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22 avril 2025
Diaspora
par Tekhe Gaye
L'ÉVEIL NÉCESSAIRE
L’impunité tuerait ce qu’il reste de notre conscience collective. Imaginez des écoles où les pensées de Cheikh Anta, de Ki-Zerbo.. résonneraient. Un changement durable nécessite de démanteler des sous-systèmes - ENTRETIEN AVEC MAHAMADOU LAMINE SAGNA
C’est un honneur de vous présenter cet entretien avec le Professeur Mahamadou Lamine Sagna, figure incontournable des sciences sociales en Afrique. Alliant rigueur académique et engagement militant, il a marqué par son travail auprès des communautés sénégalaises aux Etats-Unis, en Afrique, et en Amérique et sa participation active aux Assises nationales pour repenser la gouvernance du Sénégal.
Aujourd’hui, malgré sa réserve habituelle, il nous livre son analyse sur le phénomène Ousmane Sonko et Pastef, un mouvement qui a transformé le paysage politique sénégalais. Cet échange, organisé en trois axes, explore le contexte de son émergence, ses stratégies politiques et les enjeux de souveraineté.
Cet entretien se veut non seulement une analyse des événements politiques actuels, mais aussi une réflexion plus large sur les aspirations de notre peuple et le futur de notre nation. Je vous invite donc à plonger dans cet échange riche, lucide, et passionnant avec le Professeur Mahamadou Lamine Sagna, un esprit brillant et engagé, qui nous éclaire sur les enjeux essentiels de notre époque.
Tu as été une figure très active du débat public dans les années 2000 et 2010, et c’est un immense plaisir de te retrouver aujourd’hui pour cet entretien, après tout ce temps. Actuellement, tu enseignes à l’Université WPI (Worcester Polytechnic Institute), une institution principalement axée sur les sciences, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STEM). Comment un sociologue de ton calibre s’est-il retrouvé dans un environnement aussi technique ? Par ailleurs, beaucoup ignorent que tu as également eu un parcours de militant politique. Pourrais-tu nous en dire plus sur cet engagement et sur le cheminement qui t’a conduit là où tu es aujourd’hui ?
MLS : Avant de répondre à tes questions, je tiens à te rendre hommage. Ce mot traduit l’admiration que j’ai pour ton parcours et ton engagement. Tu as su faire résonner la voix de notre diaspora à New York, portant avec constance les luttes de nos compatriotes, ici et ailleurs, comme un flambeau inextinguible.
Je suis témoin de ton engagement, notamment lors des Assises nationales. Tu as diffusé sans relâche le rapport sur la gouvernance dans les médias, éclairant nos compatriotes et transformant cette initiative en une cause collective. Merci, Tekhe, pour ce lien précieux que tu maintiens entre la diaspora et notre terre.
Concernant mon engagement militant, il a commencé très tôt, à 16 ans, lorsque j’ai rejoint le parti de Cheikh Anta Diop, le Rassemblement National Démocratique (RND). Ce fut une véritable école de vie. J’ai appris à sensibiliser, à m’organiser, et à aller à la rencontre des populations rurales, vendant des journaux comme Siggi et Takhaw. Ces expériences m’ont formé à comprendre les réalités sociales du Sénégal et à développer une conscience critique.
Guidé par des figures comme Jean François Diouf et Jules Conaré, et inspiré par Cheikh Anta Diop, ce militantisme a profondément influencé ma vision du monde. Pour comprendre le monde, il faut écouter les gens, vivre leurs réalités – une leçon fondamentale que je porte encore aujourd’hui.
Pour répondre à ta question de savoir comment je me suis retrouvé à enseigner dans une institution orientée STEM. Je dirai qu’enseigner dans une université STEM comme WPI prolonge mon engagement dans l’éducation en intégrant les sciences humaines aux STEM pour aborder les défis actuels. Mes cours, tels que l’Introduction à la Sociologie, Social Justice, Ethics et Engineering, et AI and Ethics, permettent de sensibiliser les étudiants aux impacts éthiques et sociaux de leurs innovations, les préparant à contribuer à une société plus juste et durable. Bref je suis un pont entre différentes disciplines
Est-ce ce besoin constant de dialogue avec toutes les couches de la population, cette capacité d’écoute et d’apprentissage sans distinction, qui t’a guidé tout au long de ton parcours ? On se souvient que quand tu enseignais à Princeton tu te rendais chaque week-end à New York pour rencontrer la communauté. Était-ce ta manière de rester connecté, de maintenir un lien profond avec tes racines ?
Oui comme dans la philosophie Ubuntu « je suis parce que nous sommes ». Je crois profondément qu’il faut rendre à la communauté ce qu’elle nous a donné. Si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est parce que ma famille, ma communauté, et mon pays ont investi en moi. Ils m’ont formé, soutenu, et ont cru en moi. Il y a un devoir de réciprocité qui m’habite. Je dois essayer, dans la mesure de mes capacités, de redonner ce que j’ai reçu. Que ce soit à travers mes enseignements, mes recherches, ou simplement en restant engagé avec les gens, je veux contribuer, ne serait-ce qu’un peu, à leur rendre ce qu’ils m’ont offert.
C’est aussi pour ça que je privilégie toujours un engagement qui va au-delà de la salle de classe, en discutant avec les gens, en restant à l’écoute. La connaissance ne doit pas être une tour d’ivoire, mais un pont.
Puisqu'on en parle de pont, j'aimerais que tu me parles d'un grand homme avec qui tu étais proche : feu Amadou Mahtar Mbow. Tu as écrit un livre d’entretiens avec lui, Amadou Mahtar Mbow, Une légende à raconter – Entretiens avec un Éclaireur du siècle. Peux-tu nous en dire un peu plus sur la relation que tu entretenais avec lui ?
Oui Ahmadou Mahtar Mbow était un pont entre nous et les ancêtres. Mais aussi un éclaireur. Concernant le livre, je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Nous marchions dans les rues de Paris, enveloppés par une lumière dorée et un calme presque irréel. Soudain, il me prit doucement par la main et, d’une voix empreinte de sagesse, il déclara : “Lamine, beaucoup veulent écrire sur moi, mais j’ai décidé que ce sera toi.” Ces mots bouleversèrent ma vie.
Pris de court, j’exprimai mes doutes, mais son regard, chargé d’assurance tranquille, balaya mes hésitations : “Si, tu peux. Tu le feras.” Ce moment devint pour moi une mission, un testament à retranscrire, un pont entre les générations.
Pendant des semaines, nous nous retrouvions chez lui ou dans un café qu’il affectionnait. Chaque rencontre était une plongée dans ses combats, ses rêves, et ses déceptions, un voyage dans la mémoire vivante d’un homme ayant traversé les âges avec une dignité inébranlable. Ses récits portaient le poids d’un continent en quête d’identité et d’un siècle en mutation.
Amadou Mahtar Mbow m’a enseigné que la grandeur réside dans la générosité d’un cœur qui donne sans compter. Ce livre, je voulais qu’il soit une offrande, un héritage gravé dans la pierre, car des hommes comme lui ne disparaissent jamais vraiment. Ils continuent d’éclairer et d’inspirer, bien après que leurs pas se sont tus.
