"ON EST DANS LE GROS MENSONGE"
Au front pour réclamer la lumière dans l’affaire Petro-Tim, l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye a été pourtant acteur au début - Mais il estime que cela ne fait pas pour autant de lui un complice dans le scandale
Au front pour réclamer la lumière dans l’affaire Petro-Tim, l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye a été pourtant acteur au début. Mais il estime que cela ne fait pas pour autant de lui un complice dans le scandale soulevé par la Bbc. Dans cet entretien accordé à «L’As», l’ex-Premier ministre soutient qu’il a été berné par le faux rapport de présentation du ministre de l’Energie d’alors, Aly Ngouille Ndiaye. Favorable à l’ouverture d’une enquête afin de situer les responsabilités des uns et des autres, il considère qu’il existe des indices susceptibles de prouver l’implication du Président Macky Sall dans cette affaire de corruption. La cacophonie au sommet de l’Etat démontre, de l’avis de Abdoul Mbaye, qu’on est dans le gros mensonge. Il demande la déclassification du rapport de l’IGE sa publication devant le corps diplomatique comme l’avait fait Macky Sall dans le cadre des chantiers de Thiès.
Vous réclamez, aux côtés de «Aar Li Nu book», la lumière dans l’octroi des contrats pétroliers et gaziers à Petro-Tim. Ne craignez-vous pas que ce dossier soit vite oublié par les Sénégalais ?
Abdoul Mbaye : Il faut reconnaitre que les Sénégalais ont la mémoire un peu courte, mais il s’agit cette fois-ci d’une affaire qui a atteint une dimension internationale. C’est aussi la plus grosse affaire de corruption que notre pays ait connue depuis 1960. Très sincèrement, je pense qu’il sera très difficile d’empêcher les Sénégalais de lutter pour l’éclatement de la vérité et de tenter d’étouffer l’affaire comme on l’a fait par exemple avec le rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE) depuis 2012. C’est ma conviction. Nous sommes face à un scandale d’une telle importance qu’il sera impossible de l’oublier aussi facilement.
Le chargé de communication de la Présidence, El hadji Kassé, a fait une sortie qui remet en cause les déclarations de Aliou Sall. Comment appréciez-vous cette cacophonie ?
Il ne faut pas se limiter uniquement à la sortie de M .Kassé. Il y a quand même des choses particulièrement troublantes qui constituent des indices susceptibles de prouver que le Président Macky Sall est directement concerné par cette affaire de corruption. Car, très vite, il en a fait une affaire d’Etat et a fait intervenir rapidement le porte-parole du Gouvernement pour tenter de rétablir la vérité avec des oublis incroyables que notre parti a dénoncés dans le cadre d’un contre-mémoire. Ce n’est pas la seule erreur de communication. Il est extrêmement difficile de communiquer sur du mensonge.
L’autre erreur de M. Kassé a été de dire que le rapport n’existe pas et pourtant il a été publié. Il revient pour dire que le rapport existe, mais il n’est pas reçu par le président de la République, sept ans après. Qui peut croire à cela ? Ce même El Hadji Hamidou Kassé est quand même le Monsieur communicant de la présidence de la République qui intervient pour contredire Aliou Sall et dire que les 250 000 dollars ont été bien versés, mais que cette fois-ci pour une activité de consultation en agriculture. Cela fait rigoler et démontre simplement qu’ils ne savent plus où donner de la tête et qu’on est dans le gros mensonge. Et à chaque fois qu’il y en aura, on s’approchera de la vérité. D’abord, le concerné Aliou Sall a dit qu’il n’a rien reçu. Il revient ensuite pour dire que même s’il a reçu, cela se justifie avant que n’intervienne ElHadji Kassé pour dire qu’il a bien reçu de l’argent de la part de Frank Timis, mais pour une question agricole. Vous voyez là qu’ils ont reconnu les 25 000 dollars de salaire par mois. Il faut que les journalistes sénégalais soient attentifs et constatent que dans le reportage de la BBC, il y a été fait mention de 1.500.000 dollars sous forme d’actions dans les sociétés pétrolières de Frank Timis.
Ce point est extrêmement grave. Cela veut dire que l’homme d’affaire roumain a soumis un intéressement par action dans les sociétés pétrolières concernées sous réserve de disposer de la signature du président de la République. C’est ce qu’on appelle non seulement un conflit d’intérêt, mais également de la corruption accompagnée de la complicité du président de la République.
Est-ce que le Président Macky Sall n’a pas été induit en erreur ….
Aly Ngouille Ndiaye a présenté un faux rapport de présentation des projets de décrets qui ont validé les contrats de recherche de partage et de production. Je m’interroge même sur les raisons pour lesquelles Macky Sall tarde à répondre à la lettre que je lui avais adressée en 2016. Ce faux rapport a été signé par Aly Ngouille Ndiaye qui, peut-être, a été trompé par ses services. Seules des enquêtes bien faites peuvent montrer cela. Mais elles sont bloquées depuis 2012.
Donc, Aly Ngouille Ndiaye a une énorme part de responsabilité dans cette affaire ?
J’ai écrit une lettre officielle au président de la République dans laquelle j’ai dit: «Monsieur le Président vous et moi avons été trompés par un faux rapport de présentation de décrets». Le président de la République n’a pas répondu jusqu’à présent. Et c’est son ministre de l’Intérieur qui, devant la presse, dit que moi Abdoul Mbaye j’étais au courant. Mais de quoi suis-je au courant ? Cela veut dire qu’il reconnaît qu’il y a du faux. Il faut que les gens reconnaissent d’abord qu’il y a du vrai ou du faux. Jusque-là rien n’a été fait. Ce qui est extrêmement grave. Vous les journalistes, vous devez demander au ministre de l’Intérieur et à son patron ce qu’en est-il réellement. Moi, je pense que le président de la République est au courant depuis 2012. S’il dit qu’il n’a pas reçu ma lettre, c’est faux. Le Premier ministre d’alors, Mahammad Boun Abdallah Dionne, en avait parlé, mais pourquoi le Président n’a pas déclenché une enquête en ce moment-là. Ce qui est incroyable, c’est que pendant trois ans, il n’a pas ordonné une enquête sur le faux document de présentation des décrets. Et lorsque le trafiquant de faux médicaments a été gracié parce qu’il a été trompé par une fausse information, il a demande une enquête.
