ENVIE ET JALOUSIE
Ces émotions, aussi honteuses soient-elles, sont le terreau fertile de grandes réalisations comme des pires bassesses. Voyage au cœur de ces sentiments complexes qui font de nous des êtres profondément humains
1. L’envie et la jalousie sont des émotions sociales complexes.
2. L’envie est une haine mêlée de souffrance qui pousse l’individu à se réjouir du mal d’autrui et à se contrister de son bien, car tout ce qu’il aspire à être, mais n’est pas, se trouve chez l’autre ; elle suppose une constante comparaison entre sa propre situation et celle des autres, qui l’amène à constater son infériorité. Il existe plusieurs types d’envie : l’envie admirative ou émulative, l’envie hostile, l’envie dépressive (1).
3. La jalousie est une haine envers l’être ou la chose aimés (fluctuation entre amour et haine), jointe à l’envie envers l’autre. Elle s’extériorise au début par la peur de perdre cet être, cette chose ou cet avantage que l’on a et qu’on considère comme précieux. Lorsque cette perte devient réelle, d’autres émotions, découlant de cette jalousie, s’emparent de la personne.
Exemple : dans ma contrée, j’avais le plus beau cheval, mais récemment, mon voisin s’est offert un pur-sang d’une beauté sublime. J’éprouve un sentiment mêlé d’amour et de haine ou d’indifférence envers mon cheval, qui ne me procure plus cette fierté qu’il me donnait, et en même temps j’envie le voisin pour sa belle acquisition.
4. On envie souvent le bonheur et les biens d’un autre ; on est jaloux des biens, êtres ou avantages que l’on souhaite conserver. Ces deux émotions sociales, étroitement liées, entraînent dans leur sillage d’autres émotions simples : tristesse, colère, peur et honte.
Exemple : Mamadou est envieux des cadeaux reçus par sa petite sœur et est jaloux de la part d’attention parentale qu’il est en train de perdre. De même, dans l’exemple précédent, j’envie mon voisin pour sa belle acquisition et je suis jaloux de l’admiration que suscitait mon cheval, qui s’est déplacée ou que je dois partager avec mon voisin.
5. On parle de la morsure de l’envie et du flash de la jalousie.
6. La mauvaise nouvelle est que nous avons tous éprouvé ces deux émotions d’une manière ou d’une autre (par la morsure de l’envie ou le flash de la jalousie), mais selon des modalités différentes : pour certains, la promotion fulgurante du voisin de bureau a provoqué une déprime de cinq minutes ; pour d’autres, cela a engendré plusieurs nuits d’insomnie. Nous trouvons ces émotions tellement honteuses que rares sont ceux qui font l’aveu de les avoir ressenties ; certains ont l’envie comme passion dominante (ce sont des personnes sensibles, capables de ressentir une gamme assez large d’émotions sans les réprimer ou les refouler).
7. La bonne nouvelle est que par l’éducation ou grâce à un travail intérieur, ceux qui ont l’envie comme passion dominante peuvent acquérir une maîtrise telle que celle-ci s’exprime avec moins d’intensité, tant sur le plan du ressenti que sur celui du comportement et/ou de la réflexion.
8. C’est surtout dans le milieu de l’art que l’on rencontre des personnes animées par ces passions, car l’artiste ressent généralement (et sans répression) toute la palette des émotions ; l’envie et la jalousie constituent des moteurs puissants pour ces expériences émotionnelles, qui sont souvent le prélude à la créativité artistique. Les œuvres d’art sont fréquemment le résultat de la sublimation de ces émotions réprouvées. C’est comme si la production de lumière (œuvre d’art) était précédée d’un plongeon dans l’obscurité (les émotions difficiles).
9. Une caractéristique de l’individu envieux : il s’intéresse aux tares/défauts ou avantages/atouts des autres ; il divulgue en permanence les faiblesses d’autrui. Parfois, par stratégie, il peut aussi faire l’inverse : parler des réussites des autres pour dissimuler son comportement honteux.
Une caractéristique de l’individu peu envieux : il est indifférent et peu intéressé aux tares/défauts ou avantages/atouts des autres ; mais cela peut cacher un narcissisme très développé ou une grande maturité psychologique.
10. Utilité de ces deux émotions : au niveau individuel, ces émotions poussent à l’action, à la créativité et même à l’excellence (l’envie émulative/admirative est plus ou moins promue dans la société ceddo qui encourage l’idée de ne pas être en reste ou de faire moins que son nawle, ou pair). Au niveau social, un groupe intégrant davantage d’envieux et de jaloux est souvent plus propice à la créativité et à la survie, à condition que ses membres soient canalisés pour éviter l’implosion.
11. Nocivité de ces deux émotions : l’envieux souffre énormément, surtout lorsqu’il s’agit de l’envie hostile ou de l’envie dépressive ; le jaloux, lorsque sa jalousie devient maladive et étouffante, a tendance à chosifier son conjoint ou sa conjointe, rendant ainsi la relation très difficile.
12. Gestion de ces émotions : a/ Reconnaitre ces émotions ; b/ les exprimer ou les tenir secrètes (selon le contexte) ; c/ réfléchir sur les sentiments d’infériorité sous-jacents (il y a un travail sur l’estime de soi qui doit accompagner ce processus) ; d/ arrêter les comparaisons, valoriser ce qu’on a, faire preuve de gratitude, s’accepter comme on est, etc.
- Pour des définitions précises, voir le livre de François Lelord et Christophe André : La force des émotions.
Les Wolofs disent ñee : envier avec certainement moins de haine (envie émulative)
Ils disent aussi aññane : envier avec certainement plus de haine (envie hostile)
Ibrahima Thioye est Consultant en développement personnel.