LE CHAR DU LION
EXCLUSIF SENEPLUS - Pape Bouba Diop a accompli ses devoirs. Il a offert un bonheur inoubliable au Sénégal - Il a paraphé, dans notre roman national, une empreinte éternelle. Et nous lui en serons toujours reconnaissants - NOTES DE TERRAIN
Tous les accès à la nécropole étaient bloqués. Jamais autant de vivants ne s’étaient, en même temps, rassemblés au cimetière de Dàngu. Rufisque tenait, manifestement, à rendre des honneurs mérités à l'un de ses dignes fils. Une grande partie de l’immense foule qui avait quitté les HLM s’était massée à l’extérieur du cimetière. Les gamins du coin ne voulaient rien manquer des événements. Ils ont pris d’assaut les hauteurs du mur d’enceinte. Quarante minutes après l’arrivée de la tête de cortège, une Range Rover noire est entrée dans le cimetière. Un adolescent, tout de blanc vêtu, est sorti de la voiture. C’était le fils aîné de Pape Bouba Diop. Le corbillard approchait juste derrière. Une haie informelle s’est formée. Le jeune garçon s’y est engouffré, suivi par les anciens internationaux sénégalais. Des bras solides ont porté la dépouille, encore enfermée dans un cercueil. Les murmures fuyants, des hommes présents à l’intérieur du cimetière, ont repris. Vigoureusement. « La Ilaha Ila Allah ! La Ilaha Ila Allah ! La Ilaha Ila Allah ! »
Le service funèbre avait commencé, deux heures auparavant, dans les terrains de basket et de football des HLM. Le speaker avait invité l’imam ratib, et le porte-parole de la famille, à prononcer les derniers mots. C’est le chérif Atkhana Aïdara, qui habite à quelques encablures du terrain, qui a formulé les bénédictions ultimes. Puis l’assistance a effectué la prière mortuaire, dans un silence intense. Seuls les margousiers, qui jalonnent le quartier, secoués par un vent généreux, ont continué à s’agiter. Comme une ola triste. Le ciel apaisé, et bleu, était parcouru par des feuilletés de nuages. Et l’odeur fraîche du niim se mêlait aux chatouillements du soleil. Et un air doux, chargé de poussière, embuait l’atmosphère de pudeur. Le speaker, à la fin, a rappelé : « Nous avons prié pour un Lion. » Les rangées patientes se sont dispersées, rejoignant la file unilatérale qui partait à Dàngu.
Ndefaan, sol béni. Les obsèques de Pape Bouba Diop se sont déroulées au terrain de football des HLM. Là où il rêvait, gamin, de fouler les grandes pelouses du monde. Là où il a fait ses premières classes, avec l’Asc Ndefaan. Avant de prendre du galon au Jaraaf de Dakar. Son passage en Suisse lui a fait découvrir les rudesses du métier de footballeur. En Helvétie, il jouera à Neuchâtel Xamax, à Vevey-Sports, et au Grasshopper Zurich. Quand il rejoint Lens, dans les Hauts-de-France, il est déjà un artisan du ballon, averti. Là-bas, il fera partie de cette inoubliable colonne sénégalaise, composée de Diouf, Pape Sarr, Ferdinand Coly. Dont les éloges résonnent encore dans l'ancienne cité minière. Il partira plus tard en Angleterre, à Fulham et à Portsmouth, découvrir les pelouses d’Angleterre. Qui répondent le mieux à ses impulsions artistiques. Puis, il fera une petite pige en Grèce, à l’Aek Athènes. Avant un retour en Grande-Bretagne, à West Ham, puis à Birmingham.
