CETTE DÉSOBÉÏSSANCE INCIVIQUE ET INCIVILE
Si la désobéissance civique ou civile est une forme légitime de lutte contre l'injustice, elle ne saurait être ni violente ni excessive. De plus, ses adhérents acceptent de se soumettre aux conséquences juridiques de leurs actes
Il l’avait promis, il est en train de le dérouler. Qu’importent les dégâts matériels et corporels, Ousmane Sonko, retranché dans son fief de Ziguinchor, poursuit sa bravade contre les institutions. Il y a quelques jours, il avait clamé urbi et orbi sa volonté de désobéissance, convaincu que la Justice est à la solde du Président Macky Sall. ‘’Par rapport à cette instrumentalisation de la Justice, disait-il, vous m’avez entendu, depuis quelque temps, proclamer la campagne de désobéissance civique. Nous avons posé quelques actes dans cette campagne qui va prendre de l’ampleur pour devenir massive. Le dernier en date, c’est que vous m’avez vu venir à Ziguinchor en passant par la Gambie, en faisant une escale et en continuant tranquillement mon chemin. C’était mon premier déplacement hors du territoire national, depuis plus de 2 ans. C’est pour répondre à une situation d’injustice.’’
Le ton était ainsi donné par le leader politique. Son Parti n’en démord pas depuis lors. Seulement, dans l’entendement populaire, et même chez les journalistes et autres juristes, on ne sait pas souvent de quelle désobéissance il s’agit? Civile ou Civique? On pourrait même se demander si Sonko lui-même fait la différence ou a préféré sciemment laisser le flou pour parer à toute éventualité, en parlant de désobéissance civique pour orchestrer une désobéissance civile ? En tout cas, de l’avis du chercheur Bassirou Bèye, Doctorant en Science politique à l’université de Laval au Canada, la différence entre les deux concepts est fondamentale. ‘’La désobéissance civique et la désobéissance civile sont deux formes de protestation politique, mais elles diffèrent par leurs intentions et leurs actions. La désobéissance civique se traduit par un refus de conformité pacifique aux normes et lois, tandis que la désobéissance civile implique des actions collectives visant à défier les lois ou les politiques jugées injustes, souvent avec des manifestations et des affrontements avec les autorités’’, explique Monsieur Bèye.
Cette précision faite, le spécialiste insiste sur l’importance de la non-violence chez les théoriciens de cette pratique. Selon lui, il est important que cette désobéissance soit menée de manière consciente et réfléchie pour ne pas causer de perturbations dans la société et éviter de tomber dans la violence. ‘’Au Sénégal, regrette-t-il, des extrémistes virtuels appellent à la violence et à l'intimidation sur les réseaux sociaux, allant jusqu'à menacer de brûler le pays. La désobéissance civile ne doit pas être confondue avec la violence et la destruction. Elle doit être menée de manière pacifique, avec une stratégie réfléchie et en respectant les lois fondamentales. Les participants doivent également éviter de causer plus de tort que de bien, et s'opposer à des lois injustes spécifiques sans recourir à la violence.’’
Les participants à la désobéissance civile doivent éviter de causer plus de tort que de bien
C’est tout l’opposé de ce qui se passe avec la résistance notée actuellement dans le pays. D’abord, la légitimité même à l’origine de cette désobéissance est discutable. Quelle que soit la forme dans laquelle elle est présentée, l’origine de toute cette escalade reste une plainte d’une Sénégalaise contre un autre. Aussi, selon le chercheur sénégalais, la finalité de la désobéissance civile n’est pas de renverser un pouvoir démocratiquement élu comme le réclament certains. Il s’agit plutôt d’un moyen visant à faire évoluer le gouvernement dans une direction plus juste et équitable. ‘’Elle est appropriée pour provoquer des réformes limitées, mais pas pour un changement social radical. Les participants doivent faire preuve de respect envers la loi en acceptant les répercussions juridiques et en informant souvent à l’avance les autorités de leurs projets (Kondakciu 2019). La désobéissance civile se distingue de la désobéissance incivile, qui implique l’utilisation de la violence ou de la force pour s’opposer à une loi ou à une politique gouvernementale, et est généralement considérée comme illégale et immorale’’, souligne le doctorant dans son Essai intitulé : ‘’Désobéissance civile : quelle légitimité dans une démocratie?’’
Dans un régime manifestement non démocratique, où les droits de l’homme et les libertés individuelles sont systématiquement bafoués, fait-il remarquer, certains théoriciens considèrent que la désobéissance civile est un moyen de participation politique qui peut renforcer la démocratie et même être un droit des citoyens démocratiques. ‘’La désobéissance civile peut contribuer à améliorer les institutions démocratiques en protestant contre l’exclusion démocratique et en luttant contre l’inertie délibérative. En conséquence, la désobéissance civile ne menace pas la démocratie, mais peut la revitaliser… La désobéissance doit être civile, c’est-à-dire « douce, véridique, humble, consciente, volontaire, mais aimante, jamais criminelle et haineuse », car c’est la seule façon de faire avancer l’œuvre de Dieu… Elle ne doit pas non plus devenir rancunière, impolie ou tapageuse. Le sabotage et la destruction de biens doivent être évités…’’, rapporte le chercheur, citant plusieurs auteurs.
A l’en croire, les entraves à certaines libertés fondamentales comme la liberté d’expression, la liberté d’aller et de venir, la liberté de manifestation, peuvent être de nature à légitimer certains actes de désobéissance.
Dans ses sorties récentes, Ousmane Sonko avait toutefois précisé qu’il ne refuse pas de se soumettre à la loi. Il exige tout simplement la garantie d’un certain nombre de conditions. ‘’Ce n’est plus la justice, c’est du banditisme judiciaire. C’est pourquoi, j’ai pris la décision de ne plus collaborer avec la Justice. Si la Justice ne peut pas m’assurer un minimum de sécurité pour répondre à une convocation, je ne me présenterai plus devant cette Justice. Cela ne signifie pas qu’on donne blanc-seing à la Justice ou à quelques magistrats pour faire ce qu’ils veulent. S’ils le font, ils engagent leur responsabilité. Il est révolu l’époque où un juge pouvait faire tout ce qu’il veut et rentrer tranquillement chez lui’’, fulminait-il, non sans préciser : ‘’Je n’ai jamais refusé de répondre à une convocation. La seule à laquelle j’ai refusé, je l’avais fait sur des bases légales. C’est la première convocation qui date du 7 février où la Section de recherches m’avait convoqué, alors que mon mandat de dépôt était en cours et que les textes disent clairement qu’un député ne peut être poursuivi sans que son immunité ne soit levée.’’