SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
21 avril 2025
Diaspora
PAR Alassane Sy
FIN DES ACCORDS DE PÊCHES SÉNÉGAL-UE, SO WHAT ?
La filière thon, dont le marché mondial devrait atteindre 52,73 milliards de dollars en 2031. Mais pour saisir cette opportunité, le pays doit repenser entièrement sa stratégie, de la capture à la transformation
Il y a quelques semaines la fin des accords de pêche entre le Sénégal et l'Union Européenne a fait le buzz pour utiliser le terme plus à la mode. Des déclarations ont fusé de partout allant des politiciens en quête de populisme aux Sénégalais lambda souvent profanes dans le sujet.
Je retiens et salue à sa juste valeur scientifique celle de Madame la ministre des Pêches Fatou Diouf, qui ne me surprend guère car émanant d'une véritable professionnelle. Elle disait en résumé : Nous sommes en train de faire une évaluation de ces accords et nous ne sommes pas pressés et nous attendons le résultat pour savoir les plus et les moins. Voilà la démarche qu’il faut mais en attendant que Peut-on tirer de bénéfique au non renouvellement de ces accords pour le Sénégal ?
Ma modeste personne essaie de faire une analyse en s'appesantissant sur ce que nous devons faire pour tirer profit de la fin de ces accords.
- Ces accords concernent la pêche du thon en majorité et dans une moindre mesure le merlu. Notre contribution sera focalisée sur le thon.
Les thons font partie des Scombridae (famille de poissons et nous notons au plusieurs espèces aux Sénégal dont Auxis thazard ou Auxide (40- 55 cm taille commune),Euthynnus alletteratus ou Thonnine commune (80 – 100 cm ) ,Katsumonus pelamis ou Bonite à ventre rayé ( 60 – 70 cm ),Thunnus obesus ou thon obèse (jusqu’ 200 cm),Thunnus albacares ou Thon albacore (200 cm) …
Leur principale caractéristique est leur adaptation à la nage rapide (40 à même 80 km /h pour certaines.
Les thons effectuent des migrations trophiques (liée à leur alimentation en général des petits poissons pélagiques comme la sardinelle ou yaboye) ou génésiques parfois importantes. Ils sont le plus souvent grégaires et très voraces et ont cette particularité exceptionnelle chez les poissons qui est la régulation de la température interne du corps qui peut dépasser de 10 degrés la température ambiante.
Ces poissons sont souvent présentés aux consommateurs au niveau des marché dans un piteux état du fait de la dégradation rapide de certains critères de qualité organoleptiques ;
Beaucoup de sénégalais ne sont pas adeptes de la consommation du thon pour les raisons ci-après :
Le thon, avec la manipulation et l'exposition au soleil et étant un poisson gras, voit la texture de sa chair perdre toute sa fermeté et se ramollir (il suffit d’appuyer sur la peau avec un doigt pour le constater), une odeur sensée être légère devient très forte et la peau très belle et luisante du poisson devient terne.
A noter que le thon fait partie des poissons dont la chair accumule certaines substances toxiques comme le mercure, les PCB (polychlorobiphényles polluants organiques persistants qui se désagrègent très peu dans l’environnement et s’accumulent dans différents milieux et en particulier le sol) et les toxines.
Une forte accumulation du mercure dans le corps humain peut provoquer une insuffisance rénale et des lésions gastro-intestinales.
De même, le thon fait partie des espèces riche en histidine pouvant favoriser une forte production d’Histamine dont l’intoxication peut provoquer des urticaires, des rougeurs de la peau, des démangeaisons etc.
Ainsi cette perte de qualité peut entrainer une augmentation de la concentration de ces substances dont le taux originel peut dépendre de la zone de pêche pour certains éléments.
Le Sénégal, à l’instar du monde, a depuis des années règlementé le taux résiduel admis de ces substances dans ces différentes espèces et le ministère de la Pêche veille au grain aussi bien au niveau des plages que des usines exportatrices. Ces dernières sont obligées de s’aligner sur la règlementation des pays de destination des produits s’il y a une différente avec les textes nationaux.
Que devons-nous faire ?
- Réapprendre aux pêcheurs et acteurs surtout artisans la meilleure manière de conserver le thon dès la capture, surtout jusqu’à la vente. Ainsi le consommateur lambda pourra acheter et consommer cette espèce sans aucune peur de se retrouver le lendemain aux urgences.
- Sensibiliser et sanctionner, surtout les pécheurs artisans qui font le plus gros des débarquements, la pêche des juvéniles qui sont en général la nourriture naturelle des thons. Ainsi le problème de distance de pêche pourra être résolue car les thons vont se rapprocher de plus en plus de nos côtes. Les conséquences seront entre autres une moindre consommation de carburant et des poissons plus frais débarqués Certains bateaux canneurs, pour ne pas dire tous, étaient obligés de venir dans la baie de Hann pour pêcher ces juvéniles utilisés comme appâts vivants.
- Pour la petite histoire il y a une trentaine d’année on notait, à certaines périodes, la présence de beaucoup de thon non loin du phare des mamelles jusqu’à la baie de Ouakam et on pouvait contempler le spectacle de leurs voltiges. Mon père, étant adepte de pêche à la ligne à ses heures perdues, remplissait la malle de son Renault 8 de grosses pièces de thon qu’il péchait à la cuillère derrière le monument de la Renaissance là ou un hôtel est en train d’être construit.
- Renforcer notre armement national avec une redynamisation des thoniers afin que l’Industrie locale puisse être approvisionnée en quantité et en qualité.
- Aider l’Industrie de la Transformation (hors conserve) à valoriser cette espèce sans risque et ainsi booster les exportations aussi bien en frais que congelés. Surtout insister sur la qualité car le thon bien que très prisé dans le Monde avec une forte valeur ajoutée obéit à des critères draconiens de qualité pour les raisons évoquées plus haut. Ainsi une Grande valeur ajoutée sera créée dans cette chaine de valeur.
Le prix du thon frais sur nos plage peut aller en moyenne de 500 F CFA à 3500 F CFA selon les espèces.
En France par exemple dans les poissonneries ces prix peuvent être de 12 euros (7872 FCFA) pour le thon blanc à 25 euros (16 400 F CFA pour le thon rouge. Pour ce dernier ne fois découpée ce prix peut évoluer à 48 euros (31488 F CFA).
Dans certaines boutiques une darne de 400 gr de Thon Rouge peut aller jusqu’à 30,8 euros (20200 F CFA).
Il y a donc une véritable chaîne de valeur à mettre en place pour redynamiser l’industrie de la transformation des Produits halieutiques au lieu d’exporter le produit entier brut.
La Division Valorisation de la Direction des Industries de Transformation des Produits de la Pêche du ministère de la Pêche devrait donc être renforcée afin de mieux encadrer les acteurs dans ce sens.
- Redynamiser l’industrie de la conserve de thon en faisant venir, dans un premier temps et si nécessaire pour, des Géants Mondiaux de cette industrie au Sénégal comme ce fut le cas avec la reprise de la SNCDS par le groupe Dongwon (plus grande entreprise de Pêche de la Corée du Sud) devenu SCASA (juste un exemple). Nous devons donc avoir plus d’industrie de cette envergure. Ce qui se transforme ailleurs peut bien être fait sur place dans les mêmes standards Qualité.
Notons que la taille du marché du thon a été évaluée à 40,12 milliards USD en 2019 et devrait passer en 2023 à 41,23 milliards USD en 2023 et 52,73 milliards USD en 2031.
Un des principaux stimulants de ce marché est la demande mondiale en conserve de THON mais aussi les plats préparés.
- Renforcer les moyens de recherche du CRODT (Centre de Recherche Océanographique de Dakar Thiaroye) de l’ISRA afin de lui permettre de remplir ses missions dont entre autres l’évaluation de nos stocks pour permettre aux autorités de prendre les meilleures décisions.
- L’Union Européenne a pris comme prétexte les défaillances constatées dans la lutte contre la Pêche illicite, non déclarée et non règlementée (INN). Cette pêche, une des principales menaces pour les écosystèmes et l’économie bleue, représente une part importante de l’économie Mondiale avec environs 15 % des captures.
Pour cette raison la Direction de la Surveillance et de la Protection des Pêches (DPSP) du Ministère de la Pêche et l’Armée Nationale à travers la MARINE et l’Armée de l’Air doivent être renforcer en moyens humains et matériels (dont vedettes et avions de surveillance)
Sur ce point et pour les Générations Futures il est du devoir du gouvernement de rectifier ce qui peut l’être et nous pouvons faire confiance en Madame la ministre Fatou Diouf qui fait partie des références académiques en matière de Lutte contre la Pêche illicite, non déclarée et non réglementaire.
