LETTRE OUVERTE À L’INTERNATIONALE LIBÉRALE
Quel intérêt avez-vous à esquiver la dictature sanguinaire du régime? Ce n’est parce que M. Ousmane Sonko ne se réclame pas du libéralisme que les libéraux ne doivent pas le défendre
Chers membres du bureau,
Vous avez publié le 4 juin 2023, une déclaration sur les troubles politiques au Sénégal. Dans celle-ci, vous avez, notamment, regretté la violence et les pillages. Vous avez aussi présenté vos condoléances aux familles et aux proches des personnes décédées, souhaité un rétablissement pour les blessés, avant d’implorer toutes les parties concernées d'exprimer leurs opinions de manière pacifique et non violente. Même si je suis en phase avec ce que vous avez déclaré, il n’en demeure pas moins que votre déclaration est révoltante pour le libéral indépendant que je suis. Elle peut se comprendre venant d’un pays qui gère ses intérêts, mais pas de l’Internationale libérale. Étonnement, vous n’avez pas fermement condamné les violations répétées des principes qui régissent l’État de droit ainsi que les tueries, par armes à feu, perpétrées par la police, la gendarmerie et la milice armée du président du Sénégal. Quel intérêt avez-vous à esquiver la dictature sanguinaire du régime?
Chers membres du bureau, vous n’êtes pas sans savoir que depuis son accession au pouvoir, le président Sall, un des patrons de l’Internationale libérale, n’a cessé de violer, impunément, les fondamentaux même du libéralisme, en bafouant l’État de droit. En effet, aussi surprenant que cela puisse être, dès 2012, il avait publiquement déclaré sa volonté de « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». Dès ce moment, l’Internationale libérale se devait de le recadrer, mais elle a laissé faire sans réagir. Cette complicité tacite a encouragé le président Sall dans la voie effrénée de la dictature.
Les prémices de son autoritarisme ont débuté, d’abord, par la modification du Code électoral de son pays pour permettre l’exclusion des opposants condamnés par la justice, même pour une peine en cas de diffamation, avec sursis, d’une durée supérieure à 3 mois. En effet, les articles 29 et 30 dudit Code sont devenus le socle sur lequel le président Sall s’est appuyé pour intenter des procès aux opposants les mieux placés pour le battre. À l’aide d’une justice à lui soumise, il les fait condamner à une peine d’inéligibilité qui les exclue de facto du jeu électoral. C’est le cas de Karim Wade, fils de l’ancien président libéral Abdoulaye Wade et de Khalifa Sall, ancien maire de Dakar. Fait inédit, au Sénégal, un opposant peut perdre ses droits civiques, sans une décision express d’un juge. Depuis mars 2021, le président Sall a dans sa ligne de mire, M. Ousmane Sonko, son principal opposant. Mais la tentative d’exclusion de ce dernier du jeu électoral s’est révélée une tâche ardue, avec une vaillante résistance de la jeunesse sénégalaise, plus que jamais décidé à protéger l’homme politique le plus populaire de l’histoire politique du Sénégal. C’est cette tentative de liquidation qui continue d’occasionner des morts, des blessés, des emprisonnements ciblés et le déni de justice dont le président Sall est le principal responsable.
Ensuite, il a instauré un système de parrainage de candidats aux élections qui lui permet de sélectionner ceux qui doivent compétir aux élections. Du fait de cette sélection absurde, le Sénégal est, à ce jour, le seul pays au monde ou aucun candidat de l’opposition n’est sûr de participer à l’élection présidentielle. Il a enfin instauré une impunité totale pour les membres de sa famille, ses partisans et ses courtisans. Ceux-ci peuvent violer la loi à leur guise, sans être inquiétés par la justice. Dès lors, la justice sénégalaise ne s’intéresse qu’aux opposants, aux journalistes sérieux et aux médias indépendants. Il n’est pas donc étonnant que le népotisme, la corruption et le détournement des deniers publics aient atteint des niveaux jamais égalés au Sénégal.
