NOURRIR LES SENEGALAIS, LEUR DONNER DU TRAVAIL
Il ne faudrait pas ôter de son esprit que la Css est le fleuron de l’économie sénégalaise. Si la ville de Richard-Toll connaît son actuel rayonnement, si la vallée du fleuve est tant soit peu attractive, la compagnie de Mimran y a joué sa part
Parmi les produits de première nécessité dont les prix ont été gelés, se trouvent le pain, la farine de blé, le riz et le sucre, entre autres. Depuis le mois de juin, ladite baisse devrait entraîner un manque à gagner d’environ 60 milliards pour l’Etat sur le plan de la fiscalité. Le Secrétaire général de la présidence de la République, M. Al Aminou Lô, qui annonçait ces mesures en ce mois de juin, en sus de se féliciter de promettre des mesures strictes de contrôle sur la stabilité des prix, assurait que le pays ne souffrirait pas de pénurie en ce qui concernait ces produits.
Par ailleurs, leur effet d’entraînement sur d’autres produits était quasiment garanti, à en croire l’ancien Directeur national de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao). On a vu, quelques jours après, les meuniers du Sénégal vouloir s’essayer à une entente pour imposer une petite hausse marginale sur le prix de la farine, en avançant comme motif une certaine augmentation des prix sur les marchés internationaux. La réaction du gouvernement a été quasi-immédiate pour remettre ces commerçants et industriels sur le droit chemin.
Le ministère du Commerce leur a imposé d’appliquer les prix sur les produits importés, en assurant que les autorités étaient bien informées des véritables marges que ces industriels faisaient sur les produits, et qu’ils risquaient des sanctions bien sévères, étant donné que leurs véritables marges étaient connues des pouvoirs publics. Et comme pour leur donner raison, les velléités d’entente frauduleuse ont fait long feu.
Est-ce pour autant que les prix des denrées sont tous officiellement restés à la baisse ? Si les commerçants semblent se féliciter de la stabilité des prix de certains produits, certains ne cachent pas leurs difficultés à acquérir certains produits. Sur certains marchés de Dakar, le riz local dit Riz Walo, qui était déjà un produit de niche, devient encore plus difficile à trouver. La conséquence est que le sac de 25kg frôle les 25 000 francs Cfa, contrairement aux 9000 francs qu’il coûtait l’année dernière à la même période.
Dans le même temps, on nous annonce que les intrants tels que les engrais et les semences ont baissé de prix, grâce aux fortes subventions des pouvoirs publics. L’Etat s’était même vanté d’avoir épongé les dettes dues aux opérateurs privés stockeurs sur trois campagnes agricoles. Ces derniers, bien que satisfaits, ont relativisé en parlant de reliquat au moins aussi important que les arriérés déjà payés. Cette situation pousse certains paysans à se demander si la campagne agricole actuelle -la première du nouveau régime- ne va pas présenter des chiffres similaires à toutes celles qui l’ont précédée.
«On risque d’avoir le gouvernement qui va se féliciter d’avoir réussi des chiffres record en termes de certains produits agricoles, alors que dans le même temps, ces mêmes produits seront quasiment introuvables sur les marchés. Ou alors, ils seront à des prix assez inaccessibles pour le Sénégalais moyen», déclare un représentant des agriculteurs du Baol. Ce producteur d’arachide a illustré son propos par les chiffres de la production d’arachide que les différents ministres de Macky Sall balançaient d’année en année. «Si on prenait leurs chiffres pour argent comptant, on pourrait croire que le riz local est l’aliment de base de tous les Sénégalais, et que les gens le trouvent dans tous les points de vente.»
C’est le même scénario qui se présente pour les autres produits dernièrement homologués. La baguette de pain consommée par les Sénégalais semble avoir subi une forte cure d’amaigrissement, alors que son prix n’a pas bougé. Malgré tous les efforts de l’Etat, la production de sucre et de blé est condamnés à prendre la hausse ; et il sera difficile à l’Etat d’imposer une quelconque politique.
Le Brésil, l’un des plus grands pays producteurs de sucre et le premier exportateur, est en train de faire face à des incendies de forêt qui en sont arrivés jusqu’à menacer de grandes villes comme Rio de Janeiro. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour que ces incendies n’en viennent pas à ravager de grandes agglomérations. Néanmoins, les autorités brésiliennes se débattent pour que les grands domaines agricoles ne soient pas affectés également. Il ne s’agit pas que du sucre qui pourrait subir les incendies. Le Brésil est aussi, entre autres, l’un des plus importants producteurs de café.
