CULTIVER LE CONSENSUS POUR UNE MEILLEURE EFFICACITE DES POLITIQUES PUBLIQUES
Depuis 2021, début des ennuis politico-judiciaires d’Ousmane Sonko, la vie politique du Sénégal est marquée par l’affrontement entre deux hommes, le chef du PASTEF et le Président Macky Sall.
Depuis 2021, début des ennuis politico-judiciaires d’Ousmane Sonko, la vie politique du Sénégal est marquée par l’affrontement entre deux hommes, le chef du PASTEF et le Président Macky Sall.
Cette lutte pour le pouvoir, qui s’accompagne de violences et de sang versé depuis deux ans et demi, prend de plus en plus les allures d’une tragédie grecque mettant face à face deux adversaires déterminés à en découdre, dont l’un dispose de tous les moyens de l’Etat pour imposer sa loi, et l’autre, qui lui oppose son refus de céder, la force d’une jeunesse engagée, fascinée par son charisme et sa détermination.
Leur affrontement a fait des morts, des blessés et environ 700 prisonniers politiques. Jamais notre pays n’avait connu une telle situation depuis la confrontation UPS/PRA Sénégal dont le bilan officieux est de 63 morts dans une seule journée aux Allées du Centenaire.
Avec la levée du blocus policier du domicile d’Ousmane Sonko, on espérait un dégel, donc du répit. Hélas, son arrestation vient rajouter de l’huile sur le feu. En d’autres temps, cette affaire serait à notre avis assez banale car la prison pour un aspirant au pouvoir suprême a souvent été un passage obligé sous nos cieux.
Abdoulaye Wade et bien d’autres opposants ont connu plusieurs fois la prison sous Abdou Diouf. Khalifa Sall, Karim Wade aussi l’ont connue sous Macky Sall.
Cependant, les périodes sont différentes ; le harcèlement exercé sur Sonko, l’ultra médiatisation des événements, y compris les affrontements entre Pastef et les FDS vécus en « live » via les réseaux sociaux, les messages politiques d’activistes suivis…tout cela a fini de rendre plus compactes les émotions, en particulier chez les jeunes et les femmes.
Au-delà de l’arrestation d’Ousmane Sonko, un acte fort, en l’occurrence la dissolution du PASTEF, est venu confirmer la volonté du pouvoir d’exclure son leader de la présidentielle de février 2024, et ses cadres des toutes les autres élections futures sous cette bannière. La guerre est donc déclarée, alea jacta est!
Les coups sont donnés sans retenue et le pays est en voie de paralysie faute de transport fluide ; l’économie est perturbée, et la violence, à son paroxysme.
Tirs à balles réelles, cocktails Molotov, actes terroristes, nervis, le feu à tous les coins de rue ! Le Sénégal est loin de l’image de pays pacifique et de berceau de la démocratie africaine qu’il a toujours incarnée. La dissolution du PASTEF par voie administrative renvoie à celle du PAI de Majhmout Diop et Seydou Cissokho dans les années 60, acculant ce parti à la clandestinité.
Avec cette nouvelle donne, le Sénégal entre dans une ère d’instabilité dont on ne saurait situer la durée. C’est en cette période que la tenue du dialogue national aurait été efficace car il aurait pu aboutir à la désignation de médiateurs comme Famara Sagna, qui, en son temps, avait réussi la mise en lien Abdou Diouf/Abdoulaye Wade pour un dialogue direct.
Faute d’initiatives allant dans le sens du dégel, on entre à nouveau dans une période de crispation dont il est difficile de déterminer la fin. On peut donc dire qu’en la circonstance, ce sont les « faucons » qui ont gagné.
Il ne serait pas hasardeux de prédire, dans ces conditions, qu’au gré des évènements actuels, les schémas de succession envisagés parle Président Macky Sall finissent par relever de l’accessoire.
Le rassemblement des forces nécessaires pour éliminer le PASTEF et son leader ne saurait en effet s’embarrasser de discordes et de tiraillements qu’occasionnerait le choix au sein de l’APR du candidat au remplacement de Macky Sall à la tête de l’Etat.
Concentrés et focalisés sur les péripéties politiques que nous vivons depuis mars 2021, on en oublierait presque que l’économie est en train de se dégrader dangereusement, comme en écho à la profonde crise de l’économie occidentale.
Une crise financière mondiale se profile !