Pour boucler le tout, il a étouffé la liberté d’expression et bafoué l’État de droit, notamment en :
- brimant les médias indépendants ou proches de l’opposition politique, particulièrement le groupe Walfadjri dont le signal d’émission a été coupé à plusieurs reprises (ce groupe de presse subit actuellement une répression financière qui menace sa survie);
- restreignant la liberté de presse et d’opinions en mettant dans l’insécurité ou en emprisonnant les journalistes et les chroniqueurs indépendants ou proches de l’opposition (c’est le cas de Pape Alé Niang, Pape Ndiaye, Serigne Saliou Gueye, Thioro Mandela, Cheikh Bara Ndiaye et j’en passe);
- emprisonnant des membres de la société civile ( l’un d’eux M. Dame Mbodj a échappé à une tentative d’assassinat lorsque 7 coups de feu ont été tirés sur sa voiture alors qu’il venait d’émettre son opinion sur une télévision réputée proche du régime);
- interdisant illégalement l’accès de l’opposition politique aux médias d’État;
- faisant du droit de manifester une exception, au lieu d’un droit tel qu’inscrit dans la Constitution par l’ancien Président Abdoulaye Wade (Libéral);
- utilisant une justice aux ordres pour éliminer la liste des candidats nationaux de l’opposition politique aux dernières élections législatives, empêchant ainsi M. Ousmane Sonko, chef de l’opposition, de se faire élire au Parlement, sans doute pour lui ôter de l’immunité parlementaire et faciliter son arrestation éventuelle;
- restreignant les réseaux sociaux et même coupant Internet, comme ce fut le cas lors des récents évènements.
Qui plus est, la police, la gendarmerie et des hommes en civil (milice armée du parti au pouvoir) torturent et tuent des manifestants avec impunité. Les réseaux sociaux regorgent d’images de la milice armée du régime, circulant à bord de véhicules 4X4 sans plaque d’immatriculation ou opérant à côté de la police et de la gendarmerie, tirant à balles réelles sur les manifestants ou les torturant. Plusieurs vidéos montrent la police et la gendarmerie tirant à bout portant sur les manifestants, en violation flagrante des normes sur le maintien de l’ordre public. D’autres vidéos montrent la police, la gendarmerie et la milice armée de l’Alliance pour la République du président Sall pourchassant les manifestants et tirant à balle réelle sur des maisons privées.
À plusieurs reprises au cours des manifestations de mars 2021 et de juin 2023, la milice armée du régime, armés de fusils d’assaut a été filmée pourchassant les manifestants et, dans plusieurs cas, leur tirer dessus. Dans certaines de ces vidéos, des agents de police et/ou de gendarmerie étaient présents à leurs côtés, mais ne sont jamais intervenus pour mettre fin à la violence; la milice du président Sall est venue leur donner un renfort dans le maintien de l’ordre public en violations de tous les principes qui régissent une république. En outre, jamais la justice sénégalaise n’a ouvert une enquête sur le massacre et les tortures de manifestants par la police, la gendarmerie et la milice armée, composée de nervis du pouvoir.