Cependant et en attendant de mettre en place certaines actions des questions se posent :
- Que feront-nous du surplus de stock que le Sénégal ne pourra pas exploiter compte tenu de l’une des spécificités du Thon qu’est la Migration ?
- Avons-nous présentement les moyens de contrôler ce stock afin que d’autres bateaux clandestins ne se substituent aux navires européens dans les mêmes zones ?
- Faudrait-il accorder des licences à d’autres pays hors UE en revoyant les quantités et les prix ?
Le débat reste ouvert et sans nulle doute le Ministère, après son évaluation des accords précédents apportera des éléments de réponses.
Voilà ma modeste contribution sur ce sujet et qui est une goutte d’eau dans la mare. Je reviendrai sur l’espèce merlu dans un prochain post.
32 ans d’expérience dans les produits de mer transformation et d’exportation
Technicien supérieur de l’ex-Institut supérieur des Sciences et techniques halieutiques (ISSTH) de la CEAO de Nouhadibou.
VIDEO
LES MENSONGES DE THIAROYE
Une enquête du Monde révèle un dispositif impressionnant déployé ce matin-là : un millier de soldats, des blindés, des mitrailleuses face à des hommes qui réclamaient leur solde. Bilan ? 300 à 400 victimes, bien loin des 35 morts officiellement reconnus
Le Monde livre une reconstitution minutieuse du massacre de Thiaroye, survenu le 1er décembre 1944 près de Dakar, où l'armée française ouvrit le feu sur ses propres tirailleurs. Une enquête approfondie qui révèle les nombreuses contradictions dans les archives militaires et met en lumière l'ampleur réelle de ce drame longtemps minimisé.
Selon la reconstitution du Monde, basée sur les archives militaires, l'opération débute avant l'aube. Un dispositif impressionnant est déployé : un millier de soldats, dont 120 Français, trois automitrailleuses, un char et deux blindés encerclent le camp où dorment les tirailleurs. À 7h15, entre 800 et 1000 hommes sont rassemblés sur l'esplanade centrale.
La version officielle de l'époque, rapportée dans les documents militaires, évoque une rébellion violente nécessitant l'usage de la force. Mais les historiens consultés par Le Monde, notamment Armelle Mabon, pointent de nombreuses incohérences dans les rapports officiels. "Aucun officier ne disait la même chose. Ça a été commandé par des écrits sur ordre", révèle l'enquête.
L'un des points les plus controversés reste le bilan humain. Si les autorités militaires n'ont reconnu que 35 morts, les recherches historiques suggèrent un nombre bien plus élevé. Armelle Mabon, citée par Le Monde, estime qu'il y aurait eu "entre 300 et 400" victimes, se basant notamment sur la manipulation des chiffres d'embarquement au port de Morlaix.
"508 cartouches ont été tirées", note un rapport du colonel Carbillet cité par le quotidien. Pour les historiens, ce volume de tirs "sur une foule compacte" suggère "un carnage de grande ampleur". Le drame pose également la question de la préméditation, certains documents évoquant une "mission de réduire les mutins".
Le Monde souligne que de nombreuses zones d'ombre persistent, notamment en raison d'archives manquantes ou inaccessibles. "Je suis convaincue que ces archives existent, mais qu'elles sont des archives que j'appelle interdites ou secrètes", affirme une historienne citée dans l'enquête. Une certitude demeure cependant : ce 1er décembre 1944, l'armée française a délibérément ouvert le feu sur ses propres soldats.
LE DIFFICILE CHEMIN DE LA RÉCONCILIATION NATIONALE
Comment juger sans rouvrir les plaies ? Comment oublier sans trahir les victimes ? Le Sénégal se trouve face à ces questions cruciales après trois années de violences politiques à l'origine de plusieurs dizaines de morts
(SenePlus) - La société civile se mobilise contre la loi d'amnistie votée à la veille de l'élection présidentielle de mars 2024. Un débat crucial qui ravive les souvenirs des "heures sombres" qu'a traversées le pays, rapporte le quotidien La Croix dans un reportage.
Le bilan est lourd : au moins 65 morts selon Amnesty International, des milliers de blessés et des centaines de militants emprisonnés, parfois torturés, durant les trois années de violences politiques entre 2021 et 2024. "Les morts n'ont plus de parole, les vivants ne veulent pas de l'amnistie", tranche Mamadou Seck, un ancien manifestant cité par le quotidien français.
Si la loi d'amnistie promulguée par l'ancien président Macky Sall a permis la libération d'un millier de personnes, dont Ousmane Sonko, elle est vivement contestée. "Utiliser les moyens de l'État pour comploter, tirer, tuer des manifestants désarmés, on ne peut pas l'effacer comme si ça n'avait jamais existé", a récemment déclaré l'actuel Premier ministre lors d'un meeting à Ziguinchor.
Le nouveau pouvoir, avec le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, promet d'abroger cette loi et d'indemniser les victimes. "Une commission a été chargée de les répertorier", précise Oumar Alioune Kane, responsable de la communication du Pastef, dans La Croix. "Les indemnités vont être évaluées ou données. Les auteurs de la répression seront jugés et effectueront leur sentence."
Cette volonté s'accompagne d'initiatives citoyennes comme CartograFree Sénégal, un projet né sur Twitter pour documenter les violences policières. "C'est une initiative politique, mais apartisane, fondée sur deux piliers : informer le public sur la répression d'État et promouvoir la nécessité de justice", explique l'historien Florian Bobin au journal.
Alioune Tine, fondateur de l'Afrikajom Center, milite pour une approche plus large : "Je plaide en faveur d'une commission justice, vérité et réconciliation. Il nous faut une introspection en tant que société. Des divisions profondes doivent être comblées. Le temps est venu de faire mémoire."
Les premiers signes d'apaisement sont déjà visibles. Selon Ousmane Diallo d'Amnesty International, "il y a clairement une rupture. Avant on raflait des gens chez eux à des heures indues. Certes, des arrestations demeurent mais suivant un processus légal et transparent qui respecte les droits de la défense." Un changement que confirme Alioune Tine : "Les lignes ont bougé sur les droits de l'homme. [...] On sent plus de sérénité."
L'ANGOISSE DES LIBANAIS DE DAKAR
Implantée depuis plus d'un siècle dans le pays, cette diaspora se mobilise face aux bombardements qui frappent leur pays d'origine. Entre rapatriement des proches et organisation de l'aide, ils refusent de rester spectateurs du drame qui se joue
(SenePlus) - La communauté libanaise de Dakar se mobilise face aux bombardements qui frappent leur pays d'origine. Dans un reportage publié par le quotidien La Croix, les témoignages révèlent l'inquiétude et la solidarité d'une diaspora profondément enracinée au Sénégal depuis plus d'un siècle.
Au cœur du quartier du Plateau à Dakar, les enseignes témoignent d'une présence libanaise bien ancrée : "Chez Farid", "L'Orientale", le concessionnaire Choueiry ou encore le coiffeur Safieddine. Selon La Croix, environ 30 000 Libanais, souvent binationaux, vivent aujourd'hui au pays de la "teranga". Une présence qui remonte aux années 1890, quand les premiers migrants, initialement en escale vers l'Amérique, sont restés faute de moyens pour traverser l'Atlantique.
Cette communauté historique vit désormais dans l'angoisse depuis le début des bombardements israéliens le 23 septembre. "Ce n'est pas une guerre, ce sont des massacres. Ces lâches lancent des bombes sur les civils, bien à l'abri de toute riposte, depuis leur ordinateur", déplore Walid Ezzedine, 64 ans, cité par La Croix.
Face à la situation, la diaspora s'organise. Le 22 novembre, jour de la fête nationale libanaise, un rassemblement de soutien a été organisé. "On a eu l'autorisation la veille. Toute la nuit, j'ai confectionné des drapeaux et des banderoles", confie Walid Ezzedine, qui avait déjà organisé une manifestation similaire mi-octobre.
L'aide s'organise aussi concrètement. "On a ouvert nos maisons à Beyrouth pour accueillir les réfugiés du Sud", explique Zouheir Zeidan, évoquant les chaînes de solidarité mises en place via plusieurs associations basées à Dakar, Abidjan et Lagos.
