L’IMAM 2.0 QUI JOUE LE «JEU»
Ahmadou Makhtar Kanté fait partie de la race des hommes religieux qui acceptent de sortir de leur zone de confort pour flirter avec un espace public aussi conflictuel que celui du Sénégal.
Il fait partie de la race des hommes religieux qui acceptent de sortir de leur zone de confort pour flirter avec un espace public aussi conflictuel que celui du Sénégal. Imam Ahmadou Makhtar Kanté accepte de jouer le jeu. Parfois, il s’attaque virulemment aux tares de la société jusqu’à indisposer certains. Il est critiqué, voire voué aux gémonies par ses détracteurs. Sur sa page Facebook, les dérapages ne manquent pas, mais l’Imam de la grande mosquée de Point E sait certainement depuis Habermas que l’espace public est un lieu de tensions.
Ce n’est pas pour rien qu’il a flirté avec les écrits du professeur suisse d’origine égyptienne Tariq Ramadan. En effet, l’imam Makhtar Kanté est tout sauf un prêcheur classique voire ordinaire comme on a l’habitude de le voir. Il tire sur tout ce qui est en porte à faux avec ses convictions religieuses. En atteste sa dernière sortie sur le fameux T-shirt aux couleurs de la Lgbt que le chanteur Waly Seck a arboré durant la période du Gay-pride. L’islamologue et expert en environnement a été sans concession avec le fils de Thione Seck. Sur sa page Facebook, il accusait le jeune chanteur de faire la propagande de la communauté Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres (LGBT). Une sortie en vitriol qui a poussé la famille Seck à porter plainte avant de revernir à de meilleurs sentiments après la médiation de l’Association des imams et de Mame Makhtar Guèye de l’Ong Jamra.
Mais contre toute attente, Imam Kanté revenait à la charge pour maintenir ses propos et tirer à boulets rouges sur les imams qui ont initié la médiation à son insu. Polémiste hors pair, l’ancien imam de la mosquée de l’Ucad n’hésite pas à dire ce qu’il pense. Sans fioriture, il donne publiquement son opinion sur tous les sujets qui touchent le monde en général et le Sénégal en particulier. Très souvent, il monte au créneau pour pointer du doigt la manière dont l’islam est pratiqué au Sénégal. Sur les 27 textes de son livre «Islam, Science et Société, écrits d’un imam africain», il dissèque des sujets aussi complexes que la problématique du Croissant lunaire au Sénégal, le Magal de Touba, le pèlerinage à la Mecque. Sur toutes ces questions, il invite les Sénégalais à revenir à l’orthodoxie de la pratique religieuse.
L’Imam Makhtar Kanté ne s’intéresse pas seulement aux faits de société. L’expert en économie solidaire qui a fait ses études au Maroc et en France n’a pas hésité à claquer la porte de la plateforme «Aar Li Nou Bokk» dont il était l’un des initiateurs. Il reprochait au mouvement d’avoir fait un détournement d’objectifs. Ce qui lui a valu de nombreuses critiques. N’empêche, il est resté ferme, s’arc-boutant sur ses positions. Sur sa page Facebook où il aborde tous les sujets concernant l’islam et la société sénégalaise, les discussions sont très souvent houleuses. Toutefois, l’Imam ne censure aucune position divergente de la sienne. Manifestement, il a opté de donner des coups et d’en recevoir démocratiquement.
UNE BONNE NOUVELLE POUR L’ESPACE RELIGIEUX SENEGALAIS
Cette démarche tranche avec le comportement de certains hommes religieux qui sont allergiques à la critique et à l’autocritique. Ce, au grand dam d’une religion qui a illuminé le monde par de savoureux penseurs comme Imam Ghazali, Averroès et Al Khawarizmi considéré comme le père de l’algèbre. Une étroitesse intellectuelle de l’élite musulmane qui oublie souvent que l’Imam Chafi a été l’élève de l’imam Malick et que le premier nommé s’est affranchi par la suite pour créer son école de rites.
Du coup, les deux écoles divergent sur certains points en matière de pratique religieuse. L’islam est actuellement confronté à de nouvelles problématiques comme les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (Ntic), la bioéthique, le climat, l’euthanasie, la bonne gouvernance, les questions de genres. En conséquence, les intellectuels musulmans ne peuvent plus rester indifférents à ces genres de questions. Et cela demande parfois qu’ils sortent de leur zone de confort. Ce que l’Imam Kanté a visiblement compris sans verser dans la compromission.