Par ailleurs, la Section Sénégal d’Amnistie Internationale a, à maintes reprises, dénoncé les dérives autoritaires du pouvoir en place à Dakar. Dans le même ordre d’idées, le département d’État des États-Unis dans son rapport 2022, avait fait un diagnostic sans complaisance de la situation des droits humains au Sénégal. Le rapport a noté que : «Parmi les problèmes importants en matière de droits de l’homme, on peut citer des rapports crédibles faisant état d’assassinats illégaux ou arbitraires ; torture ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par le gouvernement ou en son nom ; conditions de détention difficiles et dangereuses pour la vie ; arrestations ou détentions arbitraires ; prisonniers ou détenus politiques ; problèmes graves liés à l’indépendance du pouvoir judiciaire ; corruption grave au sein du gouvernement...». Ces actes inhumaines et dégradantes sont à la fois condamnables, intolérables et inexcusables, surtout dans un pays jadis considéré comme le berceau du libéralisme en Afrique et une vitrine de la démocratie. En outre, la 20e édition du Classement mondial de la liberté de presse établie par Reporters sans frontières classe le Sénégal au 73ème rang sur un total de 180 pays, soit un recul de 24 points par rapport à 2021. Dès lors, se pose la question de savoir comment un président se réclamant du libéralisme peut gouverner aux antipodes des valeurs libérales. Il faut savoir que M. Sall est entré en politique comme membre d’un parti communiste avant de rejoindre le Parti Démocratique Sénégalais. C’est donc tout naturellement qu’il est revenu à ses convictions communistes comme en atteste son proche entourage, majoritairement composé de socialistes et de communistes de tous bords. Ce n’est pas donc étonnant qu’il dirige le Sénégal avec des pratiques staliniennes aux antipodes des valeurs libérales dont nous nous réclamons.
Chers membres du bureau, je vous rappelle que la cause de toutes les violences politiques au Sénégal sont dues à deux principales raisons :
- La détermination du président Sall, de son gouvernement et de la justice à éliminer M. Sonko de la course aux élections présidentielles du 25 février 2024, et ce en trois étapes : a) le rendre inéligible, b) le mettre en prison pour éviter qu’il ne batte campagne pour un autre candidat, et c) dissoudre son parti, dénommé Pastef.
- La volonté affichée, mais non déclarée à ce jour, du président Sall de briguer une troisième candidature, en violation non seulement de la constitution qui stipule en son article 27 que « nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs », mais aussi de ses déclarations publiques.
Pour se défendre sa dictature, le régime a recours à des mensonges d’État enrobés en éléments de langage distillés par des journalistes et chroniqueurs alliés. Mais la presse internationale a commencé à s’en démarquer. En guise d’illustration, la télévision française, France 24, a récemment démenti, démonstration vidéo à l’appui, le ministre de l’Intérieur et la police qui avaient affirmé que les éléments de la milice armée du régime étaient des forces occultes (Enquête sur les « nervis du pouvoir » - Vidéo Dailymotion).
Un autre élément de langage pour justifier la dictature est que le discours politique a changé depuis l’arrivée de Sonko sur la scène politique. C’est ainsi qu’être membre ou proche du chef de l’opposition est devenue un crime de lèse-majesté. Des hommes d’affaires qui lui sont proches sont soit en prison ou ont vu leur business détruit par la police ou gendarmerie, et ce, sans aucune décision de justice. L’appel à la résistance de M. Sonko, un droit reconnu par la Constitution, a été faussement interprété comme un appel à insurrection. Un délit que la justice aux ordres pourrait utiliser pour dissoudre Pastef. Telle la radio Mille Collines du Rwanda, une miséreuse page Facebook dénommée « Anita Diop » viole impunément la vie privée et publie des listes de personnes que la police s’empresse d’arrêter et que les juges placent systématiquement sous mandat de dépôt.
Chers membres du bureau, il est donc étonnant et absurde que l’Internationale libérale ait accepté à son sein des dictateurs sanguinaires, de la trempe du président Sall. Ce dernier est devenu une honte pour le monde libéral. C’est peut-être pour cette raison qu’il n’a pas été invité, comme d’habitude, au récent sommet du G7. Sa présence, aux côtés des membres de ce forum de démocrates et de libéraux, aurait été très gênante.
