DONALD TRUMP ET L’AFRIQUE : QU’EN ATTENDRE ?
Face à un continent qui revendique sa souveraineté et multiplie les partenariats internationaux, la politique du 'America First' devra composer avec un nouveau paradigme
C’est officiel : Donald J. Trump est de retour à la Maison Blanche avec pour objectif clair de placer «l’Amérique d’abord» («America first !») au cœur de sa politique. Quel impact sur l’Afrique ?
Cela reste à voir, mais le mieux serait peut-être de ne rien attendre. De prendre les devants. Et privilégier «Africa first». De toutes les façons, l’Afrique a été complètement absente de la campagne présidentielle américaine, y compris côté démocrate.
On peut néanmoins anticiper quelques changements à partir des sources disponibles, à savoir le premier mandat de Donald Trump d’une part et, le projet 2025 d’autre part.
Le premier mandat de Trump
Si ‘on remonte à son premier mandat, la stratégie isolationniste du Président Trump l’avait conduit à plaider auprès du Congrès pour la réduction des programmes de développement dont beaucoup sont en Afrique. Seuls Mike Pompeo, son secrétaire d’Etat entre 2018 et 2021, s’est rendu au Sénégal et en Ethiopie, et son épouse Melania au Kenya. En quatre ans à la Maison Blanche, seuls deux chefs d’Etat africains ont été reçus : Muhammadu Buhari du Nigeria et Uhuru Kenyatta du Kenya. Washington n’avait pas non plus accueilli de Sommet Etats-Unis Afrique, quand Vladimir Poutine relançait spectaculairement les sommets Russie-Afrique à Sotchi en 2019.
Toutefois, on se souvient que le Président Trump a reconnu la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental en 2020, faisant de ce pays du Maghreb un acteur décisif des Accords d’Abraham.
L’Afrique vue sous l’angle de la compétition avec la Chine
Toutefois, l’influence croissante de la Chine en Afrique et le recul des positions américaines en Afrique avaient amené l’Administration Trump à s’inquiéter, expliquant la création d’une nouvelle agence de développement, Development Finance Corporation, mieux dotée financièrement que ses prédécesseurs. Prosper Africa a aussi été lancé avec pour objectif, selon John Bolton, alors conseiller à la Sécurité nationale, qui en avait fait l’annonce fin 2018, de «favoriser les investissements américains, stimuler la classe moyenne africaine et améliorer le climat des affaires dans la région». Que l’annonce ait été faite par le conseiller à la Sécurité nationale démontrait clairement que c’est la concurrence des Etats «prédateurs», Russie et Chine en tête, qui motivait la nouvelle initiative.
Depuis, la Russie a confirmé son statut de premier vendeur d’armes en Afrique et la Chine celui de premier partenaire commercial de l’Afrique, investissant cinq fois plus que les Etats-Unis sur le continent.
La survenue d’évènements majeurs depuis le départ de Trump de la Maison Blanche laisse également à penser que l’Afrique qu’il retrouvera n’est pas celle qu’il avait quittée en 2020. L’impact de la pandémie, la crise énergétique dans la foulée de la guerre en Ukraine, la série de coups d’Etat au Sahel et le retrait forcé de la France, la guerre civile au Soudan, la montée en puissance des pays du Golfe en Afrique, les initiatives sud-africaines dans la guerre à Gaza, comme le renforcement des Brics, ont profondément bouleversé le paysage africain.
Le Projet 2025
De fait, avec un tel contexte, il faut sans doute se tourner vers le Projet 2025 pour tenter d’imaginer comment une politique africaine sous un second mandat Trump pourrait évoluer. Conçu par Heritage, un cercle de réflexion très conservateur de Washington, le Projet 2025, document d’un millier de pages, prévoit de remplacer 4000 fonctionnaires dès l’entrée en fonction de Donald Trump, par des alliés susceptibles de mettre en œuvre rapidement une transformation conservatrice de la société américaine. Bien que, durant la campagne, Donald Trump s’en soit distancé, bon nombre des inspirateurs de ce plan sont des proches, notamment Tom Homan à qui il vient de confier la mise en œuvre de sa politique migratoire.
