LA FIN DU PARTI SOCIALISTE
Les défaites de Tanor ont eu plutôt l'air de raviver ses appétits politiques que de l'emmener à plus de sagesse et de réalisme - Le processus d'implosion de l'édifice PS est maintenant commencé
De soubresauts en troubles, le Parti socialiste se déchire progressivement. Sans doute, inexorablement ! L'épisode judiciaire dans lequel il s'est engagé depuis les violences qui ont émaillé la fameuse réunion du bureau politique du 5 mars est la triste expression d'une descente aux fers.
On peut repérer dans l'histoire du parti senghorien, des péripéties douloureuses voire tragiques marquées par des séparations, des déchirures profondes et même des morts d'homme. Cependant, le socle du Parti, même après le départ de Senghor est reste solidement ancré grâce à une autorité prégnante. La "débaronisation" du parti entreprise par le Président Diouf avait permis d'y insuffler du sang neuf, d'éliminer politiquement les "têtes de turc" de relancer la machine politique du système électoral, d'entamer la modernisation de l'état et planifier des réformes structurelles au plan macroéconomique.
Des secteurs vectoriels comme l'hydraulique, la mobilité urbaine, la santé, l'éducation formelle, non formelle avaient fait l'objet d'une rigoureuse prise en charge, après plusieurs années de récession marquées par la dévaluation du franc CFA et les odieuses recettes des institutions de Bretton Woods.
Engagé dans la rationalité économique avec un Premier ministre efficace et talentueux, Mamadou Lamine Loum, le gouvernement socialiste n'aura pas eu le temps de tirer tous les profits de ce remembrement économique. La demande sociale trop forte, trop exigeante, le sentiment que le Président Diouf gouvernait par procuration ont précipité sa chute après près de quarante ans de règne sans alternance. La suite confirmera l'enlisement, voire la déliquescence du PS, régulièrement installé dans l'érosion électorale à toutes élections depuis 2000.
L'érosion électorale paraît inéluctable, après les nombreux départs des pontes (Robert Sagna, Abdoulaye Makhtar Diop, Souty Touré, Ibrahim Agne etc.). On s'imaginait qu'Ousmane Tanor Dieng tirerait toutes les leçons de ces cuisants revers. Et qu'il s'attellerait davantage à créer les conditions d'une profonde mutation générationnelle, pour reconstituer le puzzle. Il n'en a rien été.
Ses défaites successives ont eu plutôt l'air de raviver ses appétits politiques que de l'emmener à plus de sagesse et de réalisme. Il a décidé de garder la maison (ou ce qui reste des meubles), plutôt de rendre les clés à ceux qui comme, Khalifa Sall, Serigne Mbaye Thiam, Aïssata Tall Sall, Bamba Fall, pouvaient incarner un certain renouveau politique.
Face à l'asthénie de l'Etat libéral, patrimonial et en fringale de vertu, on avait commencé presque de regretter le professionnalisme, la méthode et l'organisation de l'administration sous Senghor et Diouf.
L'alternance tant souhaitée et attendue avait produit une sinistre alternative libérale, dont on ressent encore amèrement les effets. Agrippé aux rênes du Parti, OTD, s'entoura très vite d'obligés et de cadres politiques peu expérimentés, dont le seul espoir est arrimé aux opportunités que pourrait leur offrir la coalition gouvernementale.
Parti historique, d'implantation et de maillage national, le PS est devenu un parti, contrôlé, cadenassé et verrouillé, qui bouche toute perspective autre que celle décidée par le timonier.
Ce n'est pas la première fois que des jeunes se révoltent, pour briser l'étouffoir tanorien. Barthélémy Diaz, Malick Noël Seck, Youssoupha Mbow Aminata Diallo, ils sont nombreux, ces jeunes à avoir osé défier le patron socialiste et subi ses courroux.