Aujourd’hui, les gens ont du mal à comprendre votre démarche. Pourquoi, vous n’avez vérifié avant de signer ?
Il y a deux choses que les gens doivent savoir. Moi, je ne refuse pas l’ouverture d’une enquête et la recherche de ma responsabilité dans cette affaire. Je veux que tout le monde (à savoir Aly Ngouille Ndiaye et le président de la République) fasse comme moi. Quand on contresigne un décret présidentiel, cela veut dire qu’on prend en charge l’ordre donné par le chef de l’Etat. Cela ne veut pas dire qu’on cautionne ou qu’on analyse l’ordre donné par ce dernier . On est là pour exécuter des ordres de son supérieur hiérarchique. Mais un ministre qui présente son rapport de présentation est responsable du contenu du rapport et de l’étude du dossier. Quand il donne une information et qu’il avance que ce qu’il dit est conforme à la loi et à la règlementation, cela veut dire que ce qui est écrit dans le rapport de présentation est vrai.
Mais quand il soumet son rapport au président de la République qui va prendre l’ordre, là sa responsabilité est engagée y compris celle pénale. Mais, si les Sénégalais ne perçoivent pas cela de cette manière, c’est parce qu’ils ne connaissent pas le droit public. Que la Justice s’en charge, c’est ce que je réclame depuis trois ans. Parmi les trois (Aly Ngouille Ndiaye, Macky Sall, Abdoul Mbaye, Ndlr), il y a deux signatures engageantes à savoir celles du ministre qui présente le rapport, du Président qui en donne l’ordre et du Premier ministre qui contresigne. Moi j’ai contresigné, et maintenant je dis que c’est faux, je ne vais pas taire la vérité. Ce n’est pas mon rôle de vérifier. Par exemple, quand le ministre de l’Energie, Thierno Alassane Sall a démissionné, le Premier ministre ne pouvait pas signer le rapport qui donne le permis d’exploitation à Total. Il a fallu qu’il soit nommé ministre de l’Energie pour le faire, parce que c’est ce dernier qui est compétent, mais pas le Premier ministre.
Avez-vous espoir que la vérité sera connue, puisque le procureur a lancé un appel à témoins ?
Je ne fais pas confiance à cette personne, surtout que je subis une persécution de la justice depuis quelques années. L’important, c’est de mettre à sa disposition la vérité et de faire savoir au peuple qu’on l’a fait. Et le peuple jugera ce qui va suivre.
Que pensez-vous de l’enquête sur la fuite du rapport de l’IGE?
Ce n’est pas sérieux du tout. Tout cela contribue à montrer leurs faiblesses. Quand un rapport contient des affaires aussi graves, au lieu de vous intéresser à la gravité de son contenu, vous vous en prenez aux lanceurs d’alerte, ceux qui ont fait fuiter le rapport. Lorsqu’il s’est agi d’un autre rapport comme l’affaire Khalifa Sall, il a été vu. Mais puisqu’il s’agit d’un autre Sall, on refuse de voir. Le président de la République a prêté serment devant Dieu et le peuple sénégalais de respecter la loi et de faire observer la loi. Et là, il a signé un décret qui viole la loi dans le but de servir les intérêts de son frère et d’autres qu’on ne connaît pas encore. Il a violé la loi et fait violer la loi. Cela s’appelle de la haute trahison.
C’est l’ancienne patronne de l’IGE, Nafi Ngom Keita qui est soupçonnée d’être à l’origine de la fuite du rapport de l’Ige sur Petro-Tim….
Je ne sais pas pourquoi ils en veulent à cette dame. Mais, la connaissant comme une vraie professionnelle, elle a eu, sans doute, à échanger avec le président de la République sur le rapport. Je fais aussi une relation entre le scandale Petro-tim et Nafi Ngom Keita qui a vu son mandat à la tête de l’Ofnac écourté, car elle enquêtait sur cette affaire. Dans un pays où on s’en prend, malgré la gravité des faits, à celui qui aurait aidé à la révélation de la vérité, plutôt qu’aux fauteurs du scandale, il faut en pleurer. Cela veut dire que Macky Sall n’est plus capable de gouverner ce pays. Je considère que les deux auteurs du rapport, Gallo Samb et Oumar Sarr, doivent être entendus par un jury d’honneur après avoir juré comme le président de la République.
Certains observateurs souhaitent que le rapport de l’IGE soit déclassifié. quelle est votre position par rapport à cette question?
C’est ce que nous avons toujours réclamé. Il faut déclassifier ce rapport et pousser Macky Sall à le lire comme il l’avait fait avec le rapport de l’IGE sur les chantiers de Thiès devant le corps diplomatique. Aujourd’hui, il n’y a plus de Premier ministre, c’est lui le chef de l’Exécutif qui doit le faire.
Comment la BBC est entrée en contact avec vous pour réaliser cette enquête qualifiée à charge contre Alioune Sall ?
Elle m’a contacté comme vous l’avez fait. Je ne ferme pas ma porte. J’ai accepté de recevoir la journaliste après qu’elle a décliné le sujet sur lequel on devait parler, à savoir l’affaire Pétro-tim