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8 février 2025
PAR AMADOU FALL
BONUS ET MALUS INTÉRESSÉS
L’opinion publique en démocratie est toujours menacée par la pensée totalitaire. Quand ses remparts comme la Justice et la Presse sont chahutés, les vannes de la pensée unique sont ouvertes. Cette dernière s’est maintenant installée dans le pays
L’opinion publique en démocratie est toujours menacée par la pensée totalitaire. Quand ses remparts comme la Justice et la Presse sont chahutés, les vannes de la pensée unique sont ouvertes. Cette dernière s’est maintenant installée dans le pays. Du moins, il y a un préjugé négatif qui pèse sur les voix contraires au discours portant le « projet » de l’ex-Pastef dont la participation de son leader à l’élection présidentielle est actuellement fantasmée comme le jugement dernier pour les croyants. Une sorte de culpabilité inoculée à la « vox populi » veut que ne sont de bons Sénégalais que ceux qui soutiennent Ousmane Sonko ; le reste peut dire sa dernière prière, en attendant le peloton d’exécution des « vrais patriotes », les sicaires des réseaux sociaux, qui comme de nouveaux Croisés de la démocratie, distribuent des bonus et des malus. Une preuve éclatante en a été donnée suite à la clameur qui a accompagné, mardi dernier, l’ordonnance du juge Ousmane Racine Thione, président du tribunal d’instance hors-classe de Dakar, déclarant « nulle la radiation de Monsieur Ousmane Sonko (…) de la liste électorale » et ordonnant « sa réintégration sur ladite liste ». Le même avis que celui juge Sabassy Faye du tribunal de Ziguinchor qui avait précédemment estimé lui aussi que l’opposant doit recouvrer ses droits électoraux.
Ils ont été célébrés comme il se doit, eux les preux juges qui ont dit « la vérité » au nom du peuple Sénégalais. Gérants d’associations de défense des droits de l’Homme, journalistes, influenceurs numériques, jusqu’au parti au pouvoir, dans un bel élan, la décision du juge Thione a été saluée. C’est incontestablement une nouvelle preuve de l’indépendance de certains magistrats. Il ne s’agit point ici de commenter la portée de sa décision. Il est évident que plus le scrutin sera inclusif, plus le futur Président de la République sera bien élu ; il refléterait parfaitement alors les aspirations profondes des Sénégalais. Mais la course vers le pouvoir n’est pas une promenade de santé. Entre faiblesses personnelles (condamnation pour « corruption de la jeunesse ») conflits pour cause de paroles non maîtrisées (plainte pour diffamation du ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang ; menaces contre le Président de la République en exercice), le Maire de Ziguinchor a rempli lui-même les actes d’accusation qui l’ont conduit dans cette impasse judiciaire. Ce que ne veulent pas entendre ses (nombreux) soutiens. Mao Tsé-Toung a dit un jour que « la politique est une guerre sans effusion de sang, et la guerre une politique avec effusion de sang ». Espoir de larges franges de la population, Ousmane Sonko incarne l’opposition radicale au Président Macky Sall, mais sa démarche a débordé le cadre de classiques joutes électorales pour ouvrir des fronts contre d’autres pouvoirs, dans une démarche assumée de désacralisation des institutions, pas seulement étatiques, enrobée de menaces contre des gens encore au pouvoir...