Le gouvernement sénégalais participe également à l'effort, comme en témoigne le rapatriement de 117 Libanais du Sénégal, accueillis personnellement par le président Bassirou Diomaye Faye. Une action qui illustre les liens étroits entre les deux pays.
"Si demain le Liban venait à disparaître, que serons-nous, d'où viendrons-nous ?", s'inquiète Zouheir Zeidan dans les colonnes de La Croix. Une interrogation qui reflète l'angoisse d'une communauté tiraillée entre deux patries, dont l'une est aujourd'hui menacée. "Je veux un Liban vivant, libre, pour que mon fils puisse y vivre", conclut Walid Ezzedine, incarnant l'espoir d'une diaspora qui refuse de voir disparaître ses racines.
lettre d'amérique, par rama yade
QUEL RÔLE POUR LE MAROC SOUS UNE ADMINISTRATION TRUMP ?
Le Maroc est l’un des plus anciens alliés des Etats-Unis, ayant été parmi les premiers à reconnaître l’indépendance de la jeune Nation américaine sous le règne du Sultan Mohammed III
Parmi les 55 pays africains, tous ne seront pas logés à la même enseigne dans leur relation avec la nouvelle Administration Trump. Si la plupart se montrent attentistes, il en est un dont la position à Washington pourrait être renforcée par la nouvelle Présidence Trump : le Royaume du Maroc. Il est fondamental de le mentionner en raison de l’impact des ambitions marocaines dans la sous-région africaine.
Le Maroc, un très vieil allié des Etats-Unis
Le Maroc est l’un des plus anciens alliés des Etats-Unis, ayant été parmi les premiers à reconnaître l’indépendance de la jeune Nation américaine sous le règne du Sultan Mohammed III. En 1786, cette reconnaissance a été scellée par la signature d’un traité de paix et d’amitié, toujours en vigueur. Désigné comme un allié majeur non membre de l’Otan en 2004, le Maroc joue également un rôle important dans la lutte internationale contre le terrorisme.
Le Président Trump a rappelé ces liens en décembre 2020 lorsque, quelques semaines avant la fin de son premier mandat, il a reconnu le Sahara occidental comme faisant partie du Maroc.
Les Accords d’Abraham
Un mois plus tard, l’ambassadeur des EtatsUnis au Maroc se rendait dans la ville saharienne de Dakhla pour entamer le processus d’ouverture d’un consulat, projet que le Président américain Joe Biden n’a pas finalisé. Le récent soutien de la France à cette vieille revendication marocaine (annoncé devant le Parlement marocain lors de la visite historique du Président Macron à Rabat le mois dernier) pourrait aider le Maroc à accélérer cet agenda.
Israël fait aussi partie des pays qui ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en 2023, trois ans après que le Maroc a rejoint la liste des pays arabes qui ont normalisé leurs relations diplomatiques avec Israël par le biais des Accords d’Abraham, une série de traités de paix avec Bahreïn et les Emirats arabes unis, ensuite rejoints par le Soudan sous l’impulsion de Donald Trump. Cependant, les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et les bombardements et l’invasion de Gaza par Israël qui en ont résulté, ont provoqué des manifestations massives au Maroc en soutien à la population palestinienne. Le Maroc a également rapidement envoyé de l’aide aux Palestiniens piégés dans la bande de Gaza et, devant les Nations unies, a réaffirmé la nécessité de respecter les droits des Palestiniens, sans toutefois rompre ses relations avec Israël.
Dans de telles circonstances, il ne fait aucun doute que, quelle que soit la stratégie de Trump au Moyen-Orient, le Maroc aura un rôle central.
Les ambitions africaines du Maroc
Mais, sous le Roi Mohammed VI, le royaume s’est assigné un rôle qui va bien au-delà du Moyen-Orient. Sur son flanc sud, le Maroc, de retour dans l’Union africaine depuis 2017, continue de creuser son sillon africain, avec des ambitions régionales.
Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, la France, prenant acte du rôle africain croissant du Maroc, invoquait récemment son souhait de s’appuyer sur lui pour regagner le terrain perdu en Afrique, en particulier au Sahel. Washington pourrait lui emboîter le pas. En novembre 2023, Mohammed VI a annoncé une nouvelle initiative pour permettre aux pays du Sahel - Mali, Niger, Tchad et Burkina Faso- d’avoir accès à l’Océan atlantique via des projets de développement de grande ampleur. Ce plan nécessitera sans aucun doute une coordination avec les Etats-Unis qui, la même année, avaient également lancé un «Partenariat de coopération atlantique», incluant de nombreux pays africains dont le Maroc, et des pays sahéliens comme le Sénégal et le Nigeria.
Sur le front des défis sahéliens, la présence de plus en plus marquée des réseaux sudaméricains de trafic de drogue sur le Golfe de Guinée, d’où ils alimentent les mouvements terroristes qui sèment le chaos au Sahel depuis vingt ans, devrait également renforcer la coopération avec les Etats-Unis.
Entre la Chine et les Etats-Unis
Il est cependant un domaine dans lequel les deux vieux partenaires devront s’accorder : la loi sur la réduction de l’inflation (Ira) dont le volet «crédits d’impôts», mis en place par Joe Biden, bénéficie largement à l’économie du Maroc en raison de l’accord de libre-échange qui le lie aux Etats-Unis depuis janvier 2006. Pour bénéficier de cet écosystème favorable, de nombreuses entreprises chinoises se sont tournées vers le Maroc, y réalisant des investissements importants dans le domaine des véhicules électriques. Deuxième investisseur du continent, après l’Afrique du Sud, le Maroc a besoin de ces atouts pour renforcer sa position d’acteur-clé de l’industrie verte en Afrique. Or, tout à leur rivalité avec la Chine, les Etats-Unis de Trump pourraient vouloir revisiter l’Ira, contraignant le Maroc à adapter sa stratégie d’équidistance entre ces deux puissances.
Il est vrai que la Chine étant le principal partenaire commercial de l’Afrique depuis 20 ans -avec un volume d’échanges cinq fois supérieur à celui que les Etats-Unis ont avec le continent-, la façon dont Trump envisagera son partenariat avec le Maroc en dira long sur ses intentions vis-à-vis de l’Afrique elle-même.
Rama YADE
Directrice Afrique Atlantic Council
UNE CONTRADICTION ENTRE LA FRANCE DES DROITS DE L’HOMME ET CELLE QUI EXERCE UN POUVOIR VIOLENT
Si on ne comprend pas que le massacre de Thiaroye est perpétré au même moment où la France fête la libération après l’occupation, la débâcle de 1940, on ne comprendra pas pourquoi la France a tout fait pour qu’on n’en parle pas, a martelé Mamadou Diouf.
Le voile ou le silence posé sur le massacre, le 1er décembre1944, de Tirailleurs sénégalais par des militaires français à Thiaroye [une banlieue dakaroise] en ditlong sur la ‘’contradiction’’ entre la »France des droits de l’homme » et celle qui ‘’exerce un pouvoir violent’’ dénoncée par les premiers intellectuels africains notamment Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Frantz Fanon, estime l’historien sénégalais Mamadou Diouf.
Le 1er décembre 1944, des »tirailleurs sénégalais » démobilisés et renvoyés en Afrique après la seconde Guerre mondiale, sont tués par l’Armée coloniale française, alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs indemnités et le versement du pécule qui leur était promis depuis des mois par les autorités politiques et militaires de la France. » C’est la contradiction entre ce qu’ils appellent la France des droits de l’homme, la France idéale, philosophiquement et intellectuellement, et la France historique, qui est la France qui a un empire colonial. Une France qui exerce, en fait, un pouvoir qui est un pouvoir violent’’, a notamment dit l’universitaire lors d’un entretien accordé à l’APS en prélude des commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.
Si on ne comprend pas que le massacre de Thiaroye est perpétré au même moment où la France fête la libération après l’occupation, la débâcle de 1940, on ne comprendra pas pourquoi la France a tout fait pour qu’on n’en parle pas, a martelé Mamadou Diouf.
Il s’agit, selon l’enseignant chercheur à l’université de Columbia aux Etats Unis, de l’environnement dans lequel il [le massacre de Thiaroye] s’est déroulé. ‘’Et cet environnement, c’est effectivement l’environnement de l’euphorie de la libération, en fait, et de l’arrivée au pouvoir de ce que De Gaulle va appeler les compagnons de la libération, ceux qui se sont battus pour que la France soit libérée’’, a expliqué l’historien ajoutant que c’est pourquoi ‘’ce massacre colonial, comme la plupart des massacres coloniaux, sera en général tu’’ par l’Hexagone. Le Pr Diouf a toutefois relevé que l’année du massacre est présente dans l’esprit des leaders africains.
