QUE RETENIR DE BORIS ?
Plus de deux ans après la parution de son article "Affaire Sweet Beauté, une démocratie souillée", l’exploitation grotesque par des soutiens de Sonko permet de penser que le temps d’ouvrir les yeux est enfin arrivé pour l’intellectuel
« On écrit pour chercher sa propre parole ». Boubacar Boris Diop 23 mars 2023 sur ITV
Plusieurs dates - février 2021, juillet 2022, décembre 2022, mars 2023, juin 2023 et peut-être après - suffisent-elles, en lisant ou en écoutant Boubacar Boris Diop, à déterminer ce qu’il faut vraiment retenir de l’écrivain quand il se prononce sur la situation politique du Sénégal dans le but - dit-il en mars 2023 sur itv - de « prendre position en tant que citoyen pour ne pas être oublié en tant qu’écrivain » ?
Rien n’est moins sûr !
Que dit donc Boris sur les deux personnages politiques de son spectre étriqué ?
Février 2021 - SenePlus.com
« Le sentiment que le président Macky Sall ne se fixe aucune limite est tout à fait inquiétant. »
Juillet 2022 - Impact.sn
« Je doute que le président ait lui-même concocté l'affaire Adji Sarr… »
« Personnellement, je ne veux plus rester prisonnier de cette logique binaire stérile. Voilà pourquoi, et je vous le dis en toute sérénité ce matin, je ne comprends pas une certaine "sonkolâtrie". Elle me semble procéder d'un aveuglement qui ne sert pas, sur le moyen et sur le long terme, les intérêts du Sénégal. »
« (…) Si on en vient au destin de ce pays, nous devons être plus exigeants envers ceux qui aspirent à le tenir entre leurs mains. Ousmane Sonko ne doit pas faire exception à cette règle. »
« J'attire juste l'attention sur le fait qu'il ne s'agit pas de la personne d'un leader particulier, quel que soit son nom. Le moment est venu d'en finir avec les chèques en blanc donnés à tel ou tel candidat à la présidence de la République. »
« Eh bien, je vais vous dire, quand je vois Sonko manœuvrer avec tant d'habileté politicienne, je me demande si c'est bien lui qui va scier la branche sur laquelle ses prédécesseurs se sont confortablement installés une fois au pouvoir. »
« Cela ne rassure pas non plus de voir que la moindre critique contre lui est déjà perçue comme un crime de lèse-majesté avec moult dénigrements obscènes et procès d'intention. Cela peut marcher un temps mais il suffit d'interroger l'histoire de ce pays pour savoir que c'est une voie sans issue. Sur ce point précis, je serais plutôt d'accord avec Hamidou Anne qui revendique le "droit au désaccord". »
Décembre 2022
Dans un tweet, l’écrivain dit juste que - c’est nous qui commentons - février 2021 n’est pas décembre 2022. Juillet 2022 est déjà passé par là ! En voici la teneur : « Un texte intitulé "Une démocratie souillée" circule depuis quelques heures sous ma signature. J'en suis bien l'auteur mais contrairement à ce que pourraient penser certains de ses lecteurs, il ne date pas de ces jours-ci mais de près de deux ans. »
Mars 2023 - itv
De la jeunesse qui demande du travail, Boubacar Boris Diop dit qu’elle est « hors de contrôle, complètement déchaînée [elle] se retrouve dans le discours radical d’Ousmane Sonko ». Pour autant, Boris précise, sans qu’on ne sache d’ailleurs pourquoi : « Je ne suis ni de près ni de loin associé à cette organisation politique, Pastef… ».
Juin 2023
En signant avec Felwine et Mbougar sa dernière tribune intitulée « Cette vérité qu’on ne saurait cacher », l’écrivain et éditeur savait bien qu’il y en a une autre non moins importante à dire - c’est Boris qui parle - aux « jeunes [qui] s’identifient à Sonko comme à un des leurs ». C’est qu’à force de chercher sa « propre parole » en écrivant, Boubacar Boris Diop la trouve enfin. Le fait est que « Sonko n’a pas encore les compétences nécessaires pour diriger ce pays ».
Que retenir ?
Soutenir Ousmane Sonko comporte bien un risque… L’écrivain Boubacar Boris Diop en avait pourtant bien conscience en publiant, en février 2021, la tribune intitulée : « Affaire Sweet Beauté, une démocratie souillée. »
« Réagir à chaud est rarement une bonne idée », avait-il écrit. Plus de deux ans après la parution de son article, l’exploitation grotesque, hors contexte, par des soutiens de Sonko, permet au moins de penser que le temps d’ouvrir les yeux, pas de les écarquiller, est enfin arrivé pour l’intellectuel dont on se demande néanmoins ce qu’il faut vraiment retenir des salves politiques.
Abdoul Aziz Diop est essayiste, auteur, entre autres, de « Gagner le débat.. » (L’Harmattan Sénégal, 2023)