COMMENT ÉVITER DE FAIRE DU CONTRÔLE DE GESTION LE MOUTON NOIR DE LA REFORME DU BUDGET PROGRAMME
La mesure la plus indiquée serait de faire de sorte qu’au sein de chaque programme, les Contrôleurs de Gestion puissent principalement mobiliser leurs efforts sur les aspects liés à la cohérence interne, aux outils métier du Contrôle de Gestion, aux coûts
Dans le cadre de la transposition des directives du Cadre harmonisé des Finances publiques (CHFP) de l'Union économique et monétaire Ouest-africaine (UEMOA), le Sénégal a adopté dans son armature juridique des dispositions encadrant l’exercice du Contrôle de Gestion (CG).
Ce nouvel acteur annoncé dans le champ public semble devoir, si l’on y prend garde, emprunter un chemin semé d’embuches sans doute parce que la fonction CG constitue une question épineuse à plus d'un titre.
Le rôle assigné au Contrôle de Gestion
Les attributions dévolues au Contrôle de Gestion peuvent s’apprécier à travers le décret n° 2020 - 1036 du 15 mai 2020 relatif au Contrôle de Gestion qui le définit comme un système de pilotage mis en œuvre au sein d'un département ministériel ou d'une institution constitutionnelle, en vue d'améliorer le rapport entre les ressources engagées et les résultats obtenus au titre de l'exécution d'un programme budgétaire donné, sur la base d'objectifs préalablement définis.
A ce titre, le Contrôle de Gestion vise à garantir la performance en permettant d'alimenter le dialogue de gestion qui, toujours selon le texte, est le processus d'échanges et de décision institué entre les acteurs de la gestion budgétaire et relativement aux volumes des ressources mises à disposition, aux objectifs assignés et, plus généralement, à la performance des politiques publiques considérées.
Sous ce rapport, le législateur donne au Contrôle de Gestion un rôle conseiller à la performance du responsable de programme qu’il assiste dans la réalisation des objectifs qui lui sont fixés, à travers, entre autres, la préparation du cadre de performance du programme ; la coordination de la déclinaison des objectifs et des indicateurs de performance au niveau des actions et des activités ; l'élaboration, en lien avec les services producteurs de données, des fiches méthodologiques des indicateurs de performance ; la supervision de la mise en place du système de suivi des indicateurs et de reporting vers l'Administration centrale ; la coordination de la rédaction du volet performance du projet annuel de performance ; l'agrégation des résultats des entités opérationnelles territoriales et l'élaboration du rapport annuel de performance
Le décret précise que le Contrôle de Gestion, présent dans chaque programme, est piloté par la Cellule de Coordination du Contrôle de Gestion (CCCG) placée sous l'autorité du Secrétaire général de l’entité ministérielle ou constitutionnelle concernée.
Deux limites sur lesquelles risque de buter le Contrôle de Gestion
Au niveau interne, des insuffisances liées à la discipline et au métier
De nombreux auteurs, et en particulier Löning et al (2008), ont souligné l’un des talons d’Achille du Contrôle de Gestion dans le champ public. De façon générale, l’Administration poursuit l’intérêt général, un concept qui ignore l’idée de profit. Aussi ses missions renferment-elles des finalités purement sociales qui ne sauraient être prises en charge par cette fonction qui interroge, à bien des égards, les revenus et les coûts.
Il est donc à craindre pour le Contrôle de Gestion - une innovation dans l’Administration – qu’il ne se heurte à de nombreuses résistances puisqu’il trouve sur place des habitudes, des méthodes et des procédés qui diffèrent des siens, en particulier sur le champ de l’évaluation des politiques publiques, complexe même pour de nombreux planificateurs.
De plus, l’application du Contrôle de Gestion, une fonction connue pour ses pratiques disparates en entreprise, ne peut guère, au premier abord, trouver un terreau fertile au sein l’Administration eu égard à l’absence d’expertise interne au niveau du Secteur public, ce qui laisse entrevoir les immenses efforts à fournir.
Au niveau externe, un risque de concurrence avec les fonctions Suivi et Evaluation
Le décret n° 2020 -1036 confère de nombreuses attributions au Contrôle de Gestion. Nous avons choisi de mettre en évidence, plus haut, certaines d’entre elles qui seraient de nature à générer des effets de compétition avec les fonctions Suivi et Evaluation.
Les missions dévolues à la Cellule de Coordination du Contrôle de Gestion (CCCG), hormis celles dédiées à la maitrise des coûts, entrent en conflit avec celles dédiées aux Cellules d'Études et de Planification (CEP) des ministères. Pour rappel, la loi n° 2022-10 du 19 avril 2022 relative au Système national de Planification donne habilitation aux CEPs ou structures assimilées pour coordonner les fonctions de Planification, de Suivi et d'Evaluation des Lettres de Politique de Développement Sectoriel (LPSD) dont les objectifs stratégiques inspirent l’élaboration du budget-programme.
Les deux cellules citées sont rattachées au Secrétaire général de ministère, coordonnateur des programmes, et contribuent, chacun dans son domaine de ressort, à la performance desdits programmes. Alors que le Contrôle de Gestion est censé assurer son rôle de conseiller à la performance du responsable de programme à travers un représentant dans chaque programme, la CEP, grâce à la coordination de l’élaboration des documents de la chaîne PPBSE (Planification, Programmation, Budgétisation, Suivi, Evaluation), capitalise une expertise sans pareille dans la consolidation de la performance.
