30 ANS SUR LES MURS
Le hip-hop ne se limite pas seulement au rap. Le graffiti est un de ses éléments dont la figure de proue, au Sénégal, est Docta.
Le hip-hop ne se limite pas seulement au rap. Le graffiti est un de ses éléments dont la figure de proue, au Sénégal, est Docta. Il a exposé, pendant deux mois, à la galerie Le Manège de l’Institut français de Dakar pour célébrer ses 30 ans de carrière. “EnQuête’’ y a fait un tour pour vous.
À l'entrée de la galerie Le Manège, deux canons y sont installés, l’un en face de l’autre. Ils attirent l’attention des visiteurs. Ils sont immanquables dans le décor plutôt sobre de la cour de la galerie. Mais, à l’intérieur, il est tout autre.
La galerie Le Manège reçoit depuis juillet une exposition du père du graffiti sénégalais, Docta, né Amadou Lamine Ngom. Le titre de l'exposition est “Bitti biir’’ (extérioriser l'intérieur). Elle marque les 30 ans de carrière de celui qui est l’un des pionniers de cet art au Sénégal et même en Afrique. “C’est la première exposition intégralement signée Docta. Depuis le début de ma carrière, j'ai toujours opté pour des expositions collectives, donc impliquant le maximum d'acteurs du secteur. Mais là, j'essaye de partager mes sensations avec mon entourage. J'étale mes ressentis, mes émotions, cela à travers ma passion de toujours, le graffiti. C'est comme l'indique le nom de l'expo, extérioriser l'intérieur, ce qui revient à l'extériorisation de Docta himself”, fait-il savoir.
A l’intérieur du lieu d’exposition, dans un coin, sont bien rangés pots de peinture et bombes aérosols, outils indispensables du graffeur. C'est également un autre monde riche en couleurs qui éblouissent le regard des visiteurs. Docta, l'homme qui, à sa façon, donne vie aux murs, est passé par là. Les couleurs explosent ici et transmettent différents messages.
Tout à fait à droite du local qui accueille l'exposition, est réalisée une œuvre…disons imposante. Elle recouvre entièrement le mur de long en large. Elle interpelle, tape à l’œil et s’impose aux visiteurs, même si, lors de notre passage, il n’y en avait que très peu. “C'est au tout début de l'exposition qu'on avait une grande affluence. Mais maintenant les visiteurs viennent au compte-gouttes”, explique un vigile. Il faut dire que cela fait deux mois que les toiles sont accrochées aux cimaises de Manège.
Pourtant, cette exhibition vaut bien le détour. En dehors de la toile qui semble être la pièce maitresse de cette exposition, il y en a plusieurs autres qui valent bien une visite. En dehors du mur entièrement recouvert, plusieurs autres tableaux de dimensions variées sont accrochés de part et d'autre, à l'intérieur de cet édifice. Il y est installé d’ailleurs deux cases superposées qui rappellent les fameuses “baraques” des bidonvilles.
L'artiste a tenu à y laisser son empreinte. Il y a, en quelque sorte, reconstruit sa maison de la Médina. Là où a commencé son histoire avec le graffiti. Une touche qui lui permet d’allier peinture et installation. A l'intérieur des “baraques’’, nattes et canaris constituent les éléments de décoration.
“Pour le choix des matériaux qui ont permis ces œuvres, j'ai voulu faire de la récupération, du recyclage, en d'autres termes. Par exemple, les sacs de riz typiques des années 1980-1990 m'ont servi de supports pour la majorité des fresques, car je ne suis pas de ceux qui soutiennent qu'il est impossible de faire du neuf avec du vieux. Ces sacs renferment également une certaine nostalgie. Aujourd'hui, encore plus qu'à l'époque, un sac de riz à la maison est synonyme de bonheur familial. Les récipients ainsi que les nattes entrent dans cette même logique de me replonger dans le passé. C'est également un clin d'œil à mon fief, la Médina. Une fois encore, ce sont mes émotions que ressortent les bombes aérosols”, indique Docta.
Docta est à sa troisième décennie de “mission’’, de dénonciation murale, car l'art qu'il pratique n'est pas que simplement esthétique. Il tente, à travers ses fresques, de joindre l’utile à l’agréable, en sensibilisant les populations.
En outre, Docta aurait aimé que ce projet, porté et financé par l’Institut français, soit soutenu par le ministère de la Culture et de la Communication du Sénégal. Il pense le mériter pour tout ce qu’il a fait pour cet art. “Trente ans, ce n'est guère trente jours. Cette longévité nous procure une certaine crédibilité, si je peux m'exprimer ainsi. Le ministère de tutelle aurait pu, ne serait-ce que prendre part à la célébration de mes 30 ans de carrière. Je profite de l’occasion pour remercier l'Institut français qui a toujours cru en notre art. La preuve, c'est dans l'une de ses entités, en l'occurrence la galerie Le Manège, que se tient l'exposition à l'allure de rétrospective. Je tiens juste à signaler que ce n'est guère dans une logique de revendication personnelle que je fais une telle déclaration, mais la hiérarchie a intérêt à être plus attentive vis-à-vis de toutes les activités culturelles, d'une façon générale”, fait-il savoir.
Seulement, il est à souligner que le directeur des Arts, Abdoulaye Koundoul, a pris part au vernissage de cette exposition de Docta. Par ailleurs, cette première exhibition individuelle est un véritable succès. Il est prévu de monter la même en Allemagne, en Espagne et en France. D’autres pays pourraient suivre, parce que l’ambition du graffeur est de la montrer partout où elle peut être présente.