THIAROYE : DU MASSACRE À LA RECONNAISSANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les concessions au compte-gouttes de l'État français ne suffisent plus face aux exigences de vérité et de justice. La mention "Mort pour la France" accordée à six tirailleurs ne suffira pas à éteindre l'incendie mémoriel
La célébration du 80ème anniversaire des massacres de Thiaroye coïncide avec l’essor d’un vent qualifié de souverainisme et panafricanisme en Afrique francophone en général, en Afrique de l’Ouest en particulier. Cet élan est en général porté par la jeunesse. Les enjeux de cette célébration ne peuvent être pleinement compris qu’à la lumière du contexte actuel. Sauf indication contraire, tous les éléments factuels sont tirés des écrits de l’historienne Armelle Mabon, maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne Sud[i].
Qui sont ces « tirailleurs sénégalais » et leur itinéraire ?
Pour commencer, comme beaucoup le savent, ces dits travailleurs sénégalais proviennent en réalité de différents pays d’Afrique dite noire faisant partie de l’empire colonial français en Afrique occidentale et en Afrique équatoriale. Une grande partie d’entre eux fut enrôlée de force.
En transit sur le camp de Thiaroye en novembre 1944 pour rentrer chez eux, ces tirailleurs furent faits prisonniers dès 1940 par l’Allemagne durant la débâcle de l’armée française. Comme l’Allemagne ne voulut pas les interner chez elle pour éviter une « contamination raciale », ils furent transférés en France dans des « Frontstalags ». Ces derniers sont des camps de prisonniers du Reich en dehors du territoire allemand. Cependant, l’encadrement est allemand, de même les règles ou les procédures en vigueur dans les mêmes camps en Allemagne, comme le système de travail obligatoire dans les « Arbeitkommandos », y furent appliquées. Ainsi des tâches ou plutôt des corvées leur furent assignées. En contrepartie des travaux forcés, de maigres rémunérations leur furent versées dans des livrets d’épargne gérés par les Frontstalags.
Paradoxalement, ce faisant en dehors des camps pour les corvées, ces tirailleurs purent rentrer en contact avec les populations qui transfèrent sur eux la compassion ou la sympathie envers les prisonniers français métropolitains inaccessibles. Via un système de marrainage ou de parrainage, de nombreux tirailleurs furent « adoptés » par des familles françaises. Ces liens donnèrent parfois naissance à des couples dits mixtes et par ricochet à des enfants dits métis. Plusieurs évasions eurent lieu. Leurs auteurs en général arrivèrent à rejoindre la résistance et/ou furent protégés par les populations locales à leurs risques et périls. Ce fut de facto une forme de « fraternisation[ii] » entre deux populations qu’un océan de préjugés et de stéréotypes, créé et entretenu par l’idéologie et la propagande coloniales, pouvaient séparer ou voire opposer.
Au cours de la guerre 1939-1945, la gestion des Frontstalags alla changer quand l’armée allemande fut à court de ressources humaines surtout dans le front Est où elle fut bousculée après la défaite de Stalingrad en hiver 1942 en ex-URSS. Ce fut pourquoi elle retira les soldats allemands affectés à la surveillance des Frontstalags. Ce fut ainsi qu’à partir de ce moment-là, la surveillance des prisonniers tirailleurs fut sous-traitée à l’armée française de la zone dite libre. Ce changement ne put que contribuer au pourrissement supplémentaire du climat dans les Frontstalags entre les prisonniers et leurs nouveaux surveillants qui furent des « ex-collègues » ou « ex-camarades » bien qu’étant sous la bannière du régime collaborationniste de Vichy sous la direction du maréchal Pétain. Ce surcroît de tension fut un facteur d’accélération du rapatriement des tirailleurs dès que possible.
Un autre facteur ayant contribué à la précipitation des rapatriements-démolitions des tirailleurs fut le dénommé « blanchiment » ou « blanchissement » des troupes.
Dans le courant de 1944, devant l’imminence de l’effondrement ou de la capitulation de l’Allemagne nazie estimée en termes de mois, la libération des villes sans être une formalité put être envisagée sans les tirailleurs, mais aussi en général sans toutes les troupes de type présumé non-aryen comme les Juifs, les Arméniens, les Tziganes, etc. Le cas le plus emblématique du « blanchiment » s’opéra avec la libération de Paris en août 1944. En accord avec l’état-major des « Alliés », le général De Gaulle décréta que « Paris devait être libéré par des soldats uniquement Blancs [iii]». Tous les soldats non-aryens de la division Leclerc furent parqués près d’Orléans dont Frantz Fanon[iv], martiniquais et futur théoricien de la lutte d’indépendance et de la lutte des peuples du Tiers-Monde en général, entre autres avec son livre-culte « Les damnés de ta terre ». Il fallait à tout prix occulter et invisibiliser l’apport des entités racisées ou colonisées dans la défaite du nazisme. S’y serait peut-être aussi ajouté une volonté d’éviter une « fraternisation » avec les populations urbaines et/ou « une contamination raciale » comme l’assuma crûment le Reich.
Ce n’est pas l’objet de cet article, mais le questionnement sur le caractère véritablement antifasciste de la seconde guerre mondiale mériterait d’être posé, si on isole l’entreprise d’extermination des Juifs, des Tziganes, des LGBT, etc. N'est-ce pas que l'essence du fascisme ou du nazisme est la remise en cause de l'unité du genre humain dans son ensemble en érigeant une hiérarchie sur la base de critères présumés raciaux, ethniques, culturels, etc. ? Comment pourrait-on décerner un label d’antifascisme ou d’antinazisme à des Etats perpétuant durant la guerre la politique d’apartheid pratiquée dans leurs colonies et/ou dans leur pays à l’image des USA, chef de file du « monde libre civilisé et démocratique » où la ségrégation perdura officiellement jusque dans les années 1960. Qui pourrait mieux caractériser cet apparent paradoxe qu’Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme » : "Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique [...]".
Après quatre ans de captivité, les tirailleurs emprisonnés allaient être rapatriés en Afrique en novembre 1944. Ce rapatriement s’intégra dans la cadre d’un processus plus vaste de démobilisations plus connu sous le nom de « blanchiment » des tirailleurs jusqu’à alors en activité.
Le rapatriement des tirailleurs
En prélude au rapatriement, les tirailleurs de différents Frontstalags étaient regroupés à Morlaix en provenance de différents endroits de France : Granville, Rennes, Pontivy, Coëtquidan, La Fléche, Versailles avec un effectif total de 1950 hommes environ. Au moment du départ de Morlaix pour Dakar le 5 novembre, 315 tirailleurs refusèrent d’embarquer à bord du bateau britannique « Circassia » car ils exigèrent le règlement de l’intégralité de leur solde de captivité durant quatre années. Ces derniers seront transférés à Loudéac-Trévé dans les Côtes d’Armor. En fin de compte, l’effectif des tirailleurs à bord s’éleva à 1615 personnes environ. Ce nombre sera important par la suite. Des débarquements de tirailleurs évoqués ultérieurement dans une escale à Casablanca au Maroc ne furent pas avérés.
