INTRODUCTION DES LANGUES NATIONALES A L’ECOLE, UN IMPERATIF
Toutefois, l’enseignement des langues requiert certains préalables : le choix de la langue dans une zone doit se faire sur la base d’une étude sérieuse afin d’éviter tout rejet du projet

En Afrique, l’introduction des langues dès l’école primaire n’est pas une nouveauté. Des pays comme la Tanzanie, le Botswana, l’Éthiopie, le Kenya, le Nigeria… l’ont bien réussie. Dans ces pays, grâce à l’introduction des langues nationales à l’école, les enfants comprennent plus vite les mathématiques, les sciences, les technologies.
N’étant pas arrachés de leur environnement culturel, ces élèves comprennent vite et mieux. Chez nous, dès le début du 20e siècle, le colon a tout fait pour briser cet élan. En effet, l’initiative prometteuse de Jean Dard, instituteur français qui avait ouvert, en 1917, à Saint-Louis, la première école d’Afrique noire francophone pour enfants en majorité de couleur appelée, à cette époque, « l’enseignement mutuel » a été vite stoppée. Sa méthode pédagogique basée sur l’enseignement de nos langues, le wolof notamment, consistait « à faire acquérir aux enfants une conscience linguistique claire de leur langue maternelle avant de les faire entrer dans une langue étrangère, le français. Mais, la voie choisie par Jean Dard – le détour par la langue maternelle des enfants – nécessite une bonne maîtrise du wolof. Il l’apprend et le maîtrise au point d’en écrire une grammaire et un vocabulaire. Ses élèves peuvent ainsi lire en wolof pour ensuite traduire en français.
En procédant de cette manière, Dard s’éloigne du fameux projet méthodologique tracé par les autorités coloniales qui, d’ailleurs, ne tardent pas à réagir. En 1822, Jean Dard est démis de ses fonctions d’enseignant sous le prétexte de son inefficacité pédagogique ». (Cf. El Hadji Abdou Aziz Faty, « Politiques linguistiques au Sénégal au lendemain de l’Indépendance. Entre idéologie et réalisme politique », Mots. Les langages du politique, 106 | 2014, 13-26).
Toute langue véhiculant du savoir, contrairement à ce que le colon a voulu nous faire croire en qualifiant nos langues de patois, notre école doit donc intégrer nos langues nationales afin qu’on se libère de l’assujettissement et permettre à nos élèves d’exceller. En effet, plusieurs études ont montré que penser dans sa langue ne fait que faciliter la compréhension. Car, cela permet de surmonter les difficultés liées à la maîtrise de la langue française. Surtout dans les mathématiques, discipline qui « aide à apprendre à raisonner », comme aimait à le rappeler le Pr Mary Teuw Niane, mathématicien. De l’avis du Pr Niane, « [les mathématiques] enveloppées de culture locale ne peuvent que faciliter leur compréhension ».
Auteur du livre écrit en wolof « Nanu Xayma », Mbaye Faye, premier lauréat du Grand Prix du chef de l’État pour les Maths (2012), renchérit que « les mathématiques sont plus faciles à comprendre lorsqu’elles sont écrites et enseignées dans la langue de l’apprenant ». (Cf. Seneweb, 5 octobre 2012). Faudrait-il le rappeler, au Sénégal, depuis quelques décennies, des expériences d’enseignement bilingue avec l’introduction des langues nationales étaient nombreuses. Elles étaient l’œuvre des Ong et projets. Les résultats obtenus dans les zones d’introduction ont montré que ces élèves sont meilleurs que les autres aussi bien en français qu’en calcul.
C’est dire que rien ne s’oppose à l’utilisation de nos langues à l’école. Il est heureux que l’État ait décidé de s’inscrire dans cette voie. Déjà, en 2024, un cadre fédérateur de toutes les interventions et initiatives en matière d’utilisation des langues nationales dans le système éducatif a été mis en place. C’est le Modèle harmonisé d’enseignement bilingue au Sénégal (Mohebs) avec six langues nationales retenues : wolof, sereer, pulaar, mandinka, soninké et joola. Toutefois, l’enseignement des langues requiert certains préalables : le choix de la langue dans une zone doit se faire sur la base d’une étude sérieuse afin d’éviter tout rejet du projet. Il faut aussi, entre autres, des matériaux suffisants pour une mise en œuvre rapide, la formation des enseignants.