En 2023, tu as lancé une grande pétition aux côtés d'intellectuels comme Wole Soyinka, Noam Chomsky et Cornel West. Peux-tu nous parler de cet engagement et de son impact ?
J’ai pris cette initiative parce que l’attaque contre la vitre de la voiture d’Ousmane Sonko représentait, à mes yeux, une atteinte grave aux principes de l’État de droit et de la démocratie. Ce geste symbolisait une rupture profonde dans notre pacte démocratique, révélant la fragilité de nos institutions face à des dérives autoritaires.
Face à cette situation, j’ai ressenti une responsabilité morale d’agir. J’ai proposé une déclaration collective pour dénoncer cette violation des valeurs fondamentales et rassembler des soutiens. J’ai élargi cet appel à des intellectuels internationaux, défenseurs des droits humains, et à des figures sénégalaises respectées comme Amadou Tidiane Baba Wone et René Lake. Leur engagement témoignait de l’importance de cette cause, à la fois nationale et universelle.
Mon objectif était double : mobiliser les forces vives pour défendre nos acquis démocratiques et envoyer un message clair que l’indifférence face à ces dérives n’est pas une option. La démocratie, pour survivre, nécessite des citoyens engagés prêts à se lever pour la protéger. Cette déclaration devait incarner cette volonté collective de défendre les principes de justice, de liberté et d’équité.
Cet incident a-t-il été, selon vous, le déclencheur de votre réflexion sur ce qu’on pourrait qualifier de "phénomène Sonko" ?
Non, je ne le pense pas. Bien que cet incident ait amplifié l’indignation populaire, le phénomène Ousmane Sonko plonge ses racines bien plus profondément. Les soulèvements de 2021, expression d’un ras-le-bol généralisé face à des injustices sociales, économiques et politiques, ont déclenché toute une série de questions. J’ai compris que ces manifestations marquaient un tournant où une jeunesse marginalisée a réclamé justice et opportunités. Puis j’ai compris qu’Ousmane Sonko, avec son discours percutant et son image d’homme intègre, s’imposera comme le porte-voix de cette révolte, l’incarnation crédible de l’espoir d’un renouveau politique devant un système perçu comme corrompu et déconnecté. L’incident de la vitre brisée a renforcé mon intuition et mon analyse de cette dynamique, mais il n’en est pas l’origine.
Essentiellement, qu’avez-vous découvert à travers votre observation et votre analyse ?
J’ai découvert en Ousmane Sonko une combinaison rare d’intellect, de vision stratégique et d’engagement. Dès ses débuts, sa capacité d’analyse et son discours accessible m’ont frappé. À l’époque, certains intellectuels trouvaient que je surestimais son potentiel, mais le temps a prouvé qu’il s’imposait comme une figure centrale, capable de cristalliser espoirs et frustrations.
Cela dit, je ne suis pas militant de son parti. Mon engagement dépasse les affiliations : je lutte avant tout contre les injustices, surtout celles qui touchent à la dignité humaine. Sonko et son mouvement incarnent une aspiration à une société plus juste et souveraine, en proposant des alternatives claires face aux défis du Sénégal.
Cependant, je crois que le combat pour la justice et l’équité dépasse les individualités. Il demande une mobilisation collective autour de valeurs universelles. Mon soutien va donc aux causes qui défendent ces principes, bien au-delà des partis ou des leaders.
Quelle est ta position sur le débat autour de la nécessité de juger les auteurs d'actes répréhensibles, tels que les tueries, les tortures, et autres violences commises contre le peuple sénégalais ?
Juger les auteurs de ces crimes odieux n’est pas une option, mais une obligation morale et historique. Avec 86 vies brisées, des dizaines d’âmes torturées, et des centaines d’individus emprisonnés pour avoir simplement réclamé leurs droits, nous sommes face à une tragédie nationale qui transcende les chiffres. Ce ne sont pas des incidents isolés, mais les signes d’une dérive profonde, d’un système qui, par son silence, menace de légitimer l’inacceptable.
Je ne parviens pas à effacer de mon esprit cette image insoutenable : celle d’un jeune garçon abattu, son seul crime ayant été de brandir avec fierté notre drapeau. Cet acte d’une cruauté inqualifiable est le symbole de l’abîme moral dans lequel nous risquons de sombrer. Si ces crimes restent impunis, nous trahirons non seulement la mémoire de ces victimes, mais aussi l’essence même de notre nation. L’impunité tuerait ce qu’il reste de notre conscience collective et réduirait notre avenir à un pacte avec l’injustice.
Chaque jour où la vérité reste enfouie, c’est l’âme du Sénégal qui s’éteint un peu plus.
Cette responsabilité n’est pas celle d’une seule génération. Elle est un devoir partagé, un poids que chaque Sénégalais conscient doit porter. Si nous n’agissons pas, nous transmettrons à nos enfants un héritage de peur, de honte et d’injustice. Nous les condamnerons à vivre sous l’ombre de crimes non expiés, incapables de bâtir une société juste et unie.
Restaurer la dignité du Sénégal exige que nous affrontions cette sombre réalité avec gravité et détermination. La vérité doit éclater, la justice doit être rendue, et les responsables doivent répondre de leurs actes. Sans cela, nous ne serons plus qu’un peuple sans mémoire, une nation sans avenir. Agir aujourd’hui, c’est sauver non seulement notre présent, mais l’espoir de générations à venir. C’est une lutte pour l’âme même de notre pays, une lutte que nous ne pouvons pas, que nous ne devons pas, perdre.
Mais comment Sonko a pu mobiliser autant ? Autrement dit, comment décrirais-tu le contexte politique, social et économique dans lequel Ousmane Sonko et le mouvement Pastef ont émergé ?
Je vais te livrer une analyse que j’ai faite il y a trois ans. Le contexte dans lequel Ousmane Sonko et le mouvement Pastef ont émergé était marqué par une forte tension sociale, des injustices récurrentes, et une attente interminable d’un véritable changement. Pour mieux comprendre cette dynamique, nous pouvons faire un détour par une analyse d'Alain Badiou sur la lecture de Jean-Paul Sartre concernant la Commune de Paris.
Badiou illustre cette révolte en comparant la situation à un groupe de personnes attendant un bus qui n’arrive jamais. Cette attente crée une situation dite "sérielle", où chaque individu est passif et isolé dans sa frustration. Puis, l’un d’eux décide de protester et entraîne les autres à le suivre. À ce moment, une "fraternité conquérante" se forme : une solidarité enthousiaste naît, chaque individu devient porte-parole du groupe, et ensemble, ils marchent jusqu’à la direction de la compagnie des bus pour exiger des comptes. Au fil de leur marche, d’autres personnes rejoignent le mouvement, renforçant leur dynamique collective.
Finalement, ils réussissent à prendre le contrôle de la société des bus. C’est la victoire.
Après la victoire, n‘est-ce pas donc la fin de la fraternité conquérante ?
Oui, après la victoire, une nouvelle phase s’engage. Sartre évoque le passage de la "fraternité conquérante" à la "fraternité-terreur", où les rôles se figent et la critique devient rare, par crainte d’être perçue comme une trahison. Cette rigidité peut freiner l’expression démocratique et engendrer des tensions internes.
L’intelligence stratégique de Sonko et de ses compagnons réside dans leur capacité à éviter cet écueil. Ils semblent comprendre que pour répondre aux attentes du peuple, le "bus" – métaphore de l’État et de ses institutions – doit fonctionner en continu. Cela exige une gestion efficace tout en restant connecté aux aspirations populaires.
