LE TALON D’ACHILLE
EXCLUSIF SENEPLUS - Achille Mbembé trahit le processus de la décolonisation des esprits lancé à Dakar. La relation France-Afrique ne peut changer que s’il y a un effort accompli, individuellement et séparément, des deux rives de la Méditerranée
Mes 10 propositions simples pour le Sommet France-Afrique
Au deuxième jour des manifestations insurrectionnelles, je m’apprêtais à écrire un éditorial assez pessimiste sur la chute imminente du régime de Macky Sall : « La révolution sénégalaise n’aura pas lieu ! » Mon observation reposait, entre autres, sur l’absence de débats d’idées antérieurs aux manifestations de mars, pourtant indispensables au jaillissement d’une pensée neuve et critique. En effet, chaque Grande révolution est précédée d’une période de fermentation des esprits. Il en fût ainsi pour les deux grandes : la Révolution française de 1789 avec les Lumières et la révolution d’Octobre avec Karl Marx.
Les ateliers de Dakar, initiés par Felwine Sarr et Achille Mbembé, préparaient une révolution des mentalités, celle de la décolonisation des esprits africains francophones. Ce travail de longue haleine semble être, aujourd’hui, saboté par l’un de ses propres inspirateurs. En effet, par « curiosité intellectuelle », Achille Mbembé accepte de devenir « accompagnateur (sic) » d’Emmanuel Macron dans l’organisation du prochain Sommet France-Afrique, en juillet. C’est là qu’est le problème ! Achille Mbembé, dénigreur assumé du président français, endosse l’habit de Maître-Jacques, le factorum de la maison France-Afrique. Il rejoint un compagnonnage dont la France reste l’unique maître d’ouvrage. Achille Mbembé se contentera d’être le maître d’œuvre, malgré son marketing Facebook où il prétend provoquer l’histoire !
Pour justifier sa volte-face, Achille Mbembé évoque les progrès accomplis par la France, avec la restitution des biens culturels, la saison Africa2020 et le FCFA. C’est une évidence, et c’est à mettre au crédit d’Emmanuel Macron. Cependant, la méthode questionne. Dans tous les cas cités, la France est à la manœuvre. L’Institut Montaigne, dans son ancien rapport « Prêts pour l’Afrique de demain ? », montre le vrai enjeu de notre nouvelle diplomatie : libérer les entreprises françaises d’une charge historique et politique qui handicape leur développement sur les marchés africains. Achille Mbembé n’est pas devenu brusquement naïf pour ignorer nos manœuvres soft power face à la Chine et aux autres pays émergents. La note diplomatique « L’effet Pangolin » nous édifie sur les relais de cette nouvelle stratégie : les intellectuels africains en sont la cible privilégiée !
Je n’accuse pas Achille Mbembé de prêter main-forte à la politique africaine de la France, mais d’être la triste figure de la tragédie des indépendances africaines. On attendait beaucoup des intellectuels révolutionnaires et panafricanistes, et de leurs promesses « messianiques » dans les années 60. Ce sont leurs propres contradictions qui éclatèrent en plein jour : à la fois tributaires et porte-voix d’idéologies exogènes comme le marxisme très agissant (car anti-impérialiste, donc anti-occidental), et aussi acteurs ou conseillers politiques de régimes néocolonialistes et/ou despotiques. Achille Mbembé a été aphone face au soulèvement des jeunes sénégalais. Renonce-t-il à s’immiscer dans la vie politique sénégalaise ? Pourquoi ne propose-t-il pas une garantie constitutionnelle d’un droit d’asile spécial en Occident pour les jeunes africains exposés aux balles de certains autocrates, à l’exemple de sa suggestion concernant le retour des Afro-américains victimes de racisme aux Etats-Unis ? A vrai dire, son silence ne serait-il pas la contrepartie de son passeport diplomatique accordé par Macky Sall ou sa contribution au prochain sommet France-Afrique ? Ou les deux à la fois quand on sait que la France et le Sénégal, c’est du pareil au même ! Y a-t-il eu un deal ? Cette question mérite d’être posée quelle que soit la personnalité mise en cause. Accusateur du régime de Paul Biya, est-il souteneur de celui de Macky Sall, en dépit des jeunes manifestants morts ?
Je n’accuse pas Achille Mbembé d’apporter des solutions africaines dans la relation historique France-Afrique. Seulement, il trahit le processus de la décolonisation des esprits qu’il avait lancé à Dakar en ces termes : « Le moment culturel en Afrique est extrêmement fécond, et dans toutes les disciplines. La France n’en est pas du tout l’objet central. La grande question, c’est l’Afrique. Comment l’ouvrir à elle-même afin qu’elle redevienne sa force propre ? Ce n’est pas la France. Ni les Etats-Unis. Ni le colonialisme en tant que tel. C’est l’avènement de l’Afrique à son propre projet en tant que celui-ci participe d’une nouvelle donne planétaire. » La France, dans la nouvelle mission d’Achille Mbembé, redevient l’objet central ; et l’Afrique redevient un objet accessoire ! Achille Mbembé est la nouvelle « grenouille (de bénitier) » de la relation France-Afrique.
