AMADOU BA, MIMI, IDY, KHALIFA... ET PLUS DE 200 PRÉTENDANTS
Que signifie cette explosion d’ambitions présidentielles ? Est-ce le signe d’une réelle ouverture du jeu politique ? D’un dynamisme démocratique où tout semble possible ?
Anciens chefs de gouvernement, ex-ministres, femmes et hommes d’affaires, patrons de presse. Ils sont plus de 200 à vouloir se présenter à la présidentielle de février 2024. Un record.
« Il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus », dit la parabole biblique. Une phrase que l’on peut aisément adapter à la campagne en cours pour la présidentielle du 25 février 2024 au Sénégal : « Il y a beaucoup de candidats à la candidature, mais peu seront éligibles. »
Plus que pour le scrutin de 2019, à l’issue duquel Macky Sall fut élu pour ce que l’on sait désormais être son dernier mandat, se présenter à la magistrature suprême au Sénégal passe aujourd’hui par un sacré parcours du combattant : la collecte – et la validation – d’au moins 44 559 « parrainages citoyens », soit l’équivalent de 0,6 % du corps électoral.
Le dialogue politique national organisé par Macky Sall en juin 2023 a abouti, entre autres, à la possibilité, pour les candidats à la candidature, de se faire également parrainer par au moins 13 députés ou 120 élus locaux (maires et présidents de conseil départemental). Mais peu pourront bénéficier de ces parrainages de « grands électeurs » et le gros des troupes sera donc obligé de recourir aux parrainages citoyens.
En l’occurrence, depuis le 27 septembre et pour deux mois, la chasse aux parrainages est ouverte. La Direction générale des élections a fourni les fiches de collecte de parrainages (formats papier et numérique), qui doivent être remplies par les parrains citoyens, chacun ne pouvant accorder son parrainage qu’à un seul prétendant... Et c’est dans les probables doublons de parrainages à des candidatures concurrentes que le Conseil constitutionnel, qui examinera les dossiers entre le 23 décembre et le 12 janvier 2024, trouvera motif à invalider bon nombre de candidatures.
Malgré ce filtrage par le parrainage, auquel s’ajoute celui de la caution de 30 millions de F CFA (45 735 euros), plus de 200 candidats à la candidature avaient déjà fait leur « coming-out » à la mi-octobre. Et le délai de dépôt des dossiers au greffe du Conseil constitutionnel devant se faire « 75 jours au plus et 60 jours au moins avant le scrutin » – soit entre le 11 et le 26 décembre prochain –, le nombre de prétendants battra sans aucun doute tous les records.
Pourquoi autant de « pourquoi pas moi ? »
Anciens chefs de gouvernement, ex-ministres, femmes et hommes d’affaires, patrons de presse, universitaires... Les horizons politiques et profils socioprofessionnels sont très divers, et c’est une bonne chose. Toutefois, hormis quelques leaders investis par leur parti, pourquoi sont-ils aussi nombreux – plus de 200 !... – à se sentir à la hauteur au point de se dire « pourquoi pas moi » ? Que signifie cette explosion d’ambitions présidentielles ? Est-ce le signe d’une réelle ouverture du jeu politique ? D’un dynamisme démocratique où tout semble possible ?
Parmi les « poids lourds » de la politique, l’actuel Premier ministre, Amadou Ba, 62 ans, désigné par Macky Sall, le 9 septembre, pour porter les couleurs de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), ainsi qu’Idrissa Seck, président de Rewmi, allié de Macky Sall jusqu’à ce qu’il officialise sa candidature, en avril – quelques semaines après celle de son ex-bras droit, Déthié Fall, coordonnateur de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (YAW) et chef du Parti républicain pour le progrès-Disso ak Askan Wi.
Ousmane Sonko, le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), étant inéligible, les plus emblématiques figures de l’opposition dans la course restent Karim Wade, le fils prodigue du Parti démocratique sénégalais (PDS), pour le moment « candidat épistolaire », et Khalifa Sall, ex-maire de Dakar (Taxawu Sénégal) qui, bien qu’exclu du Parti socialiste, pourrait rallier les suffrages des militants du PS.
Nombreux « ex- » du gouvernement
Vient ensuite un lot d’anciens Premiers ministres de Macky Sall – Abdoul Mbaye, Mahammed Boun Abdallah Dionne, Aminata « Mimi » Touré – et d’Abdoulaye Wade – Souleymane Ndéné Ndiaye. Suivis d’un déjà long cortège d’ex-membres du gouvernement : le Saint-Louisien Mary Teuw Niane, ancien emblématique ministre de l’Enseignement supérieur ; Alioune Sarr, qui a défié son mentor Moustapha Niasse au sein de l’Alliance des forces de progrès (AFP) en faisant acte de candidature malgré le veto de ce dernier ; Malick Gackou, ex-ministre du Commerce et ancien numéro deux de l’AFP, dont la formation, Le Grand Parti, a sa base politique à Guédiawaye ; Birima Mangara, ex-ministre du Budget qui a démissionné de l’Inspection générale d’État en août pour se lancer dans la course, ainsi qu’Aly Ngouille Ndiaye, qui vient tout juste de quitter l’Agriculture ; Thierno Alassane Sall (TAS), qui a détenu le portefeuille de l’Énergie jusqu’à son limogeage, en mai 2017 ; ou encore Cheikh Tidiane Gadio, qui a battu un record de longévité à la tête du ministère des Affaires étrangères sous Wade.
Côté société civile, se sont positionnés, entre autres, les patrons de presse Mamoudou Ibra Kane (E-Media Invest) et Bougane GuèyeDani (Dak’Cor, Sen TV, La Tribune), Anta Babacar Ngom, directrice du groupe Sedima, le tonitruant avocat El Hadji Diouf, ou encore la professeure de droit Amsatou Sow Sidibé, déjà candidate en 2012.
La démocratie, une idée toujours jeune
A priori, la grande majorité des dossiers ne seront pas menés jusqu’au bout ni retenus par le Conseil constitutionnel, ce qui permettra le désordre assez ridicule d’un trop grand nombre de concurrents. Toutefois, la liste des candidatures validées – qui sera rendue publique à la mi-janvier 2024 –, devrait être plus longue que celle de la présidentielle de février 2019, à laquelle seuls cinq candidats avaient été admis à se présenter, sur la vingtaine qui avaient maintenu leur dossier devant le Conseil.
Si, en janvier prochain, les sages valident dix ou quinze candidatures (ce qui est mon vœu), ce sera le top départ d’une bataille « de bonne guerre » pour la magistrature suprême. Ce sera surtout un nouveau temps fort de la démocratie, qui restera toujours une idée jeune, et un défi à relever pour les électeurs.