Ainsi, Bassirou Diomaye Faye gère l’institution (la société de bus), veillant à son bon fonctionnement sur le plan institutionnel, tandis que Sonko, à intervalles réguliers, reprend symboliquement le volant. Ce geste lui permet de rester en phase avec le peuple et d’incarner un leadership accessible.
Tant qu’ils maintiennent cette alternance entre gestion rigoureuse et mobilisation populaire, ils renforcent leur légitimité et leur solidité. Leur capacité à naviguer entre ces deux dimensions est leur véritable force.
Waw ! Fascinant. Peut-on espérer voir d'autres études sociologiques de ta part à l'avenir ?
Peut-être plus tard. C’est juste le point de vue d’un citoyen. Le chercheur que je suis ne fait pas des analyses universitaires à chaud. Il faut de la distance, du temps.
Mais Tu es en train de dire que Sonko et les membres de Pastef sont des stratèges d’exception ? Mais que penses-tu de ceux qui les qualifient de populistes ?
La notion de populisme est souvent galvaudée, utilisée pour discréditer quiconque remet en question l’ordre établi. Pourtant, dans son essence, le populisme consiste à parler au nom du peuple et à défier des élites perçues comme déconnectées des réalités.
Qualifier Sonko et le Pastef de "populistes" dépend de la définition adoptée. Certes, ils défient un système néolibéral jugé injuste et captent le ras-le-bol général. Mais plus qu’un simple populisme, leur approche reflète une stratégie visant à redonner une voix aux marginalisés.
Historiquement, des figures comme Sankara ou certains mouvements en Amérique latine, souvent taxés de populistes, ont restauré une dignité perdue. Le populisme devient problématique lorsqu’il verse dans la démagogie, mais s’il sert à représenter les oubliés du système, peut-on vraiment le condamner ? Ce terme, trop souvent une arme rhétorique, nécessite une distinction claire entre populisme destructeur et populisme porteur de transformation sociale.
Donc, selon toi, Sonko aurait-il conçu une stratégie authentiquement révolutionnaire pour défier et transformer le système sénégalais ?
Ousmane Sonko et ses compagnons ont opposé au système sénégalais un anti-système structuré, fondé sur une analyse stratégique des fabriques, mécanismes et structures qui normalisent les inégalités et favorisent les élites. Ils ont su dénoncer les institutions, médias et lois qui perpétuent l’oppression, ainsi que les rouages de censure et de dépendance des citoyens qui maintiennent le contrôle du pouvoir. Mais, pour un changement durable, ils devront démanteler les sous-systèmes qui soutiennent ces injustices : réformer une administration gangrenée par la corruption, promouvoir des médias indépendants et pluralistes, et mettre fin aux réseaux d’affairistes qui exploitent les failles du système. C’est en s’attaquant à ces bases que leur vision d’un Sénégal équitable et souverain pourra se concrétiser.
Parlons un peu de la diaspora à laquelle tu appartiens. Comment expliquer la mobilisation extraordinaire de la diaspora sénégalaise dans la mobilisation politique ?
En tant qu'analyste, je vois cette mobilisation comme le résultat d’un lien profond entre la diaspora et le Sénégal. Ces Sénégalais, bien qu’établis à l’étranger, restent intimement connectés à leur pays, vivant ce que l’on pourrait résumer par : « La diaspora n’habite plus le Sénégal, mais le Sénégal les habite. » Cette vision, proche de l’esprit Ubuntu – « Je suis parce que nous sommes » – traduit un attachement collectif à leur communauté et à l’avenir du pays.
Un facteur clé de cette mobilisation est Internet et les technologies numériques, qui ont aboli les distances. Grâce aux réseaux sociaux et plateformes de communication, la diaspora reste connectée en temps réel, s’organise efficacement, et amplifie ses voix critiques à l’échelle internationale.
De plus, la diaspora joue un rôle central dans l’économie sénégalaise par les transferts de fonds, renforçant sa légitimité à peser sur le débat politique. Des mouvements comme Pastef ont su capter cette énergie, en proposant des idées alignées avec les aspirations des Sénégalais vivant à l’étranger, notamment une gouvernance plus juste et inclusive.
Enfin, les jeunes générations, mieux connectées et formées, portent cette dynamique. Elles aspirent à réconcilier leur double identité culturelle et à bâtir un Sénégal moderne tout en restant enracinées dans leurs valeurs.
En somme, cette mobilisation illustre une citoyenneté mondiale qui reste solidement ancrée dans le local.
Comment envisages-tu l’avenir de cette mobilisation populaire ? Quelle est ton analyse de l’idéologie de souveraineté portée par Pastef, et quelle vision ce parti propose-t-il pour la gestion de l’État sénégalais ?
La vision de Pastef, notamment leur projet 2050, relance les idées de souveraineté et de développement endogène portées par Cheikh Anta Diop et Mamadou Dia. Ce projet prône un développement autocentré et auto-entretenu, basé sur la maîtrise des ressources et des choix économiques.
Leur discours sur la souveraineté résonne fortement, non seulement au Sénégal mais à l’échelle africaine, appelant à un véritable changement de paradigme. Il s’inscrit dans la continuité des combats menés par des figures comme Senghor, Nkrumah ou Cheikh Anta Diop, qui ont lutté pour une émancipation totale, souvent compromise par des pressions externes ou internes.
Voir de jeunes leaders comme ceux de Pastef recentrer ce combat est porteur d’espoir. En tant qu’héritier de l’école de pensée de Cheikh Anta Diop, je salue cette démarche, essentielle pour que l’Afrique contrôle ses ressources et bâtisse un développement véritablement souverain.
Mais concrètement, comment cette quête de souveraineté se traduit-elle sur le plan programmatique et quelles en sont les priorités ?
Le discours de souveraineté de Pastef aborde des enjeux économiques, politiques et culturels majeurs. Il interroge sur l’incapacité du Sénégal, riche en ressources naturelles, à garantir la prospérité de son peuple et sur sa dépendance aux aides étrangères. Pastef prône la valorisation des ressources nationales, la lutte contre la corruption et une gestion rigoureuse des finances publiques.
Cette quête de souveraineté nécessite de reconstruire les institutions, repenser les modèles de développement et investir dans l’éducation pour armer la jeunesse face aux défis futurs. Portée par un souffle nouveau, elle pourrait ouvrir la voie à un développement plus autonome et équitable pour le Sénégal et l’Afrique.
La vision Sénégal 2050, bien conçue et ambitieuse, repose sur une analyse claire des enjeux et propose des stratégies pour bâtir une nation souveraine, prospère et fière de ses ressources et talents.
Quelles sont, selon toi, les réformes clés à mettre en œuvre pour garantir une souveraineté pleine et durable au Sénégal ?
La souveraineté, en vérité, prend racine dans l'esprit et s'épanouit dans le cœur. Et c'est par l’éducation, cette flamme inextinguible, que nous allumerons les lumières de notre émancipation. Avant que ne naissent les réformes politiques ou économiques, c’est l’âme même de nos peuples qu’il faut libérer des chaînes invisibles laissées par l’histoire. Ces chaînes, forgées dans les brasiers de la colonisation, étouffent encore trop souvent notre confiance, notre fierté, et notre audace à rêver grand.