Achille Mbembé, qui débarquera à Montpellier avec son réseau d’intellectuels amis, donne une piètre image du renouveau intellectuel auquel j’ai cru. Il fait mal à ses aînés des années 30. Il fait mal aux propos de Me Abdoulaye Wade : « Seules la créativité et l’imagination peuvent sauver l’Afrique. » Et non le suivisme ! Dans ce sommet, sortira une liste de 110 propositions à la Mitterrandienne, où quelques-unes, à l’exemple du rapport Stora (Guerre d’Algérie), seront in fine piochées pour satisfaire les intellectuels africains et calmer, espérons-le, le sentiment anti-français. Surtout, il fait mal à l’avenir de la relation France-Afrique. En effet, quelle que soit leur part de sincérité, Emmanuel Macron et Achille Mbembé se trompent de méthodes et de direction.
La relation France-Afrique ne peut changer que s’il y a un effort accompli, individuellement et séparément, des deux rives de la Méditerranée. L’Afrique doit « redevenir sa propre force », en dehors de toute problématique relationnelle (cela dépend de sa propre prise de conscience et de ses actions !), et la France doit entrer dans une phase d’introspection. Personne ne peut s’immiscer dans ce travail de l’un et l’autre. Cette relation est en cours de convalescence, elle reste très fragile, nous l’avons mesurée lors des manifestations à Dakar : continuons à trouver nos nouvelles marques, sans instrumentalisation politicienne et géopolitique ! Ensuite, à travers les sommets, le temps de la thérapie de couple, sous le sceau de la Renaissance, viendra.
Il reste encore un bout de chemin à faire en France. En pleine saison Africa2020, des professeurs d’histoire, dans les lycées français, apprennent que les africains des zoos humains du début du XXème siècle, étaient des acteurs (donc volontaires) ! Quelle hérésie, par ailleurs, de vouloir faire découvrir les cultures africaines (Saison Africa2020) alors que nous ne connaissons même pas notre propre histoire et culture afro-européenne ! Et sincèrement, quel a été l’impact de cette saison Africa2020 ? Sans doute celui de créer de nouveaux réseaux France-Afrique pour le plus grand bonheur d’Achille Mbembé et de son amie N’Goné Fall ! A ce propos, quel est le coût de cette Saison « fantôme » Africa2020 et des missions « infécondes » d’Achille Mbembé en Afrique pour le compte du futur Sommet ? Quand on sait que nos jeunes étudiants crèvent la dalle !
Mes propositions (du côté de la France) sont gratuites, pas besoin de missions !
Proposition 1 : Déprésidentialiser la relation France-Afrique (suppression du Conseil présidentiel pour l’Afrique, et suppression des discours présidentiels paternalistes en Afrique, genre Dakar et Ouagadougou).
Proposition 2 : Rééquilibrer notre histoire au vu de la confrontation légitime avec nos minorités (dans un esprit d’histoire gagnante-gagnante comme décrit dans mes 3 éditos) et donc revoir nos manuels d’histoire.
Proposition 3 : Reconnaître et enseigner l’histoire et la culture afro-européenne dans une dimension de métissage.
Proposition 4 : Remplacer le Sommet France-Afrique par celui d’Europe-Afrique.
Proposition 5 : Favoriser une économie humaine et de proximité autour d’alliances centrées sur nos TPE et PME, et laisser-faire nos multinationales qui ne nous rapportent pas grand-chose.
Proposition 6 : Créer des Maisons de la Diaspora dans les grandes villes françaises (avec missions économiques et culturelles, et lobbying dans les deux sens).
Proposition 7 : Créer une grande Agence de développement diasporique (avec un conseil d’administration à parts égales entre Européens et Africains).
Proposition 8 : Créer un média public Euro-africain destiné à diffuser l’info africaine en Europe (idem un conseil d’administration partagé à parts égales entre l’Afrique et l’Europe).
Proposition 9 : Créer un musée sur l’histoire coloniale en France et au Sénégal (à Thiaroye).
Proposition 10 : Promouvoir la convention onusienne pour les migrants avec l’ambition d’une réforme profonde des visas.
Je terminerai par l’avertissement de Norbert N. Ouendji, aux intellectuels africains : « Tout se passe comme si l’Afrique, enfoncée dans le présent et étranglée par les impératifs de la survie, n’avait guère le temps de penser (…). Pourtant, la nécessité d’une pensée neuve et critique sur les transformations en cours sur le continent n’a jamais été aussi impérieuse. »
edesfourneaux@seneplus.com