Une crise financière mondiale monumentale se profile selon les spécialistes, avec comme élément déclencheur la création d’une monnaie commune des BRICS. Cette création devrait être annoncée lors du prochain sommet de cette organisation à Johannesburg, dans un contexte plus global d’inflation et d’endettement en Europe et aux USA, de crise de l’énergie et des céréales en Europe
Dans notre pays, l’échéance électorale de février 2024 s’inscrit par conséquent dans un contexte géopolitique inédit de compétition économique et de conflit militaire à l’échelle mondiale. La situation du Sénégal est d’autant plus préoccupante qu’elle subit et alimente à la fois les effets de la crise déclenchée parle coup d’Etat au Niger, suivie de menaces d’interventions militaires de tous bords. Cette élection présidentielle va sans nul doute déboucher sur une nouvelle ère faite de ruptures indispensables dans la gestion économique du pays.
Au-delà, il s’agit bien évidemment de la rupture d’avec le modèle de développement datant d’après-guerre. Comme nous l’avons dit dans nos précédentes contributions, nous sommes loin d’avoir été convaincus par la pertinence globale du PSE, encore moins de sa réussite, à la fin du mandat de son initiateur.
Il faut rappeler que les plans de développement économiques proposés par les pouvoirs successifs, de l’indépendance à nos jours, ont été élaborés par des techniciens et autres experts de l’administration, certes rompus à la tâche, mais sans concertation avec les différents segments de la société. C’est la raison de leur faible niveau d’appropriation par les acteurs économiques et les populations, condition essentielle de leur pérennisation.
L’expérience du développement économique de pays asiatiques comme la Corée du Sud, la Chine, le Vietnam, le Japon avait établi qu’un lien solide devait unir Etat et secteur privé pour l’élaboration de la vision économique, l’exécution des programmes y relatifs et leur monitoring.
La Corée du Sud doit son développement économique fulgurant, qualifié de “miracle”, aux entreprises familiales (Chaebols) telles Samsung, Lg, Hyundai etc., sur lesquelles l’Etat s’est adossé pour bâtir une stratégie de développement basée sur l’industrie manufacturière, accompagnée par une politique soutenue de « recherche et développement » et de mise en lien solide du système éducatif avec les objectifs économiques, et d’attraction des capitaux étrangers.
Un tel consensus entre Etat et secteur privé n’a pu être trouvé au Sénégal en l’absence d’une concertation avec les représentants des entreprises familiales qui auraient pu être les interlocuteurs de la puissance publique pour bâtir une stratégie nationale de développement sectoriel et aussi constituer le socle d’une politique efficace de promotion du secteur privé national.
Pour en revenir au PSE, il n’a pas été percussif quant à ses deux volets les plus importants, soient l’emploi des jeunes et la promotion du secteur privé national.
La mise en ouvre de la DER (Délégation générale à l’entreprenariat des femmes et des jeunes) n’a pas été une réussite en matière d’auto-emploi, et la promotion du secteur privé en est restée aux déclarations d’intention.
La situation faite au secteur privé est d’autant plus étonnante que ce dernier, en butte à l’absence de soutien de l’Etat pour accéder à la commande publique et aux ressources des banques et du marché financier, se voit assigner la mission de créer de l’emploi dans la phase 2 du PSE !
Les bijoux de famille cédés au capital étranger!
Pire, on observe pour le déplorer des actes de dislocation du tissu industriel ; des entreprises privées stratégiques et leaders dans leurs domaines d’activités sont cédées au capital étranger sans intervention de l’Etat pour les maintenir dans le patrimoine national.
Financial Afrik nous apprend ainsi que la holding marocaine Al MADA vient de prendre le contrôle du groupe Omaïs, et par conséquent son fleuron Patisen
Le Maroc nous avait déjà délesté de la CBAO, anciennement BIAOS, qui aurait pu être le champion bancaire appelé de tous nos vœux si l’Etat s’était porté acquéreur des parts vendues.
Il nous revient encore par Financial Afrik que c’est cette holding Al MADA qui détient le groupe bancaire Attijariwafa Bank, elle-même société mère de la CBAO.
Selon toujours Financial Afrik, le groupe malgache Axian Telecoma signé un accord pour acquérir une participation supplémentaire de 40 % dans l’opérateur de téléphonie « Free Sénégal », ce qui lui permet de prendre le contrôle de l’entreprise avec 80 % des parts qui auraient pu être redistribuées au secteur privé sénégalais si l’Etat avait pu — s’il avait surtout voulu!— faire jouer un droit de préemption dans ce secteur à forte valeur ajoutée.
