LE PARFAIT RETOUR A L’ENVOYEUR
C’est par la voix du député Thierno Alassane Sall que les parlementaires de l’opposition disent s’opposer aux «violations répétées et délibérées du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale».

L’opposition parlementaire avait décidé de boycotter la session de «Questions au gouvernement» qui sera malheureusement reportée, suite à la disparition du Khalife général des Layènes. La rencontre est programmée de nouveau pour lundi, mais après les premiers exercices de ce supposé échange sous ce nouveau régime, on peut présager qu’invectives, menaces plates, outrages et enfumages auront encore la part belle. Triste de penser de la sorte d’un des rouages du système démocratique ! Mais quand tout se nivelle par le bas dans une cité, on ne peut attendre des échanges de nos consuls que des ragots mal nourris, des brèves de comptoirs et des discours trempées d’inexactitudes.
C’est par la voix du député Thierno Alassane Sall que les parlementaires de l’opposition disent s’opposer aux «violations répétées et délibérées du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale». Au banc des accusés, tous les doigts de la nouvelle opposition indexent le président de l’Assemblée nationale, M. El Hadj Malick Ndiaye, lui reprochant d’agir comme un «surveillant de camp», bafouant les équilibres dans la représentativité et le fonctionnement serein du Parlement. On peut comprendre que dans une Assemblée nationale où Pastef détient une majorité écrasante, mêlant fonctionnement mécanique, dynamique belliciste et postures outrancières, les forces d’opposition peuvent trouver beaucoup de mal à se faire entendre. Si le président du Parlement pèse de son poids dans l’interprétation du Règlement intérieur, la mise en avant de ses alliés et son gouvernement, ainsi que la quête de faveur envers ses camarades de parti, l’équilibre est vite rompu. Cela annihile toute balance démocratique entre les forces en concurrence, faisant de l’Assemblée nationale une caisse de résonance d’un Etat-parti, au lieu d’être un prétoire où toutes les voix se font entendre et où tous les maux du pays sont conjurés.
La soumission totale à l’Exécutif que l’opposition reproche au Parlement sénégalais a de quoi tordre le jeu démocratique. On nous explique qu’avec les «Questions au gouvernement», tout est mis en œuvre pour offrir au Premier ministre Ousmane Sonko, une tribune pour tirer sur tout ce qui bouge, cogner les crânes qui dépassent d’un cheveu et satisfaire une base militante, toujours dans la ferveur des premiers lendemains d’une «révolution». En lieu et place des échanges d’idées, c’est une foire d’invectives et de règlements de comptes qu’on note au Perchoir. On ne manquera pas, avec cette nouvelle législature, de voir des ministres acculés par les députés de leur propre majorité sortir de leurs gonds et user d’un langage qui surprend. Si l’on se combat autant dans la même armée, les ennemis n’ont qu’à bien se tenir.
Le vice est tellement poussé dans cette volonté de ne pas créer d’équilibre que dans les temps de parole alloués aux différents protagonistes, tout est fait pour que le chef du gouvernement ait la latitude d’ergoter alors que ses contradicteurs se partagent des tours de parole d’une brièveté sidérante. Un peu d’élégance aurait aidé à donner un semblant démocratique et des relents d’échanges lucides d’idées et d’arguments, mais tout amène à se faire à l’idée qu’au Sénégal, tout détenteur d’une once de pouvoir ou d’autorité se doit d’écraser et de mettre au pas tout ce qui l’entoure. Pire est le sort de ceux qui n’obéissent guère !
Le boycott des «Questions au gouvernement» est un acte, avec les arguments qui le motivent pour l’opposition, à encourager. Tant qu’à ne pas s’entendre et échanger dans des logiques conviviales, mieux vaut rompre tous les ponts pour un moment. Et ce ne serait pas un crime de lèse-majesté que de retourner un tel signal au Premier ministre Sonko. Ses passages au Parlement ont été rythmés par des actes de défiance aux autorités de l’époque et il n’aura usé de ses interventions qu’au service de ses propres gains et intérêts politiques. Si des opposants, après deux exercices de ce type, trouvent que les règles du jeu sont faussées dès le départ, ils sont libres de s’inspirer du chapelet d’œuvres anti-conformistes et d’actions de résistance laissé par le chef du parti Pastef lors de la 13e Législature. Il aura demandé la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire en refusant de déférer devant celle-ci. Il aura boycotté des interventions de membres du gouvernement. Il se sera battu avec un député, «Douma nako» (je l’ai battu) ne peut s’oublier si vite ! Il aura servi sans gêne des coups de gueule assassins. Si dans une Assemblée comme le Parlement sénégalais, les députés ne peuvent guère ouvrir leur bouche, rien ne sert d’y débattre. La vie ici-bas est une belle foire d’échanges équivalents, les retours à l’envoyeur ont le charme de ne porter que toutes les tares et qualités des expéditeurs.
PS : Le Sénégal a perdu en moins d’une journée, le Khalife général des Layènes, Mouhamadou Makhtar Laye, et le président du Conseil constitutionnel, le juge Mamadou Badio Camara. Je tiens à m’incliner devant leur mémoire et saluer ces deux grands Sénégalais qui auront, chacun à sa manière, contribué à faire de cette terre l’îlot de stabilité qu’elle est.