Ce que nous appelons "décolonisation des esprits" n’est pas un simple concept ; c’est un cri du cœur, une urgence. Elle invite à briser les complexes d’infériorité, à réapprendre à marcher debout, fiers de nos langues, de nos histoires, de nos héros. Car un peuple qui doute de lui-même ne peut jamais tracer son propre destin.
Et dans cette quête, l’éducation est la clé. Imaginez des écoles où les pensées de Cheikh Anta Diop, d’Amadou Hampâté Bâ, de Joseph Ki-Zerbo résonneraient dans chaque salle de classe. Imaginez des universités devenues des temples de savoir, des lieux où nos jeunes apprendraient non seulement à penser, mais à rêver, à créer, à reconstruire le monde. Hélas, aujourd’hui, même dans les institutions qui portent leurs noms, ces géants restent en marge, leurs idées reléguées à des murmures au lieu de devenir des chants.
C’est un gâchis que nous ne pouvons plus accepter. Nos écoles doivent devenir des sanctuaires de la mémoire et des laboratoires de l’avenir. À travers des séminaires, des dialogues, des enseignements vibrants, nos étudiants doivent être invités à dialoguer avec ces figures lumineuses, à se nourrir de leurs luttes, à puiser dans leurs rêves la force de bâtir une Afrique souveraine.
Mais ce projet dépasse l’intellect. Il s’agit aussi d’éveiller les âmes, de restaurer l’estime de soi, de libérer nos jeunes des ombres du passé pour qu’ils imaginent un avenir sans limites. Chaque mot qu’ils apprendront, chaque histoire qu’ils redécouvriront, sera une pierre posée dans l’édifice d’une souveraineté vraie.
Cette souveraineté que nous cherchons à construire ne peut se limiter à des institutions ou à des frontières. Elle doit devenir un feu intérieur, une conviction profonde que notre culture, notre histoire, nos langues sont des trésors inestimables. C’est une renaissance que nous appelons de nos vœux, une élévation collective. Et pour cela, il faut travailler sans relâche, avec passion et foi, pour que chaque esprit, chaque cœur, se nourrisse de la grandeur de notre patrimoine et ose rêver l’avenir.
En tant qu'auteur de Monnaie et Société, quel est votre point de vue sur la question fondamentale de la souveraineté monétaire et la sortie du Franc CFA, en particulier à la lumière des propositions défendues par le mouvement Pastef ?
La monnaie est bien plus qu’un simple outil économique : elle incarne la culture, l’histoire et le pouvoir. La question du Franc CFA dépasse donc les enjeux monétaires pour s’inscrire dans une réflexion politique et symbolique. Elle représente un enjeu de souveraineté nationale et de dignité collective, car elle perpétue une domination post-coloniale, même après des décennies d’indépendance.
Le Franc CFA, symbole d’une tutelle française persistante, maintient les pays africains dans une subordination économique. Par son existence, il entrave l’autonomie des décisions stratégiques, laissant les économies locales sous influence extérieure. Dans ce contexte, parler de souveraineté politique sans contrôle monétaire est illusoire.
Rompre avec le Franc CFA, comme le défend Pastef, n’est pas seulement une démarche économique, mais aussi un acte d’émancipation mentale et morale. Cependant, cette transition exige des prérequis : une monnaie nationale ou régionale qui inspire confiance, une discipline budgétaire et des structures financières solides pour éviter l’inflation ou la fuite des capitaux.
Au-delà de l’économie, la souveraineté monétaire repose sur une souveraineté mentale. Tant que nous resterons convaincus que notre développement dépend de l’extérieur, nous resterons captifs de schémas de dépendance. La monnaie, dans ce sens, devient un levier pour affirmer notre capacité à gérer nos affaires et tracer notre propre voie.
Une sortie réfléchie du Franc CFA pourrait être un tournant historique pour les nations africaines, marquant la réappropriation de leur destin économique et politique. Mais cela nécessite une refonte des systèmes éducatifs, une valorisation des savoirs endogènes et une mobilisation citoyenne massive. La monnaie n’est que la partie visible d’un enjeu plus vaste : une souveraineté économique, culturelle et mentale indispensable pour écrire l’avenir du continent en toute liberté.
Merci infiniment, Professeur Mahamadou Lamine Sagna, pour vos réponses d’une rare profondeur. Vous avez éclairé des enjeux cruciaux avec une lucidité remarquable, tout en rappelant la responsabilité morale qui nous incombe. C’est un privilège d’avoir échangé avec vous. Vos paroles inspirent et insufflent un souffle d’engagement et de dignité, essentiels pour bâtir un Sénégal plus juste. Votre parcours, mêlant rigueur intellectuelle et militantisme, est une véritable source d’espoir et un guide dans ces temps troublés.
Merci, Tekhe, pour cet espace d’expression. Tu es bien plus qu’un journaliste : un citoyen engagé, un défenseur de la diaspora et un militant infatigable pour la justice sociale. Par ton travail, tu éveilles les consciences, bâtis des ponts et rappelles l’importance de ne jamais céder au silence.
J’espère que le Sénégal saura tirer parti de ta vision et de ta passion. Ton engagement est une inspiration, et je suis convaincu qu’avec des acteurs comme toi, notre nation surmontera ses défis tout en restant fidèle à ses idéaux d’équité et de solidarité.
DAKAR-PARIS, LA RUPTURE À BAS BRUIT
Alors que les pays voisins du Sahel chassent violemment la France, le Sénégal cultive une opposition plus mesurée. Les Français installés sur place ne ressentent pas d'hostilité particulière et se sentent en sécurité
(SenePlus) - Une enquête du quotidien La Croix révèle la montée d'une rhétorique hostile à la France au Sénégal, sur fond de changements politiques majeurs dans la région. Si le discours se durcit, notamment du côté du parti au pouvoir, la situation reste très différente de celle des pays voisins du Sahel.
"Le Sénégal n'est plus la chasse gardée des Français", affirme sans détour Oumar Alioune Kane, responsable de la communication du Pastef, le parti au pouvoir. Dans un entretien accordé à La Croix, il dénonce "une relation de paternalisme" et revendique des "relations d'égal à égal". Plus radical encore, il lance : "On en a marre que l'Occident essaie de nous civiliser !"
Ce discours n'est pas isolé. Selon un rapport récent de l'association Tournons la page et du Centre de recherches internationales de Sciences Po, cité par La Croix, le rejet de la politique française en Afrique est "massif, presque unanime". L'étude, basée sur plus de 500 entretiens dans six pays d'Afrique francophone, pointe plusieurs griefs : manque de fiabilité sécuritaire, pillage des ressources, collusion avec les élites corrompues.
Du côté français, on relativise. "Qu'il y ait des incompréhensions, des questions, des critiques, cela fait partie de la vie du monde", confie une source diplomatique française à Dakar au quotidien. "Il y a du populisme partout, y compris ici. Comme nous faisons partie du paysage, nous sommes associés aux critiques."
Les tensions se sont manifestées concrètement : entre mars 2021 et juin 2023, 39 magasins Auchan ont été vandalisés lors de manifestations pro-Ousmane Sonko, rapporte La Croix. Pourtant, un étudiant proche du Pastef, Mamadou, nuance : "Cela a été instrumentalisé par les médias. Jusqu'à présent, on n'a vu aucun Français se faire immoler..."