Non, ici le propos n’est pas de juger l’état de notre processus démocratique à l’aune des déboires d’une figure majeure de notre scène politique. Pas plus que la décision du juge Thione ne devrait être prise comme une volonté de sa part de se singulariser. Dans ce pays, il y a encore des gens éloignés des coteries et qui ne rendant compte qu’à la loi et à leur conscience. Bien des juges ont adopté cette posture. Il s’agit plutôt de s’interroger sur l’état de l’opinion publique. On ne reconnait plus le Sénégal des débats, des contradictions enflammées, de la dialectique de la conversation. L’un des principaux termes de cette dernière est l’écoute, savoir ce que pense l’autre, envisager une alternative à une situation qu’on pensait favorable, ou, à tout le moins, penser qu’une opinion peut évoluer. Les mêmes qui portent au pinacle le magistrat sont les mêmes qui vouaient aux gémonies ses collègues qui ont rendu des décisions défavorables à Ousmane Sonko. Le doyen des juges de Dakar, Maham Diallo, est régulièrement pris à partie –pour rester poli- dans les réseaux sociaux. Que dire du Conseil constitutionnel caricaturé à l’extrême, présenté comme aux ordre de Macky Sall ? Comment oublier le juge Pape Mohamed Diop, le président de la première Chambre correctionnelle de Dakar, qui a dû au mois de mars dernier se désister devant la bronca que sa désignation comme juge de l’affaire « Prodac » (Ousmane Sonko contre Mame Mbaye Niang) avait soulevée. Des « propos injurieux » à son encontre et les déclarations des avocats de la défense accusant la Justice d'être « le bras armé de l'Etat » l’avaient poussé à jeter l’éponge. Ces incidents avaient d’ailleurs conduit à la suspension de Me Ousseynou Fall, conseil d’Ousmane Sonko, par l’ordre des avocats.
Il y a sans conteste une dégradation de la qualité du débat public. La tendance est à l’autocensure. Résignés ou satisfaits, c’est selon, les Sénégalais s’engagent dans l’improbable voie de l’observation non participante. Les rapports du monde, notre vécu politique, les perspectives de la présidentielle sont ramenés à une simple opposition du bien et du mal, des « patriotes » et des « traîtres à la patrie ». Ça fleure bon les années 60-70 et « les indépendances cha-cha », comme l’écrivait Thierry Perret, l’ancien correspondant de Rfi à Dakar, pour parler de la naïve douceur de la déconstruction coloniale ; ça rappelle aussi le sinistre discours de certains « libérateurs » qui se sont révélés par la suite de funestes dictateurs…
CRISE POST-ÉLECTORALE, MACK SALL EN MISSION À FREETOWN
Le Président Macky Sall participe à une mission pour restaurer l’ordre constitutionnel suite à la crise post-électorale en Sierra Leone, renseigne une source présidentielle.
Le Chef de l’État a quitté Dakar ce matin à destination de Freetown, informe une source présidentielle.
« Le Président Macky Sall participe à une mission pour restaurer l’ordre constitutionnel suite à la crise post-électorale en Sierra Leone », renseigne la même source.
À noter que le Président sortant sierra-léonais, Julius Maada Bio, avait été réélu pour un deuxième mandat à l’issue de l’élection présidentielle du 24 juin dernier.
Selon la source, le retour du Chef de l’État est prévu ce même jour.
« À son départ ce matin à l’aéroport militaire Léopold Sédar Senghor, le Président Sall a été salué par son directeur de cabinet et d’autres personnalités civiles et militaires », renseigne la source.
LE CONCERT DE MAÎTRE GIMS À DAKAR ANNULÉ
Rakhou Prod, qui devait faire venir Me Gims à Dakar, a annoncé l’annulation de son concert, prévu ce dimanche 24 décembre 2023, au Monument de la Renaissance.
iGFM– (Dakar) Maître Gims ne viendra finalement pas le 24 décembre 2023. Son concert qui devait se tenir à Dakar à la veille de Noël a été annulé.
Rakhou Prod, qui devait faire venir Me Gims à Dakar, a annoncé l’annulation de son concert, prévu ce dimanche 24 décembre 2023, au Monument de la Renaissance.
Comme argument, il explique qu’un concert de cette envergure nécessite un certain niveau, en termes de qualité logistique et organisationnelle.
«Le respect dû au public sénégalais et la préservation de la réputation de l'artiste et de notre label obligent au renforcement des différents points organisationnels», indique le promoteur.
Il promet qu’une nouvelle date sera communiquée et les tickets achetés pourront être remboursés».
PREMIER LEAGUE, GANA GUEYE SORT SUR BLESSURE À 20 JOURS DE LA CAN
L’ancien joueur du Paris Saint-Germain (2019-2022) fait partie des 55 joueurs présélectionnés par le sélectionneur des Lions, Aliou Cissé en vue de la Coupe d’Afrique des nations de football prévue du 13 janvier au 11 février 2024 en Côte d’Ivoire.
