METTRE NOTRE ARGENT DANS LES DECHETS
Au-delà de tout cela, nos dirigeants ont sans doute oublié que d’autres pays ont expérimenté, toujours au forceps, ce principe de forcer les populations à prendre en charge le nettoiement de leur cadre de vie.

Samedi dernier, le président de la République et son Premier ministre ont, chacun de son côté, procédé au rituel du nettoiement de certains coins de nos cités, officiellement dénommé Setal sunu reew. Un programme qui avait connu un certain engouement à ses débuts, mais qui, depuis, a connu une certaine lassitude. La preuve en est que ses initiateurs ont décidé de faire une pause après 9 semaines, afin de réfléchir au moyen de relancer l’activité. Le Président a parlé de «réévaluer le programme» afin de le rendre pérenne et plus efficace. A Louga où il se trouvait, le Premier ministre a parlé de «changement de paradigme» pour permettre à des jeunes impliqués «d’accéder à des activités génératrices de revenus». Comme on avait applaudi l’initiative, on ne peut qu’applaudir encore plus fort la volonté de remise en cause.
Cela signifie au moins que les gens se sont posé la question de l’utilité de ce qu’ils sont en train de faire. Car il est établi qu’ils n’ont pas, avec leur initiative, inventé la roue. La volonté de rendre propre notre environnement n’a pas attendu le nouveau pouvoir. Quand ils accompagnent leur activités de la chanson «Set» de Youssou Ndour, ils doivent ne serait-ce qu’implicitement, reconnaître que le mouvement Set setal dans tous les quartiers de nos zones urbaines, date des années 1990, avec la sortie de cette chanson, qui a vu les Associations sportives et culturelles (Asc) des quartiers rivaliser de propreté, pour embellir leur cadre de vie. Si le mouvement s’est essoufflé avec le temps, c’est parce qu’il a manqué d’appui institutionnel. Ni Abdou Diouf ni Abdoulaye Wade n’ont su canaliser les mouvements des jeunes et profiter de leur dynamisme.
Après ce long intermède du mouvement Set setal, le Président Macky Sall a amené avec lui ses «cleaning days», les journées nationales du nettoiement, visant toujours le même but : rendre le Sénégal plus propre. On doit se rendre à l’évidence que si ce mouvement avait été une réussite, l’actuel duo au pouvoir ne viendrait pas avec son Setal sunu reew pour faire oublier les «Bësup setal». Tous ont négligé l’implication des citoyens dans leurs initiatives pensées de trop haut.
Au-delà de tout cela, nos dirigeants ont sans doute oublié que d’autres pays ont expérimenté, toujours au forceps, ce principe de forcer les populations à prendre en charge le nettoiement de leur cadre de vie. Nous ne rappellerons pas Pol Pot au Kampuchea démocratique, qui avait transposé le principe de la Chine de Mao Zedong. Ces gentils dirigeants, pleins de sollicitude pour leur population, ont pu séduire Mobutu Sese Seko au Zaïre, qui a créé le «Salongo» pour contraindre toute sa population, des fonctionnaires des bureaux aux petits élèves des écoles primaires, à se mettre au nettoyage. Même les ministres étaient tenus de s’y soumettre. Mais comme dans tout système où règne la corruption, cette politique n’a duré que le temps où le dictateur s’y est intéressé. Quand il a tourné son attention vers d’autres buts, le pays est (re)devenu l’un des plus négligés du continent. Il n’empêche que Kagame a repris le flambeau où Mobutu l’avait laissé tomber, et lancé le principe d’«Umuganda». Chaque dernier samedi du mois, dans la matinée et jusqu’à 15h, tout le monde sort, se retrousse les manches et prend, qui son balais, qui son râteau, et le nettoyage de la ville commence. L’homme fort est encore solidement vissé à Kigali et permet au système de continuer. Souhaitons au Peuple rwandais qu’il ait pu faire en sorte de perpétuer cet esprit de propreté qui rend aussi belle la ville de Kigali.
Il est évident que le système politique ainsi que le tempérament du Peuple sénégalais ne pourraient s’accommoder des contraintes qu’imposent les dictateurs à leurs populations. D’où sans doute la trouvaille de notre Premier ministre de créer des Gie de jeunes pour renforcer les programmes de Setal. On se demande bien comment il pense pouvoir initier des activités génératrices de revenus pour ces groupements de jeunes. Compte-t-il leur apprendre à fabriquer des balais ou des brouettes qu’ils mettront à la disposition de ceux qui vont nettoyer nos rues ?
Il ne s’agira certainement pas de remplacer la Sonaged par ces associations. Même s’il est de notoriété publique que cette société d’Etat a de sérieuses difficultés pour rémunérer ses actuels partenaires dont le travail justement, consiste à maintenir propre le cadre de vie, elle dispose néanmoins de l’expertise et des ressources humaines formées à la tâche. Remplacer cela par des jeunes oisifs, même s’ils sont à la recherche d’emploi, ne sera pas aussi aisé que l’on pourrait le croire. Le meilleur moyen serait plutôt de doter cette entreprise de suffisamment de moyens pour lui permettre de revaloriser le traitement de ses employés et ne pas les laisser à l’état de misérables.
Il est assez difficilement à concevoir, et surtout à accepter, que la propreté de notre pays fasse l’objet de débats et de politique politicienne. Depuis que les politiques d’ajustement structurel ont affecté des entreprises comme la Sias, pour ceux qui s’en rappellent, nos dirigeants n’ont plus jamais retrouvé la meilleure formule pour offrir un cadre de vie digne des ambitions des Sénégalais pour leur pays. Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent. C’est un ancien ministre de l’Environnement, M. Thierno Lô, qui disait, je cite, «il y a à boire et à manger dans les ordures». Cela devrait être vrai, si l’on entend des personnalités qualifier les déchets de «Or dur». Pourtant, le traitement fait à nos cantonniers ou aux trieurs de Mbeubeuss ne le laisserait pas penser. Cela pousse nos jeunes gens à penser qu’il faudrait avoir raté sa vie pour s’adonner au métier de cantonnier. Or, dans un pays comme la Belgique par exemple, la profession est réservée aux nationaux. Les émigrés n’ont plus le droit d’exercer, tellement le traitement salarial est valorisant. Pourquoi ne ferions-nous pas pareil ?
Il faudrait d’abord que nos dirigeants fassent sortir la politique du nettoiement, et consacrent les moyens et les ressources engendrés à l’éducation des citoyens à la propreté. Apprendre aux gens à ne pas salir, n’est-ce pas le meilleur des moyens de nettoyer ? L’intérêt sera alors de voir notre Exécutif consacrer son énergie à des questions plus importantes et moins triviales, comme le moyen de se passer de l’aide étrangère, tel que l’a rappelé hier le Premier ministre Sonko. Il en a d’autant besoin, lui qui, sous prétexte d’aller nettoyer un petit espace à Louga, a mobilisé une vingtaine de grosses cylindrées, parmi les plus puissantes, pour faire un aller-retour sur nos routes cabossées. Il a voulu réduire les niches de gaspillage, notamment dans les voyages internationaux, en imposant une certaine austérité aux fonctionnaires. Mais mobiliser tant de véhicules, avec un nombre conséquent de serviteurs de l’Etat, pour soulever quelques pelletées de terre devant les caméras de télévision, dépêchées spécialement de Dakar pour l’occasion, est-ce une méthode rationnelle d’utilisation des ressources de l’Etat ? Surtout quand on se dit que de son côté, le président de la République consacre autant de moyens, sinon plus, à faire la même chose, juste pour les belles caméras des télés et des sites d’information.