UN ENIÈME COMBAT POUR KARIM
Le candidat du Pds n'a qu'une obsession, le retour en grâce de son fils Karim - Tout le monde était hier sans voix. Voir ce corps de près d’un siècle encore debout dans les grandes avenues de Dakar relevait, il y a quelques semaines, de l’impensable
Le Président Abdoulaye Wade fait trop peu d’effort pour ne pas laisser transparaître son irritation dès qu’il est question de Khalifa Sall : « Mais de qui vous parlez ? » Comme s’il ne voulait plus entendre parler du maire de Dakar. Le leader du Pds espérait que le maire leader de Manko entendrait raison, qu’il se rangerait derrière lui au dernier moment. Et c’était la seule raison de son soutien au combat pour la libération du maire embastillé. Un soutien timide, qu’il a fini par lui retirer, face à ce qu’il considère comme une attitude arrogante.
Jusqu’au bout, Khalifa Sall a refusé de céder le moindre pouce de territoire à celui qui a régné en mâle dominant de la politique sénégalaise ces dernières décennies. Comme si on croyait Abdoulaye Wade fini. Les karimistes, eux, ont fait défection depuis très longtemps, et rappelé qu’à « aucun moment, Khalifa Sall n’a exprimé le moindre soutien à Karim Wade quand il était en prison. Nous ne voyons pas pourquoi nous devons nous apitoyer sur son sort ». Wade, en réalité, comptait sur Mamadou Diop Decroix pour lui attirer Malick Gackou, Khalifa Sall et peut-être… Idrissa Seck.
Mais la présidentielle de 2019 est trop proche pour que ces grands ambitieux n’y pensent pas pour paramétrer leur logiciel de combat. Alors, ceux qui entrevoient les portes d’une présidentielle ouverte se sont tous mis en position de départ, au risque de partir en rangs dispersés et de compromettre les chances d’une « cohabitation ». Gackou et Idrissa Seck ont-ils fait les mêmes projections sur Khalifa Sall en se disant que le maire de Dakar ne pourra pas échapper à une condamnation et ne sera donc pas candidat à la Présidentielle ? Les voies des seigneurs de la politique sont insondables.
Abdoulaye Wade s’est laissé aller à toutes les propositions, promettant même de financer les législatives à coups de milliards et d’inonder Dakar en véhicules tout terrain et en hélicoptères de campagne. L’appât s’est révélé peut-être trop gros et personne n’y a mordu. Depuis, le leader du Pds traite ses adversaires par le grand mépris, heureux qu’il est de se repositionner dans le jeu politique et de se rendre incontournable, à bientôt 95 ans.
Les jeunes mâles prétendants de l’opposition peuvent retourner au berceau, lui Abdoulaye Wade n’a qu’un adversaire : Macky Sall.
Cette bipolarisation souhaitée, naturellement, ne fait pas que des heureux. Ses concurrents au poste de Chef de l’opposition et de challenger de Macky Sall sont obligés de l’observer, l’échine un peu courbée et de se dire : « Mais quel phénomène ». Tout le monde était hier sans voix. Voir ce corps de près d’un siècle encore debout dans les grandes avenues de Dakar relevait, il y a quelques semaines encore, de l’impensable.
Eh bien, il faudra maintenant compter avec l’arrivée inattendue de l’homme providentiel, redevenu héros après avoir été chassé du pouvoir. Et quand un opposant vient à son heure, c’est un autre opposant qui lui cède la place.
En espérant que le vieux use, fatigue, qu’une voix intérieure lui commande de rester en place, de reposer ses vieux os. Le problème Wade, c’est que plus il se sent affaibli, plus son moral monte en flèche et il se sent en devoir de se surpasser.
Il est comme un vin : plus il vieillit, plus il aigrit. Il avait promis que même grabataire il se battrait. Mais lui-même ne devait pas s’imaginer qu’il recelait autant de ressources. Ses adversaires sont eux-mêmes admiratifs, face à une machine aussi complexe : capable de régénérer comme un cyborg, de se montrer un jour vieilli, un jour rajeuni.
Abdoul Mbaye se rêvait en sauveur, Khalifa Sall en star. Abdoulaye Wade incarne les deux désormais, en précisant partout qu’il ne veut pas être député. Non, trop petit pour cet homme qui se rêvait académicien ou même Prix Nobel. Mais que peut-il donc ? Tout au plus perturber, affaiblir son propre fils pour lui arracher quelques concessions à venir. S’il ramène la question des conditions de libération de Karim Wade au cœur du débat, c’est qu’il rêve de le voir revenir sans passer pour le traître qui a fui.
Le paysage politique se bi polarise de nouveau. Et c’est au détriment de Khalifa Sall en premier, qui se rêvait en alternative à Macky Sall. Toutes les études montraient que sans la présence d’Abdoulaye Wade, sans son engagement, ses partisans les plus nombreux se déporteraient sur Khalifa Sall comme alternative et non sur Idrissa Seck. C’est ce qui justifie le rangement inattendu de Rewmi derrière le maire de Dakar. Mais c’est aussi ce qui justifie le ton modéré avec lequel le pouvoir traite l’ancien Président. Pour ne pas radicaliser son aile droite, qui serait tentée par un vote utile en faveur de Khalifa Sall.
La question ne se pose plus pour les libéraux authentiques, meurtris qu’ils étaient par l’idée d’apporter leurs voix à un socialiste qui n’a pas soutenu le fils de leur mentor pendant les moments difficiles.
Alors, en petit comité, pas question de laisser Khalifa Sall prendre Dakar. Il prétendrait à la présidentielle et cela pourrait signifier une retraite anticipée pour leur candidat en exil.
Deuxième consigne : le traiter désormais comme un adversaire et ne rien faire pour l’aider à se tirer d’affaire : à la guerre comme à la guerre. Abdoulaye Wade n’a plus qu’une seule stratégie et elle est triangulaire : surveiller Khalifa Sall sur ses flancs et faire face à Macky Sall pour l’affaiblir.
Les « libéraux » ne cessent de rappeler que sans leur apport décisif dans la capitale, Khalifa Sall ne serait jamais maire. Et qu’ils sont capables de lui faire perdre la députation. Ce n’est pas pour son prestige que Wade se bat : il mène un énième combat pour son fils.
Faire mal à Macky Sall, lui imposer un dialogue direct, obtenir le retour en grâce de Karim Wade, quitte à le préparer pour… 2024. Car le père fondateur du libéralisme en Afrique n’a jamais cessé de rêver de voir Karim Wade et Macky Sall main dans la main. Ce rêve, il croit que quelques personnes l’empêchent de se réaliser : Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Mimi Touré, Latif Coulibaly, Souleymane Jules Diop.
Il faut donc affaiblir Macky Sall pour l’emmener à la table des négociations. Il s’approcherait ainsi de son rêve : maintenir ses héritiers libéraux au pouvoir pendant 50 ans. Voilà pourquoi dans la campagne, il sera beaucoup question de Karim Wade, de son talent, de ses capacités intellectuelles, managériales, et de la crainte qu’il inspire dans l’autre camp. On se croirait en février 2012 !