Dakar, 23 déc (APS) – Le milieu de terrain sénégalais d’Everton en Premier League anglaise Idrissa Gana Gueye est sorti, samedi, sur blessure à la 22e minute du match de la 18e journée qui opposait son équipe à celle de Tottenham de son compatriote, Pape Matar Sarr .
L’international sénégalais est remplacé par le Portugais André Gomes.
Son équipe était déjà menée, 2-0, sur des réalisations du Brésilien Richarlison (9e) et du Coréen Heung-min Son (18e).
Idrissa Gana Gueye, 34 ans était de retour d’une suspension.
L’ancien joueur du Paris Saint-Germain (2019-2022) fait partie des 55 joueurs présélectionnés par le sélectionneur des Lions, Aliou Cissé en vue de la Coupe d’Afrique des nations de football prévue du 13 janvier au 11 février 2024 en Côte d’Ivoire.
Présent en équipe national depuis 2011, Gana Gueye est le joueur sénégalais le plus capé avec 104 sélections
MAME BOYE DIAO DÉPOSE SA CANDIDATURE AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Membre de l’Alliance pour la République (APR), El Hadji Mamadou Diao a décidé de faire acte de candidature à l’élection présidentielle du 25 février 2024 sous la bannière de la Coalition ‘’Diao 2024 pour un Sénégal nouveau’’.
Dakar, 23 déc (APS)- Massène papa Gueye, le mandataire de la coalition ‘’Diao 2024’’, a déclaré, samedi, à Dakar, avoir déposé au conseil constitutionnel le dossier de candidature du maire de Kolda El Hadji Mamadou Diao à l’élection présidentielle du 25 février 2024.
‘’Nous avons déposé 58 975 parrains qui sont exigés par les textes’’, a déclaré M. Guèye lors d’un point de presse devant le siège du conseil constitutionnel.
‘’Il y a également toutes les pièces qui sont demandées dans le cadre du dépôt des dossiers de candidature’’, a ajouté Massène papa Gueye.
Il rappelle que ‘’le conseil constitutionnel les a convoqués le 28 décembre pour le tirage de l’ordre des candidatures’’.
Membre de l’Alliance pour la République (APR), El Hadji Mamadou Diao a décidé de faire acte de candidature à l’élection présidentielle du 25 février 2024 sous la bannière de la Coalition ‘’Diao 2024 pour un Sénégal nouveau’’.
Pour être jugées recevables par le Conseil constitutionnel, les candidatures au scrutin doivent réunir entre 0,6 et 0,8 % – soit 44.231 à 58.975 électeurs – du nombre d’électeurs inscrits sur le fichier électoral.
Les candidats ont également la possibilité de collecter des parrains auprès des maires et des présidents de conseil départemental.
Pour cette option, le code électoral leur fait obligation de réunir 120 signatures au moins, soit 20 % de l’effectif des présidents des conseils municipaux et départementaux.
Les candidats peuvent aussi recourir au parrainage parlementaire. Dans ce cas-là, ils doivent collecter au moins 13 signatures, soit 8 % de l’effectif des députés.
L'APPEL DE L'AILLEURS CONTRE L'AMERTUME DU QUOTIDIEN
Malgré les risques, pourquoi des milliers d'Africains continuent-ils à émigrer clandestinement ? Une enquête panafricaine tente de lever le voile sur les raisons profondes poussant tant de jeunes à tenter le voyage, quels que soient les moyens
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 23/12/2023
Dans une série de quatre articles publiée par le magazine panafricain ZAM, cinq journalistes ont tenté de comprendre ce qui pousse des milliers d'Africains à migrer chaque année vers d'autres continents malgré les risques colossaux que font courir ces voyages. Voici le premier volet consacré aux causes du départ.
Au Cameroun, lors des funérailles de Bryan Achou dont le corps a été retrouvé noyé en Méditerranée, des proches évoquent avec émotion le destin tragique de ce jeune homme de leur quartier, comme celui d'un autre jeune décédé récemment en Tunisie. "Avant 2035, ce pays sera vidé de ses citoyens", s'alarme une femme, peu convaincue par le plan de développement "Cameroun Vision 2025-2035" annoncé par le président Paul Biya, au pouvoir depuis 40 ans.
