FAITS MARQUANTS ET QUELQUES ENSEIGNEMENTS DE L’ÉLECTION
La communication pour accéder au pouvoir ne doit plus être la même que celle qui sera en vigueur lorsqu’on dirige le pays. Dans sa forme, elle doit être plus pondérée, plus suggestive et plus constructive
L’élection présidentielle du 24 mars 2024 s’est globalement déroulée dans de bonnes conditions. Elle s’est soldée par la victoire de Bassirou Diomaye Faye au premier tour. Celle-ci traduit une volonté de sanction d’un régime qui a mis à rude épreuve le corps social et secoué la démocratie, le contrat social ou le vivre-ensemble. Quelques secteurs économiques ont subi des perturbations suite aux différentes crises. On assiste à une ère nouvelle marquée par l’émergence de jeunes leaders et la fin de cycle d’anciens acteurs politiques. Ousmane Sonko a incontestablement joué un rôle de premier plan durant tout le processus électoral. Le peuple sénégalais a réagi magistralement en écrivant de fort belle manière — grâce à ce scrutin — une nouvelle page de notre marche vers une souveraineté nationale plus complète. Sont décrits ci-après quelques faits marquants et des enseignements qui peuvent être utiles pour la nouvelle équipe dirigeante qui accède au pouvoir.
Faits marquants
1. Victoire de Bassirou Diomaye Faye au premier tour
La coalition Bassirou Diomaye Faye remporte cette élection avec 54,28 % des voix, suivie de la coalition BBY, dirigée par Amadou Ba, qui a obtenu 35,79 % des voix. Ces deux coalitions totalisent 90 % des voix, offrant ainsi une allure de référendum à cette joute électorale. Elles sont suivies par le PUR d’Aliou Dia et Taxawu de Khalifa Sall, qui ont obtenu ensemble 4,36 % des voix ; les quinze autres candidats se partagent 5 % des suffrages.
Ces résultats expriment une volonté du peuple de rompre avec cet état de déliquescence du corps social. La coalition Diomaye a su répondre par un positionnement très clair sous la houlette agissante d’Ousmane Sonko. Amadou Ba s’est positionné comme le candidat de la continuité qui n’a pas bénéficié du soutien complet des membres de son camp. Les autres candidats avaient surtout un problème de notoriété.
2. Fin de cycle pour Idrissa Seck et Khalifa Sall
Les résultats obtenus par Idrissa Seck et Khalifa Sall — respectivement 0,90 % et 1,56 % — ont surpris la plupart des observateurs. Idrissa avait obtenu plus de 20 % des voix lors de l’élection de 2019. Le parti de Kalifa Sall, Taxawu, avait enregistré 14 députés lors des dernières élections législatives. Sont-ils victimes du processus de bipolarisation ou s’agit-il simplement d’un besoin de renouvellement du personnel politique suivant un schéma d’alternance générationnelle ?
3. Résultats très faibles pour les dissidents de BBY
Les quatre candidats dissidents de BBY n’ont pas réalisé des scores significatifs. Idrissa Seck, Boun Abdallah Dionne, Mame Boye Diao et Aly Ngouye Ndiaye ont enregistré respectivement 0,90 %, 0,19 %, 0,33 % et 0,47 %, totalisant moins de 2 % des voix. Ces voix, ajoutées à celles d’Amadou Ba, portent le score de ce dernier à environ 38 % des suffrages.
4. Les gros scores
De gros scores ont été enregistrés pour Bassirou Diomaye Faye à Touba Mbacké, Bignona, Oussouye et Ziguinchor : 79,50 %, 81 %, 79,56 % et 74 %. Amadou Ba a remporté la victoire avec la même tendance dans la région de Matam : 87 % à Kanel, 86 % à Matam et 80,93 % à Ranérou. Le poids électoral de Mbacké étant plus élevé que celui de Matam, le surplus de voix obtenu dans la région de Diourbel — 190 000 — l’emporte sur les voix obtenues par BBY dans la région de Matam.