Il cite le poème contemporain de Léopold Sédar Senghor écrit en décembre 1944 où il se lamente du massacre de ces anciens soldats prisonniers [la plupart d’entre eux, sinon la quasi-totalité, étaient en prison pendant 4 ans après la débâcle. Et quand ils ont été libérés, ils ont été rapatriés et cantonnés à Thiaroye].
‘’Donc la première réaction de Senghor, c’est de manifester effectivement sa désapprobation et sa condamnation. Et en 1946, Senghor (alors député à l’Assemblée nationale française) va aussi demander une amnistie’’, s’est-il remémoré.
La deuxième grande réaction qui précède celle de Senghor, souligne Mamadou Diouf, est celle de Lamine Guèye, député maire de Dakar qui demanda, en 1944, la mise en place d’une commission parlementaire pour enquêter sur ce qu’il appelle ‘’l’abominable atrocité et la tuerie de Thiaroye’’
L’universitaire souligne aussi la contribution du dramaturge et homme politique guinéen, Keita Fodéba, auteur de ‘’Aube africaine’’, écrit en 1948. Cette pièce sera représentée dimanche prochain au Grand Théâtre national de Dakar dans le cadre du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.
Le président du comité pour la commémoration du 80e anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye a relevé tout de même ‘’le silence complice » d’hommes politiques sénégalais une fois au pouvoir. ‘’Et c’est vrai, quand Senghor devient président, il n’en parle pas. Quand il est remplacé par Abdou Diouf, il préside la première du film de Sembene +Camp de Thiaroye+ [le film de Sembene Ousmane et de Thierno Faty Sow sorti en 1988], mais il n’en parle pas. Le film va être interdit par la France pendant 10 ans’’, a fait savoir l’historien.
Il souligne qu’Abdoulaye Wade, en revanche, s’est intéressé aux tirailleurs en initiant une journée qui leur est dédiée. « Mais pour la date, d’après la rumeur, les Français ont exigé qu’ils ne prennent pas le 1er décembre’’, informe le professeur Diouf, ajoutant que c’est à cause de tout cela que « le massacre de Thiaroye s’est dissipé ».
Pour Mamadou Diouf, »cette histoire doit être dévoilée au sens plein du terme. Il va falloir lever le voile, ce voile qui a été posé effectivement par la France »’.
par Koor Mayé
COP29 : UN PROGRÈS APPARENT, MAIS UN SYSTÈME À REPENSER
L'universalisme actuel, fondé sur des rapports de force déséquilibrés, doit être remplacé par un multilatéralisme inclusif, équitable et respectueux des différences
La Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP29) qui s'est déroulée au cours des deux semaines précédentes à Bakou en Azerbaïdjan s'est conclue avec l'adoption, entre autres, de nouveaux engagements financiers pour les pays en développement, marquant une avancée notable sur le papier. Le triplement des financements publics pour atteindre 300 milliards de dollars à partir de sources publiques par an d'ici 2035, ainsi que l'ambition d'accumuler 1300 milliards de dollars US par an à partir de sources publiques et privées, sont salués comme des victoires.
300 milliards en 2025 vaudraient 210 milliards en 2035
Bien que les 300 milliards de dollars par an sur une période de 10 ans représentent une avancée sans précédent le financement climatique, il faut souligner qu'en 2035 ce montant n'aura pas la même valeur qu'en 2025 en raison de l'inflation projetée. Par exemple avec une inflation de 3%, les 100 milliards de dollars qui auraient été déjà débloqués dans le cadre de l'accord précédent en 2020, auront en 2035, le même pouvoir d'achat que 155 milliards de dollars, avec un taux d'inflation annuel modeste de 3%. Selon le site Bloomberg, avec un risque d'inflation plus élevé, 300 milliards de dollars en 2035 pourraient ne même pas doubler, à plus forte raison tripler le montant du financement climatique reçu par les pays en développement aujourd'hui.
Le triplement tant loué ne l'est donc que pour 2025; En effet, chaque année qui passe, il faut soustraire 9 milliards de ce montant du fait de l'inflation.
Par ailleurs, au-delà de ce grand montant, l'on peut s'interroger sur la qualité du processus ayant abouti aux engagements dans les négociations climatiques, comme d'ailleurs dans d'autres négociations internationales ainsi que sur leur effectivité. Bref, la question du caractère démocratique du processus et de certaines décisions qui en sortent reste entière.
Des négociations climatiques : un cercle vicieux ?
Les dialogues multilatéraux sur le climat, malgré quelques progrès indéniables, semblent souvent prisonniers d'une mécanique de compromis éternel, où chaque pas en avant est suivi d'attentes frustrantes. Faut-il pour autant les abandonner ? Laisser la planète s'emballer sous le poids de l'inaction ? Ou continuer à participer à un cirque hypocrite qui dissimule les vrais enjeux derrière des accords de façade ?
Le cœur du problème réside dans la réticence persistante des grandes puissances, principales responsables historiques des émissions de gaz à effet de serre, à assumer leur rôle. Les discours sur la transition énergétique et les promesses de financement sont souvent contrecarrés par une absence de volonté réelle de transférer des ressources financières et des technologies aux pays du Sud, ceux-là mêmes qui subissent les pires impacts climatiques.
Un universalisme impérialiste à combattre
Ces négociations, il faut le rappeler, s'inscrivent dans un cadre plus large, celui d'un universalisme vertical et impérialiste. Les normes, les priorités et les visions de l'Occident continuent d'être imposées au reste du monde, créant une asymétrie flagrante dans les décisions et les responsabilités. Cette domination des valeurs occidentales ignore les besoins, les priorités et les visions des peuples du Sud, réduisant ainsi le multilatéralisme à un outil de contrôle plutôt qu'à un espace d'inclusion et de justice.
Si les négociations sur le climat doivent réellement servir à construire un avenir durable, il est impératif de renverser ce modèle. L'universalisme actuel, fondé sur des rapports de force déséquilibrés, doit être remplacé par un multilatéralisme inclusif, équitable et respectueux des différences.
Le besoin d'une alternative radicale
Ce qui frappe, c'est l'aliénation collective dans laquelle nous sommes plongés. Nous avons été conditionnés à célébrer des miettes comme des victoires historiques. Pourtant, des alternatives existent. Enda Tiers Monde et d'autres organisations engagées depuis des décennies nous rappellent qu'un autre chemin est possible. Il ne s'agit pas seulement d'obtenir plus de financement, mais de repenser les structures mêmes de ces négociations pour sortir de cette impasse hypocrite.
La solution ne réside pas dans des réformes mineures mais dans un réveil collectif. Ce réveil doit venir de ceux qui comprennent que les enjeux climatiques ne se résument pas à des objectifs chiffrés, mais touchent aux fondements mêmes des systèmes économiques, financiers et politiques mondiaux.
Vers un multilatéralisme inclusif
L'urgence est de susciter un vaste mouvement mondial capable de remettre en question les fondements actuels des négociations climatiques. Ce mouvement doit œuvrer à l'établissement d'un multilatéralisme inclusif, où chaque pays, chaque peuple, et chaque voix auront un poids égal. Ce n'est qu'en enterrant l'universalisme vertical et en construisant un système basé sur la coopération et la justice climatique que nous pourrons espérer des avancées significatives.
Un chemin à tracer. La COP29 aura marqué une étape, mais le véritable défi reste entier. La planète ne peut plus attendre, et les populations les plus vulnérables ne peuvent plus subir. Il est temps de transformer ces dialogues en véritables actes de justice, portés par un mouvement inclusif et mondial, qui fera enfin passer l'humanité avant les intérêts étroits des grandes puissances.
Koor Mayé est Docteur en géographie, Spécialiste en planification, financement et gestion du développement sobre en carbone et résilient au changement climatique.
par Tekhe Gaye
L'ÉVEIL NÉCESSAIRE
L’impunité tuerait ce qu’il reste de notre conscience collective. Imaginez des écoles où les pensées de Cheikh Anta, de Ki-Zerbo.. résonneraient. Un changement durable nécessite de démanteler des sous-systèmes - ENTRETIEN AVEC MAHAMADOU LAMINE SAGNA
C’est un honneur de vous présenter cet entretien avec le Professeur Mahamadou Lamine Sagna, figure incontournable des sciences sociales en Afrique. Alliant rigueur académique et engagement militant, il a marqué par son travail auprès des communautés sénégalaises aux Etats-Unis, en Afrique, et en Amérique et sa participation active aux Assises nationales pour repenser la gouvernance du Sénégal.