Le chercheur d'Amnesty International Ousmane Diallo, interrogé par La Croix, offre une analyse éclairante : "Le discours des putschistes sur la souveraineté, sur le changement de paradigme par rapport à la France a circulé dans la région et suscité, au moins dans un premier temps, un fort engouement à Dakar. Puis, lorsque les Sénégalais ont vu ce que devenait le Mali, le Niger, le Burkina Faso, ils ont mesuré leurs propos."
Un point de friction particulier émerge autour des droits LGBT. Le Premier ministre Ousmane Sonko a prévenu que ce sujet pourrait devenir un "casus belli". La source diplomatique française répond : "Il n'y a pas d'imposition de valeurs. Tous les projets ici sont portés par des Sénégalais", tout en admettant que "ces partenaires locaux peuvent eux-mêmes avoir des valeurs différentes de leur population."
Malgré ces tensions, l'enquête de La Croix souligne que les Français installés au Sénégal ne ressentent pas d'hostilité particulière et se sentent en sécurité, contrairement à la situation dans les pays voisins du Sahel. Une différence notable qui suggère que le Sénégal, malgré une rhétorique parfois agressive, maintient une relation complexe mais stable avec son ancien colonisateur.
par Johanna D.
LETTRE OUVERTE AU DÉPUTÉ GUY MARIUS SAGNA
emprisonnée pour avoir tenté d'échapper à son bourreau, Dieynaba Ndiaye incarne le paradoxe d'une justice qui punit les victimes. Nous vous demandons en faveur de cette survivante récemment hospitalisée en raison de son état de santé dégradant
"La femme est la racine première, fondamentale de la nation où se greffe tout apport, d'où part aussi toute floraison." déclarait Mariama Bâ. En cette veille de la Campagne des 16 jours d'activisme contre les Violences faites aux femmes et aux filles, nous vous adressons cette lettre.
Le Sénégal pose les fondations d'une nouvelle ère à travers l'Agenda National de Transformation et cette 15ᵉ législature à laquelle vous appartenez. L'idéal d'une nation souveraine, juste, prospère et ancrée dans de fortes valeurs, telle défendue par le président de la République. La vision Sénégal 2050, claire et audacieuse, suscite l'espoir du bonheur et de la justice auprès des populations.
Et pourtant, ce beau tableau est noirci par une tâche. Cette tâche que l'on retrouve sur le poignet des femmes, leur visage, leur cou et leur corps. Une tache tantôt visible, tantôt invisible qui prend forme davantage sur le tableau, sous nos yeux. Notre inaction et notre silence, nous rend complices de ce fléau qui corrompt la racine de la nation.
Honorable, cette tâche est portée par des milliers de nos filles, nos soeurs, nos mères. Elle a noirci leur vie, affecté leur entourage et leur progéniture. À titre d'exemple, Dieynaba Ndiaye, une jeune femme pleine de vie et de rêves, qui se retrouve en prison pour avoir essayé de s'échapper à cette ombre pesante.
Mariée à un homme, Dieynaba avait espoir de vivre une vie idéale d'amour et de paix. Elle ne s'attendait pas à ce que, dans la nuit du 16 avril 2024, son homme peigne son visage et son corps de tâches horribles. "Malgré mes saignements et mes cris, il a continué à me frapper avec une force inimaginable." relate-t-elle dans sa plainte adressée au Procureur de Matam. Le calvaire de Dieynaba s'est poursuivi quand elle a voulu fuir cette violence. Son mari l'a emmené en brousse, puis fait sortir violemment de sa voiture et l'a abandonné au milieu des arbres avec des coups et des injures.
Dieynaba rêvait d'une vie saine et prospère, pas d'une vie où le tableau sera obscurci par cette tâche noire qui est la violence conjugale. En tant que survivante, elle avait confiance en dame justice, pour réparer l'honneur et briser l'injustice. Mais là où elle espérait un bras fort et droit, elle n'a trouvé qu'un mur froid sans voix.
Honorable, Dieynaba purge présentement au Camp Pénal de Dakar une peine bien supérieure à celle de son bourreau. Un bourreau qui a précédemment brisé la vie de six autres épouses, dont une qui a succombé à la lourdeur de cette tâche. Nous vous demandons à travers cette lettre d'agir en faveur de cette survivante qui a récemment été hospitalisée à Abass Ndao en raison de son état de santé dégradant.
Nous demandons sa libération immédiate, elle mérite plus d'empathie et de considération à cause du traumatisme qu'elle a vécu. Dieynaba doit être auprès des siens pour panser ses douleurs et non pas dans une cellule qui ravive ses malheurs.
Honorable, nous avons foi en votre sens de la justice sociale et votre soutien à la dignité humaine. Si nous n'agissons pas rapidement, les violences basées sur le genre risquent d'entacher la vision Sénégal 2050 qui aspire à une société inclusive et équitable. Chaque acte de violences faites aux femmes et aux filles est une atteinte non seulement aux individus, mais à l'idéal collectif que nous visons.
Pour un Sénégal sûr, un Sénégal juste et un Sénégal sensible aux besoins spécifiques des femmes et des filles, il est impératif que nous faisons qu'un et défendons #FreeDieynaba.
Johanna D. est porte-parole du Collectif des survivantes anonymes et membre de l'Alliance sénégalaise contre les violences faites aux femmes et filles handicapées.
par Abdoul Aziz Diop
POUR LA LIBÉRATION IMMÉDIATE DE MOUSTAPHA DIAKHATÉ
Les ingrédients du cocktail frelaté de Pastef sont : l’anti-institutionnalisme à travers de l’excès zèle inoculé par Sonko, la confusion des pouvoirs... La démocratie sénégalaise qui ne s’adapte à aucun moule préconçu n’a que du mépris pour l’arriviste
Me El Hadji Diouf se distingue au Barrreau de Dakar par la manière inédite de dissoudre la gravité dans un mélange de styles dont personne ne lui dispute la propriété.
Un grand avocat !
Face aux journalistes, Me Diouf invoque les droits et libertés de son client Moustapha Diakhaté en mettant en exergue le cocktail frelaté et enivrant de Pastef dont les ingrédients sont :
- l’anti-institutionnalisme à travers de l’excès zèle inoculé par Ousmane Sonko à la Division spéciale de la cybersécurité (DSC) ;
- la confusion des pouvoirs par un exécutif profane et borderline ;
- l’insulte de petits et moins petits voyous chauffés à blanc comme emballage…
Qui maintenant ose encore en attendre une performance économique, l’augmentation considérable des revenus de l’État et des services publics irréprochables de la santé, de l’éducation, de l’énergie, de la culture et j’en oublie ?
Peut-être encore Sonko dont le goût amer de la victoire se manifeste par l’affolement provoqué par les éclairages émancipateurs et démassificateurs du direct dont l’éveilleur de conscience Moustapha Diakhaté a le secret à des heures de grande écoute.
Peine perdue !
La démocratie sénégalaise qui ne s’adapte à aucun moule préconçu n’a que du mépris pour l’arriviste.
Libérez Tapha.
