ÉMIGRATION CLANDESTINE
L’émigration clandestine, au vu du désarroi dans lequel elle plonge les familles, ne doit pas être le prétexte de déclarations à l’emporte-pièce de politiciens en mal d’arguments de campagne.
L’émigration clandestine, au vu du désarroi dans lequel elle plonge les familles, ne doit pas être le prétexte de déclarations à l’emporte-pièce de politiciens en mal d’arguments de campagne. En effet, même si la question du manque d’emploi peut être agitée pour expliquer les motivations des migrants, il faut croire que ce n’est pas la seule.
Ainsi, le colonel Alioune Ndiaye, alors chef du bureau des relations publiques de la police, nous faisait remarquer que des pêcheurs dont les embarcations et le carburant avaient été subventionnés prenaient la mer alors que la pêche nourrissait encore relativement son homme. Certains disent même que les meilleurs capitaines arrivaient à faire l’aller et le retour, mais qu’ils avaient fini par choisir de rester en Europe d’où la multiplication des accidents sur la route de l’émigration. C’est dire que même encourager l’entreprenariat ne saurait être la panacée.
D’ailleurs, les familles sont plus promptes à financer les prétendants au voyage que les jeunes qui veulent démarrer des entreprises sur place. C’est comme si le miracle de l’enrichissement ne peut se produire qu’en Occident. Cela expliquerait que certains partent alors qu’ils ne sont pas dans le lot des démunis, alors qu’ils amassent un capital non négligeable avant de migrer pour des raisons difficiles à cerner.
Il sied d’emblée de rappeler que le voyage est inhérent à la nature humaine. En effet, les hommes éprouvent le besoin de voir du pays et une diction wolof le magnifie du reste : « Ku dul tukki, doo xam fu dëkk neexee ». Le fait est que le voyage participe à la culture, au développement de l’individu. Du coup, il peut donc être motivé par le désir d’apprendre, ce qu’encourage le Prophète Muhammad (PSL) qui demande à ses ouailles d’aller chercher le savoir jusqu’en Chine si nécessaire. Nos guides religieux se sont inspirés de ces enseignements en parcourant le monde pour approfondir leurs connaissances.
Dans le contexte que nous vivons, cette motivation existe encore, mais est sous-tendue par la notion de « tekki » devenu le leitmotiv des aventuriers qui l’entendent comme le désir de se libérer (tekki prenant le sens de détacher une chose). Il s’agit donc de fuir la pesanteur économique voire sociale puisque les remontrances familiales, les attentes non satisfaites des parents et de la société jouent un grand rôle dans la décision d’aller au sacrifice. Pour certains, la distance permet d’échapper aux sollicitations et cérémonies familiales diverses qui grèvent les budgets des travailleurs. Toutes ces considérations restreignent le sens de « tekki » aux capacités financières et au statut social.
La polysémie du « Tekki »
Or, son autre acception colle mieux avec l’idée première de l’expression : « donner du sens à sa vie », « être utile à la communauté ». Rappelons que les figures qui marquent les esprits des Sénégalais et que l’on évoque quotidiennement ne brillent pas par leur aisance financière. Il s’agit d’Elhadj Malick Sy (RTA), de Serigne Touba (RTA), et même du prophète de l’islam (PSL) et Jésus fils de Marie.
À côté de cette quête de développement individuel, l’imaginaire de l’Africain ravale généralement son pays voire son continent à une terre stérile. Ainsi, certains cherchent ailleurs des diplômes qu’ils peuvent obtenir sur place parce qu’ils estiment que, comme tout ce qui vient des pays européens, c’est plus valorisant. Un mécanicien en aéronautique chargé de la réparation d’un aéronef avait ainsi été rejeté par un pays africain à cause de ses origines africaines alors que le technicien blanc appelé à la rescousse, à l’évocation de son nom, s’est écrié : « Mais c’est lui, l’aéronautique ! » Nous n’avons simplement pas foi en nous-mêmes.
Le mal est profond parce que, ayant perdu le respect de soi, l’Africain ne peut prétendre au respect par les autres. Les USA ont dominé le monde par leur culture. Pas seulement par une production prolifique, mais parce qu’ils ont toujours mis en avant le concept « America first ». La grandeur de l’Amérique était tellement mise en avant que les jeunes Américains ignoraient tout du reste du monde. Pourtant, chez nous, on nous avait appris l’aphorisme : « Kuy waliyaan sa kër moo tëggul. » Qu’en a-t-on fait ?
Pendant que s’exerce sur les jeunes une pression pour les voir migrer, les frontières en Europe et en Amérique se ferment devant eux de plus en plus drastiquement, et la délivrance des visas d’entrée dans ces pays se fait à dose homéopathique. Il ne leur reste dès lors d’autre choix que d’emprunter les voies aussi dangereuses les unes que les autres pour atteindre leur Eldorado. Au passage, ils paient un lourd tribut à l’Atlantique et à la Méditerranée qui, tels des ogres, en avalent des milliers par an ; au désert avec son cortège de disparus et d’otages retenus dans les pays du Maghreb ; à la route du Nicaragua avec ses incertitudes. Ils en sont du reste conscients, mais des charlatans consultés les auront rassurés en amont qu’avec des incantations, des amulettes et des aumônes, ils arriveront à destination sans encombre.
Le piège sans fin
En réalité, ces politiques migratoires font de ces contrées un véritable piège pour les migrants qui, sinon, auraient pu faire des va-et-vient et ne pas être obligés de s’établir en Occident. En effet, ils partent désormais avec un cahier de charges bien clair : faire fortune avant de rentrer parce que les portes se refermeront irrémédiablement derrière eux si jamais ils retournent chez eux.
Ils disaient donc autrefois : « Alal ju bari mbaa bammeel bu sori ! » (être riche ou mourir en exil !). C’était avant l’alternative radicale : « Barsa wala barsaq ! » (Barça ou l’Au-delà ! » Donc, ne pouvant pas assurer le retour sur investissement de la famille, ils préfèrent une vie de misère loin des regards que de d’étaler leur échec, leur condition de ratés aux yeux de la communauté. Il est dommage que les statistiques des échecs ne puissent pas être établies afin que les candidats au départ sachent que c’est là une éventualité.
L’aspect le plus ignoble de cette problématique, c’est le trafic d’êtres humains. Des individus sans scrupules et sans cœur exploitent en effet la détresse de leurs semblables pour s’enrichir. Ils n’ont rien à envier aux hyènes et aux charognards. Et il est honteux que des politiciens essaient pat des raccourcis de s’engouffrer dans cette brèche. Or, il est du devoir de chacun d’entre nous, dans le domaine qui est le sien, de trouver des solutions sans arrière-pensées par humanisme ou pour le bien de ceux dont ils convoitent le vote.
Ces solutions passent certes par la création d’emplois, mais surtout par la réflexion autour d’un « rêve sénégalais », une certitude donner aux concitoyens de pouvoir réaliser les idées et les ambitions qu’ils couvent. Il appartient de ce fait aux gouvernants de traduire en réalité, avec le temps, le slogan « lu ñépp bokk, ñépp jot ci ». Cela doit s’accompagner, pour freiner l’exode, de mécanismes éducatifs et culturels pour restaurer la fierté des Sénégalais envers eux-mêmes et envers leur pays. Les voyages ne s’arrêteront certes pas, mais ils devraient obéir à des raisons et des voies qui imposeront le respect à nos partenaires à qui la réciprocité devrait être appliquée. Quant aux passeurs et autres charlatans vendeurs de mort, ils méritent d’être traqués et sévèrement châtiés.
Saër NDIAYE
Magi Pastef HLM