Aujourd’hui, malgré sa réserve habituelle, il nous livre son analyse sur le phénomène Ousmane Sonko et Pastef, un mouvement qui a transformé le paysage politique sénégalais. Cet échange, organisé en trois axes, explore le contexte de son émergence, ses stratégies politiques et les enjeux de souveraineté.
Cet entretien se veut non seulement une analyse des événements politiques actuels, mais aussi une réflexion plus large sur les aspirations de notre peuple et le futur de notre nation. Je vous invite donc à plonger dans cet échange riche, lucide, et passionnant avec le Professeur Mahamadou Lamine Sagna, un esprit brillant et engagé, qui nous éclaire sur les enjeux essentiels de notre époque.
Tu as été une figure très active du débat public dans les années 2000 et 2010, et c’est un immense plaisir de te retrouver aujourd’hui pour cet entretien, après tout ce temps. Actuellement, tu enseignes à l’Université WPI (Worcester Polytechnic Institute), une institution principalement axée sur les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STEM). Comment un sociologue de ton calibre s’est-il retrouvé dans un environnement aussi technique ? Par ailleurs, beaucoup ignorent que tu as également eu un parcours de militant politique. Pourrais-tu nous en dire plus sur cet engagement et sur le cheminement qui t’a conduit là où tu es aujourd’hui ?
MLS : Avant de répondre à tes questions, je tiens à te rendre hommage. Ce mot traduit l’admiration que j’ai pour ton parcours et ton engagement. Tu as su faire résonner la voix de notre diaspora à New York, portant avec constance les luttes de nos compatriotes, ici et ailleurs, comme un flambeau inextinguible.
Je suis témoin de ton engagement, notamment lors des Assises nationales. Tu as diffusé sans relâche le rapport sur la gouvernance dans les médias, éclairant nos compatriotes et transformant cette initiative en une cause collective. Merci, Tekhe, pour ce lien précieux que tu maintiens entre la diaspora et notre terre.
Concernant mon engagement militant, il a commencé très tôt, à 16 ans, lorsque j’ai rejoint le parti de Cheikh Anta Diop, le Rassemblement National Démocratique (RND). Ce fut une véritable école de vie. J’ai appris à sensibiliser, à m’organiser, et à aller à la rencontre des populations rurales, vendant des journaux comme Siggi et Takhaw. Ces expériences m’ont formé à comprendre les réalités sociales du Sénégal et à développer une conscience critique.
Guidé par des figures comme Jean François Diouf et Jules Conaré, et inspiré par Cheikh Anta Diop, ce militantisme a profondément influencé ma vision du monde. Pour comprendre le monde, il faut écouter les gens, vivre leurs réalités – une leçon fondamentale que je porte encore aujourd’hui.
Pour répondre à ta question de savoir comment je me suis retrouvé à enseigner dans une institution orientée STEM. Je dirai qu’enseigner dans une université STEM comme WPI prolonge mon engagement dans l’éducation en intégrant les sciences humaines aux STEM pour aborder les défis actuels. Mes cours, tels que l’Introduction à la Sociologie, Social Justice, Ethics et Engineering, et AI and Ethics, permettent de sensibiliser les étudiants aux impacts éthiques et sociaux de leurs innovations, les préparant à contribuer à une société plus juste et durable. Bref je suis un pont entre différentes disciplines
Est-ce ce besoin constant de dialogue avec toutes les couches de la population, cette capacité d’écoute et d’apprentissage sans distinction, qui t’a guidé tout au long de ton parcours ? On se souvient que quand tu enseignais à Princeton tu te rendais chaque week-end à New York pour rencontrer la communauté. Était-ce ta manière de rester connecté, de maintenir un lien profond avec tes racines ?
Oui comme dans la philosophie Ubuntu « je suis parce que nous sommes ». Je crois profondément qu’il faut rendre à la communauté ce qu’elle nous a donné. Si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est parce que ma famille, ma communauté, et mon pays ont investi en moi. Ils m’ont formé, soutenu, et ont cru en moi. Il y a un devoir de réciprocité qui m’habite. Je dois essayer, dans la mesure de mes capacités, de redonner ce que j’ai reçu. Que ce soit à travers mes enseignements, mes recherches, ou simplement en restant engagé avec les gens, je veux contribuer, ne serait-ce qu’un peu, à leur rendre ce qu’ils m’ont offert.
C’est aussi pour ça que je privilégie toujours un engagement qui va au-delà de la salle de classe, en discutant avec les gens, en restant à l’écoute. La connaissance ne doit pas être une tour d’ivoire, mais un pont.
Puisqu'on en parle de pont, j'aimerais que tu me parles d'un grand homme avec qui tu étais proche : feu Amadou Mahtar Mbow. Tu as écrit un livre d’entretiens avec lui, Amadou Mahtar Mbow, Une légende à raconter – Entretiens avec un Éclaireur du siècle. Peux-tu nous en dire un peu plus sur la relation que tu entretenais avec lui ?
Oui Ahmadou Mahtar Mbow était un pont entre nous et les ancêtres. Mais aussi un éclaireur. Concernant le livre, je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Nous marchions dans les rues de Paris, enveloppés par une lumière dorée et un calme presque irréel. Soudain, il me prit doucement par la main et, d’une voix empreinte de sagesse, il déclara : “Lamine, beaucoup veulent écrire sur moi, mais j’ai décidé que ce sera toi.” Ces mots bouleversèrent ma vie.
Pris de court, j’exprimai mes doutes, mais son regard, chargé d’assurance tranquille, balaya mes hésitations : “Si, tu peux. Tu le feras.” Ce moment devint pour moi une mission, un testament à retranscrire, un pont entre les générations.
Pendant des semaines, nous nous retrouvions chez lui ou dans un café qu’il affectionnait. Chaque rencontre était une plongée dans ses combats, ses rêves, et ses déceptions, un voyage dans la mémoire vivante d’un homme ayant traversé les âges avec une dignité inébranlable. Ses récits portaient le poids d’un continent en quête d’identité et d’un siècle en mutation.
Amadou Mahtar Mbow m’a enseigné que la grandeur réside dans la générosité d’un cœur qui donne sans compter. Ce livre, je voulais qu’il soit une offrande, un héritage gravé dans la pierre, car des hommes comme lui ne disparaissent jamais vraiment. Ils continuent d’éclairer et d’inspirer, bien après que leurs pas se sont tus.
En 2023, tu as lancé une grande pétition aux côtés d'intellectuels comme Wole Soyinka, Noam Chomsky et Cornel West. Peux-tu nous parler de cet engagement et de son impact ?
J’ai pris cette initiative parce que l’attaque contre la vitre de la voiture d’Ousmane Sonko représentait, à mes yeux, une atteinte grave aux principes de l’État de droit et de la démocratie. Ce geste symbolisait une rupture profonde dans notre pacte démocratique, révélant la fragilité de nos institutions face à des dérives autoritaires.
Face à cette situation, j’ai ressenti une responsabilité morale d’agir. J’ai proposé une déclaration collective pour dénoncer cette violation des valeurs fondamentales et rassembler des soutiens. J’ai élargi cet appel à des intellectuels internationaux, défenseurs des droits humains, et à des figures sénégalaises respectées comme Amadou Tidiane Baba Wone et René Lake. Leur engagement témoignait de l’importance de cette cause, à la fois nationale et universelle.
Mon objectif était double : mobiliser les forces vives pour défendre nos acquis démocratiques et envoyer un message clair que l’indifférence face à ces dérives n’est pas une option. La démocratie, pour survivre, nécessite des citoyens engagés prêts à se lever pour la protéger. Cette déclaration devait incarner cette volonté collective de défendre les principes de justice, de liberté et d’équité.
Cet incident a-t-il été, selon vous, le déclencheur de votre réflexion sur ce qu’on pourrait qualifier de "phénomène Sonko" ?
Non, je ne le pense pas. Bien que cet incident ait amplifié l’indignation populaire, le phénomène Ousmane Sonko plonge ses racines bien plus profondément. Les soulèvements de 2021, expression d’un ras-le-bol généralisé face à des injustices sociales, économiques et politiques, ont déclenché toute une série de questions. J’ai compris que ces manifestations marquaient un tournant où une jeunesse marginalisée a réclamé justice et opportunités. Puis j’ai compris qu’Ousmane Sonko, avec son discours percutant et son image d’homme intègre, s’imposera comme le porte-voix de cette révolte, l’incarnation crédible de l’espoir d’un renouveau politique devant un système perçu comme corrompu et déconnecté. L’incident de la vitre brisée a renforcé mon intuition et mon analyse de cette dynamique, mais il n’en est pas l’origine.