Bien que cela fût devinable sous un cadre colonial discriminatoire, il est important de noter que le taux de la solde de captivité des tirailleurs d’Afrique dite Noire fut inférieur à celui perçu par leurs « homologues français » et peut-être même à ceux d’Afrique du Nord. En effet, Les tirailleurs avaient droit, en plus de leur solde de captivité, à une solde de traversée, une indemnité de combat de 500 francs, une prime de démobilisation et une prime de maintien sous les drapeaux, après la durée légale, équivalente à la prime de rengagement.
Face aux revendications relatives au paiement des différents droits, au moins pour les soldes de captivité car l’indemnité de traversée ne pouvant être versée avant l’arrivée, les autorités françaises décidèrent du versement seulement du quart en France et les trois-quarts restants à Dakar, soi-disant pour éviter des vols durant le voyage.
Le massacre et ses causes
Dès leur débarquement à Dakar le 21 novembre 1944, les 1615 tirailleurs exigèrent le versement de tous leurs dus restants. Les autorités militaires coloniales refusèrent de leur verser leur argent estimant dans leur mentalité coloniale raciste que les montants déjà perçus furent déjà excessifs pour des « nègres ».
Par ailleurs, l’administration coloniale proféra aux tirailleurs des accusations immondes de vols, de pillage, de dépouillage ou de détroussage de leurs collègues morts au regard du montant cumulé de leurs salaires de travaux forcés retirés de livrets d’épargne où ils furent placés. En outre, les autorités coloniales tentèrent d’escroquer les tirailleurs en voulant imposer un taux de change moitié moindre au détriment des tirailleurs entre le Franc de la métropole et le Franc des colonies.
Devant la détermination et la fermeté affichées par les tirailleurs, la hiérarchie militaire coloniale débita à l’endroit des tirailleurs d’odieuses calomnies sous différents angles :
- En remettant en cause l’état réel de leurs services, en les soupçonnant d’avoir passé leur temps à courir derrière les femmes blanches sous prétexte que certains sont mariés ou pères d’enfants en France ;
- En les suspectant d’être contaminés par « le virus communiste » ;
- En les accusant d’une intelligence avec l’ennemi allemand au motif que certains d’entre eux parlèrent plus ou moins bien l’allemand. Le Général Dagnan, commandant de la division Sénégal-Mauritanie, l’affirma d’une manière on ne peut plus clair : « Il ne fait aucun doute qu’à la base, il y a une influence allemande qui s’est exercée pendant les quatre années de captivité. (…) La répartition dans l’ensemble de nos territoires africains de cet afflux d’éléments animés vis-à-vis de la Mère patrie de sentiments plus que douteux, déterminera très vite un grave malaise parmi nos populations jusqu’alors parfaitement loyales et fidèles. (…) Ils formeront très vite le noyau agissant de tous les groupements hostiles à la souveraineté française. [v]»
Ce que ne purent comprendre les officiers de la coloniale, c’est la dialectique de l’histoire qui fit que la France, en enrôlant de milliers de tirailleurs dans sa guerre au sein même de sa métropole, engendra les germes qui allaient féconder et secouer son empire colonial. En métropole, les tirailleurs observèrent les failles, les contradictions de la société qui leur fut maquillée jusqu’alors supérieure, voire parfaite par la propagande coloniale. La débâcle militaire française en 1940 détruisit définitivement dans leurs têtes le mythe de l’invincibilité ou l’invulnérabilité de la puissance coloniale. Comme leurs ainés de la guerre 1914-1918, ils croisèrent dans les rues ou les routes de France des handicapés physiques ou mentaux de type leucoderme. L’aliénation, le conditionnement sous le colonialisme matraquant le mythe d’un être Blanc sans « défauts », ni « aspérités » imposèrent au régime colonial le rapatriement à la métropole de tout colon Blanc n’étant plus dans la « norme supérieure » quant à leurs apparences physiques ou à leurs présumées capacités intellectuelles.
Les tirailleurs revinrent avec une conscience de leur dignité humaine qui devrait être respectée et protégée contre toute atteinte à ce qu’ils estimèrent être leurs droits.
Face à ce qu’elles considérèrent comme une spoliation consistant en une escroquerie dans le taux de change pour leur épargne, mais aussi en non-paiement de leurs droits tels que la solde de captivité, les tirailleurs restèrent fermes et déterminés dans leurs revendications. Cinq cents tirailleurs devant rentrer au Mali refusaient de partir sans avoir reçu l’intégralité de leurs droits. Le 28 novembre 1944, c’est la même détermination qui fut opposée au Général Dagnan venu au camp de Thiaroye pour les « amener à la raison ». Contre son refus de satisfaire leurs demandes, les tirailleurs bloquaient sa voiture dont le passage ne fut possible que contre la promesse de réétudier d’une manière plus attentive leurs revendications. Ce furent les derniers échanges « pacifique » entre les tirailleurs et les autorités coloniales.
L’issue de cette journée du 28 novembre 1944 marqua un tournant se traduisant par la décision de la hiérarchie militaire de réduire par les armes la détermination des tirailleurs.
Le 1er décembre 1944 à l’aube, le camp de Thiaroye fut encerclé par un char américain, deux half-tracks, trois automitrailleuses, deux bataillons d’infanterie, un peloton de sous-officiers et hommes de troupes français, trois compagnies indigènes. La troupe ouvrait le feu sur les tirailleurs appelés en rassemblement[vi]. Ce fut un véritable carnage, les survivants se comptaient parmi ceux qui s’étaient couchés ou ceux qui ne furent pas touchés dans leurs baraquements.
Ce que confirma un ancien tirailleur Hadj Doudou Diallo en 1994 à l’antenne de RFI 1994 : « Les tirailleurs ne faisaient pas de menaces, ils n’étaient pas incorrects. Ils étaient fermes, décidés. Mais patriotes. Nous avons demandé tout simplement ce que nos camarades français ont reçu. Alors, le général nous dit : « Restez calmes, nous allons nous occuper de la situation. Dans deux ou trois jours, la question sera réglée. Nous lui avons fait confiance. Deux ou trois jours après, nous avons vu les soldats encercler le camp de Thiaroye. Et ce qui s’est fait s’est fait[vii]… »
Mensonges, Manipulations, falsifications sur le quoi, pourquoi, le bilan d’un crime d’Etat ?
