«ON A BESOIN DE CONSTRUIRE UNE LAÏCITÉ MODÈLE SÉNÉGALAIS»
Qu’est-ce qui peut expliquer d’un seul coup la propension au communautarisme dans le pays ? C’est à cette question que le sociologue Djiby Diakhaté a tenté de répondre dans un contexte où la tolérance religieuse prend un sacré coup au Sénégal
Qu’est-ce qui peut expliquer d’un seul coup la propension au communautarisme dans le pays ? C’est à cette question que le sociologue Djiby Diakhaté a tenté de répondre dans un contexte où la tolérance religieuse prend un sacré coup au Sénégal. Il estime qu’on a besoin de construire un modèle sénégalais de laïcité.
Si ce n’est pas le renvoi d’élèves voilées de l’Institution Sainte Jeanne D’Arc, c’est l’interdiction, dans un passé récent, de prière à la pharmacie Guigon ou à l’Institut Européen des Affaires (Iea Dakar), une école française de management. D’un autre côté, on assiste à des querelles de bas étages entre disciples de confréries religieuses sur les réseaux sociaux. Un ensemble de pratiques qui repose la question de la cohabitation religieuse au Sénégal, jusque-là donnée en exemple partout dans le monde. «L’amour, le respect, la tolérance et le culte de la paix.» Ces principes généraux de toutes les religions sont souvent relégués au second plan pour mettre en avant le communautarisme et le sectarisme religieux. Les germes de la division sont en train d’être posés dans un pays où malgré les différences, les communautés ont toujours vécu dans la paix et la stabilité.
Revenant en profondeur sur la question, le sociologue Djiby Diakhaté soutient d’emblée qu’on a besoin de construire une laïcité modèle sénégalais. A l’en croire, la perception que les Sénégalais ont de la laïcité renvoie plutôt au modèle des Français qui ont été nos colonisateurs. Or, dit-il, ces pays ont leur histoire et leur culture différentes des nôtres. «Dans nos lointaines traditions, la temporalité et la spiritualité faisaient très bon ménage. Alors, aujourd’hui, sous l’influence du modèle de la laïcité française, nous voulons quelque part séparer totalement le temporel du spirituel en disant que celui-ci n’a pas à interférer dans le fonctionnement du temporel. Or, cela n’est pas notre histoire, ni notre tradition», tranche-t-il.
Pour le sociologue, il doit y avoir une gestion intelligente de la question religieuse qui suppose encore une fois l’ouverture, la tolérance et l’utilisation de la religion à des fins de progrès et de bien-être. Il estime que jusqu’à présent, on a tendance à manipuler la religion et à l’utiliser à des fins politico-politiciennes. «On n’a pas jusque-là compris que la religion peut avoir une dimension économique et sociale. Donc, ces aspects de la religion devraient être mis en exergue. A Tivaouane par exemple, vous trouvez des marabouts qui ont mis en place des écoles pour former les gens à la citoyenneté, à la spiritualité ; mais aussi pour booster le développement économique avec des champs emblavés par des marabouts. C’est le cas aussi de Xelcom avec Serigne Saliou Mbacké», souligne Djiby Diakhaté qui propose de voir comment orienter la religion vers des considérations plutôt sociales et économiques. «Jusque-là, on a des difficultés par rapport à ça. Parce que tout simplement, on a adopté une perception de la laïcité qui n’a absolument rien à voir avec nos traitions», explique-t-il.
FACTEURS EXPLICATIFS DU COMMUNAUTARISME RELIGIEUX
Au par avant, Djiby Diakhaté, joint au téléphone par «L’As» est largement revenu sur les facteurs explicatifs du communautarisme religieux au Sénégal. Au-delà de la crise des valeurs, dit-il, un des facteurs explicatifs de ce communautarisme religieux, c’est la tendance à s’éloigner de plus en plus de l’orthodoxie. Il s’agit notamment des principes canoniques qui organisent le fonctionnement de la religion. «Certains groupes ont tendance à s’écarter des principes pour permettre à certains individus et à certaines familles d’acteurs de pouvoir se positionner et de pouvoir accéder à certains privilèges. Je veux dire tout simplement que quand quelqu’un a besoin de certains privilèges, il a besoin de manipuler les adeptes et de les éloigner de l’orthodoxie, des textes fondateurs de la religion, de manière à mettre en place sa propre interprétation qui lui permet d’exploiter certains acteurs, de se positionner et d’accéder à certains privilèges», analyse-t-il. L’autre élément qui explique ce phénomène, de l’avis de Djiby Diakhaté, c’est la montée en puissance du spectaculaire et de la recherche de buzz qui son en train de gagner du terrain. «Ce qui se manifeste à travers les «Ganalé» et plusieurs autres formes du genre : un marabout a fait telles prédictions ; il a proféré tels propos ; il a osé prendre telle position. Et donc à la recherche du spectaculaire, on est tenté de prendre des positions dont on sait qu’elles ne sont pas raisonnables pour tout simplement être visible ou être une identité remarquable», relève-t-il avant d’ajouter : «Je pense qu’il faut ravailler à entretenir les traditions que les ancêtres nous ont léguées qui est une tradition d’ouverture, de respect et d’acceptation de l’autre.
Amadou Hampâté Ba affirmait que ce qui fait la beauté d’un tapis, c’est la variété de ses couleurs. Donc, on peut être différent ; mais une gestion intelligente de nos émotions et de la différence permet de construire quelque part une paix durable et non pas une paix séquentielle ou une paix conjoncturelle. Cela a toujours été la marqué déposée du Sénégal. Il faudrait bien la conserver. Mais cela suppose bien entendu un système de socialisation et d’éducation en phase avec les valeurs et les principes qui sont de nature à promouvoir la paix et la coexistence en parfaite intelligence entre les différentes composantes de la société», déclare en définitive le sociologue