Essentiellement, qu’avez-vous découvert à travers votre observation et votre analyse ?
J’ai découvert en Ousmane Sonko une combinaison rare d’intellect, de vision stratégique et d’engagement. Dès ses débuts, sa capacité d’analyse et son discours accessible m’ont frappé. À l’époque, certains intellectuels trouvaient que je surestimais son potentiel, mais le temps a prouvé qu’il s’imposait comme une figure centrale, capable de cristalliser espoirs et frustrations.
Cela dit, je ne suis pas militant de son parti. Mon engagement dépasse les affiliations : je lutte avant tout contre les injustices, surtout celles qui touchent à la dignité humaine. Sonko et son mouvement incarnent une aspiration à une société plus juste et souveraine, en proposant des alternatives claires face aux défis du Sénégal.
Cependant, je crois que le combat pour la justice et l’équité dépasse les individualités. Il demande une mobilisation collective autour de valeurs universelles. Mon soutien va donc aux causes qui défendent ces principes, bien au-delà des partis ou des leaders.
Quelle est ta position sur le débat autour de la nécessité de juger les auteurs d'actes répréhensibles, tels que les tueries, les tortures, et autres violences commises contre le peuple sénégalais ?
Juger les auteurs de ces crimes odieux n’est pas une option, mais une obligation morale et historique. Avec 86 vies brisées, des dizaines d’âmes torturées, et des centaines d’individus emprisonnés pour avoir simplement réclamé leurs droits, nous sommes face à une tragédie nationale qui transcende les chiffres. Ce ne sont pas des incidents isolés, mais les signes d’une dérive profonde, d’un système qui, par son silence, menace de légitimer l’inacceptable.
Je ne parviens pas à effacer de mon esprit cette image insoutenable : celle d’un jeune garçon abattu, son seul crime ayant été de brandir avec fierté notre drapeau. Cet acte d’une cruauté inqualifiable est le symbole de l’abîme moral dans lequel nous risquons de sombrer. Si ces crimes restent impunis, nous trahirons non seulement la mémoire de ces victimes, mais aussi l’essence même de notre nation. L’impunité tuerait ce qu’il reste de notre conscience collective et réduirait notre avenir à un pacte avec l’injustice.
Chaque jour où la vérité reste enfouie, c’est l’âme du Sénégal qui s’éteint un peu plus.
Cette responsabilité n’est pas celle d’une seule génération. Elle est un devoir partagé, un poids que chaque Sénégalais conscient doit porter. Si nous n’agissons pas, nous transmettrons à nos enfants un héritage de peur, de honte et d’injustice. Nous les condamnerons à vivre sous l’ombre de crimes non expiés, incapables de bâtir une société juste et unie.
Restaurer la dignité du Sénégal exige que nous affrontions cette sombre réalité avec gravité et détermination. La vérité doit éclater, la justice doit être rendue, et les responsables doivent répondre de leurs actes. Sans cela, nous ne serons plus qu’un peuple sans mémoire, une nation sans avenir. Agir aujourd’hui, c’est sauver non seulement notre présent, mais l’espoir de générations à venir. C’est une lutte pour l’âme même de notre pays, une lutte que nous ne pouvons pas, que nous ne devons pas, perdre.
Mais comment Sonko a pu mobiliser autant ? Autrement dit, comment décrirais-tu le contexte politique, social et économique dans lequel Ousmane Sonko et le mouvement Pastef ont émergé ?
Je vais te livrer une analyse que j’ai faite il y a trois ans. Le contexte dans lequel Ousmane Sonko et le mouvement Pastef ont émergé était marqué par une forte tension sociale, des injustices récurrentes, et une attente interminable d’un véritable changement. Pour mieux comprendre cette dynamique, nous pouvons faire un détour par une analyse d'Alain Badiou sur la lecture de Jean-Paul Sartre concernant la Commune de Paris.
Badiou illustre cette révolte en comparant la situation à un groupe de personnes attendant un bus qui n’arrive jamais. Cette attente crée une situation dite "sérielle", où chaque individu est passif et isolé dans sa frustration. Puis, l’un d’eux décide de protester et entraîne les autres à le suivre. À ce moment, une "fraternité conquérante" se forme : une solidarité enthousiaste naît, chaque individu devient porte-parole du groupe, et ensemble, ils marchent jusqu’à la direction de la compagnie des bus pour exiger des comptes. Au fil de leur marche, d’autres personnes rejoignent le mouvement, renforçant leur dynamique collective.
Finalement, ils réussissent à prendre le contrôle de la société des bus. C’est la victoire.
Après la victoire, n‘est-ce pas donc la fin de la fraternité conquérante ?
Oui, après la victoire, une nouvelle phase s’engage. Sartre évoque le passage de la "fraternité conquérante" à la "fraternité-terreur", où les rôles se figent et la critique devient rare, par crainte d’être perçue comme une trahison. Cette rigidité peut freiner l’expression démocratique et engendrer des tensions internes.
L’intelligence stratégique de Sonko et de ses compagnons réside dans leur capacité à éviter cet écueil. Ils semblent comprendre que pour répondre aux attentes du peuple, le "bus" – métaphore de l’État et de ses institutions – doit fonctionner en continu. Cela exige une gestion efficace tout en restant connecté aux aspirations populaires.
Ainsi, Bassirou Diomaye Faye gère l’institution (la société de bus), veillant à son bon fonctionnement sur le plan institutionnel, tandis que Sonko, à intervalles réguliers, reprend symboliquement le volant. Ce geste lui permet de rester en phase avec le peuple et d’incarner un leadership accessible.
Tant qu’ils maintiennent cette alternance entre gestion rigoureuse et mobilisation populaire, ils renforcent leur légitimité et leur solidité. Leur capacité à naviguer entre ces deux dimensions est leur véritable force.
Waw ! Fascinant. Peut-on espérer voir d'autres études sociologiques de ta part à l'avenir ?
Peut-être plus tard. C’est juste le point de vue d’un citoyen. Le chercheur que je suis ne fait pas des analyses universitaires à chaud. Il faut de la distance, du temps.
Mais Tu es en train de dire que Sonko et les membres de Pastef sont des stratèges d’exception ? Mais que penses-tu de ceux qui les qualifient de populistes ?
La notion de populisme est souvent galvaudée, utilisée pour discréditer quiconque remet en question l’ordre établi. Pourtant, dans son essence, le populisme consiste à parler au nom du peuple et à défier des élites perçues comme déconnectées des réalités.
Qualifier Sonko et le Pastef de "populistes" dépend de la définition adoptée. Certes, ils défient un système néolibéral jugé injuste et captent le ras-le-bol général. Mais plus qu’un simple populisme, leur approche reflète une stratégie visant à redonner une voix aux marginalisés.
Historiquement, des figures comme Sankara ou certains mouvements en Amérique latine, souvent taxés de populistes, ont restauré une dignité perdue. Le populisme devient problématique lorsqu’il verse dans la démagogie, mais s’il sert à représenter les oubliés du système, peut-on vraiment le condamner ? Ce terme, trop souvent une arme rhétorique, nécessite une distinction claire entre populisme destructeur et populisme porteur de transformation sociale.
Donc, selon toi, Sonko aurait-il conçu une stratégie authentiquement révolutionnaire pour défier et transformer le système sénégalais ?
Ousmane Sonko et ses compagnons ont opposé au système sénégalais un anti-système structuré, fondé sur une analyse stratégique des fabriques, mécanismes et structures qui normalisent les inégalités et favorisent les élites. Ils ont su dénoncer les institutions, médias et lois qui perpétuent l’oppression, ainsi que les rouages de censure et de dépendance des citoyens qui maintiennent le contrôle du pouvoir. Mais, pour un changement durable, ils devront démanteler les sous-systèmes qui soutiennent ces injustices : réformer une administration gangrenée par la corruption, promouvoir des médias indépendants et pluralistes, et mettre fin aux réseaux d’affairistes qui exploitent les failles du système. C’est en s’attaquant à ces bases que leur vision d’un Sénégal équitable et souverain pourra se concrétiser.
