IVRESSE FONCIÈRE
Du feu couve sous la cendre. Au propre et au figuré, la honteuse convoitise des terres apparaît au grand jour comme la lame de fond d’un énorme brasier susceptible de provoquer des convulsions sociopolitiques aux conséquences incalculables.
Du feu couve sous la cendre. Au propre et au figuré, la honteuse convoitise des terres apparaît au grand jour comme la lame de fond d’un énorme brasier susceptible de provoquer des convulsions sociopolitiques aux conséquences incalculables.
L’onde de choc s’empare de toutes les couches qui découvrent des pratiques dont les acteurs cachés, mais dénichés au fur et à mesure, s’emberlificotent dans des raisonnements spécieux. Ils usent et abusent de ruses sans finesse aucune.
Pire, à force d’accumuler sans efforts, ils s’enrichissent sans cause au grand étonnement de populations médusées par les fortunes amassées et surtout déboussolées par la repoussante arrogance affichée par ces brutes encombrantes.
A la faveur de la récente publication des rapports des organismes de contrôle, des noms sont avancés, des listes s’ébruitent, des visages se découvrent, des réseaux ramifiés se révèlent. Tels des mille-pattes, certains ont des pieds partout, détiennent partout des avoirs, ont de tout un peu, parfois même beaucoup et, plus grave, acquièrent encore et encore sans gêne, sans vergogne, sans pitié. Bref, sans cœur…
Des arrivistes notoires se sont ligués à des fonctionnaires véreux, moyennant le silence coupable de hiérarchies qui « ne voient rien » mais « au courant de tout » et « palpent » de substantiels gains au détour d’une indifférence teintée de malices avec une faune de complicités « inconnues » au bataillon.
Petit à petit, des digues sont en train de céder. Du commandement territorial à la magistrature, des politiques, des parvenus et des élus, d’anciens ministres, des représentants de la haute administration aux intermédiaires véreux, de nouveaux riches sans épaisseur à des tâcherons lilliputiens paient ainsi le revers d’un système, le leur, aux antipodes de celui de l’État et de la République auxquels ils devaient une absolue loyauté et un sentiment élevé de dignité et de fierté. Que nenni !
Sans doute ces attitudes et ces comportements relèvent d’un ordre ancien devenu désormais désuets…
Ayant eu écho de ces clameurs, le Président de la République a été bien inspiré en se rendant l’autre semaine sur les lieux des forfaits pour mieux apprécier l’ampleur des suspicions dans la région de Thiès aux alentours de l’Aéroport Blaise Diagne.
Mbour 4 dit tant de nos terres, du foncier, des appétits féroces, des accaparements, des tentations, des vols et des viols organisés à une vaste échelle, des délits d’initiés et des rapports de forces futurs qui s’y développent à vitesse grand V.
Issu du corps des Impôts et domaines, le Président Diomaye mesure sous ses yeux l’étendue du désarroi, du désastre, de l’outrecuidance ou de la désinvolture des personnalités épinglées parce qu’attributaires de superficies que rien ne justifie. Absolument rien !
C’est à se demander si ces gens sont encore pourvus d’humanité, s’ils possèdent un sens du jugement ou de la modération ! Ainsi, aiment-ils leurs prochains ? Savent-ils que leur boulimie foncière prive nombre de leurs compatriotes de toit, de bien en propre, d’un « chez soi » qui leur ôte des illusions ou leur procure, un équilibre, un rang, une dignité ?
Tout le monde sait que la boulimie autour de la terre est contagieuse ? Et les zones ou les foyers de vives contestations s’énumèrent un peu partout dans le pays saisi par cette frénésie répétitive d’acquisitions. Même les forêts classées ne sont pas épargnées ! D’où l’exaspération des couches paysannes, disons populaires.
Partout le peuple sénégalais grommelle des injures. La frange la plus jeune, sabre au clair, mène le « combat » contre les grimpions, ces affidés des mauvais coups au service de « bras longs » encagoulés comme des braqueurs fantomatiques.
Autrefois, les terres servaient à la culture vivrière sur de modestes étendues. La démographie n’était pas aussi galopante qu’aujourd’hui pour justifier ou, à tout le moins, expliquer les convoitises dont elles font l’objet de nos jours. Dans les temps anciens, les superficies emblavées ne gênaient point l’éclosion des forêts, des ruisseaux, des affluents, des pâturages et des zones fourragères dans une belle harmonie dont la nature a le légendaire secret.
Ce narratif n’est plus de saison. La valeur résiduelle de la terre est passée de mode. En se démultipliant, la population sénégalaise, estimée à 18 millions d’êtres selon le dernier recensement de l’ANSD, a également engendré des héritages fantasmés.
Des appétences plus aiguës parfois, souvent plus graves, se mêlent à de féroces rivalités au sein des familles dépositaires, dans des luttes de clans, de tribus et même d’alliés appelés à la rescousses suivant l’épaisseur du portefeuille ou du carnet d’adresses et du pouvoir d’influence ou de nuisance.
Les litiges en leur sein sont à géométrie variable. En revanche, les blessures jamais guéries, mais endormies, se réveillent sous de nouvelles convulsions que d’amicales pressions familiales ne parviennent plus à étouffer ni à apaiser. Au lieu de quoi, les haines et les jalousies se donnent en spectacle.
Le désespoir explique-t-il cette déchéance des mœurs ? A quoi ou à qui attribuer ce délitement des valeurs ? Il s’inscrit dans l’âpre compétition pour la domination, le prestige et un égoïsme surdimensionné qui, hélas, entretient les guéguerres sur fond de dénigrement.
La politique se fait sur des réalités. En appréhendant mieux le phénomène foncier, les nouveaux dirigeants cernent davantage ses contours en lui appliquant les solutions idoines.
Seulement, en arrière-plan de ces crispations, se faufilent des écarts de revenus qui, en se creusant toujours plus, fissurent la société sénégalaise. Or le foncier surgit comme une nouvelle frontière de prospérité agitée par des esprits mercantiles discrètement soutenus par des « mains invisibles ».
Ce gouffre, s’il n’est pas comblé à temps, va accentuer la césure avec l’aide d’acteurs qui s’affranchissent des règles de jeu. La terre, au même titre que les ressources naturelles, pétrole et gaz entre autres, appartient au peuple qui le délègue à des dirigeants dignes de confiance, investis de missions à l’issue d’élections libres, régulières et transparentes.
Le foncier aiguise donc des appétits. Il suscite de plus en plus de convoitises souvent orchestrées par des puissances d’argent qui ne reculent devant aucun obstacle. N’est-il pas temps de se montrer moins naïf face aux dangers d’instabilité ? Le grand écart qui s’observe crée des inégalités qui s’accroissent en s’accentuant.
Des Sénégalais sont assis sur d’épais matelas financiers et se détournent ostensiblement de l’économie réelle pour privilégier les actifs spéculatifs. L’essor de l’immobilier, surtout de l’immobilier de luxe, ne s’explique pas autrement. Certains banquiers de renom n’hésitent pas à pointer l’indexe sur les réseaux de drogues qui investissent dans la pierre comme des filières-relais de blanchiment de l’argent sale.
A qui échoit le devoir d’endiguer le chaos qui se généralise et se perpétue ? « On a du mal à vivre », crient à tue-tête les Sénégalais dans une relative pudeur. Pendant ce temps, les nouveaux riches gambillent dans les hautes herbes alors que l’opinion s’attriste du spectacle des rabat-joie.