies humaines, les embarcations vers l’Espagne dans les pirogues de fortune semblent inarrêtables. Et ce qui est frappant, c’est qu’il y a de plus en plus de femmes et de jeunes filles attirées par ce suicide organisé. Cette migration du genre n’est pas nouvelle, mais l’ampleur du phénomène interroge. Partant du foyer de Mbour, sociologues et spécialistes des migrations décortiquent le choix des femmes pour cette aventure.
«Une pirogue est arrivée avec des corps sans vie de femmes». «Une embarcation a été sauvée par les garde-côtes espagnols avec une femme enceinte». «Des dizaines de migrants secourus avec des bébés à bord»… Ou encore «des candidats à l’émigration irrégulière ont été interceptés par la marine sénégalaise dont des femmes». La migration est un mot féminin. Sa pratique irrégulière et risquée aussi l’est davantage, surtout ces dernières années. Et le dernier cas, c’est la pirogue qui a échoué à Kaffrine grâce à la gendarmerie qui a empêché des hommes et des femmes de prendre le large. Comme toutes les villes côtières, Mbour est un lieu d’embarcation de candidats à l’émigration irrégulière dans des pirogues de fortune vers l’Espagne. Cette vidéo choquante d’une dame candidate à l’émigration qui a trouvé la mort, et qui n’a pas été enterrée mais juste ensevelie de sable, est la preuve de l’ampleur de la féminisation du phénomène jusque-là chasse gardée des hommes.
«Nous n’avons toujours pas de nouvelles de ma tante Astou et sa fille»
Dans toute la Petite Côte, sur les plages de Saly, Mbour, Joal, Pointe Sarène..., des jeunes embarquent nuitamment à bord de pirogues en direction de l’Espagne. Les candidates à cette émigration irrégulière viennent de partout dans le pays. Alimatou, habite le quartier Golfe de Mbour. Elle n’est pas au bout de sa peine. Après avoir perdu son aîné à la fleur de l’âge, voilà qu’une de ses tantes et la fille de celle-ci, candidates à l’émigration, sont introuvables. «Nous n’avons toujours pas de nouvelles de ma tante Astou et sa fille. Depuis quelques jours, leurs photos sont publiées sur les réseaux sociaux, en vain. Elles sont de Gandiol d’où est originaire ma maman. Je viens d’apprendre qu’il y a beaucoup de nos compatriotes qui sont retenus au Maroc et qui n’attendent que d’être rapatriés. Ils vivent dans des conditions difficiles», confie Alimatou.
«Ma fille est rentrée comme ensorcelée»
Maman, une jeune fille de 17 ans, habitant aussi le quartier Golfe, fait partie de ces nombreuses candidates à l’émigration irrégulière. Elle n’a pas réussi à atteindre l’Espagne. Mais on ne peut pas dire qu’elle est revenue saine et sauve puisque de sa périlleuse aventure, elle est tombée malade. «J’étais parti en mer ; et à mon retour, j’ai été informé que ma fille est partie en Espagne par la mer. Ni moi ni sa maman n’étaient au courant de son projet. Elle nous l’a caché, sachant que nous nous y serions opposées. Les jeunes qui prennent la mer n’en parlent jamais à leurs parents», a dit Bou, le père de Maman. Sa fille est rentrée malade et sa maman l’a amenée chez ses parents pour des soins traditionnels. «Depuis qu’elle est rentrée, elle est comme traumatisée, ensorcelée. A chaque fois elle répète cette phrase : ‘’C’est eux qui l’ont fait.’’ Elle est vraiment affectée par son voyage mais elle se sent beaucoup mieux. Ma fille est de nature afférente. Tout cela se passe avec les téléphones portables. C’est avec ces appareils qu’ils font toutes leurs machinations. C’est d’ailleurs pourquoi je m’étais opposée à ce que son père lui achète un téléphone», déplore cette femme affligée de voir sa fille dans un tel état de santé mentale.
Aminata : «Notre pirogue a pris de l'eau… Nous étions nombreux dont 10 femmes»
Âgée de 23 ans, Aminata est une employée domestique qui vit avec sa maman. Son rêve d’aller en Espagne pour venir en aide à sa mère est brisé. Mais elle rend grâce à Dieu d’être rentrée saine et sauve. Son périple n’a duré qu’une journée. «Nous avons dû rebrousser chemin parce que nous étions confrontés à beaucoup de problèmes. Il y avait beaucoup de vent, la pirogue a pris de l'eau et on s’affairait à vider l’eau. C’était difficile. Nous n’avions pas de Gps ni un bon moteur. En plus, la nourriture était insuffisante et de mauvaise qualité. Il y avait beaucoup de monde dans cette pirogue dont dix femmes», a-t-elle raconté.