À Douala, la journaliste Elizabeth BanyiTabi du magazine ZAM apprend qu'une de ses amies, Eva, projete de rejoindre clandestinement l'Amérique latine via "la trouée de Darién", une jungle dangerousue entre Colombie et Panama. "Mais je vais essayer", dit-elle, consciente des risques mais déterminée.
En Ouganda, de nombreuses jeunes femmes attendent à l'aéroport d'Entebbe pour être acheminées comme employées domestiques dans le Golfe, malgré les récits d'abus. "Il n'y a pratiquement aucun espoir ici", témoigne l'une d'elles. En effet, 41% des jeunes Ougandais de 18 à 30 ans sont sans emploi, selon le Bureau des statistiques.
Au Kenya, les campagnes de sensibilisation des ONG pour dissuader l'émigration vers le Golfe ont un impact limité. "Il n'y a pas d'espoir ici", expliquent encore des jeunes interrogés dans la rue. Au Nigeria, 9 personnes sur 10 interrogées à Abuja souhaitent faire "japa", le terme pour émigrer, dénonçant la mauvaise gouvernance et l'absence de services publics.
Au Zimbabwe, 95% des enseignants veulent partir, leurs salaires ne permettant pas de subvenir aux besoins familiaux. Pourtant, le pays regorge de ressources naturelles, mais les élites s'enrichissent en laissant le peuple dans la misère. Sur les réseaux sociaux, certains n'hésitent pas à menacer l'Afrique du Sud, qui accueille déjà 1 à 2 millions d'immigrés zimbabwéens, d'une nouvelle vague migratoire.
Comme le militant camerounais Kah Walla le déclare à ZAM, "personne ne quitte sa maison si elle est confortable". Malgré la conscience des dangers, l'absence d'espoir pousse à tenter le voyage, quels que soient les moyens. La plupart des personnes interrogées regrettent l'état de leurs pays, mais se sentent impuissantes à changer un système où "l'excellence n'est pas récompensée", selon le Dr Ejike Oji, expert de santé nigérian.
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FALL ET BARRAL, MAGISTRALES SUR SCÈNE
Poésie, slam, narration, parlé-chanté, tradition bertsolari, ... pour replacer l’oralité au cœur de la culture. Les artistes Samira Fall et Puy Barral ont donné un concert samedi dernier à l’Institut Cervantes de Dakar dans le cadre d'un échange culturel
Concert co-construit et coproduit par les artistes Samira Fall (Sénégal) et Puy Barral (Espagne), qui a épaté les spectateurs. Il s’agit un projet porté par l’Institut Cervantes de Dakar en collaboration avec les instituts Cervantes de New Delhi (Inde) et Sao Paulo (Brésil). Nous vous proposons ici résumé de cet évènement culturel.
NB : Les bertsolaris sont des poètes qui composent, chantent et improvisent des vers en basque "bertsoak" selon des règles de rime et métriques concrètes et sur un thème fixé à l'avance.
Cette tradition dont les premières mentions remontent au XVIIIe siècle est au Pays basque très enracinée et populaire, selon bilbaotourismo.net
FEMMES, SLAM ET POÈME : LA TRADITION ORALE AU GOÛT DU JOUR -
L'HEURE DE VÉRITÉ POUR LA FRANCE EN AFRIQUE
La France doit revoir sa politique africaine et adopter "une juste distance" avec le continent, selon deux députés français. Ils dénoncent la vision trop "missionnaire et moralisatrice" de Paris et appellent à plus de transparence sur ses compromissions
Dans un rapport parlementaire présenté ce mois-ci, les députés Bruno Fuchs et Michèle Tabarot plaident pour une redéfinition de la politique africaine de la France. Selon eux, Paris doit désormais adopter "une juste distance" avec les pays africains et sortir d'une "vision missionnaire et moralisatrice" qui lui vaut de nombreuses critiques.