Pour ce qui est du sucre, les prévisions des spécialistes étaient, le mois dernier, de 18 millions de tonnes brûlées. Si l’on compare avec les 150 000 tonnes de sucre du Sénégal, on peut voir où se trouve le Sénégal. Cela explique d’ailleurs l’acharnement de l’industriel national, la Compagnie sucrière sénégalaise (Css), à vouloir protéger la petite production nationale. Si le pays produit du sucre, il comprend aussi de nombreux négociants qui s’approvisionnent sur le marché international. Ces négociants souhaiteraient une libéralisation totale de la commercialisation du sucre dans ce pays. Leur argument a toujours été que les consommateurs sénégalais ne s’en porteraient que mieux, en trouvant tout ce dont ils ont besoin sur le marché international, et souvent à meilleur prix. Des circonstances comme ces incendies géants qui affectent le Brésil, démontrent que le discours de ces commerçants locaux et de leurs partenaires est juste un calcul d’apprenti-sorcier.
Pour protéger son propre marché, le Brésil a déjà fortement réduit ses exportations. Ceux qui, en début de campagne, avaient tout fait pour obtenir pour plusieurs millions de Dipa (Déclarations d’importation des produits alimentaires) pour inonder les marché sénégalais de sucre importé, quitte à asphyxier la Css et son sucre, commencent à se tourner vers cette dernière pour acheter son produit. Ces mêmes commerçants mettent la pression sur l’Etat pour qu’il veille à ce que l’industriel ne puisse pas augmenter, au prétexte de protéger le pouvoir d’achat du consommateur. Une idée noble, mais entachée de mauvaises intentions, comme on le sait.
Ce genre de chose ne se présente pas pour la première fois au Sénégal. Souvent, si l’Etat cède aux arguments de ces négociants, ce qui finit par arriver, c’est que les douaniers enregistrent des centaines de tonnes de sucre prenant la direction des pays frontaliers, où elles sont cédées au prix fort, parfois au prix du marché international. Ce qui fait que l’Etat et le consommateur sénégalais se retrouvent tous les deux absolument perdants dans l’affaire.
Si les pouvoirs publics n’ont pas encore compris, ce jeu risque de se répéter. Depuis que le pouvoir en place a adopté le «souverainisme» comme slogan, et qu’il a donné pour mot d’ordre la remise en question de tous les contrats dans tous les domaines, surtout ceux où les intérêts étrangers sont dominants, la priorité ne semble pas donnée à la production nationale, ni à l’autosuffisance alimentaire. En dehors de la Sedima, qui semble avoir des problèmes particuliers, aucun opérateur économique national ne détient des parts majoritaires dans aucune activité dans l’agro-alimentaire. Plusieurs sociétés de production de certains produits se contentaient d’importer des produits qu’elles venaient transformer sur place.
Même pour ces entreprises, le coût des intrants et de nombreuses barrières non-tarifaires ont commencé à les pousser à renoncer progressivement, ou malheureusement, à transférer leurs activités dans des pays voisins.
Il faudrait se rendre dans la vallée du fleuve Sénégal, et compter combien de sociétés ont réduit leurs activités. La plupart de leurs capitaines sont des étrangers. L’une des plus grandes sociétés installées dans la vallée a des activités orientées vers des pays européens, notamment dans la zone méditerranéenne. Il se dit que dans les mois à venir, elle va mettre ses activités en stand-by et sacrifier ainsi plus de 3000 ouvriers et saisonniers.
Même les plus grosses n’y échappent pas. La Css, à qui l’Etat impose des prix à perte sous le prétexte de respect des prix imposés, ne pourrait pas non plus continuer indéfiniment le bradage de ses produits. Si elle se mettait à licencier une partie de son personnel, on peut souhaiter que les dirigeants, qui lui auront imposé cette solution, pourraient également trouver des entreprises qui pourraient recaser les travailleurs.
Il ne faudrait pas ôter de son esprit que la Css est le fleuron de l’économie sénégalaise. Si la ville de Richard-Toll connaît son actuel rayonnement, si la vallée du fleuve est tant soit peu attractive, la compagnie de Mimran y a joué sa part. Le gouvernement aurait intérêt, surtout dans le cadre du souverainisme économique, à encourager d’autres entrepreneurs à faire comme lui, afin de permettre au Sénégal de produire ce dont il a besoin et de ne plus se fatiguer à chercher à empêcher l’entrée des produits étrangers. Chiche ! Pourquoi ne pas imposer à tous ces négociants en riz, en lait, en sucre… de mettre ensemble des consortiums produisant des produits locaux, fabriqués au pays, et avec de la main-d’œuvre locale ? Ne serait-ce pas aussi une forme de «Jub Jubal Jubanti», et dans le domaine économique ?