Abdoul Aziz Diop, Pacte institutionnel (PI) de défense des institutions de la République et de la démocratie, Chevalier de l’Ordre national du Lion.
POUR UNE VRAIE PLACE DES FEMMES DANS LA GOUVERNANCE
Le Cadre de Concertation Ci La Ñu Bokk déplore la persistance d’une sous-représentation des femmes au sein des hautes instances de l’État. Il appelle l'État à promouvoir des programmes spécifiques visant à répondre aux besoins des femmes
Le Cadre de Concertation "Ci La Ñu Bokk" interpelle directement le président de la République et son gouvernement sur la sous-représentation des femmes dans les instances de décision. Les associations mettent en avant un catalogue de sept revendications précises.
À Son Excellence, Monsieur le président de la République du Sénégal,
Au Premier ministre du Sénégal,
À l’ensemble des membres du gouvernement du Sénégal,
Appel à une prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles dans la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques ainsi qu’au renforcement de leur participation dans les instances de gouvernance
Nous, membres du Cadre de Concertation pour le Respect et la Préservation des Droits des Femmes “Ci La Ñu Bokk”, tenons à féliciter les autorités sénégalaises pour la tenue des récentes élections législatives et pour leur engagement à consolider la démocratie sénégalaise.
Nous saluons également l’ensemble des députés élus, particulièrement les femmes, et les encourageons à œuvrer pour une Assemblée de rupture qui met en avant l’intérêt de l’ensemble des Sénégalaises et des Sénégalais. Nous espérons qu’elle favorisera l’adoption et la mise en œuvre de politiques et de lois favorables à la bonne gouvernance, à la transparence et à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Cependant, nous déplorons la persistance d’une sous-représentation des femmes au sein des hautes instances de l’État sénégalais. Malgré un appel précédent adressé à Son Excellence, Monsieur le président de la République, au lendemain de la formation du premier gouvernement, celui-ci ne compte que quatre ministres femmes.
Les femmes, qui représentent plus de 49,4 % de la population sénégalaise (Source : ANSD, 2023), continuent d’être marginalisées dans les sphères décisionnelles. Ces inégalités constituent une entrave majeure à une gouvernance inclusive et équitable.
Nous avons également noté, avec une vive inquiétude, la récente déclaration du ministère de la Famille et des Solidarités à l’occasion du prochain lancement des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes. Celle-ci reflète un manque manifeste de maîtrise et d’engagement sur ces questions. Nous attendons des actions concrètes, au-delà des discours.
En mars 2024, le Cadre de Concertation “Ci La Ñu Bokk” avait transmis à Son Excellence, Monsieur le président de la République et au ministère de la Famille un manifeste détaillant des recommandations pour :
Prendre en compte les besoins spécifiques des femmes et des filles dans la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques,
Renforcer leur participation dans les instances de gouvernance,
Promouvoir la parité et l’inclusion des femmes.
Nous rappelons ici les principales recommandations de ce manifeste :
Nous appelons :
Son Excellence, Monsieur le président de la République du Sénégal, en collaboration avec le gouvernement et tous les acteurs impliqués (société civile, organisations de femmes, secteur privé, syndicats, institutions financières, partenaires au développement, populations, etc.), à :
Prendre des mesures concrètes pour intégrer les besoins spécifiques des femmes et des filles dans la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques, programmes, plans et stratégies nationales.
Garantir une représentation équitable des femmes et des jeunes leaders dans toutes les instances de gouvernance et de prise de décision.
Mettre en place des programmes et des budgets spécifiques visant à répondre aux besoins des femmes et des filles dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la formation, de l’emploi, de la sécurité, ainsi que l’accès à la terre et aux financements.
Promouvoir activement l’égalité des chances et l’équité territoriale dans l’accès aux ressources pour les femmes et les filles dans toutes les régions du pays.
Renforcer la collaboration et le plaidoyer pour assurer le respect des droits des femmes et des filles, tout en renforçant leur pouvoir économique et social.
Mettre en place un suivi et une évaluation participative et inclusive des engagements pris en faveur des femmes et des filles.
Soutenir les initiatives locales et nationales visant à promouvoir l’égalité des sexes et à éliminer toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes.
Nous croyons fermement que l’inclusion des femmes dans les instances de décision est essentielle pour bâtir un Sénégal plus juste, équitable et prospère. Nous appelons le gouvernement à prendre des mesures concrètes et immédiates pour remédier à cette situation et servir d’exemple en matière de parité et d’égalité des sexes.
Ensemble, nous pouvons faire en sorte que chaque voix soit entendue et que chaque citoyen, homme ou femme, ait la possibilité de contribuer pleinement au développement de notre nation.
Cadre de Concertation pour le Respect et la Préservation des Droits des Femmes “Ci La Ñu Bokk”
Annexe :
Manifeste pour la prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles dans la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques ainsi que le renforcement de leur participation dans les instances de gouvernance, la parité et l’inclusion des femmes.
Manifeste pour la prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles dans la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques ainsi que le renforcement de leur participation dans les instances de gouvernance
Note de Synthèse
L’élection du président de la République, son excellence Bassirou Diomaye Diakhar Faye a sonné comme un plébiscite national et son adresse à la Nation du 3 avril dernier a fait renaître espoir et volonté de cohésion nationale notamment quand il dit « je suis déterminé à préserver notre vivre ensemble … » et de renchérir « … j’entends instaurer une gouvernance vertueuse, fondée sur l’éthique de responsabilité et l’obligation de rendre compte ».
Toutefois, l’annonce, le vendredi 5 avril 2024 de la composition du nouveau gouvernement avec un taux de participation des femmes très faible a instauré un sentiment de déception avec seulement quatre femmes dans une équipe de vingt-cinq ministres et cinq secrétaires d’État (soit 13,3 % de femmes). Ce tableau ne reflète guère une rupture en matière de lutte contre les inégalités et l’inclusion de toutes les forces vives de la Nation.
De plus, la suppression du ministère de la Femme sans annonce d'une structure spécifique chargée des politiques de développement social et économique des femmes et des filles soulève beaucoup d’inquiétude, particulièrement auprès des femmes.
En effet, une telle approche ne garantit pas la préservation des acquis déjà consolidés au Sénégal en matière de prise en compte des droits des femmes et leur participation dans les instances décisionnelles.
C’est pour cela, que nous, membres du cadre de concertation pour le respect et la préservation des droits des femmes, invitons le Président de la République du Sénégal à :
Faciliter la création d’une structure de gouvernance destinée spécifiquement aux besoins des femmes et des filles ;
Renforcer la participation effective des femmes dans toutes les instances de décisions, aux niveaux électifs et nominatifs ;
Encourager des politiques et programmes en faveur des femmes et des filles en priorité dans les domaines suivants :
L'éducation et la formation ;
La prévention et la prise en charge des violences faites aux femmes et aux filles ;
L’entrepreneuriat et l’employabilité ;
L’accès à l’investissement et au foncier ;
L’accès aux services de santé de qualité, notamment la santé de la reproduction.
En effet, malgré les avancées notées ces dernières années dans les politiques en faveur des femmes, les défis de l’égalité des droits homme-femme et de l’autonomisation de celles-ci restent entiers dans notre pays.