Jusqu’au discours du président français François Hollande en 2012 au Sénégal qui parle d’une répression sanglante, les « évènements de Thiaroye [viii]» sont officiellement présentés comme une mutinerie ou une rébellion armée[ix]. C’est ce que corrobore un rapport du Général Dagnan : « Ma conviction était formelle : tout le détachement était en état de rébellion. Il était nécessaire de rétablir la discipline et l’obéissance par d’autres moyens que les discours et la persuasion. ». Cette version est confirmée par un autre rapport transmis au même général Dagan : « Je préviens les mutins, une fois encore, que je vais faire usage de mes armes. Ils me rient au nez, m’insultent, se montrent de plus en plus menaçants. Je fais tirer une salve en l’air : débordement d’insultes. Des coups de feu semblent venir des baraques de la face sud. (…) Je fais sonner le « garde à vous » et préviens une dernière fois les mutins d’évacuer les baraques ou je fais ouvrir le feu. Les mutins bravent tout, ricanent. (…) Je fais sonner l’ouverture du feu. (…) Il a duré 10 à 15 secondes. (…) Tout est rentré tragiquement dans l’ordre. ».
Mais la thèse d’une mutinerie pour qu’elle aspire à un minimum de cohérence dut imposer un scénario réécrivant l’histoire, malmenant des faits avérés, inventant d’autres faits n’ayant existé que dans l’imagination des auteurs des rapports ou des procès-verbaux relatifs au 1er décembre 1944. Les autorités militaires mirent en branle un arsenal de manipulations, de mensonges, de falsifications pour :
- accréditer la thèse de la rébellion armée en déniant toute légitimité aux revendications des travailleurs ;
- construire « les preuves matérielles » des préparatifs de cette présumée rébellion ;
- simuler un « déroulé cohérent de la mutinerie et de l’opération de maintien de l’ordre y répondant » ;
- fabriquer un bilan à la mesure « d’une opération de maintien de l’ordre maîtrisée » ;
- pour organiser un simulacre de procès : car toute mutinerie est présumée avoir des meneurs qui devront être jugés !
Le Général Dagnan fut couvert par sa hiérarchie au Sénégal qui fut couverte par le gouvernement provisoire de De Gaulle. Il en fut ainsi durant la toute la quatrième république et la cinquième république jusqu’à aujourd’hui avec le président Emmanuel Macron. Une certaine plaidoirie ayant visé à mettre la responsabilité des « évènements de Thiaroye » sur le dos de vichystes ou pétainistes bien présents est complètement inconsistante
Les tentatives de délégitimation de la résistance des tirailleurs
Le refus du paiement des soldes de captivité est difficilement défendable au niveau de l’opinion, mais aussi niveau des sphères étatiques et surtout au niveau de l’armée. Pour essayer d’ôter toute base crédible aux revendications des tirailleurs et leur ténacité à les défendre, il fallait après les tueries produire des circulaires a posteriori attestant que leurs droits ont été réglés. Et ainsi « ils furent mus » par d’autres motivations téléguidées par « l’ennemi allemand » et/ou comme le résultat de « l’influence communiste subie ».
« Ainsi la circulaire n° 6350 du 4 décembre 1944 émanant du ministère de la Guerre (direction des Troupes coloniales) fait part d’une modification pour le paiement des soldes de captivité confirmant un télégramme du 16 novembre 1944 »[x] :
« Elles seront payées [intégralement] avant le départ de la métropole ». En note de bas de page, il est indiqué : « Cette mesure a déjà été appliquée au détachement parti de France le 5 novembre [xi]».
Pourtant « Une lettre datée du 24 novembre 1945 d’un sergent rapatrié à sa marraine de guerre nous apprend qu’il n’a toujours pas perçu le rappel de solde alors que son retour est postérieur à décembre 1944[xii]. »
L’historienne Armelle Mabon résuma les machinations de l’Etat français ainsi : « C’est le gouvernement provisoire après le massacre de Thiaroye qui a fait croire que ces hommes avaient perçu tout leur dû, via une circulaire officielle émanant de la direction des troupes coloniales, estampillée « Ministère de la guerre. » L’objectif était de montrer que les revendications des tirailleurs étaient illégitimes afin de valider la thèse construite de la mutinerie et de la rébellion armée[xiii]. ».
Et le Général André Bach, ancien responsable des archives militaires du Fort de Vincennes, abonda dans le même sens : « C’est du roman. La version présentée dans les archives ne tient pas la route ! Il n’y avait aucune raison de tirer sur des gens qui, contrairement à ce qu’on a dit, n’étaient pas armés. Un camouflage est donc immédiatement mis en place. A partir du moment où une autorité très élevée dit : « On va couvrir », c’est là que commencent les mensonges ».[xiv]
« Les preuves matérielles des préparatifs des mutins »
Une mutinerie présuppose un arsenal, une structure de liaison ou de coordination, un plan d’attaque. Or rien de tel ne fut étayé. Tout au plus, un arsenal relevant de la « petite quincaillerie » fut exhibé. Qui plus est, l’arsenal imputé aux présumés mutins n’est pas le même dans l’acte d’accusation des dits meneurs et dans le rapport du Général Dagnan : « Acte d’accusation : 75 baïonnettes, 12 revolvers, 1 mousqueton, 2 grenades, cartouches. [Rapport du] Général Dagnan : 1 poignée de pistolet de mitraillette, un chargeur, un mousqueton, 4 pistolets automatiques, deux grenades, une centaine de baïonnettes allemandes, poignards, cartouches, etc. ».
« le scénario de la mutinerie et de sa répression »
Comme dans les étapes précédentes, le scénario mal ficelé de la prétendue mutinerie est un fil continu de contradictions et de d’incohérences :
La chronologie des présumés échanges de tirs diffère selon les rapports ou selon les individus. Ces tirs débutèrent selon les versions entre 8h45 et 9h30 avec des provenances différentes.
Or « Le chef d’escadron Lemasson, qui était sur le [bateau] Circassia avec les ex-prisonniers de guerre, dans son rapport du 1er décembre 1944, est encore plus explicite car il indique qu’à 6h45, il a été prévenu que la force armée intervenait pour réduire les rebelles [xv]».
Aucun procès-verbal, aucun rapport ne firent pas mention de douilles ramassées attestant de tirs en provenance des tirailleurs ;
Le seul blessé parmi la troupe ayant attaqué le camp des tirailleurs est un « indigène » blessé dont la balle extraite de la main ne pouvait pas provenir, d’après une expertise balistique, des mousquetons en tant qu’armes imputées aux tirailleurs ;
Les 110 « indigènes » de la troupe de répression des tirailleurs présumés arrivés sans munitions à 9h20 ne pouvaient pas matériellement recevoir les cartouches en 10 minutes pour commencer à « riposter » ; Etc. ;
Armelle Mabon, la chercheuse ayant le plus travaillé sur le sujet pour faire éclater la vérité, est arrivée à la conclusion suivante : « L’armée parle de légitime défense. Or, au moins un rapport d’un officier montre un cheminement tout à fait inverse. En fait, l’ordre a été donné aux militaires de quitter l’endroit où ils étaient au petit matin du premier décembre pour se déplacer et laisser la place aux automitrailleuses afin que les forces armées puissent intervenir pour réduire les rebelles. L’ordre avait été donné la veille au soir, non pas de faire une opération de maintien de l’ordre, mais d’encercler la caserne et de tirer[xvi] ».