Quelques enseignements
1. La boucle vertueuse : un bon positionnement, de puissantes marques, une forte coalition
La coalition de Bassirou Diomaye Faye a su capitaliser sur les marques Sonko et Pastef En apportant leur soutien à cette coalition, des leaders, qui ont marqué le landerneau politique, ont inscrit leur action dans une boucle vertueuse. Ousmane Sonko, craignant un rejet de sa candidature, a demandé à plusieurs membres de son parti et même à d’autres alliés de Yewi Askan wi de déposer la leur. En désignant Bassirou Diomaye Faye comme le candidat de repli, porteur de son projet, le Pastef a opéré un transfert d’aura grâce au mot d’ordre : « Diomaye est Sonko et Sonko est Diomaye ». La marque mère Sonko a donné naissance à une marque fille Diomaye qui s’est imposée avec brio sur le marché électoral.
2. Nouveaux rôles pour Sonko afin de réduire la probabilité de frictions
Après avoir contribué à élire des maires et des députés, Sonko a largement joué un rôle dans l’élection de Bassirou Diomaye Faye. Il a su ajuster sa présence ou son absence durant la campagne en laissant à ce dernier la latitude de s’imposer et d’incarner cette posture de candidat de la rupture qu’attendent les Sénégalais. Après son élection, on peut se demander si la meilleure stratégie — celle qui présente une faible probabilité de frictions ou de tensions — ne consisterait pas à offrir plus d’espace à Diomaye. Est-ce que la présidence de l’Assemblée nationale ne serait pas la meilleure station pour Sonko ? Le parti Pastef ayant grandi assez vite et étant appelé à se massifier, Ousmane Sonko pourrait contribuer à parfaire son organisation et en faire un modèle de fonctionnement démocratique capable d’élever le niveau de formation politique de ses membres.
3. Changer les éléments de langage
La communication pour accéder au pouvoir ne doit plus être la même que celle qui sera en vigueur lorsqu’on dirige le pays. Dans sa forme, elle doit être plus pondérée, plus suggestive et plus constructive. Voici quelques éléments de langage utiles, dont certains sont déjà dans le registre de la communication des nouveaux dirigeants :
- « Nous n’avons qu’un ennemi, c’est le retard économique du pays. »
- « Nous avons besoin de toutes les compétences pour reconstruire le pays. »
- « Pas de chasse aux sorcières. Amnistie, et non amnésie ; réconciliation nationale dans la justice et la vérité. »
- « Ils ont fourni le maximum de leurs capacités dans le contexte qui était le leur : nous devons pousser plus loin les limites dans ce nouvel environnement plus complexe où tout est urgent et face à des attentes et à des exigences très fortes des populations. »
- « Nous ne sommes pas des saints ; nous commettrons certainement des erreurs, mais nous apprendrons très rapidement de celles-ci. »
- « Les bonnes intentions ne suffisent pas, nous préférons mettre en place l’organisation, les règles, la discipline qui nous prémunissent contre d’éventuelles dérives. »
4. Dynamique de changement orienté résultat et changement de mentalités
1. Les premiers jours devraient contribuer à bien finaliser la conception des éléments du projet (y compris les conclusions et recommandations issues des rapports des assises et de la CNRI) : déclinaison précise avec des engagements, mise en place des moyens d’évaluation et de suivi, sensibilisation et démarrage.
2. Actions rapides à réaliser pour fixer les esprits et maintenir l’espoir (stabiliser la gouvernance, déploiement des mesures faciles à mettre en œuvre ne requérant pas la validation de l’Assemblée nationale, etc.).
3. Mesures de discipline et d’organisation pour marquer les esprits (attachement viscéral à la ponctualité, déclaration de patrimoine, etc.).
4. Annonce publique de rupture avec les vieilles pratiques d’exhibitionnisme et d’ostentation qui peuvent facilement entraîner des glissements vers le népotisme et la gabegie (griotisme dans sa dimension perverse, patronage de manifestation, « drapeaux », etc.).
5. Lancement, par anticipation, de la campagne de lutte contre les inondations ou actions prioritaires à forte répercussion sociale.
Cette élection marque un tournant décisif dans la vie politique du Sénégal. De nombreux défis économiques et sociaux attendent les nouveaux dirigeants. Des secteurs économiques ont été secoués, le corps social mis à rude épreuve et la démocratie fragilisée. Les nouveaux dirigeants ont obtenu la faveur des populations grâce à leur orientation très claire à propos du patriotisme et de la souveraineté qu’ils s’engagent à parfaire. Le projet autour duquel ils ont mobilisé les Sénégalais est plutôt pertinent, car il répond aux principales questions brûlantes de l’heure. Le plus gros défi est de le mettre en œuvre en faisant face aux obstacles qui ont empêché les deux premières alternances de réaliser leurs promesses de départ.