"Il faut sortir d'une vision missionnaire et moralisatrice qui nous met à dos les Africains. Cette approche, ancrée dans la culture française, n’a jamais fonctionné", a déclaré Bruno Fuchs, co-auteur du rapport, dans une interview au Monde du 23 décembre 2023. "Nous devons être cohérents dans notre approche du monde et tenir nos positions", a-t-il ajouté.
Alors que le discours hostile à la politique française en Afrique gagne du terrain et que de nouveaux acteurs comme la Russie viennent contester l'influence de Paris sur le continent, les deux députés estiment qu'il est temps de clarifier le rôle de la France. Ils prônent une approche davantage fondée sur la realpolitik, avec plus de "transparence" sur les compromissions nécessaires en matière de valeurs démocratiques.
"Quand on va à l’encontre de nos valeurs comme on l’a fait au Tchad [en soutenant le fils du défunt président Idriss Déby], il faut être transparent et expliquer que le principe de sécurité dans la région prime sur le reste", a expliqué Bruno Fuchs. De même, il plaide pour une vision plus "cohérente" et "multipolaire" des relations internationales, alors que la politique française en Afrique apparaît souvent unilatérale.
Par ailleurs, les députés dénoncent un manque criant de connaissance de l'Afrique au sein des institutions françaises. "Beaucoup pensent connaître ce continent, alors qu’il a changé. Nous continuons d’agir en Afrique francophone comme il y a vingt ans. Or aujourd’hui, l’âge médian y est de 19 ans", relève Bruno Fuchs. Il appelle à revaloriser le rôle des coopérants militaires et civils ainsi qu'à recentrer l'action de l'Agence française de développement (AFD) autour de la stratégie politique définie pour le continent.
Reste à voir si les propositions du rapport auront une traduction concrète dans la politique menée. "Le seul qui peut changer les choses, c’est Emmanuel Macron", estime Bruno Fuchs. Après les tensions récentes, une redéfinition des relations entre la France et l'Afrique semble devenue une nécessité pour renouer le lien entre les deux rives de la Méditerranée.
PAR Amadou Sarr Diop
REVISITER L’ŒUVRE DE CHEIKH ANTA DIOP AU PRISME DE LA REFONDATION DES ÉTUDES AFRICAINES
EXCLUSIF SENEPLUS - Diop pourrait contribuer à l’émergence de foyers épistémologiques africanistes qui investissent la question du devenir de l’Afrique dans un contexte de globalisation où notre continent continue à occuper l’échelle des marges
S’il est impossible de refonder la production des savoirs en Afrique, sans faire référence à l’historique des conditions de naissance des études africaines, revisiter la pensée de Cheikh Anta Diop s’avère être un impératif majeur.
En effet, Cheikh Anta Diop a écrit une des plus belles pages de l’historiographie africaine, dans le sens de redonner à l’Afrique et les Africains une place centrale dans l’évolution historique de l’humanité. Cependant, en fonction des nouveaux enjeux liés au renouvellement des études africaines, la pensée de Cheikh Anta Diop doit être revisitée dans la perspective d’un dépassement épistémologique pour donner un souffle nouveau aux discours sur l’Afrique. L’explication proviendrait de l’apport de la pensée Cheikh antéenne dont les travaux ont imprimé aux études africaines une orientation qui a véritablement pu asseoir les bases de la production des savoirs sur l’Afrique à partir de nos propres épistémès. Mon propos se veut une invite à faire de l'œuvre de Cheikh Anta Diop une source d’inspiration, en l’inscrivant dans le débat de notre époque marqué par le surgissement de modèles d’intelligibilité qui défient les grandes théorisations issues des philosophies de l’histoire.
L’œuvre de Diop pourrait indiscutablement contribuer, à cet effet, à l’émergence de foyers épistémologiques africanistes qui investissent théoriquement la question du devenir de l’Afrique en termes d’émancipation dans un contexte de globalisation où notre continent continue à occuper l’échelle des marges.