Une conclusion partagée par le Général André Bach, spécialiste des archives militaires :
« C’est bien un tir à tuer qui est donné, alors qu’il n’y avait aucune raison pour le faire. Fatalement, dans un cas pareil, il y a bien un ordre qui a été donné. Il a bien fallu que pendant la nuit qui précède, des ordres soient donnés. Il fallait récupérer un bataillon de nuit, ouvrir les armureries, récupérer les armes… On peut penser, vu ce qui s’est passé, qu’on a dû expliquer aux cadres militaires l’issue prévisible : leur expliquer que ça aller se terminer par des tirs sur des hommes désarmés[xvii] ».
Le feuilleton du bilan de ce crime d’Etat
Dans le fil contenu de contradictions du film officiel de la « mutinerie » de Thiaroye, le bilan macabre constitua à lui seul un feuilleton sordide. Il y eut deux bilans dans les rapports et les procès-verbaux officiels : un de 35 morts et un autre de 70 morts. De 1945 à 2014, le bilan officiel de référence était de 35 morts. Ainsi le président français François Hollande fit passer lors de deux visites au Sénégal le bilan officiel de 35 morts en 2012 à 70 morts en 2014.
Soit un bilan doublé en l’espace de deux ans ! Combien de voyages officiels de ce président français ou d’un président français aurait-il fallu pour s’approcher de la vérité du bilan macabre du crime de Thiaroye. Il est évident que le bilan macabre est minoré. De par des témoignages et certains éléments non censurés des archives, les corps de tirailleurs ne sont pas enterrés dans le cimetière militaire, mais dans trois fosses communes dont le secret de leurs localisations est toujours gardé dans les archives de l’Etat français.
Que faire pour estimer le bilan devant la rétention de parties essentielles des archives, la falsification de certains rapports militaires constatés par l’historien Martin Mourre : « Je pense que les rapports ont été falsifiés dès leur rédaction pour que les militaires se couvrent vis-à-vis de leur supérieur hiérarchique. Une série d'ensembles d’éléments sont illogiques. Par exemple, on annonce un chiffre de 35 tués… mais on ne possède le nom que de 11 personnes, donc pourquoi il en manquerait 24 ? »[xviii]
Il ne nous reste qu’à examiner les hypothèses les plus crédibles des individus s’étant penchés sur le sur sujet :
La moins crédible parmi les hypothèses est celle de l’historien Julien Fargettas[xix] qui adopte le bilan de 35 morts, bien en dessous des 70 morts reconnus par François Hollande en 2014. Ce n’est étonnant de sa part en tant qu’historien et ancien officier plus préoccupé par la défense de sa corporation que par la recherche de la vérité. Il s’est évertué à calomnier l’historienne Armelle Mabon au lieu d’attaquer ses thèses sur le terrain de la polémique universitaire argumentée[xx].
Martin Mourre avance un bilan d’une centaine de morts environ ;
Quant à Armelle Mabon, elle soutient le bilan de plusieurs centaines de morts, approximativement entre 300 et 400 morts. Pour aboutir à environ 400 morts, elle utilise un indice pertinent qui est la sous-estimation du décompte des tirailleurs arrivés dans le camp de camp de Thiaroye après leur débarquement le 21 novembre 1944 à Dakar. Après les massacres, l’effectif déclaré officiellement par les autorités militaires s’éleva à 1 300 alors que 1 615 tirailleurs furent recensés au départ. Il n’y eut aucun débarquement avéré de tirailleurs avant Dakar. Donc, 315 tirailleurs se seraient volatilisés dans l’effectif initial. Ce qui est difficilement admissible si on réfère aux appels récurrents dans l’armée pour le décompte des effectifs, mais au ravitaillement et à la logistique pour lesquels une connaissance précise des effectifs est impérative. En ajoutant les 315 tirailleurs « oubliés » et les 70 morts, cela fait 385 morts, on n’est pas loin des 400 morts. C’est l’hypothèse la plus pertinente.
Le procès ne va déroger aux subterfuges et aux manigances qui furent à l’œuvre durant toutes les étapes antérieures.
Le procès des présumés meneurs
Il n’est nullement étonnant que le procès subséquent des 34 « meneurs » fût un simulacre de procès où l’instruction fut menée exclusivement à charge à l’aide de pièces souvent montées de toutes pièces. Au nombre de huit, les chefs d’inculpation embrassent aussi bien la provocation de militaires à la désobéissance que la rébellion commise par des militaires armés. Le passé d’engagement dans la résistance de plusieurs tirailleurs fut nié, en dépit des témoignages ultérieurs prouvant le contraire. Un témoin-clé, en l’occurrence le commandant des automitrailleuses, ne fut pas entendu alors qu’il était présent à Dakar lors de l’instruction. Ces automitrailleuses dépendaient du 6ème Régiment d’artillerie coloniale (RAC). Ces « oublis » ou ces manipulations furent en résonance avec l’altération des archives à un point qu’« En 1973, le chef du Service historique de la Défense (SHAT) a exprimé sa surprise en constatant « des archives du 6ème RAC extrêmement sommaires qui ne contiennent rien sur leur participation pourtant indiscutable[xxi]».
Le prononcé du jugement de ce « procès » le 5 mars 1945 infligea des peines d’emprisonnement de d’un an à 10 ans avec des dégradations militaires. Une minorité fut condamnée à des amendes. Le pourvoi en cassation des condamnés fut rejeté le 17 avril 1945. Tous les condamnés furent graciés furent graciés en 1947 par le président français Vincent Auriol. La grâce permit aux condamnés de recouvrer leur liberté, mais n’effaça pas leur « culpabilité ». Ils restèrent dépouillés de leurs droits suite à une spoliation doublée d’une escroquerie dans les taux de change. Ils restèrent aussi pour la plupart l’objet d’une dégradation militaire. Par ce verdict, le pouvoir colonial pensait ainsi enterrer la résistance des tirailleurs de Thiaroye ainsi que leur mémoire. C’était sans compter avec la volonté de leurs descendants, des associations de tirailleurs et des organisations démocratiques, en général.