L’égalité étant un droit humain, celle entre les citoyens, une valeur fondamentale inscrite dans notre Constitution interdisant toute discrimination fondée sur le sexe, sa prise en compte devient une nécessité afin que chaque citoyenne et citoyen soit égal en dignité, en capacité et en droit pour une gouvernance juste et démocratique.
Conscients du poids démographique des femmes sénégalaises qui ont largement démontré leur leadership et leurs contributions dans les sphères politique, sociale, économique et citoyenne,
Conscients de la nécessité pour le Sénégal de respecter ses engagements pris au niveau régional et international à travers les accords, traités et conventions ; notamment :
La Convention contre toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) ;
L’Agenda Global pour le Développement Durable en 2030 ;
Le Programme d’Action de la Conférence Internationale du Caire sur la Population et le Développement ;
La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
Le Protocole de Maputo sur la Promotion et la Protection des Droits des Femmes et des Filles ;
La Déclaration des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine sur l'Égalité de Genre ;
La loi n°2018-22 du 4 juillet 2018 transposant la loi sur la parité dans le Code électoral ;
La loi n°2020-05 du 10 janvier 2020 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal criminalisant les actes de viol et de pédophilie ;
La loi n°2022-02 complétant certaines dispositions du code du travail et relative à la protection de la femme en état de grossesse ;
Le décret n° 2021-1469 du 3 novembre 2021 relatif au travail des femmes enceintes;
L’arrêté n° 007383 du 27 mars 2023 relatif à la protection des enfants et des jeunes femmes dans les écoles et établissements entre autres.
Conscients des avancées dans les droits pour la promotion des femmes et des filles obtenues de haute lutte et sous plusieurs magistères et soucieux du respect de ces droits : droit à la santé (aucune femme ne doit perdre la vie en donnant la vie), droit à l’éducation et à la formation, droit au travail et à une vie décente;
Constatant la maturité démocratique de notre pays qui s’est encore une fois matérialisée par cette transition démocratique historique malgré les tensions vécues ces dernières années et du rôle crucial des femmes dans la préservation de la cohésion sociale ;
Constatant avec regret le nombre limité de femmes nommées aux postes ministériels de votre premier gouvernement et la suppression du Ministère de la Femme pour ne retenir que la Famille et les Solidarités ;
Rappelant les engagements pris par les nouvelles autorités en faveur de la préservation des droits et de la promotion des femmes et des filles à travers le projet/programme ;
Nous, membres du cadre de concertation pour le respect et la préservation des droits et des acquis des femmes et des filles ;
Exprimons notre vive préoccupation devant ce qui peut être compris comme un recul dans les acquis en faveur des droits des femmes au Sénégal;
Lançons un appel vibrant pour soutenir et promouvoir l'inclusion des femmes et des filles leaders pour une meilleure prise en compte de leurs besoins spécifiques dans les politiques publiques et les processus de gouvernance au Sénégal. Nous croyons fermement que l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes sont essentielles pour bâtir une société juste, équitable et prospère ;
Aujourd'hui, nous nous engageons à agir ensemble pour réaliser ces objectifs ambitieux. Et, Nous appelons :
Son Excellence, Monsieur le président de la République du Sénégal en relation avec son gouvernement et tous les acteurs impliqués (la société civile, les organisations de femmes, le secteur privé, les syndicats, les institutions financières, les partenaires au développement, les populations, etc.)
À prendre des mesures concrètes pour renforcer la prise en compte des besoins spécifiques des femmes et des filles dans la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques, programmes, plans et stratégies nationales.
À garantir la représentation équitable des femmes et des jeunes leaders dans toutes les instances de gouvernance et de prise de décision.
À mettre en place des programmes et des budgets spécifiques visant à répondre aux besoins des femmes et des filles en matière d'éducation, de santé, de formation, d'emploi, de sécurité, d’accès à la terre et aux financements.
À promouvoir activement l'égalité des chances et l'équité territoriale dans l’accès aux ressources pour les femmes et les filles dans toutes les régions du pays.
À renforcer la collaboration et le plaidoyer pour faire avancer les droits et l'autonomisation des femmes et des filles.
À assurer un suivi et une évaluation participative et inclusive de la mise en œuvre des engagements pris en faveur des femmes et des filles.
À soutenir les initiatives locales et nationales visant à promouvoir l'égalité des sexes et à éliminer toutes les formes de discriminations.
MOUSTAPHA DIAKHATÉ SOUS MANDAT DE DÉPÔT
L'ancien patron des députés Benno Bokk Yakaar, poursuivi notamment pour "troubles politiques graves", passera en jugement dès jeudi en flagrant délit. Une procédure express qui intervient après son arrestation par la Division spéciale de la cybersécurité
(SenePlus) - L'ancien président du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar devra passer quelques jours derrière les barreaux. Moustapha Diakhaté a été placé sous mandat de dépôt ce lundi après son audition par le procureur de la République.
Convoqué initialement par la Division spéciale de la cybersécurité (DSC), l'ancien parlementaire avait d'abord été placé en garde à vue avant d'être déféré. Il lui est reproché trois délits : "insulte commise par le biais d'un système informatique", "manœuvres et actes de nature à compromettre la sécurité publique" et "troubles politiques graves".
Son avocat, Me Elhadj Diouf, a confirmé que son client sera jugé en flagrant délit dès ce jeudi 28 novembre 2024. Une procédure accélérée qui marque un nouveau tournant dans cette affaire qui secoue la classe politique sénégalaise.
LA RÉPUBLIQUE DES VALEURS DÉBALLE LE SCANDALE ASER
Dans un communiqué cinglant, le parti dénonce les manipulations du pouvoir et salue la décision de la Cour suprême qui vient conforter selon lui, les soupçons d'une nébuleuse. Il dénonce les tentatives d'enfumage du Directeur général
La République des Valeurs ne lâche pas l'affaire du scandale ASER. Dans le communiqué ci-après, le parti dénonce les manipulations du pouvoir et salue la décision de la Cour suprême qui vient conforter les soupçons. Face aux méthodes populistes du régime Pastef, le parti exige la transparence totale sur ce marché d'électrification rurale controversé.
« Affaire ASER : quand la Cour suprême renforce la thèse du scandale et écrase la campagne de diabolisation visant l’ARCOP
L’Ordonnance rendue par la Cour suprême sur l’affaire relative au marché public attribué pour l’électrification rurale dans cinq (5) régions du Sénégal constitue sans doute une avanie pour le régime Pastef. La Cour a en effet rejeté le référé-suspension introduit par l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (ASER) en vue d’obtenir la suspension de la décision de l’Agence de régulation de la commande publique (ARCOP) du 2 octobre 2024 qui avait prononcé la suspension de l’exécution du marché public cité ci-dessus. Cette « décision » de la Cour suprême nous conforte dans l’idée que l’affaire en question relève du scandale, d’où toute la campagne de déni et de diabolisation visant l’ARCOP, une institution dont l’œuvre est crédible et respectée.