Au vu de ce qui précède, on pourrait conclure que l’Etat reste indifférent à la cession des entreprises les plus performantes de notre pays à des « privés » étrangers, au motif que ces cessions relèveraient de transactions purement privées.
Ce phénomène qui tend à se perpétuer interpelle l’Etat sur son rôle de promotion d’un secteur privé sénégalais fort, comme il en existe partout dans le monde, et au Maroc en particulier.
Par le passé, des entreprises publiques ont été cédées au privé international sans implication notable des entrepreneurs sénégalais comme la SONATEL à Orange et les ICS au privé indien etc
C’est l’occasion de s’interroger sur le champ d’intervention des fonds souverains comme le FONSIS qui, en toute logique, devraient pouvoir appuyer le privé local pour la prise de participation dans les opérations d’acquisition d’entreprises à forte valeur ajoutée, à vocation nationale et sous-régionale
En toutes hypothèses, cette politique de « laissez-faire » apparent car sans intervention de l’Etat gagnerait à être revue si l’on sait que la prospérité de ces entreprises en cession été favorisée parles divers savoir-faire de leurs personnels, les concours financiers des banques locales, les divers avantages fiscaux accordés. Sans compter, quelquefois, la mobilisation d’importants fonds d’Etat pour de coûteuses opérations d’absorption de pertes colossales et de recapitalisation (ICS).
N’eut été la crise politique ouverte avec l’emprisonnement de Sonko, l’heure aurait dû être à la construction de consensus économiques forts, populaires et « transpartisans » pour redéfinir de nouvelles orientations économiques de rupture par rapport au modèle de développement actuel, masquant l’extraversion de l’économie derrière des indicateurs de croissance et de développement comme le taux de croissance du PIB.
Les « Assises nationales » avaient eu l’ambition de dégager des orientations sommaires ; leurs conclusions et recommandations ont été remisées dans les tiroirs parle Président actuel, qui a déclaré dès l’entame de son magistère, qu’il n’était pas tenu par celles-ci.
Aussi, des états généraux de l’économie devraient suivre dès l’installation des nouvelles autorités, à l’effet d’aboutir à des pactes consensuels permettant de tracer les voies d’un développement économique autocentré.
Le développement fulgurant des pays asiatiques a prouvé que l’on ne pouvait élaborer des plans de développement économiques sans associer la société dans son ensemble à la définition de la vision, et en particulier les entrepreneurs nationaux, les travailleurs.
Dans cet ordre d’idées, il nous paraît utile de conserver les coalitions politiques, jusque-là limitées aux alliances électorales, et d’étendre leur champ de compétences à l’élaboration de grandes orientations économiques de rupture et de programmes économiques y afférents.
C’est à ce prix que l’appropriation des plans de développement parles Sénégalais pourra être effective, que la continuité des politiques publiques, économique en particulier, pourra être assurée et la mobilisation des citoyens, acquise.
D’une manière générale, il doit être clair que nous sommes dans une ère de rupture à pas forcés d’avec le modèle de développement actuel consistant à exporter les matières premières sans transformation industrielle préalable, et dont on connaît les effets sur l’industrialisation, la balance du commerce extérieur, le non emploi et la pauvreté
Le prochain président de la République, quel qu’il soit et quels que soient ses pouvoirs, ne pourra, par un coup de baguette magique régler dans l’immédiat les priorités telles que l’emploi des jeunes, les réformes structurelles à opérer pour restructurer une économie extravertie, promouvoir le secteur privé national, rénover les programmes d’éducation et de formation professionnelle, améliorer la qualité de la dépense publique, restructurer l’administration dont il est aberrant qu’elle puisse consommer près de 40% du budget national, restructurer la dette extérieure dont la charge d’intérêt, en constant accroissement du fait de l’endettement récurrent et de la hausse des taux directeurs au niveau international, est, avec la masse salariale, l’un des fardeaux les plus lourds de notre budget national.
Face au développement de la pauvreté et à la quête désespérée des jeunes pour des emplois décents, le vent du souverainisme et du partenariat gagnant-gagnant souffle en Afrique.
Le Sénégal gagnerait donc à s’inscrire dans cette perspective ; et pour cela il a besoin de tous ses fils, et en particulier de sa jeunesse.
Le dégel politique que symboliserait la libération d’Ousmane Sonko est à notre sens la voie la plus indiquée pour se réconcilier avec cette jeunesse, renouer avec nos traditions démocratiques, pour aller ensemble et de façon consensuelle dans la voie du développement économique et social.