La centralité de la théorie de Cheikh Anta Diop peut être située dans la démarche déconstructiviste de « la grande destinée historico-transcendantale de l’Occident ». Tout au long de son itinéraire de chercheur, il a procédé à une sorte d’exploration, au sens de Balandier, des univers de vie des peuples africains afin de contribuer par « le détour » à la découverte de nouvelles lignes de sens des réalités historiques d’un continent mis en marge par l’historiographie occidentale dans la longue destinée de l’humanité. Pour cette raison, l’apport de Cheikh Anta Diop à la naissance d'un ordre épistémique africaniste est sans équivoque. Par ce Bowoa appelle « l’herméneutique des fondements », Cheikh Anta Diop s'est investi à procéder à la coupure historiographique qui inscrit son œuvre dans la négation de l'ordre épistémologique occidental au filtre duquel se sont diffusés les savoirs sur l’Afrique et les Africains. Par le défi de ce que Mafèje désigne comme une épistémologie de l’altérité, il a fait émerger dans le domaine des sciences sociales un champ africaniste qui soit l’émanation de chercheurs africains. En effet, la rupture avec l’ordre normatif de production du savoir imposé par les canons de pensée des théories issues du monde occidental a été la principale préoccupation de Cheikh Anta Diop. Dans cette optique, il prône la désaffiliation de l’historiographie africaniste de l’eurocentrisme du discours, afin que les africains parlent pour eux, sur eux-mêmes, pour faire entendre au monde la voix authentique de l’Afrique. L’objectif étant de libérer les penseurs africanistes de l’extraversion théorique où les sociétés africaines sont étudiées à partir de canons méthodologiques et théoriques conçus et construits pour d’autres univers de vie. L’originalité théorique de Diop a consisté à revisiter les civilisations égypto-nubiennes pour déconstruire les discours sur l’Afrique et ouvrir un immense champ d’investigation dans l’étude des sociétés africaines. L’auteur de Nations nègres et cultures n’a cessé de dénoncer, à cet effet, dans une démarche sans complaisance, la construction de l’universalisme ambiant par la négation et par l’effacement des autres cultures au profit de la culture occidentale. Il y a un danger, selon Cheikh Anta Diop, « à s'instruire de notre passé, de notre société, de notre pensée, sans esprit critique, à travers les ouvrages occidentaux ». L’auteur de Civilisation et barbarie est d’avis que le principe de la restauration historique et culturelle de l’Afrique, par la référence sans équivoque aux antiquités égypto-nubiennes, est la seule voie de salut pour les peuples africains. Ce rattachement de l’Afrique noire, par Cheikh Anta Diop, à son foyer ancestral égyptien a un effet épistémologique sur l’historiographie africaniste. La démarche de Cheikh Anta Diop a consisté, par conséquent, à réinventer le discours sur l’Afrique par un éclairage scientifique des codes symboliques par lesquels se construisent et se reconstruisent les représentations et les formes de sociabilité propres aux univers vie des sociétés africaines. Dans le contexte de la guerre « des régimes de vérités », pour reprendre une expression de Michel Foucault, et de la confrontation des rationalités occidentale et négro africaine, Cheikh Anta Diop a impulsé aux études africaines le sens de l’indépendance et de l’innovation théorique.
En lisant l'œuvre de Cheikh Anta Diop dans le sens de l’histoire, on peut constater aussi bien pour ses détracteurs que pour ses propres partisans le travers d’une certaine forme d’historicisme. D’une part, ceux qui ont porté la critique à l'égyptologue sénégalais lui reproche d'être un penseur qui se délecte au passé, à l’histoire de l’Egypte pharaonique et d’autre part, ceux qui ont accordé une pertinence scientifique aux thèses de Cheikh Anta Diop ont failli pour ne pas repenser son œuvre au-delà des débats d’époque qui ont généré l'égyptologie cheikh antéenne.
