LOI SUR LA PARITÉ, UN TEXTE INTERPRÉTÉ AU GRÉ DES INTÉRÊTS POLITIQUES
Le leadership féminin en politique est-il tributaire de celui des hommes ? C’est à cela que ressemble le coup de théâtre qui vient de se jouer, le 2 décembre dernier, lors de l’installation de l’Assemblée nationale composée de 41% de femmes

Le groupe parlementaire Takku Wallu Sénégal se voit privé d’un poste de vice-président pour non-respect de la parité. Pourtant, il leur suffisait de présenter une femme ou au groupe Pastef de reconstituer la composition de sa liste pour se conformer à la législation en vigueur. il faut aussi relever que, dans plusieurs cas, la justice a été obligée d’intervenir pour faire respecter cette disposition.
Le leadership féminin en politique est-il tributaire de celui des hommes ? C’est à cela que ressemble le coup de théâtre qui vient de se jouer, le 2 décembre dernier, lors de l’installation de l’Assemblée nationale composée de 41% de femmes. Il s’est déroulé le 2 décembre dernier lors de la première session de la nouvelle législature. En effet, faute de présenter une femme au poste de huitième vice-président de l’Assemblée nationale, le seul groupe parlementaire de l’Opposition Takku Wallu s’est vu privé d’un siège qui, pourtant, lui revenait de droit. En conséquence, le groupe de la majorité a décidé de s’accaparer du poste en présentant une femme.
Dans un hémicycle éminemment politique, les deux groupes parlementaires se sont donnés en spectacle en se rejetant la balle. Ils s’accusent mutuellement de violation des dispositions de la loi de 2010 sur la parité. « Le poste de vice-président que nous avons, nous le tenons de la loi. Nous avons fait notre proposition pour le poste de vice-président. Il vous revient d’en prendre acte quelles que puissent être les conséquences. La proposition a été bien faite et bien pensée avant de la faire. Nous vous demandons de la soumettre au vote », a déclaré la présidente du groupe parlementaire Takku Wallu.
Dans sa réplique, le chef de file de la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale rétorque : « Nous avons déposé notre liste en respectant la parité. Nous avons demandé à nos collègues de déposer leur candidature. Mais, je ne sais pourquoi ils s’obstinent à proposer une candidature qui ne respecte pas la parité. Il y a une réelle volonté de bloquer les travaux de l’Assemblée nationale. Si vous continuez à bloquer les travaux de l’Assemblée nationale, la majorité va présenter une candidature pour compléter le bureau ». Dans la foulée, le groupe de l’opposition qui a boudé les travaux de la plénière a annoncé un recours devant la justice pour amener l’Assemblée nationale à se conformer à la loi.
Mais derrière cette polémique de non-respect de la parité se cache un réel problème de reconnaissance du leadership politique féminin. En effet, à l’Assemblée nationale, l’article 14 du règlement intérieur qui traite de l’élection des membres du bureau est sujet souvent à des interprétations avec des connotations politiques. Il ressort de cet article que : « Les vice-présidents, les secrétaires élus et les questeurs sont élus au scrutin de liste pour chaque fonction respectant la parité homme-femme, conformément aux dispositions de la loi 2010- 11 du 28 mai 2010 »
Mais, dans la pratique parlementaire, la parité semble ne tenir que d’un seul registre homme-femme et jamais l’inverse. Et pour preuve, le débat sur la parité qui se pose très régulièrement à l'Assemblée nationale. Les tenants du Parlement ont tendance à sortir le président de l’Assemblée nationale du champ d’application de la loi sur la parité. Ils font souvent une dichotomie entre le président de l’Assemblée nationale élu pour toute la législature et les membres du bureau élus pour la durée de la législature, c’est-à-dire un renouvellement par an. « C’est une erreur de penser que la parité ne s’applique qu’à partir de l'élection des vice-présidents », estime Me Mamadou Diouf, Doctorant en droit public dans une tribune publiée dans les médias. Le président de l’Assemblée nationale, ajoute-t-il, étant membre du bureau, doit avoir une première vice-présidente à la place du sieur Ismaila Diallo. « Cette mauvaise interprétation qui voudrait écarter le chef de l’institution de l’application de la parité est balayée constamment par la jurisprudence sénégalaise. La lecture de l’article 1er de la loi de 2010, le bureau de l’Assemblée nationale y compris le Président(voir l’article 13 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale), doit être intégralement et alternativement composé d’un homme et d’une femme. Mieux, le décret n°2011-819 du 16 juin 2011 portant application de la loi sur la parité, en son article 02, énumère l’Assemblée nationale, son bureau et ses commissions parmi les institutions dans lesquelles la parité doit être respectée », a-t-il soutenu.
Dans sa tribune, Me Mamadou Diouf s’est penché aussi sur l’argument faisant une dichotomie entre le président de l’Assemblée et les membres du bureau. « La cour d’appel de Kaolack, qui avait fait une mauvaise interprétation de cette loi en arguant que le maire étant élu au suffrage universel n’était pas concerné par l’application de la parité, a vu son arrêt cassé et annulé par la cour suprême du Sénégal. En effet, dans l’arrêt n°47 du 27 octobre 2022, Cheikh Bitèye et autres contre le maire de Fatick, la chambre administrative de la Cour suprême a déclaré que le maire, étant le premier membre du bureau municipal (comme le président de l’Assemblée nationale), est soumis à l’exigence de la parité absolue et que même son élection au suffrage universel ne saurait constituer un obstacle à l’application de la loi sur la parité », a rappelé le juge.
Outre l’Assemblée nationale, le respect de la parité se pose également dans la constitution des bureaux municipaux. Souvent, c’est la justice qui en dernier ressort fait plier les hommes politiques sur fond de recours pour les amener à se conformer à la loi. C’est le cas notamment en 2022 avec beaucoup de décisions rendues par les cours d’appel qui ont ordonné la dissolution et la reconstitution de tous les bureaux ayant violé la loi sur la parité. A Dakar, par exemple, les bureaux municipaux des Hlm, de Biscuiterie, de Dieuppeul-Derklé, de Plateau, de la Ville de Dakar, de Diamniadio, de Malika entre autres ont été tout simplement dissous. Face aux bravades des hommes politiques, la justice a été souvent un rempart pour faire rayonner le leadership féminin en politique.