Même si un calme précaire règne actuellement, des images montrent que les Sénégalais continuent de manifester à l’étranger, notamment aux États-Unis, au Canada, en Suisse, en Italie, en France et en Angleterre pour dire non à l’instrumentalisation de la justice pour éliminer M. Sonko et à la dictature sanguinaire du faux libéral M. Macky Sall. En écrivant cette lettre, je suis conscient que je cours le risque, une fois au Sénégal, d’être arrêté, torturé ou tué pour avoir émis une opinion à lui défavorable au pouvoir. Les prisons du pays sont actuellement remplies de gens dont le seul tort était d’émettre leurs opinions sur les réseaux sociaux ou d’être un partisan du parti Pastef d’Ousmane Sonko. La situation du pays peut se dégrader à tout moment. Il suffit 1) que le pouvoir envoie M. Sonko en prison, 2) que le Conseil Constitutionnel invalide sa candidature ou 3) que le président Sall annonce sa candidature, pour que les manifestations violentes et le massacre reprennent.
Chers membres du bureau, l’Internationale libérale doit sauvegarder sa réputation en continuant de rester le forum avant-gardiste pour le respect scrupuleux de la démocratie et des droits humains. Les dictateurs, fussent-ils des chefs d’États, n’ont pas et ne doivent pas avoir de place dans cet excellent forum. La dictature du président du Sénégal a atteint un point tel que sa mise en accusation devant la Cour pénale international est en cours de constitution par des avocats. Le président Sall risque donc d’être le premier patron de l’International libérale à être accusé de crimes contre l’humanité. Advenant le cas, ce serait une honte pour tous les libéraux du monde et une décrédibilisation certaine de l’International libérale. De même, continuer d’accepter un dictateur sanguinaire comme un patron de l’Internationale libéral est un déshonneur pour notre philosophie politique; c’est même une honte. Les auteurs de la Magna Carta, ceux du Manifeste d’Oxford de 1947 et ses successeurs sont certainement en train de se remuer dans leur tombe. J’ose espérer que l’International libérale sera aux côtés du peuple sénégalais, meurtri et opprimé, pour dénoncer vigoureusement la dictature affichée du président Macky Sall et son régime de terreur. J’attends du Bureau de l’International libérale qu’il envoie une délégation au président Sall pour le ramener à la raison et lui demander, entre autres:
- la levée du blocus, sans décision administrative ou de justice, du domicile et du quartier de l’opposant principal Ousmane Sonko;
- la fin des arrestations massives à la suite des manifestations et à libérer les membres de la société civile et de l’opposition arbitrairement arrêtés;
- la libération des journalistes indépendants et de tous les prisonniers politiques;
- le renoncement à sa volonté de déposer une troisième candidature que lui interdit la Constitution;
- l’organisation d’élections inclusives, y compris M. Ousmane Sonko;
- la cessation de toutes les violations des droits de l’homme au Sénégal;
- une enquête rapide, approfondie, impartiale, efficace et transparente sur tous les cas de violations des droits humains commises par les forces de l’ordre et des milices armées, y compris les meurtres et les blessures de manifestants; et
- de se conformer au Manifeste de l’internationale libérale.
À défaut, le Bureau pourrait gentiment lui rappeler les fondamentaux du libéralisme et suspendre ou exclure son parti de l’International libérale. Ce n’est parce que M. Ousmane Sonko ne se réclame pas du libéralisme que les libéraux ne doivent pas le défendre. En s’abstenant de le défendre, nous aurions trahi notre philosophie politique. J’ose espérer que ce ne sera pas le cas.
Veuillez agréer, Mesdames, messieurs, l’expression de mes sentiments fraternels et libéraux.
Djibril Sambou est ancien vice-président de la Fédération internationale des jeunesses libérales (IFLRY 1995-1999)
NB : Cette lettre a été rédigée en 2 langues : anglais et français.
Copie :
- Secrétaire Général de l’Internationale libérale
- First patrons de l’Internationale libérale
- National Democratic Institute
- Groupe canadien de l’Internationale libérale
- Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe
- Président Fédération Internationale des Jeunesses libérales
- Secrétaire Général Fédération Internationale des Jeunesses libérales