Une grande querelle oppose, depuis longtemps, les deux équipes des HLM de Rufisque, le quartier où a grandi Pape Bouba Diop. Mais la controverse entre Ndefaan et Takku ne trouvera jamais écho aux quatre coins du monde. Le nom de Pape Bouba Diop, lui, a fait le tour du globe. Quand on pense à l’ancien international sénégalais, quelques images fortes reviennent. Évidemment, ce but face à la France, le 31 mai 2002 à Séoul. La célébration du but avec ce maillot jeté au sol, et cette fameuse sarabande entre copains conquérants. Les deux autres buts, qu’il inscrit face à l'Uruguay, dans la même phase finale de Coupe du monde, à Suwon. Cette tête rageuse contre le Nigeria, en demi-finale de la Coupe d’Afrique des nations en 2002. C'est presque tout. En fin de compte, on ne retient pas grand-chose de Pape Bouba Diop. Mais ces minuscules exploits suffisent pour le faire entrer dans notre Panthéon.
Ce n’est pas rien de réussir une carrière professionnelle dans le football. C’est même une grande prouesse. Devant nos écrans, nous applaudissons les athlètes et parfois nous les abreuvons de toutes les médisances. Rien ne vient nous rappeler que ces hommes qui courent derrière un ballon sont des braves gars. Qui ont consenti de grands sacrifices, pour arriver là où ils sont. Derrière une carrière aboutie, qui a mené en Ligue française et en Premier league anglaise, beaucoup de sueurs propitiatoires ont été versées. Un enfant du Sénégal, qui devient footballeur professionnel, est un homme qui a gravi des sommets immenses. Qui est parti à la conquête de montagnes infranchissables. Et n’a pas échoué. Que d’efforts, de dépassements de soi, de muscles flagellés. De moments de doute. Sans compter les agacements des parents. Les contraintes financières. Les privations et les dévouements extrêmes. Parfois, les promesses foireuses d’agents cupides. Et, les footballeurs ne le disent pas, mais lorsqu’ils réussissent, et qu’ils embrassent leurs rêves, une vie quasi monastique commence.
Pape Bouba Diop a accompli ses devoirs. Il a offert un bonheur inoubliable au Sénégal. Une sorte de revanche symbolique sur l'histoire. Le vendredi 31 mai 2002 restera à jamais gravé dans les mémoires. Tous les cœurs avaient vibré d’allégresse. Le hasard l’a choisi, lui, le gamin de Rufisque. Pour marquer le but qui allait triompher de la France. En regardant une énième fois les images, on se demande, par quel mystère s'était-il retrouvé face à Fabien Barthez ? Ce jour-là, il devait veiller aux assauts du milieu de terrain français. Un corps d’élite, composé à l’époque de Youri Djorkaeff, d’Emmanuel Petit et de Patrick Vieira. Lorsque Omar Daf a chipé le ballon à Youri Djorkaeff à la 29ème minute, et a lancé El Hadj Diouf, Pape Bouba Diop a couru de toutes ses forces, encouragé par un élan supérieur, une force mystique qui devait lui dire : « Va bonhomme, c'est ton éternité de gloire ! » Il est parti, tel un soldat qui déserte ses tranchées pour mener des incursions dans le camp adverse, et revient triomphant. Aujourd’hui encore, c’est peut-être notre plus grande victoire en tant que nation.
« La mort est une victoire et quand on a bien vécu, le cercueil est un char de triomphe. » José Marti
Pape Bouba Diop n’était pas Diego Maradona. Sur le terrain, c’était un athlète qui menait des tâches ingrates. On ne pourra pas dire qu’il était de ces joueurs magnifiques, élégants ou maléfiques, que les foules adorent. Il faisait son métier. Avec beaucoup de sérieux. Il faisait partie de ces athlètes, que l’on nomme dans le foot, « joueurs de devoir ». Et en dehors des terrains, il était très réservé. À Rufisque, pendant longtemps, beaucoup se demandaient ce qu’il était devenu. Quand on voyait ses potes de 2002 se reconvertir. Les uns dans le football. Les autres dans des business différents. Il avait juste décidé de mener une existence simple. Il n’était pas bruyant. Il n’était pas politisé. Mais sa vie a capté une part de lumière. Il a paraphé, dans notre roman national, une empreinte éternelle. Et nous lui en serons toujours reconnaissants.
Retrouvez sur SenePlus, "Notes de terrain", la chronique de notre éditorialiste Paap Seen tous les dimanches.