Accusé à tort, par ses détracteurs, d’être un penseur du passé qui s’est trop focalisé sur les civilisations antiques de l’Egypte pharaonique, Cheikh Anta Diop se révèle, pour autant, un penseur littéralement tourné vers le futur. Le regard sur l’Afrique des origines n’est nullement un oubli au présent et au futur de l’Afrique. Sa référence aux antiquités africaines a pour but d’enraciner les sociétés africaines dans leur terreau civilisationnel pour mieux envisager leur devenir. Dans l’approche de Cheikh Anta Diop, la restitution de la civilisation égyptienne pharaonique n’est pas une posture qui clôt toute perspective à interroger le présent pour penser le futur de l’Afrique. Elle n’est pas une posture passéiste, mais le sens d’une introspection qui éclaire sur la praxis qui serait une sorte de balise des voies et moyens pour la réinvention du futur de l’Afrique face aux enjeux toniques de la domination séculaire à laquelle le continent africain est confronté. Le retour aux civilisations égypto-nubiennes est un détour, une meilleure prise en charge des réalités du présent, pour envisager l’avenir comme un champ de possibles. Reprenant le professeur Djibri Samb, le recours à l’Egypte des origines chez Cheikh Anta Diop est une forme de réhabilitation de la conscience historique africaine qui, « s’ouvrant à l’avenir et reliée à l’origine, devient une conscience historiale, au sens heideggerien ». C’est dans cette perspective que se situe le caractère engagé du discours historique cheikh antanéen qui relie le passé à son avenir où le présent se définit comme temps de réflexivité critique et d’engagement pour une épistémologie au service de l’Afrique. L’engagement épistémique n’est que scientifique, il est aussi dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop un engagement dans le sens de la réécriture de l’histoire africaine, pour le meilleur devenir du continent noir pensé termes d’intégration des États postcoloniaux.
Dans cette dialectique du dépassement, il s’agit d’établir le lien entre l’éclairage des mutations actuelles du monde et les enjeux historiques auxquels les sociétés africaines sont confrontées. L’emboîtement de cette triple temporalité, à savoir le passé historique, le présent et l’avenir, est devenu un espace de questionnement dont le regard rétrospectif de Cheikh Anta Diop peut contribuer à établir ce qu’il est convenu d’appeler la réinvention de l’Afrique par le génie de l’esprit africain. Il nous faut donc repenser et refaire, au prisme du paradigme de Cheikh Anta Diop, l’Afrique dans la mondialisation. Notre assertion dérive du constat que le basculement du monde de l’ordre bipolaire à celui de la globalisation s’est accompagné de changement de registres analytiques dans le domaine de la pensée, en particulier dans celui des sciences humaines. Alors, les anciennes catégories de pensée sont de plus en plus remises en question par un nouvel ordre du savoir qui obéit à la variation des niveaux de détermination épistémique. Dans cette ambition de repenser les Afriques et les Africains dans le contexte de la globalisation, il s’agit d’inscrire l'œuvre de Cheikh Anta Diop aux débats de notre époque. Si les théoriciens les plus en vue dans le champ de l’africanisme sont partisans de l’afro mondialisme, la pensée de Cheikh Anta Diop nous offre des outils pour faire face à ce nouveau courant, béni et labellisé dans les milieux intellectuels occidentaux. Le tort du courant afro mondialiste c’est l’adoption d’une posture de capitulation face à l’entreprise de construction de foyers épistémologiques africanistes dont la pensée de Cheikh Anta Diop constitue une œuvre pionnière. En effet, les penseurs de l’afro mondialisme sont d’avis qu’il faut penser l’avenir de l’Afrique par le Temps du monde, celui de la globalisation porteuse du déclin des différences au nom de l’uniformisation des modes d’être et de penser. Les sociétés africaines sont alors appelées à insérer leurs temporalités au Temps de la mondialisation, en se conformant au nouvel ethos civilisationnel qui encadre le devenir des sociétés postmodernes.
Il est évident que la mondialisation ne coupe pas le monde en deux entités opposées, mais elle en fait deux univers de vie aux réalités et préoccupations différentes dont chacun vit, selon ses spécificités propres, les effets de cette unité systémique du monde. Si la mondialisation est synonyme d’extension des réseaux commerciaux et informationnels dans les pays développés, elle affecte plutôt les pays du Sud sous l’angle de leur dépendance au nouvel ordre économique et politique mondial né au début des années 90. La globalisation est porteuse, dit-on, de dissolution des différences. Mais en réalité, elle n’a pas que des effets univoques ; elle est loin d’araser toutes les singularités. Il nous faut donc avoir notre propre regard d’africanistes sur le Temps du monde où se diluent nos univers existentiels. En définitive, la mondialisation ne peut pas servir de prétexte pour mettre une croix sur l’africanisme, au nom d’un afro mondialisme qui se résume à un simple arrimage des études africanistes aux nouveaux paradigmes dominants des épistémès occidentales.
