«CERTAINES SCÈNES NE SONT PAS BELLES À VOIR À LA TÉLÉVISION»
Pape Faye jette un regard critique et lucide sur l’évolution du théâtre sénégalais - Avis d’expert qui ne cache pas qu’il y a des choses à revoir dans le secteur
Heureux récipiendaire du « Torodo d’honneur », une distinction octroyée par le Centre de recherche sur le patrimoine intellectuel africain Bajordo, Pape Faye, le comédien à l’aise dans plusieurs registres, est un homme comblé. Nous l’avons rencontré pour échanger avec lui. A travers cet entretien, il jette un regard critique et lucide sur l’évolution du théâtre sénégalais. Avis d’expert qui ne cache pas qu’il y a des choses à revoir dans le secteur…
Vous avez été distingué par « Le Torodo». Quel sentiment vous anime ?
J’ai dû remonter aussitôt mon parcours quand, le jour de mon sacre au Grand théâtre, j’ai vu en face et autour de moi d’éminents universitaires et anciens ministres prendre part à la cérémonie avec des communications de très haute facture. Dans ma carrière de comédien, j’ai porté dans mes tripes et sur ma carapace d’acteur pratiquement tous les personnages héroïques qui ont marqué l’histoire de mon pays. Aujourd’hui, je suis dans la mise en chantier d’une œuvre colossale retraçant la vie de Cerno Sileymaan Baal pour laquelle on a donné un avant- goût sur scène à plusieurs reprises à Sorano, au Warc, au Grand Théâtre et lors des dernières Recidak au Magic Land. C’est eu égard donc à toutes ces actions concrètes posées et qui sont des temps forts dans ma carrière que le Centre de recherche sur le patrimoine intellectuel africain a jugé utile de me décerner le titre de « Torodo » d’honneur. Nous allons, à ce titre, nous engager dans une dynamique de partenariat durable pour réaliser ensemble des actions concrètes dans le sens de la sauvegarde du patrimoine intellectuel sénégalais.
Dans votre carrière, vous êtes beaucoup illustré dans le théâtre historique. Est-ce un choix ?
Un choix ? C’est à la fois un sentiment de fierté et une reconnaissance de mon engagement pour la valorisation de notre patrimoine culturel africain. C’est pour avoir incarné les personnages les plus audacieux de l’histoire du Sénégal qu’on a bien voulu me décerner le trophée Torodo d’honneur. Mais également pour mon engagement pour la promotion de la paix et de la valorisation du patrimoine africain. C’est pourquoi j’ai dit que ce titre- là, c’est la main de Dieu. Et aujourd’hui, nous sommes en train de mettre en chantier l’œuvre de Cerno Sileymaan Baal. Nous allons mieux valoriser le parcours de nos érudits. Et ça, c’est un travail qui doit être porté par les comédiens. Je lance un appel au comité d’écriture de l’histoire générale du Sénégal et au Président de la République d’aider ce secteur. Car ce n’est pas facile de créer, ça demande beaucoup de moyens.
Justement, quelles sont vos attentes par rapport à la politique culturelle de l’Etat ?
Nous sommes dans une dynamique d’octroi de ce qu’on appelle un fonds spécial destiné à la promotion du Théâtre mais surtout du théâtre historique. Mais c’est déjà le théâtre d’inspiration historique qui sera privilégié pour revaloriser le patrimoine et donner un peu de Savoir aux jeunes qui sont soit dans le circuit scolaire ou dans l’espace universitaire. L’autre question est relative au souhait exprimé par le Pr Iba Der Thiam, qui avait saisi le Comité d’organisation de Dekheulé 2018, pour voir comment nous pourrions intégrer le programme. Evidemment, nous étions à Dekheulé et nous avions joué cet extrait de Lat Dior. Je voyais pour la première fois de ma vie des gens pleurer à chaudes larmes à la vue d’un spectacle. Ce dernier épisode de la vie de Lat Dior était très émouvant et les gens ont beaucoup pleuré. C’était trop fort et je ne suis pas prêt de rejouer cet épisode car je n’aime pas voir les gens pleurer.
