LES ANNÉES NOIRES DE LA DISSIDENCE SOUS SENGHOR
De la dissolution du PAI à la mort en détention du philosophe Omar Blondin Diop, retour sur les méthodes implacables déployées par le régime du président-poète pour museler toute opposition politique au Sénégal entre 1960 et 1976
La période allant de 1960 à 1976 au Sénégal a été marquée par une répression formidable de l'opposition politique orchestrée par le régime du président Léopold Sédar Senghor. Pourtant, ce pan méconnu de l'histoire du pays commence seulement à être étudié de manière approfondie, à la faveur de témoignages récents mais aussi d'un travail publié dans la nouvelle édition de la Revue d'Histoire Contemporaine de l'Afrique.
Son auteur, Florian Bobin, y explore à travers différents "fragments" plusieurs épisodes marquants qui éclairent la manière dont le nouvel Etat sénégalais a cherché à museler toute voix dissidente. De la dissolution du parti d'opposition PAI dès 1960 aux arrestations massives de militants pendant la période dite des "années 1968", en passant par la crise politique de 1962 et la répression du mouvement étudiant, l'article offre une première synthèse rare sur le sujet.
Le Parti Africain de l'Indépendance, principal opposant au régime, fait les frais de l'autoritarisme naissant dès les premières élections. "La police a commencé à massacrer les gens", témoigne Ismaïla Traoré, ancien militant du PAI. Le lendemain, le parti est dissous et ses leaders emprisonnés. Une répression qui inaugure selon l'auteur la politique d'intimidation menée par l'État durant cette période.
Les syndicats étudiants comme l'UGEAO ne sont pas davantage épargnés, subissant dissolutions et interdictions de manifestation. En décembre 1962, la crise atteint son paroxysme avec l'arrestation spectaculaire du Premier ministre Mamadou Dia, condamné à la prison à vie. Cet épisode marque un tournant vers un régime de plus en plus présidentialiste.
À partir de 1966, toute opposition se retrouve reléguée dans la clandestinité avec l'instauration de l'État-parti. Le mouvement de mai 68 est durement maté plusieurs opposants sont condamnés à des peines de prison, comme les membres du groupe des "incendiaires" ou du parti And Jëf dans les années 1970.
En combinant analyses historiques et témoignages inédits, l'article de Florian Bobin contribue ainsi à lever un coin du voile sur cette période longtemps passée sous silence. Elle invite à poursuivre l'exploration de ce pan méconnu mais révélateur de l'histoire politique du Sénégal.