Avec l’héritage cheikh antéen, s’ouvre un horizon des possibles, celui du défi à la refondation des discours sur l’Afrique adossée à des de foyers épistémologiques africanistes dont le principe de base sera l’engagement pour une démarche afro centrée. Il s’agit ici de faire face au défi de l’innovation théorique et méthodologique dans l’étude des réalités historiques et sociologiques des sociétés africaines en devenir. Le message légué aux générations futures par Cheikh Anta est le refus de la capitulation : il s’agit ne pas de se rendre. Il nous exhorte à se démarquer de cette catégorie d’intellectuels africains qui, tout en exhortant les élites politiques à inventer leurs propres modèles de gouvernance économique et politique, refusent de s’appliquer ce principe d’autonomie, d'indépendance, dans le domaine de la production des savoirs. La décolonisation de l’Afrique n’est pas seulement politique et économique dont la responsabilité incomberait aux élites politiques, elle est aussi, avant tout, une exigence épistémique et paradigmatique qui interpelle les universitaires, les chercheurs et intellectuels que nous sommes. C’est la belle leçon à retenir de l’apport monumental de l’œuvre de Cheikh Anta Diop dans la construction d’un ordre épistémologique africaniste qui participerait à l’émancipation de notre continent. C’est en sens que le projet de Diop est incontestablement une contribution pour faire éclore, comme le soutient Jean Marc Ela, « ces voies capables de réinstaller l’Afrique au cœur des débats scientifiques de notre époque ».
Amadou Sarr Diop est sociologue, enseignant-chercheur, professeur assimilé à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
LA RÉFORME FRANÇAISE DE L’IMMIGRATION VUE DE DAKAR
Depuis l'adoption par le Parlement français d'un texte durcissant les conditions de séjour pour les étudiants étrangers, c'est l'incertitude qui prédomine à l'Ucad. Épreuves supplémentaires, budget alourdi : le rêve français s'éloigne pour certains
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 23/12/2023
Des milliers d'étudiants sénégalais sont dans l'incertitude depuis l'adoption de la loi immigration par le Parlement français le 19 décembre dernier. En durcissant les conditions de séjour pour les étudiants étrangers, cette réforme risque de compliquer encore davantage leur parcours universitaire en France, selon certains d'entre eux interrogés par Franceinfo.
À l'université Cheikh Anta Diop de Dakar, les nouvelles dispositions suscitent l'inquiétude. Près de 14 000 étudiants sénégalais poursuivent chaque année leurs études supérieures dans l'Hexagone. La loi prévoit notamment d'instaurer le versement d'une caution financière à l'arrivée sur le territoire français.
"Il est préférable d'adoucir les lois par rapport à une immigration scientifique", estime Samba Ndiaye, étudiant en administration publique qui envisage de faire un doctorat en France. La procédure est déjà longue et coûteuse, ajoute Thione Dieng, étudiant en droit public qui a échoué deux fois dans ses tentatives pour continuer en France. "Dès que j'ai une admission, j'essaye de trouver une solution. Si je n'en trouve pas, je vais laisser comme ça", confie-t-il à Franceinfo.
Aloïs Diouf préfère pour sa part terminer son master au Sénégal. "C'est une manière pour la France de dire aux étudiants africains de rester chez eux", regrette le jeune homme, qui voit dans cette loi un moyen de dissuader les départs.
Chaque année, plus de 30 000 candidatures sénégalaises sont examinées par Campus France pour des études dans l'Hexagone. Mais avec les nouvelles mesures, qui devront encore être validées par le Conseil constitutionnel, le rêve français risque de s'éloigner pour certains.