Ma question reste entière…
Je pense qu’il est vraiment temps de mener le combat pour l’érection d’un fonds spécial pour le théâtre. A cet effet, je souhaite que les journalistes nous aident à porter ce combat. Quand j’avais émis ce vœu, cela avait suscité un énorme tollé. Qu’est- ce que j’avais dit ? Et d’ailleurs ce n’était même pas moi car c’est un journaliste qui avait posé la question au ministre de la Culture de l’époque, M. Mbagnick Ndiaye, lors d’une cérémonie de la Journée mondiale du Théâtre. Dans son discours, ce dernier avait dit sa disponibilité de doter l’Arcots nationale d’une subvention de quatre millions. Vous vous rendez compte ? L’Arcots nationale qui dispose de plus de cinq mille membres se voit octroyée quatre millions. Après son discours des journalistes sont venus me voir en me demandant comment appréciez -vous le fait que le ministre ait parlé d’une subvention de quatre millions pour l’Arcots nationale qui regroupe plus de cinq mille comédiens et au même moment le cinéma est doté à hauteur d’un milliard ? J’ai juste répondu ceci : « appréciez vous-même ! ». Cela avait fini par créer des problèmes et le ministre m’en a voulu et tant d’autres. Et pourtant c’est la triste réalité. Avec quatre millions, on ne peut même pas monter un sketch digne de ce nom. Vraiment une association aussi importante que la nôtre mérite un peu plus de soutien et de respect. Mais je pense qu’avec le Président de la République, les choses vont bouger. D’ailleurs cela avait fait tellement de bruit ce jour- là que le lendemain, comme il y avait Conseil des ministres, le Président avait demandé aux décideurs de s’impliquer un peu plus pour encourager la création théâtrale d’inspiration historique. Il avait également instruit les gens à aider Sorano. Il en avait aussi profité pour parler des séries ramadan. Il disait que les gens devaient faire attention à ce qu’ils présentaient dans ces sketchs très prisés en mois de ramadan. Comme quoi, il faut vraiment faire attention à tout ce que l’on propose car les autorités nous suivent.
Les séries actuelles sont très critiquées et pourtant, certaines accueillent des comédiens expérimentés. N’est-ce pas une manière d’encourager un peu la médiocrité ?
Il faut avant tout retenir que le théâtre est un art comme la peinture, la danse ou la musique. Est-ce que la vocation de la musique est d’éveiller les consciences ? Non, à mon avis car à l’origine, il s’agit avant tout de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille. Mais cela donne des sensations et de l’émotion. On peut en dire autant de la peinture et de toutes les autres formes d’art. Le théâtre aussi véhicule les mêmes effets. C’est comme l’architecture. Au risque de surprendre des gens, je vais vous dire que sa vocation première n’est pas d’éduquer. Maintenant, il y a le théâtre de commande. En ce moment, il est question de proposer des pistes de réflexion qui permettent de faire prendre conscience au grand public de certaines choses comme comment prendre ce médicament ou utiliser ce service. Cela est prescrit et commandé et il est joué sur une certaine durée.
Aujourd’hui c’est la série, « Maitresse d’un homme marié » qui fait beaucoup de bruit. Que pensez-vous de tout ce tollé autour ?
Je dois reconnaitre qu’il me manque du temps pour la suivre. Mais il m’arrive de visionner quelques épisodes sur Youtube. Quelle que soit le reproche fait à ce téléfilm, je ne peux cautionner la censure. J’encourage la création artistique car le scénariste a pris le temps de créer et cogiter. La création est vraiment très difficile et il faut le reconnaitre. C’est comme un état de grossesse. C’est ça l’acte de création. Je respecte donc le travail des scénaristes car étant également un scénariste. Je respecte aussi les réalisateurs et les comédiens car je suis à la tête de leur association. Ce qui fait que j’insiste toujours sur la formation. Pourtant je ne cesse de les exhorter à faire attention pour ne pas être rattrapé par l’histoire. Ce qu’on a joué aujourd’hui peut être ressorti plus tard et vous nuire. Pour cette série, j’ai vu des séquences et j’avoue que si c’était moi, je ne l’aurais pas écrit parce qu’il y a cette vulgarité. Je ne le dirais pas comme ça, mais on peut toujours éviter certaines situations. On peut juste évoquer et les spectateurs vont bien comprendre le sens de votre pensée. Il y a vraiment des dérives que personne ne peut cautionner. Certaines paroles ou actes peuvent choquer. Cà, je le concède…Cependant, il ne faut pas confondre car il s’agit de série et non de théâtre. Tout cela est aussi favorisé par le fait que les gens n’écrivent pas. Dans la plupart des cas, c’est l’acteur qui improvise.
Est-ce que ces jeunes viennent vers vous pour solliciter des conseils ?
Nous, on allait souvent vers les anciens pour solliciter leurs conseils. Mais actuellement, les gens se lèvent un beau jour et commencent à écrire et réaliser. C’est vrai que certains sont venus me voir pour des conseils, mais s’en vont après avoir fait autre chose. C’est pour cela qu’ils vivent ce genre de situation. Il y a vraiment des scènes qui ne sont pas belles à voir à la télévision et notre pays n’en a pas besoin. On peut bien faire du cinéma et de la télévision sans choquer ou blesser l’amour propre de quelqu’un. Il y a de nombreuses voies de contournement pour arriver à livrer un message fort et aseptisé sans heurter. Les jeunes ont tendance à dire qu’ils ont une autre vision et une nouvelle manière de penser, mais ils se trompent lourdement. Il faut revenir à l’orthodoxie et éviter de tomber dans la vulgarité. Il faut que les gens restent humbles en se remettant perpétuellement en question car tout est éphémère. Il faut toujours se dire que l’on ne connait rien et solliciter les anciens en bénéficiant de leurs conseils. Cela pourrait éviter aux jeunes de vivre certaines situations déplorables et condamnables.