Chape de plomb et Concessions récentes de l’impérialisme français
Thiaroye fut un crime d’Etat prémédité. Ce que ne veut pas jusqu’à présent reconnaître l’Etat français. Il usa de tous les moyens possibles pour biaiser, déformer, maintenir le brouillard sur les raisons de cette boucherie, son exécution, le nombre de morts, la localisation des fosses où furent enterrées les victimes.
Le premier moyen utilisé fut la force brute consistant à interdire et à réprimer toute célébration des massacres du Thiaroye. Cela n’empêcha l’entretien de cette mémoire qui se perpétua par des poèmes comme « Aube africain » du guinéen Fodéba Keita[xxii], une littérature circulant sous le manteau, entre autres, durant la période coloniale.
Dans le complot pour étouffer toute manifestation de la vérité, l’Etat français eut recours à des méthodes plus machiavéliques se traduisant par la falsification, la création de pièces factices de documents au niveau des archives historiques. Comme pour les massacres des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris, les archives y afférentes sont biaisées, caviardées avec des pièces tronquées, manquantes ou parfois inventées.
C’est ce que pense Armelle Mabon : « Mais le gros problème de ces archives est qu’elles ont été constituées pour alimenter un récit falsifié de ce qui s’est passé. Elles comportent des rapports rédigés sur ordre pour faire croire à une rébellion armée. Les vraies archives sont restées à Dakar. Tout porte à croire qu’elles étaient conservées au camp militaire de Bel Air jusqu’au retrait des forces françaises en 2011. Elles ne sont répertoriées nulle part, mais nous avons des témoignages sur l’existence de cartons d’archives dans lesquels pourraient se trouver la liste des personnes tuées, leur nombre ainsi que l’emplacement des fosses communes où elles ont été enterrées. Il est aussi fort probable qu’y soient consignés les montants spoliés. J’ai fait des demandes au ministère de la défense et je n’ai eu jusqu’à présent aucune réponse, alors que le dernier commandant des forces françaises au Sénégal, le général Olivier Paulus a été nommé dans la foulée directeur du Service historique de la défense [avant d’en être exclu en 2013]. S’il y a bien quelqu’un qui sait où sont ces archives, c’est lui. Ma crainte est que ces archives aient été détruites [xxiii]».
Ces mensonges et cette réécriture de l’histoire continue jusqu’à présent dans les expositions officielles. Peu avant la visite du président français Hollande en fin novembre 2014 où il révisa le bilan à la hausse à 70 morts, il y eut « L’affiche de l’exposition, le 20 novembre 2014 à Thiaroye, au Sénégal, pour commémorer le massacre qui n’a officiellement fait « que » 35 victimes parmi les tirailleurs sénégalais le 1er décembre 1944 [xxiv]». Ah si le ridicule tuait !
Dans le complot de silence de l’Etat français contre ce qu’il appela les « évènements de Thiaroye », l’action la plus spectaculaire fut la censure du film « Camp de Thiaroye » de Sembène Ousmane. Sorti en 1988, le film fut boycotté au festival de Cannes de la même année et fut interdit durant dix ans en France. Ce fut aussi l’action peut-être la plus contreproductive pour l’Etat français car le film fut non seulement primé au Mostra de Venise[xxv] en Italie, mais connut un grand retentissement en Afrique francophone et dans le monde. Ce succès incita beaucoup de monde en France à le voir par divers biais. Les cassettes du film circulèrent sous le manteau. 38 ans après sa censure en 1988, « Camp de Thiaroye » a fait partie de la sélection « Cannes Classics 2024 » au festival de cannes en mai 2024[xxvi].
La mémoire des tirailleurs de Thiaroye est restée vivace dans la conscience des peuples africains. C’est le résultat du travail d’organisations de tirailleurs, de leurs descendants, des forces de gauche, mais aussi après l’indépendance de régimes plus ou moins patriotes ou nationalistes. Ainsi en décembre 2001, le président malien Alpha inaugura un monument en leur mémoire[xxvii] avec l’inscription suivante : « À la mémoire des fusillés de Thiaroye. Cette plaque vise à perpétuer le souvenir des combattants de la Seconde Guerre mondiale dont de nombreux Soudanais [nom du Mali sous la période coloniale – Soudan français] lâchement fusillés par les autorités coloniales le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye près de Dakar pour avoir réclamé le paiement de leur solde, de la prime de combat et celle de démobilisation[xxviii] ». En 2024, l’Etat sénégalais, sous le régime d’Abdoulaye Wade, instaura le 23 août comme « la journée du tirailleur sénégalais » et invita tous les pays africains concernés à s’y associer. C’est le premier régime sénégalais à soulever la question des tirailleurs, mais sans esprit conséquent d’aller jusqu’au bout et dans une certaine ambigüité folklorique. Le régime suivant de Macky Sall s’est contenté durant son règne d’accompagner les revirements de façade de l’Etat français.
Depuis les années 2000, il y a un vent de renaissance panafricaniste centré autour de la revendication de réappropriation de souveraineté, de la dignité et des ressources des peuples africains. Outre la traite esclavagiste, le colonialisme, le néocolonialisme avec sa facette « Françafrique » est pointé du doigt. La jeunesse africaine, à l’avant-garde du mouvement, s’est saisi des crimes de Thiaroye 1944, entre autres. Ce mouvement déboucha sur des « coups d’Etat populaires » soldés par l’expulsion des troupes militaires française du Mali, du Burkina-Faso et du Niger. Au Sénégal, à l’issue des élections démocratiques en mars 2024, le régime opéra un début de prise de distance vis de l’Etat français et de sa politique africaine. Une première, en 2024 un président sénégalais n’a été présent ni au sommet de la francophonie, ni aux célébrations d’un débarquement en Provence, en l’occurrence le 80ème, tous les deux évènements organisés en France.
L’Etat français s’est ainsi trouvé sous une forte pression par la lutte conjuguée des peuples africains avec le soutien des forces démocratiques ou anti-impérialistes en France, sans oublier le travail acharné au niveau universitaire mené par l’historienne Armelle Mabon. Il n’a eu d’autre choix que de lâcher du lest. C’est ainsi que le 18 juin 2024, deux jours avant la rencontre entre le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et le président français Emmanuel Macron, discrètement le 18 juin 2024, l’Etat français a attribué la mention « Mort Pour la France » (MPF) à M’Bap Senghor et à cinq autres anciens tirailleurs originaires du Sénégal, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire par l’armée français le 1er décembre 1944[xxix]. Biram Senghor, orphelin de son père M’Bap fusillé quand il avait l’âge de six ans, devient 80 ans plus tard à 86 ans pupille de la nation française après s’être heurté des décennies durant au refus et au silence de l’administration française. Cela pourrait peut-être figurer comme record dans le Guinness !
Trop peu et trop tard !