Sous ce rapport, ses compétences en matière d’accompagnement à la formulation et à la mise en œuvre de ses processus métier, d’organisation des données, de mise en place de dispositifs de suivi, de domestication de l’information évaluative ou de mobilisation des acteurs constituent des atouts dont aucun ministère ne peut se passer et par rapport auxquels elle surpasse le Contrôle de Gestion. A cet effet, il y a lieu de souligner le rôle central de la CEP dans la définition des indicateurs du cadre de performance de la LPSD qui inspirent tout autre document considéré, ce qui suffit à battre en brèche les dispositions, en rapport avec le Contrôle de Gestion, relatives à cet instrument.
Deux solutions envisageables
Il s’agit d’abord de repréciser le périmètre du Contrôle de Gestion
Quoique fondamental pour bonifier les actions développement, le Contrôle de Gestion n’intervient donc pas dans un champ vierge. C’est pourquoi pour bien s’insérer le nouvel espace qu’il est appelé à investir, à la faveur de la mise en œuvre du budget programme, il lui faut se déployer à travers une approche plus fine de la réalité afin que ses avantages, incontestables, puissent être capitalisés par le Secteur public.
Dans cette optique, il importe d’inscrire son action dans un cadre plus adéquat en valorisant ses apports qui ne seraient pas de nature à concurrencer tout autre acteur dont il viendrait compléter les efforts, les CEP en particulier.
Sous ce rapport, les dispositions du décret n° 2020 -1020 du 06 mai 2020 relatif à la gestion budgétaire de l'Etat avaient pourtant ouvert l’idée d’une solution pertinente face aux écueils qui entravent la bonne application du Contrôle de Gestion qui, faut-il le dire, dans son rôle d’animateur du dialogue de gestion, a besoin de la collaboration de tous.
Les dispositions de ce texte indiquent que le Contrôleur de Gestion facilite le pilotage de la performance des programmes et qu’à ce titre, il est chargé d'élaborer et de mettre en œuvre la stratégie ministérielle de contrôle de gestion ; de piloter la cellule de contrôle de gestion ; d'établir un système de contrôle de la mise en œuvre du programme à travers des tableaux de bord ; d'assurer un suivi des décisions issues du dialogue de gestion ; de contrôler et d'analyser les coûts des activités ; d'analyser les risques d'écarts entre les objectifs et les résultats attendus et de veiller à la prise en charge des mesures d'atténuation de ces risques ; de vérifier la fiabilité des informations contenues dans le rapport annuel de performance.
Il est clair que ces attributions sont au plus près des préoccupations des programmes et se rapprochent de la tradition qu’on connait du Contrôle de Gestion en entreprise. Elles pourraient être étoffées par d’autres de même nature à tirer du décret relatif au Contrôle de Gestion dès lors que celles-ci sont formulées de sorte à le faire participer ou contribuer à tout processus en rapport avec le pilotage de la performance sans qu’il en soit désigné responsable.
Il convient en second lieu de rationaliser le cadre institutionnel des entités ministérielles ou constitutionnelles
Afin de préserver le Secrétaire général de ministère, coordonnateur des programmes, des inévitables arbitrages sur les empiètements de missions et tiraillements entre responsables chargés de la Planification et du Contrôle de Gestion, il serait judicieux d’utiliser ce dernier de façon plus inclusive et intégrée aux dynamiques de suivi et d’évaluation des ministères.
Pour ce faire, la mesure la plus indiquée serait de faire de sorte qu’au sein de chaque programme, les Contrôleurs de Gestion puissent principalement mobiliser leurs efforts sur les aspects liés à la cohérence interne, aux outils métier du Contrôle de Gestion (analyse exécution budgétaire et écarts, ratios comptables et financiers), aux coûts engagés et aux revenus générés.
Leur intervention serait placée sous la coordination du Coordonnateur de la CEP situé à un niveau plus élevé auprès du SG, Coordonnateur des Programmes, puisqu’il revient à celui-ci la charge de veiller à l’alignement de tous les documents à la LPSD mais aussi d’appuyer toute autre entité dans la planification, le suivi et l’évaluation, son cœur de métier.
Présentée ainsi, cette logique teintée du sceau du pragmatisme qui permet à la CEP de se bonifier avec les données traitées par le Contrôle de Gestion au sein de chaque programme, tue le mal à la racine en consacrant la dissolution de la Cellule de Coordination du Contrôle de Gestion.
Au cas où cette Cellule serait quand même maintenue, ses missions d’appui au pilotage de la performance devraient être plus centrées sur le dialogue de gestion, sur la rationalisation des coûts et le suivi des indicateurs des programmes qu’elle n’a pas vocation à élaborer et occulter tout ce qui pourrait empiéter sur les prérogatives de la CEP en matière de Planification, de Suivi et d’Evaluation.
Oumar El Foutiyou Ba est écrivain, Conseiller en Organisation du BOM/SGPR, en détachement en qualité d’Expert sénior en Finances publiques à la GIZ .