Khalifa Sall qui espérait avoir le secrétaire général à l'usure en prendra pour son grade. Pour n'avoir pas saisi l'occasion de le pousser à la sortie lors du renouvellement des instances du PS en 2014, il devient alors l'allié objectif du patron des socialistes, dans le maintien du statu quo inhibant qui cloue au sol le PS.
Les suites judiciaires des incidents du 5 mars, montrent bien que le secrétaire général des socialistes a pris toute la mesure des enjeux actuels : l'ancrage dans la coalition gouvernementale et la prévalence des positions de rente au détriment de la reconquête politique que Khalifa Sall veut entreprendre.
Visiblement, la carrière institutionnelle du Secrétaire général du PS et non moins ministre d'État occupe l'essentiel des discours socialistes que l'avenir politique d'un parti en panne d'idées et de solutions de sortie de crise.
Que des structures locales du parti réclament le poste de Président du Haut Conseil des Collectivités Locales pour Ousmane Tanor Dieng est bien symptomatique de l'état des préoccupations de ses affidés. Sans doute, les retombées politiques et pécuniaires de cette situation de rente, apparaissent plus stratégiques que toute autre perspective de recentrage du PS sur ses missions essentielles, reconquérir et exercer le pouvoir pour sortir les Sénégalais de la nasse.
Aujourd'hui, l'évolution des suites judiciaires de l'évènement du 5 mars ont donné l'occasion à Khalifa Sall d'exprimer en termes clairs son agacement devant un délitement politique rampant. Le Maire de Dakar a en quelque sorte publiquement revendiqué le parrainage des jeunes "casseurs" ou "révoltés". Il dénonce sans rémission ce qu'il appelle les visées obscures destinées à le déstabiliser. Allant jusqu'à réclamer d'être entendu en lieu et place des jeunes, il ne pouvait faire mieux dans le registre de la paternité de la jacquerie.
Comment aurait-il pu en être autrement, puisque les jeunes scandaient son nom et exigeaient la démission d' OTD, Secrétaire général contesté comme jamais un responsable du PS à ce niveau, ne l'a été.
Le problème pour Khalifa Sall est de savoir s'il pourra tirer toutes les conséquences de cette sortie qui ressemble comme une jumelle à un discours de rupture. On connaît la capacité d'inertie et d'encaissement d'OTD, qui fera tout en minimiser la portée. Prétextant d'une démocratie interne et de liberté de d'expression qu'il est le seul à sentir, il s'évertuera sans aucun doute à laisser passer l'orage pour espérer ensuite reprendre la main.
Cette stratégie du pourrissement dans laquelle il est passé maître, ne fera que ravaler Khalifa Fall dans les abysses de l'inaction, du découragement et du dégoût.
Le Maire de Dakar ne semble pas avoir compris qu'il prêche dans le désert en appelant à plus de dialogue interne et de résolution de la crise par des voies pacifiques. Comment peut-il à ce point ignorer que cette traque de ces jeunes, conduisent à son isolement ?
La violence politique est certes répugnante. Et les jeunes partisans de Khalifa Sall ne pourraient se déprendre de leur responsabilité s'il était prouvé, qu'ils ont été les auteurs. Mais si OTD a fait le choix de la manière forte pour régler une crise interne, c'est qu'en fait, il a fait l'option de la solution finale, pour extirper ce qu'il considère comme l'ivraie ou la gangrène, qui comme un rabat-joie, l'empêche d'assouvir ses desseins institutionnels.
Ainsi, la virulence à laquelle le Secrétaire général du PS, s'emploie pour punir les jeunes "outrecuidants", sont un signal pour Khalifa Sall. En saura-t-il lire et comprendre la valeur et le sens ? Ceux qui pointent la naïveté politique de Khalifa qu'il appelle loyauté envers Tanor, réussiront à le convaincre à ouvrir enfin les yeux de se débarrasser de sa berlue.
De toute façon, le processus d'implosion de l'édifice PS est maintenant commencé. Un virage est là entamé. Reste à savoir si, cette fois Khalifa Sall pourra enfin saisir la balle au bond, pour prendre en main son destin.