Dans une tribune publiée par le journal « Le Monde », les familles des morts, des condamnés et des rapatriés spoliés de « Thiaroye 44 » ont formulé les revendications suivantes en 2016 :
«
- rendre consultables toutes les archives sur l’affaire Thiaroye ;
- proposer son aide au Sénégal pour l’exhumation des corps ;
- donner la liste des morts et leur attribuer la mention « Mort pour la France » [MPF]. Il n’y a rien de plus tragique que des morts sans nom ;
- saisir la commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen pour les 34 condamnés ;
- réparer les spoliations
- modifier les textes exposés au Mémorial du cimetière de Thiaroye ;
- cesser de porter atteinte à la mémoire de ces hommes et des officiers qui ont eu le courage de les défendre ;
- nommer les responsables aujourd’hui de cette obstruction à la manifestation de la vérité sur un crime commis[xxx] ».
Ces revendications recoupent grosso modo les exigences formulées par l’historienne Armelle Mabon[xxxi]. Elles s’intègrent aussi parfaitement dans la triple réhabilitation défendue par l’actuel premier ministre du Sénégal Ousmane Sonko où il plaide pour :
- « une réhabilitation humaine, en exhumant les fosses communes et en offrant une sépulture digne aux victimes ;
- une réhabilitation mémorielle, en réexaminant les cas des survivants accusés de trahison ;
- et une réhabilitation matérielle, en réclamant le paiement des indemnités et soldes promis par la France aux descendants des tirailleurs[xxxii] ».
Toutes ces exigences sont justifiées et légitimes même si des réserves pourraient être émises sur certaines modalités de la réhabilitation mémorielle avec la mention « MPF ». Mort pour quelle France : une France impérialiste ou une France colonialiste d’autant plus que les tirailleurs ont été mobilisés d’une évidence réactionnaire comme révoltes anticoloniales ou les luttes de d’indépendance d’autres pays colonisés comme l’Algérie, Madagascar ou en Indochine ou bien une autre France réellement internationaliste égalitaire ?
Quelle que soit l’éventuelle pertinence de ces réserves qui seront développées plus loin, force est de reconnaitre que les concessions sont très loin du compte par rapport aux aspirations des descendant-e-s des tirailleurs et du gouvernement sénégalais, entre autres. Même si ce dernier se déclare ouvert à reconnaître plus de MPF[xxxiii].
Encore trop peu et trop ! Et la réponse est cinglante de la part du premier ministre du gouvernement sénégalais qui se revendique souverainiste Ousmane Sonko. Il est exprimé en tant que président du parti au pouvoir « Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l'éthique et la Fraternité » (Pastef)-Les Patriotes : « Nous demandons au gouvernement français de revoir ses méthodes, car les temps ont changé ! … Pourquoi cette subite « prise de conscience » alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir, avec la célébration du 80e anniversaire cette année ? ... Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. … Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais.[xxxiv]»
Dans cette logique, en mi-août 2024, l’Etat sénégalais a installé un comité de commémoration du 80ème anniversaire des tueries de Thiaroye qui aura lieu le 1er décembre 2024. Il est dirigé par l’historien Mamadou Diouf, enseignant à l’Université Columbia aux USA. Le comité se compose de deux commissions : « La première sera chargée d'établir "les preuves, les témoignages, les documents pour comprendre pleinement les évènements". La deuxième, dédiée notamment "aux réparations", devra "proposer des actions pour honorer la mémoire des victimes et sensibiliser les générations futures" sur la tuerie. [xxxv]»
Dans l’optique de ce travail, avec en toile de fond une affaire franco-africaine et non une affaire franco-sénégalaise, selon Dialo Diop, conseiller mémoire du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye : « Au nom des Etats africains, nous allons demander au gouvernement sénégalais de faire exhumer les fosses communes qui ont été en partie localisées. Cela permettra de mettre un terme à la controverse sur le nombre de victimes, annonce Dialo Diop, conseiller mémoire du président Faye. L’urgence est là. La mention “Mort Pour la France” attribuée à six personnes est une goutte d’eau dans l’océan des morts de l’injustice coloniale. Nous demanderons à la France la restitution de l’intégralité des archives. Un refus signifierait une forme de mépris envers les Africains [xxxvi]».
Quelle formulation cohérente et conséquente des revendications autour Thiaroye-1944 ?
La justesse de la réhabilitation humaine et de la réhabilitation matérielle ne devrait souffrir d’aucune contestation de la part de tout individu tant soi démocrate et/ou sincère. Par contre, la réhabilitation mémorielle est questionnable si on n’essaie pas de l’approfondir ou de la nuancer à travers certains de ses aspects plus ou moins compromettants comme l’octroi de la mention « MPF ». Cette mention revêt un double aspect :
- un aspect relatif à des droits pour ses conjointes ou descendant-e-s en termes de pension de réversion ou d’allocations à des pupilles de la nation. A ces droits, on pourrait y ajouter un autre aussi démocratique dont devrait bénéficier la mémoire du tirailleur assassiné, c’est le droit d’être innocenté d’un crime imaginaire qu’il n’a jamais commis. Et tous les faits émergés de la censure le prouvent. L’approche d’Armelle Mabon pour le statut de « MPF » est aussi une formulation de droits démocratiques dans la bonne intention d’une égalité de traitement des tirailleurs par rapport à leurs « collègues français ». Il fait le parallèle entre l’affaire des tirailleurs de Thiaroye 1944 et l’affaire Dreyfus en France dans ces termes : « La balle est dans le camp du garde des sceaux qui peut saisir la Cour de cassation. Une réhabilitation serait un geste inédit depuis l’affaire du capitaine Dreyfus … Ces tirailleurs ont subi un traitement discriminatoire car ils étaient africains. Aurait-on laissé des soldats blancs dans des fosses communes et camouflé leur assassinat pendant si longtemps ? Thiaroye, c’est aussi une histoire du racisme [xxxvii]». Le capitaine était un officier juif dans un contexte de summum d’antisémitisme officiel entre autres en France à ce moment. Il avait été injustement accusé et condamné pour intelligence avec l‘empire allemand. Il fut libéré et réhabilité à la suite d’une grande mobilisation d’une catégorie d’individus qu’on appelle depuis lors « intellectuels ».
- un aspect politique ou idéologique de la guerre pour laquelle ou à l’issue de laquelle le tirailleur est mort.