Dans la courte section du Projet 2025 consacrée à l’Afrique, on trouve l’affirmation de deux principes. D’abord, la volonté de privilégier le commerce plutôt que l’assistance ; ensuite, le refus d’intégrer les «valeurs culturelles», notamment les droits des Lgbtq+ (homosexuels, trans…) dans la politique étrangère américaine. Il est indéniable que ces deux principes resonneront positivement en Afrique.
Le business d’abord ?
Concernant le premier, il est de nature à favoriser une approche transactionnelle. S’il a lieu, le renouvellement de l’accord commercial Usa-Afrique (Agoa) et Dfc en 2025, puis d’Exim Bank en 2026, permettra de donner un aperçu de l’orientation que Donald Trump souhaite donner à sa stratégie commerciale vis-à-vis de l’Afrique. Le sort réservé à certains projets d’ampleur comme le Lobito Corridor - héritage majeur de Joe Biden en Afrique - devra aussi être surveillé, tout comme la réforme des institutions de Bretton Woods dont on ignore si elle va être confirmée par la nouvelle équipe. A cet égard, l’Afrique, qui paie pour un réchauffement climatique dont elle n’est pas responsable, a besoin de financements : il faudra voir comment cet impératif se conjugue avec l’approche climato-sceptique du nouveau pouvoir américain, que d’aucuns soupçonnent de vouloir sortir des engagements de Paris.
Aux côtés de Donald Trump, la présence de Elon Musk, désireux de conquérir les marchés africains, notamment avec Starlink, peut cependant offrir des perspectives nouvelles pour réduire la fracture énergétique. On l’avait aperçu à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies de septembre dernier, rencontrer le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, le président namibien, Nangolo Mbumba, et le Premier ministre du Lesotho, Sam Matekane.
Des gagnants et des perdants ?
Concernant le second, des pays comme l’Ouganda -précédemment exclus de l’Agoa en raison de préoccupations concernant les droits des homosexuels- pourraient retrouver une oreille plus bienveillante de la part des Etats-Unis de Donald Trump.
A l’inverse, des pays comme l’Afrique du Sud, qui entretiennent des relations désormais complexes avec les Etats-Unis, pourraient perdre cet accès. Le Maroc devrait rester un partenaire-clé au regard du grand jeu moyen-oriental qui s’ouvre.
Enfin, ces dernières années, quelques républicains ont déployé des efforts pour la reconnaissance du Somaliland, afin de renforcer l’influence des Etats-Unis sur la très disputée Mer Rouge.
Africa first
Au-delà du président Trump, c’est du côté de son équipe - secrétaire d’Etat, secrétaire en charge du Commerce, secrétaire en charge de l’Afrique, directeur Afrique de la Maison Blanche, dirigeants des agences de développement, nouveaux ambassadeurs dont celui des Nations unies - qu’il faudra regarder : les profils choisis diront beaucoup des intentions du nouveau locataire de la Maison Blanche. De Marco Rubio à Elise Stefanik, les premières désignations laissent entrevoir une diplomatie offensive face à la Chine et l’Iran.
En attendant, de l’Egypte à l’Ethiopie, en passant par le Sénégal et la Côte d’Ivoire, de nombreux présidents africains l’ont félicité pour sa «victoire» et ont espéré, à l’instar de Bola Tinubu au Nigeria, de pouvoir renforcer leur «coopération économique» avec les Etats-Unis. Si les dirigeants du Moyen-Orient ont bien accueilli le retour de Donald Trump, à l’inverse des dirigeants européens inquiets des droits de douane et du sort réservé à l’Ukraine, l’Afrique pourrait se montrer plus attentiste, entre la méconnaissance du fonctionnement de Washington par ses dirigeants et la pression de son opinion de plus en plus afro-souverainiste et plus vocale que jamais. Les nations africaines ont un atout dans leur manche : une centralité retrouvée qui en fait des partenaires très courtisés par le monde entier. L’Afrique a désormais des options. La balle est donc du côté de Washington. Sinon, à l’Amérique d’abord, de nombreux Africains seraient tentés d’opposer «l’Afrique d’abord».
Rama Yade est Directrice Afrique Atlantic Council.