LES VRAIES VICTIMES D’UNE INSTABILITE POLITIQUE
Hier, à la suite de l’annonce de la manifestation prévue par Aar Sunu élection, même si elle a été interdite et que l’organisation a décidé de se soumettre à la décision du Préfet, la ville de Dakar avait des airs de week-end.
Hier, à la suite de l’annonce de la manifestation prévue par Aar Sunu élection, même si elle a été interdite et que l’organisation a décidé de se soumettre à la décision du Préfet, la ville de Dakar avait des airs de week-end. La circulation était fluide aussi bien au centre-ville qu’en banlieue, et beaucoup de commerces avaient baissé leurs rideaux à l’avance. La veille déjà, plusieurs établissements scolaires avaient prévenu les parents que les cours ne pourraient avoir lieu, au grand dam des tout-petits qui étaient impatients d’étrenner leurs tenues de «Mardi Gras»
Le Train express régional (Ter) également avait prévenu ses usagers la veille que ses rotations risquaient de connaître de fortes perturbations, tout en demandant à ses abonnés de prendre des mesures de rechange. Le Brt, qui devait commencer sa circulation commerciale, a dû la repousser. Sur l’autoroute à péage, entre Dakar et Diamniadio, il n’y avait quasiment pas de bouchon, chose assez inhabituelle à certaines heures. Quant à la société de transport en commun Dakar Dem Dikk, elle avait déjà suspendu ses rotations dès le lundi, et n’a pas non plus repris hier mardi, en attendant de voir comment la situation allait évoluer. On ne parle pas ici de l’interruption des données mobiles d’internet et des désagréments occasionnés aux usagers. C’est dire qu’il suffit de peu, parfois juste une annonce de manifestation, pour bouleverser la vie des Sénégalais.
Depuis 2021, on a déjà pu se rendre compte que les manifestations, même dites pacifiques, entraînent souvent des dégâts importants. Chaque fois que des leaders politiques, en particulier de l’opposition ou de la société dite civile, genre Y’en a marre ou F24, en appellent à un rassemblement ou une marche, si elle n’a pas été autorisée, ce sont des échauffourées qui font souvent des victimes. Entre 2021 et 2024, ce sont près de 60 personnes qui ont perdu la vie du fait des confrontations violentes avec les Forces de défense et de sécurité. Pour la plupart, des jeunes gens dans la fleur de l’âge, et porteurs de bien d’espoirs pour leurs familles et proches. Et surtout, des vies perdues pour des raisons que bien des victimes n’ont pas comprises.
Cela ne peut se comparer à rien d’autre, et surtout pas à des biens matériels. Il n’empêche que certaines victimes vivantes se sont senties mourir devant l’ampleur de leurs pertes matérielles. Que dire de ces tenanciers d’échoppes dont les commerces sont emportés dans les flammes de la furie de certains manifestants, incapables d’atteindre les «forces de l’ordre» trop puissamment armées pour eux ? Que penser de ces employés de stations-services, qui se retrouvent quasi systématiquement en chômage technique chaque fois que les pillards s’en prennent à leur commerce ? Ce sont des variables d’ajustement, quand le patron doit faire la part de ce qu’il va passer par pertes et profits, sachant que les assurances ne bougeront pas le petit doigt pour des pertes occasionnées par des émeutes.
On a souvent parlé des conséquences économiques des manifestations violentes. Toutes les sociétés de services qui se retrouvent en panne d’internet à la suite de la décision de l’Etat de suspendre les données mobiles, ou carrément internet, comme on l’a vu en juin 2023, ratent parfois des marchés cruciaux pour leur survie. Et perdent même des moyens d’une future expansion.
L’instabilité politique engendre une insécurité sociale et économique. Face à un avenir instable, quel investisseur viendrait s’engager dans des projets économiques dans un environnement incertain ? A moins qu’il ne soit un vendeur d’armes ou de drogues, ce qui est loin d’être bénéfique pour aucun pays. A une époque, les Sénégalais ne s’en inquiétaient pas trop, dans l’idée que leur pays est trop pauvre pour attirer de gros investissements. On ne cassait pas grandchose, parce qu’il n’y avait pas grandchose à casser par ailleurs. Mais les choses ont considérablement changé depuis quelques années. Le Sénégal est en train de sortir de l’économie agricole pour entrer dans l’économie extractive. Et c’est un domaine où les retours sur investissements se calculent en milliards.
Dans un environnement pacifique, il est facile de faire en sorte que tous les partenaires profitent de la manne. Mais si l’instabilité est grande, ce sont les populations locales qui perdent doublement. Elles n’ont pas la paix et voient leurs ressources leur filer sous le nez, les laissant encore plus pauvres. Et les exemples ne manquent pas que l’instabilité dans nos pays pauvres ne chasse pas les requins de la finance. La guerre contre les djihadistes n’empêche pas l’exploitation de l’or du Mali et du Burkina. L’instabilité chronique et les morts du Nord Kivu et de l’Est du pays n’empêchent pas les grandes compagnies étrangères de trouver leur chemin vers les nombreuses richesses minières du Congo Kinshasa. Nous pouvons aussi être sûrs que même si nous brûlons ce pays, les compagnies étrangères continueront à venir exploiter notre zircon, notre or et notre fer au Sud-Est, ainsi que le pétrole et le gaz de notre littoral.
Les seuls vrais victimes dans une instabilité du pays seront les Sénégalais.