C’est dans cet aspect politico-idéologique que l’os s’incruste dans le boudin. Car toutes les guerres dans lesquels les tirailleurs sont impliqués sont soit des guerres entre brigands impérialistes comme en 1914-1918, soit des guerres de conquête, de domination et répression d’autres peuples colonisés. Pour utiliser un jeu de mot avec leur appellation, dans toutes ces guerres les tirailleurs tirent ailleurs que vers ce qui devrait être leur véritable cible : le colonialisme ou l’impérialisme régentés par la bourgeoisie de France. Même le paravent antifasciste ou antinazi brandi par les « Alliés » pour la seconde guerre mondiale ne devrait pas faire illusion dans la lignée de ce qui a été développé ci-dessus. A savoir en dehors du projet nazi d’exterminer d’entités telles que la communauté juive, les Tziganes, les LGBT, etc., la seconde guerre mondiale ne diffère pas fondamentalement de la première guerre mondiale. Les « puissances Alliées occidentales » ont prétendu mener un combat contre un régime prônant une hiérarchie entre les présumées races pour entretenir cette même hiérarchie dans les colonies, dans leurs armées, dans leurs pays concernant les USA où la ségrégation raciale était légale jusque dans les années. Outre la boucherie de Thiaroye en décembre 1944 contre les tirailleurs, le meilleur démenti à la posture antifasciste ou antinazie des « Alliés occidentaux » est la cause sous-tendant la précipitation de leur rapatriement global : « le blanchiment ou le blanchissement de troupes » devant parachever la libération des villes comme Paris !
Et ce n’est pas tout ! La boucherie de Thiaroye 1944 ne constitue qu’un épisode de crimes de l’armée française. Il y en eut plusieurs avant. Peut-être, Thiaroye 1944 fut la seule tuerie de tirailleurs réclamant leurs dus fusillés comme des lapins par « leurs ex-frères d’armes ». Après Thiaroye, 1944 et la défaite du nazisme, les massacres de l’Etat français s’enchainèrent contre les manifestations politiques et les révoltes l’indépendance : les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie à partir de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne le 8 mai 1945, les massacres de Madagascar en 1947, les massacres en Indochine jusqu’à la débâcle de l’armée en 1954.
Il faudrait souligner qu’au-delà de Thiaroye 1944, l’Etat français a commis une spoliation globale à travers la « cristallisation » des pensions des tirailleurs de son ex-empire colonial dans son ensemble à partir des années 1960. La conséquence fut le gel de leurs pensions déjà à un taux inférieur à ceux de leurs « collègues » français. Pour les toucher, de nombreux tirailleurs étaient obligés de vivre une partie de l’année en France dans des conditions précaires et indignes.
A la rigueur, la mention « MPF » pourrait être assumée par les tirailleurs dans le cadre d’une véritable guerre contre le nazisme avec une implication de fortes forces internationalistes en France se battant dans la perspective d’une révolution prolétarienne en France et d’une reconnaissance inconditionnelle à l’indépendance des nations sous domination coloniale. Hélas, il n’y en eut pas en France, du moins à un niveau très faible incapable de peser.
Dans cette rubrique, le passif de la gauche ou bien de « gauche » est très lourd sur toute une longue période historique :
- La révolution bourgeoise de 1789 n’a libéré ni les femmes, ni les esclaves, ni les prolétaires de France non plus ;
- Les idéologues, « grands Hommes » ou les « Lumières » furent pour l’essentiel des racistes, des colonialistes, des antisémites, des esclavagistes [xxxviii];
- C’est la « gauche » qui entreprit la conquête coloniale après la révolution de 1789 avec un Jules Ferry proclamant fièrement : « Les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races supérieures ».
- La direction ou l'implication dans les guerres coloniales en Algérie, en Indochine, au Madagascar (1945-1962), en l’occurrence le Parti « Communiste » Français (PCF) et la Section Française de L’Internationale Ouvrière (SFIO), ancêtre du Parti Socialiste (PS). Le PCF n’était pas au gouvernement durant la guerre coloniale en Algérie en 1954-1962, mais a voté tous les crédits de guerre.
- Un projet de déchéance de la nationalité française pour des personnes d'origine étrangère par le gouvernement de « gauche » Hollande-Valls 2012-2017 (au moins pour ce projet, Christiane Taubira fit preuve de ce qui lui restait de dignité en refusant de le défendre comme ministre de la justice). Selon l’usage, chaque président français, du moins du PS, choisit un parrain. Celui de François Hollande fut Jules Ferry !
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu une gauche française ayant incarné une position, une force vraiment anti-chauvine conséquente que l’alternative internationaliste entre les prolétaires de France et les peuples colonisés ne devrait pas être posée. Tout au contraire, quelle que soit la faiblesse des forces qui la portent, cela semble la seule voie de salut de l’humanité en butte à un désastre écologique, à des guerres « civilisationnelles » menées par les différentes puissances impérialistes, à du sionisme et du jihadisme mortifères, etc.
La « gauche » des pays dominés anciennement colonisés qui a viré sa cuti sont est mal placée pour faire la leçon à cette « gauche » française. Par exemple au Sénégal, la présidence et la primature (siège du premier ministre) furent considérées jusqu’à récemment comme un repaire d’entrisme d’anciens maoïstes, trotskystes, anarchistes, etc.
Dans les pays d’Afrique noire, force est de reconnaître que les tirailleurs bénéficièrent d’une certaine aura et suscitèrent la fierté dans de nombreuses familles mêmes élargies. Mais il n’en demeure pas moins l’existence d’un imaginaire négatif provoqué par le passage des tirailleurs dans différents pays contre leurs luttes de libération nationale qui semble être inconnu et/ou refoulé par les présumées élites. Par exemple au Madagascar, les femmes pour faire taire leurs enfants qui pleurent les menacent d’appeler les « tirailleurs sénégalais ». Et c’est dire, les tirailleurs ont dû y laisser une réputation tout sauf glorieuse. De même au Vietnam, les descendant-e-s qui furent le fruit de la « collaboration horizontale » de femmes vietnamiennes et de tirailleurs africains firent toujours l’objet de stigmatisations. Il ne s’agit nullement d’accabler les tirailleurs qui furent en général enrôlés de force comme le furent les « Malgré nous » en Alsace embrigadés par l’Allemagne sous l’occupation pour « servir » dans les pays de l’Est. Contre ces malentendus ou préjugés, des initiatives de contact et d’explications pourraient être prises entre Etats ou entre associations des différents Etats concernés.
Il en résulte de tout cela que cela constitue une révolte à genoux d’esclaves que des Africains demandent quelque chose à l’Etat français parce que leurs ancêtres se sont battus ou sont morts pour la France. C’est un signe de servilité.
La déviation symétrique existe au niveau de certaines organisations politiques en France ou une partie de la population française motivant la reconnaissance de certains droits à des étrangers africains d’une manière utilitariste : par exemple, « leurs ancêtres ont contribué à notre libération » ou bien « ils nous sont utiles économiquement pour une population vieillissante que nous sommes, surtout en faisant des tâches que nous ne voulons pas faire ».