Parlons un peu de la diaspora à laquelle tu appartiens. Comment expliquer la mobilisation extraordinaire de la diaspora sénégalaise dans la mobilisation politique ?
En tant qu'analyste, je vois cette mobilisation comme le résultat d’un lien profond entre la diaspora et le Sénégal. Ces Sénégalais, bien qu’établis à l’étranger, restent intimement connectés à leur pays, vivant ce que l’on pourrait résumer par : « La diaspora n’habite plus le Sénégal, mais le Sénégal les habite. » Cette vision, proche de l’esprit Ubuntu – « Je suis parce que nous sommes » – traduit un attachement collectif à leur communauté et à l’avenir du pays.
Un facteur clé de cette mobilisation est Internet et les technologies numériques, qui ont aboli les distances. Grâce aux réseaux sociaux et plateformes de communication, la diaspora reste connectée en temps réel, s’organise efficacement, et amplifie ses voix critiques à l’échelle internationale.
De plus, la diaspora joue un rôle central dans l’économie sénégalaise par les transferts de fonds, renforçant sa légitimité à peser sur le débat politique. Des mouvements comme Pastef ont su capter cette énergie, en proposant des idées alignées avec les aspirations des Sénégalais vivant à l’étranger, notamment une gouvernance plus juste et inclusive.
Enfin, les jeunes générations, mieux connectées et formées, portent cette dynamique. Elles aspirent à réconcilier leur double identité culturelle et à bâtir un Sénégal moderne tout en restant enracinées dans leurs valeurs.
En somme, cette mobilisation illustre une citoyenneté mondiale qui reste solidement ancrée dans le local.
Comment envisages-tu l’avenir de cette mobilisation populaire ? Quelle est ton analyse de l’idéologie de souveraineté portée par Pastef, et quelle vision ce parti propose-t-il pour la gestion de l’État sénégalais ?
La vision de Pastef, notamment leur projet 2050, relance les idées de souveraineté et de développement endogène portées par Cheikh Anta Diop et Mamadou Dia. Ce projet prône un développement autocentré et auto-entretenu, basé sur la maîtrise des ressources et des choix économiques.
Leur discours sur la souveraineté résonne fortement, non seulement au Sénégal mais à l’échelle africaine, appelant à un véritable changement de paradigme. Il s’inscrit dans la continuité des combats menés par des figures comme Senghor, Nkrumah ou Cheikh Anta Diop, qui ont lutté pour une émancipation totale, souvent compromise par des pressions externes ou internes.
Voir de jeunes leaders comme ceux de Pastef recentrer ce combat est porteur d’espoir. En tant qu’héritier de l’école de pensée de Cheikh Anta Diop, je salue cette démarche, essentielle pour que l’Afrique contrôle ses ressources et bâtisse un développement véritablement souverain.
Mais concrètement, comment cette quête de souveraineté se traduit-elle sur le plan programmatique et quelles en sont les priorités ?
Le discours de souveraineté de Pastef aborde des enjeux économiques, politiques et culturels majeurs. Il interroge sur l’incapacité du Sénégal, riche en ressources naturelles, à garantir la prospérité de son peuple et sur sa dépendance aux aides étrangères. Pastef prône la valorisation des ressources nationales, la lutte contre la corruption et une gestion rigoureuse des finances publiques.
Cette quête de souveraineté nécessite de reconstruire les institutions, repenser les modèles de développement et investir dans l’éducation pour armer la jeunesse face aux défis futurs. Portée par un souffle nouveau, elle pourrait ouvrir la voie à un développement plus autonome et équitable pour le Sénégal et l’Afrique.
La vision Sénégal 2050, bien conçue et ambitieuse, repose sur une analyse claire des enjeux et propose des stratégies pour bâtir une nation souveraine, prospère et fière de ses ressources et talents.
Quelles sont, selon toi, les réformes clés à mettre en œuvre pour garantir une souveraineté pleine et durable au Sénégal ?
La souveraineté, en vérité, prend racine dans l'esprit et s'épanouit dans le cœur. Et c'est par l’éducation, cette flamme inextinguible, que nous allumerons les lumières de notre émancipation. Avant que ne naissent les réformes politiques ou économiques, c’est l’âme même de nos peuples qu’il faut libérer des chaînes invisibles laissées par l’histoire. Ces chaînes, forgées dans les brasiers de la colonisation, étouffent encore trop souvent notre confiance, notre fierté, et notre audace à rêver grand.
Ce que nous appelons "décolonisation des esprits" n’est pas un simple concept ; c’est un cri du cœur, une urgence. Elle invite à briser les complexes d’infériorité, à réapprendre à marcher debout, fiers de nos langues, de nos histoires, de nos héros. Car un peuple qui doute de lui-même ne peut jamais tracer son propre destin.
Et dans cette quête, l’éducation est la clé. Imaginez des écoles où les pensées de Cheikh Anta Diop, d’Amadou Hampâté Bâ, de Joseph Ki-Zerbo résonneraient dans chaque salle de classe. Imaginez des universités devenues des temples de savoir, des lieux où nos jeunes apprendraient non seulement à penser, mais à rêver, à créer, à reconstruire le monde. Hélas, aujourd’hui, même dans les institutions qui portent leurs noms, ces géants restent en marge, leurs idées reléguées à des murmures au lieu de devenir des chants.
C’est un gâchis que nous ne pouvons plus accepter. Nos écoles doivent devenir des sanctuaires de la mémoire et des laboratoires de l’avenir. À travers des séminaires, des dialogues, des enseignements vibrants, nos étudiants doivent être invités à dialoguer avec ces figures lumineuses, à se nourrir de leurs luttes, à puiser dans leurs rêves la force de bâtir une Afrique souveraine.
Mais ce projet dépasse l’intellect. Il s’agit aussi d’éveiller les âmes, de restaurer l’estime de soi, de libérer nos jeunes des ombres du passé pour qu’ils imaginent un avenir sans limites. Chaque mot qu’ils apprendront, chaque histoire qu’ils redécouvriront, sera une pierre posée dans l’édifice d’une souveraineté vraie.
Cette souveraineté que nous cherchons à construire ne peut se limiter à des institutions ou à des frontières. Elle doit devenir un feu intérieur, une conviction profonde que notre culture, notre histoire, nos langues sont des trésors inestimables. C’est une renaissance que nous appelons de nos vœux, une élévation collective. Et pour cela, il faut travailler sans relâche, avec passion et foi, pour que chaque esprit, chaque cœur, se nourrisse de la grandeur de notre patrimoine et ose rêver l’avenir.
En tant qu'auteur de Monnaie et Société, quel est votre point de vue sur la question fondamentale de la souveraineté monétaire et la sortie du Franc CFA, en particulier à la lumière des propositions défendues par le mouvement Pastef ?
La monnaie est bien plus qu’un simple outil économique : elle incarne la culture, l’histoire et le pouvoir. La question du Franc CFA dépasse donc les enjeux monétaires pour s’inscrire dans une réflexion politique et symbolique. Elle représente un enjeu de souveraineté nationale et de dignité collective, car elle perpétue une domination post-coloniale, même après des décennies d’indépendance.
Le Franc CFA, symbole d’une tutelle française persistante, maintient les pays africains dans une subordination économique. Par son existence, il entrave l’autonomie des décisions stratégiques, laissant les économies locales sous influence extérieure. Dans ce contexte, parler de souveraineté politique sans contrôle monétaire est illusoire.
Rompre avec le Franc CFA, comme le défend Pastef, n’est pas seulement une démarche économique, mais aussi un acte d’émancipation mentale et morale. Cependant, cette transition exige des prérequis : une monnaie nationale ou régionale qui inspire confiance, une discipline budgétaire et des structures financières solides pour éviter l’inflation ou la fuite des capitaux.
Au-delà de l’économie, la souveraineté monétaire repose sur une souveraineté mentale. Tant que nous resterons convaincus que notre développement dépend de l’extérieur, nous resterons captifs de schémas de dépendance. La monnaie, dans ce sens, devient un levier pour affirmer notre capacité à gérer nos affaires et tracer notre propre voie.
Une sortie réfléchie du Franc CFA pourrait être un tournant historique pour les nations africaines, marquant la réappropriation de leur destin économique et politique. Mais cela nécessite une refonte des systèmes éducatifs, une valorisation des savoirs endogènes et une mobilisation citoyenne massive. La monnaie n’est que la partie visible d’un enjeu plus vaste : une souveraineté économique, culturelle et mentale indispensable pour écrire l’avenir du continent en toute liberté.
Merci infiniment, Professeur Mahamadou Lamine Sagna, pour vos réponses d’une rare profondeur. Vous avez éclairé des enjeux cruciaux avec une lucidité remarquable, tout en rappelant la responsabilité morale qui nous incombe. C’est un privilège d’avoir échangé avec vous. Vos paroles inspirent et insufflent un souffle d’engagement et de dignité, essentiels pour bâtir un Sénégal plus juste. Votre parcours, mêlant rigueur intellectuelle et militantisme, est une véritable source d’espoir et un guide dans ces temps troublés.
Merci, Tekhe, pour cet espace d’expression. Tu es bien plus qu’un journaliste : un citoyen engagé, un défenseur de la diaspora et un militant infatigable pour la justice sociale. Par ton travail, tu éveilles les consciences, bâtis des ponts et rappelles l’importance de ne jamais céder au silence.
J’espère que le Sénégal saura tirer parti de ta vision et de ta passion. Ton engagement est une inspiration, et je suis convaincu qu’avec des acteurs comme toi, notre nation surmontera ses défis tout en restant fidèle à ses idéaux d’équité et de solidarité.
DAKAR-PARIS, LA RUPTURE À BAS BRUIT
Alors que les pays voisins du Sahel chassent violemment la France, le Sénégal cultive une opposition plus mesurée. Les Français installés sur place ne ressentent pas d'hostilité particulière et se sentent en sécurité
(SenePlus) - Une enquête du quotidien La Croix révèle la montée d'une rhétorique hostile à la France au Sénégal, sur fond de changements politiques majeurs dans la région. Si le discours se durcit, notamment du côté du parti au pouvoir, la situation reste très différente de celle des pays voisins du Sahel.
"Le Sénégal n'est plus la chasse gardée des Français", affirme sans détour Oumar Alioune Kane, responsable de la communication du Pastef, le parti au pouvoir. Dans un entretien accordé à La Croix, il dénonce "une relation de paternalisme" et revendique des "relations d'égal à égal". Plus radical encore, il lance : "On en a marre que l'Occident essaie de nous civiliser !"
Ce discours n'est pas isolé. Selon un rapport récent de l'association Tournons la page et du Centre de recherches internationales de Sciences Po, cité par La Croix, le rejet de la politique française en Afrique est "massif, presque unanime". L'étude, basée sur plus de 500 entretiens dans six pays d'Afrique francophone, pointe plusieurs griefs : manque de fiabilité sécuritaire, pillage des ressources, collusion avec les élites corrompues.
Du côté français, on relativise. "Qu'il y ait des incompréhensions, des questions, des critiques, cela fait partie de la vie du monde", confie une source diplomatique française à Dakar au quotidien. "Il y a du populisme partout, y compris ici. Comme nous faisons partie du paysage, nous sommes associés aux critiques."
Les tensions se sont manifestées concrètement : entre mars 2021 et juin 2023, 39 magasins Auchan ont été vandalisés lors de manifestations pro-Ousmane Sonko, rapporte La Croix. Pourtant, un étudiant proche du Pastef, Mamadou, nuance : "Cela a été instrumentalisé par les médias. Jusqu'à présent, on n'a vu aucun Français se faire immoler..."
Le chercheur d'Amnesty International Ousmane Diallo, interrogé par La Croix, offre une analyse éclairante : "Le discours des putschistes sur la souveraineté, sur le changement de paradigme par rapport à la France a circulé dans la région et suscité, au moins dans un premier temps, un fort engouement à Dakar. Puis, lorsque les Sénégalais ont vu ce que devenait le Mali, le Niger, le Burkina Faso, ils ont mesuré leurs propos."
Un point de friction particulier émerge autour des droits LGBT. Le Premier ministre Ousmane Sonko a prévenu que ce sujet pourrait devenir un "casus belli". La source diplomatique française répond : "Il n'y a pas d'imposition de valeurs. Tous les projets ici sont portés par des Sénégalais", tout en admettant que "ces partenaires locaux peuvent eux-mêmes avoir des valeurs différentes de leur population."
Malgré ces tensions, l'enquête de La Croix souligne que les Français installés au Sénégal ne ressentent pas d'hostilité particulière et se sentent en sécurité, contrairement à la situation dans les pays voisins du Sahel. Une différence notable qui suggère que le Sénégal, malgré une rhétorique parfois agressive, maintient une relation complexe mais stable avec son ancien colonisateur.
par Johanna D.
LETTRE OUVERTE AU DÉPUTÉ GUY MARIUS SAGNA
emprisonnée pour avoir tenté d'échapper à son bourreau, Dieynaba Ndiaye incarne le paradoxe d'une justice qui punit les victimes. Nous vous demandons en faveur de cette survivante récemment hospitalisée en raison de son état de santé dégradant
"La femme est la racine première, fondamentale de la nation où se greffe tout apport, d'où part aussi toute floraison." déclarait Mariama Bâ. En cette veille de la Campagne des 16 jours d'activisme contre les Violences faites aux femmes et aux filles, nous vous adressons cette lettre.
Le Sénégal pose les fondations d'une nouvelle ère à travers l'Agenda National de Transformation et cette 15ᵉ législature à laquelle vous appartenez. L'idéal d'une nation souveraine, juste, prospère et ancrée dans de fortes valeurs, telle défendue par le président de la République. La vision Sénégal 2050, claire et audacieuse, suscite l'espoir du bonheur et de la justice auprès des populations.
Et pourtant, ce beau tableau est noirci par une tâche. Cette tâche que l'on retrouve sur le poignet des femmes, leur visage, leur cou et leur corps. Une tache tantôt visible, tantôt invisible qui prend forme davantage sur le tableau, sous nos yeux. Notre inaction et notre silence, nous rend complices de ce fléau qui corrompt la racine de la nation.
Honorable, cette tâche est portée par des milliers de nos filles, nos soeurs, nos mères. Elle a noirci leur vie, affecté leur entourage et leur progéniture. À titre d'exemple, Dieynaba Ndiaye, une jeune femme pleine de vie et de rêves, qui se retrouve en prison pour avoir essayé de s'échapper à cette ombre pesante.
Mariée à un homme, Dieynaba avait espoir de vivre une vie idéale d'amour et de paix. Elle ne s'attendait pas à ce que, dans la nuit du 16 avril 2024, son homme peigne son visage et son corps de tâches horribles. "Malgré mes saignements et mes cris, il a continué à me frapper avec une force inimaginable." relate-t-elle dans sa plainte adressée au Procureur de Matam. Le calvaire de Dieynaba s'est poursuivi quand elle a voulu fuir cette violence. Son mari l'a emmené en brousse, puis fait sortir violemment de sa voiture et l'a abandonné au milieu des arbres avec des coups et des injures.
Dieynaba rêvait d'une vie saine et prospère, pas d'une vie où le tableau sera obscurci par cette tâche noire qui est la violence conjugale. En tant que survivante, elle avait confiance en dame justice, pour réparer l'honneur et briser l'injustice. Mais là où elle espérait un bras fort et droit, elle n'a trouvé qu'un mur froid sans voix.
Honorable, Dieynaba purge présentement au Camp Pénal de Dakar une peine bien supérieure à celle de son bourreau. Un bourreau qui a précédemment brisé la vie de six autres épouses, dont une qui a succombé à la lourdeur de cette tâche. Nous vous demandons à travers cette lettre d'agir en faveur de cette survivante qui a récemment été hospitalisée à Abass Ndao en raison de son état de santé dégradant.
Nous demandons sa libération immédiate, elle mérite plus d'empathie et de considération à cause du traumatisme qu'elle a vécu. Dieynaba doit être auprès des siens pour panser ses douleurs et non pas dans une cellule qui ravive ses malheurs.
Honorable, nous avons foi en votre sens de la justice sociale et votre soutien à la dignité humaine. Si nous n'agissons pas rapidement, les violences basées sur le genre risquent d'entacher la vision Sénégal 2050 qui aspire à une société inclusive et équitable. Chaque acte de violences faites aux femmes et aux filles est une atteinte non seulement aux individus, mais à l'idéal collectif que nous visons.
Pour un Sénégal sûr, un Sénégal juste et un Sénégal sensible aux besoins spécifiques des femmes et des filles, il est impératif que nous faisons qu'un et défendons #FreeDieynaba.
Johanna D. est porte-parole du Collectif des survivantes anonymes et membre de l'Alliance sénégalaise contre les violences faites aux femmes et filles handicapées.