Toute autre est l’approche anti-impérialiste internationaliste considérant une planète dominée par un système capitaliste où circulent sans entraves les capitaux, les marchandises et les biens immatériels. Au niveau des êtres humains, la liberté de circulation est refusée pour l’essentiel seulement aux prolétaires de pays dominés. Les classes dominantes de tous les pays se déplacent sans problèmes. Il en est de même pour les citoyen-ne-s des pays impérialistes sous condition de pouvoir économique.
De ce constat, il peut en découler la revendication suivante :
- Liberté de circulation, d’installation de tous les prolétaires nomades en France ou ailleurs ;
- Egalité complète des droits entre tous les travailleurs, y compris le droit de vote à toutes les élections.
C’est un postulat comme base d’une lutte pour une véritable émancipation sociale en France et une lutte pour la libération de la domination impérialiste des peuples dominés, voire au-delà. Il y a un terreau pour ce socle, à savoir la solidarité active et agissante de nombreuses associations et de plusieurs organisations de la gauche véritable envers les sans-papiers. Grâce aux nombreuses engrangées dans ces luttes, les « clandestins » sont devenus des sans-papiers gagnant en visibilité et aussi en dignité.
Mais cela ne suffit pas comme plateforme au regard du pillage économique, culturel enduré durant des siècles avec le maintien de bases militaires françaises dans différents pays d’Afrique. A cet effet, on devrait aller au-delà de la réhabilitation matérielle légitime des tirailleurs et exiger :
- La remise de toutes les dettes contractées vis-à-vis de la France par ses ex-colonies ;
- L’abandon sans contrepartie de tous les intérêts économiques français dans les ex-colonies françaises d’Afrique, en particulier les implantations de tous les monopoles impérialistes ;
- La fermeture de toutes les bases militaires françaises et le retrait de toutes les troupes militaires françaises en Afrique.
[i] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
https://afriquexxi.info/Le-Tata-les-tirailleurs-et-les-tests-ADN-bidon
https://www.youtube.com/watch?v=miKeSS3U--Y
https://www.youtube.com/watch?v=O1cZgaTxPOc
https://www.youtube.com/watch?v=CSejHs3QY5c
[ii] Cela montrerait qu’en présence d’organisations vraiment internationalistes à rebours de tout chauvinisme pro-colonial ou pro-impérialiste, il y avait des bases pour construire des ponts entre les peuples colonisés et les classes exploitées non pas rétablir la 3ème république bourgeoise, mais pour le renversement du capitalisme en métropole coloniale et la libération des peuples colonisés avec comme préalable la reconnaissance du droit inconditionnel à l’autodétermination des nations colonisées jusqu’à la séparation complète par la reconnaissance d’une indépendance politique.
[iii] https://www.youtube.com/watch?v=FAljz81M5zs
http://tirailleursafricains.blogspot.com/2009_05_01_archive.html
https://tirailleursafricains.blogspot.com/2009/05/paris-liberation-made-whites-only.html
[iv] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2013/01/09/26115214.html
[v] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[vi] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[vii] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[viii] Cela rappelle les « évènements d’Algérie 1961 » pour désigner la guerre coloniale menée par l’Etat français en Algérie en 1954-1962, les « évènements du 17 octobre 1961 » à Paris pour nommer une manifestation du Front de Libération Nationale (FNL) où plusieurs centaines d’Algériens furent tués. Décidément, le mot « évènement » est l’euphémisme préféré de l’Etat français pour refouler son passé criminel.
[ix] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[x] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[xi] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[xii] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[xiii] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[xiv] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[xv] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[xvi] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[xvii] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[xviii] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[xix] https://www.fondationresistance.org/pages/rech_doc/les-tirailleurs-galais-les-soldats-noirs-entre-gendes-ality-1939-1945_cr_lecture84.htm
[xx] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/il-faut-arreter-avec-le-mensonge-d-etat-sur-le-massacre-de-thiaroye_5041556_3212.html
[xxi] https://www.xalimasn.com/synthese-sur-le-massacre-de-thiaroye-senegal-1er-decembre-1944-par-armelle-mabon/
[xxii] https://www.liberation.fr/debats/2017/08/16/thiaroye-1944-histoire-et-memoire-d-un-massacre_1816803/#mailmunch-pop-1146266
[xxiii] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/il-faut-arreter-avec-le-mensonge-d-etat-sur-le-massacre-de-thiaroye_5041556_3212.html
[xxiv] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/il-faut-arreter-avec-le-mensonge-d-etat-sur-le-massacre-de-thiaroye_5041556_3212.html
[xxv] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-enquete/1944-massacre-de-thiaroye-le-grand-camouflage-5022632
[xxvi] https://www.afrikipresse.fr/article/festival-de-cannes-projection-du-film-le-camp-de-thiaroye-de-sembene-ousmane-38-ans-apres-sa-censure-en-france
[xxvii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Thiaroye
[xxviii] https://www.politis.fr/articles/2020/07/thiaroye-1944-lhistoire-falsifiee-des-combattants-africains-42115/
[xxix] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/08/15/massacre-de-thiaroye-le-1er-decembre-1944-j-avais-5-ans-grand-mere-m-a-dit-ton-pere-est-mort_6282255_3212.html
[xxx] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/12/01/massacre-de-thiaroye-en-1944-a-quand-la-fin-de-l-obstruction-a-la-manifestation-de-la-verite_5041553_3212.html
[xxxi] https://www.liberation.fr/planete/2012/12/25/senegal-le-camp-de-thiaroye-part-d-ombre-de-notre-histoire_869928/#mailmunch-pop-1146266
[xxxii] https://senego.com/thiaroye-44-et-la-france-quand-sonko-plaide-pour-une-triple-rehabilitation-des-tirailleurs-video_1728344.html
[xxxiii] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/09/16/massacre-de-thiaroye-le-senegal-envisage-une-nouvelle-demande-de-restitution-des-archives-francaises_6320292_3212.html?random=424950619
[xxxiv] https://senego.com/derniere-minute-la-sortie-dousmane-sonko-nous-demandons-au-gouvernement-francais-de-revoir-ses-methodes_1728170.html
[xxxv] https://www.seneweb.com/news/Societe/massacre-de-thiaroye-le-senegal-installe_n_448171.html
[xxxvi] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/07/27/senegal-quatre-vingts-ans-plus-tard-la-france-fait-un-pas-vers-la-reconnaissance-du-massacre-de-thiaroye_6259389_3212.html?random=831772704
[xxxvii] - https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/08/15/massacre-de-thiaroye-le-1er-decembre-1944-j-avais-5-ans-grand-mere-m-a-dit-ton-pere-est-mort_6282255_3212.html?random=910718181
[xxxviii] https://www.contreculture.org/AG%20Voltaire.html
https://www.contreculture.org/AG%20Hugo.html
https://www.contreculture.org/AG_De_Gaulle_idees_directrices.html
https://www.contreculture.org/AG_Zola.html