Depuis la décision rejetant l’avenant entre AEE Power Espagne et l’ASER, l’ARCOP et ses membres subissent un lynchage médiatique alimenté par des arguments populistes et obscurantistes. La première stratégie de cette campagne honteuse consiste à susciter l’émotion populaire en laissant entendre que des Sénégalais empêcheraient l’exécution d’un marché visant à fournir de l’électricité à près de deux mille (2000) villages. Sur ce point, faut-il rappeler que ce n’est pas tant l’avenant entre AEE Power Espagne et l’ASER qui pose un problème que les conditions dans lesquelles AEE Power Sénégal a été écartée du marché. La seconde stratégie visait à jeter en pâture l’ARCOP – et ses membres considérés intuitu personae – en l’accusant de tous les péchés d’Israël : tantôt il s’est agi de contester sa compétence pour connaître du litige opposant AEE Power Espagne et AEE Power Sénégal ; tantôt on a fait croire aux Sénégalais que de l’argent aurait circulé pour corrompre ses membres ; tantôt le Comité du Règlement des Différends (CRD) de l’ARCOP – un organe collégial dont le mode de désignation des membres garantit un minimum d’impartialité – qui a pris la décision est confondu avec le Directeur général de l’ARCOP (mentionnons au passage, c’est dans ce tumulte que le nouveau DG de l’institution a été nommé par le président de la République Bassirou Diomaye Faye en violation flagrante de la réglementation qui exige que soit procédé un appel à candidatures : article 23 du décret n°2023-832).
Pourtant, il suffisait de lire la décision de l’ARCOP (décision n°107/2024/ARCOP/CRD/DEF) pour se rendre compte que cette position du gendarme de la commande publique était prévisible ; toutes les réponses éclairées sur beaucoup de questions discutées sur la toile y sont, allant de sa compétence pour intervenir dans le litige opposant AEE Power Espagne et AEE Power Sénégal (article 139 du Code des marchés publics et article 20 du décret n° 2023-832) à la violation de la loi dans la manière dont AEE POWER Sénégal a été écartée du marché par AEE Power Espagne.
Afin de donner une onction populaire à cette campagne de diabolisation de l’ARCOP et du refus de faire la lumière sur un dossier qui suscite moult interrogations – comme dans l’affaire l’ONAS – le Premier ministre Ousmane Sonko avait jugé utile d’ouvrir une parenthèse à l’occasion d’un meeting politique pour évoquer le dossier ASER. Sous les applaudissements d’une foule de plus de quinze mille (15000) personnes, le Premier ministre invitait sur le podium le Directeur général de l’ASER, Jean Michel Sène, et scandait : « Je tiens à préciser devant tout le monde qu’il n’y aucun scandale (ASER) ». La religion de la foule sur l’affaire ASER fit alors définitivement faite et la polémique se résumait désormais à ceci : « AEE Power Sénégal est dirigée par des pourris, l’ARCOP est un organe corrompu, Jean Michel Sène est un sauveur ». Le scandale ASER se mesure à l’importance des moyens que le populisme a mobilisé pour l’enterrer en vain : la diabolisation de l’adversaire, le bashing des institutions républicaines et leur remplacement par des délibérations populaires dans la rue (et désormais sur les réseaux sociaux), l’obstruction contre l’usage de la liberté d’expression, etc.
L’entrée en jeu de la Cour suprême est rassurante dans la mesure où elle permet d’espérer que les Sénégalais seront édifiés un jour sur cette affaire nubileuse. Le constat est que le régime Pastef insiste dans le déni et la manipulation. Étant débouté et déboussolé par la « décision » de la Cour suprême, Jean Michel Sène se retranche désormais derrière un argument formaliste trompeur. Dans un post réagissant à l’Ordonnance de la Cour suprême, le DG de l’ASER dit ceci : « Nous attendons donc que la Cour suprême tranche sur le fond. Nous attendons qu'on nous convoque pour examiner le fond du dossier ». Il s’agit évidemment de la malhonnêteté qui n’aura convaincu que des ignorants. Jean Michel Sène veut faire croire aux Sénégalais qu’il détient des arguments qui pourraient prospérer quand la Cour suprême en aura connaissance et les examinera au fond. Fichtre ! L’argument est, en à point douter, un faux-fuyant. Les modalités du référé-suspension prouvent que la Cour suprême a eu connaissance de tous les arguments et de toute la documentation qui constituent le « réquisitoire » de l’ASER contre la décision de l’ARCOP sur cette affaire. À l’opposé du référé-liberté, du référé-mesure utile et du référé-constat, le référé-suspension n’est recevable que lorsqu’il est précédé (accompagné) d’un recours en annulation. Il vise à obtenir du juge la suspension de la décision litigieuse en attendant d’examiner le recours dans le fond. Il invite la Cour à prendre une mesure provisoire afin d’éviter que le temps de l’examen du recours, la décision contestée qui est potentiellement illégale, ne produise des conséquences irréparables. Alors, la Cour suprême pourrait suspendre la décision lorsque deux conditions cumulatives sont réunies, à savoir l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Dans sa jurisprudence, la Cour considère qu’il y a « urgence dès lors que la décision attaquée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ».
Au regard de l’objet du marché, l’électrification rurale, il ne fait pas de doute que la condition de l’urgence est réunie. En consultant la jurisprudence de 2017 à 2024 en matière de référé-suspension, l’on se rend compte que la condition de l’urgence est souvent remplie. Elle ne suffit pas cependant pour suspendre la décision attaquée. Il faudrait la présence de la seconde condition : l’existence de doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Sur ce point, il est vrai que la Cour n’examine pas le dossier au fond. En revanche, il prend connaissance de tous les arguments avancés par les parties avant de prendre son ordonnance : elle décide au regard de son intime conviction « en l’état de l’instruction » du dossier. C’est dire que, contrairement à ce qui est avancé par Jean Michel Sène, l’ASER a déjà soumis à la Cour suprême tous ses arguments et toute la documentation à travers son recours en annulation et son référé-suspension, et la juridiction l’a débouté après avoir pris connaissance de l’ensemble du dossier. Sauf nouvel élément dans le dossier, Jean Michel Sène n’a plus rien à présenté à la Cour suprême qui dispose déjà de tout sur cette affaire.
En définitive, le régime Pastef doit des comptes aux Sénégalais sur cette affaire. La théâtralisation de la gestion publique et le refus de reddition des comptes, quelques mois seulement après leur arrivée au pouvoir, sont inquiétantes. Les scandales ONAS et ASER doivent être élucidés. Nous demandons à la justice de rester aux côtés des Sénégalais et de faire la lumière complète sur ces nébulosités. »
par Maniang Fall
THIAROYE : DU MASSACRE À LA RECONNAISSANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les concessions au compte-gouttes de l'État français ne suffisent plus face aux exigences de vérité et de justice. La mention "Mort pour la France" accordée à six tirailleurs ne suffira pas à éteindre l'incendie mémoriel
La célébration du 80ème anniversaire des massacres de Thiaroye coïncide avec l’essor d’un vent qualifié de souverainisme et panafricanisme en Afrique francophone en général, en Afrique de l’Ouest en particulier. Cet élan est en général porté par la jeunesse. Les enjeux de cette célébration ne peuvent être pleinement compris qu’à la lumière du contexte actuel. Sauf indication contraire, tous les éléments factuels sont tirés des écrits de l’historienne Armelle Mabon, maîtresse de conférences à l’Université de Bretagne Sud[i].
Qui sont ces « tirailleurs sénégalais » et leur itinéraire ?
Pour commencer, comme beaucoup le savent, ces dits travailleurs sénégalais proviennent en réalité de différents pays d’Afrique dite noire faisant partie de l’empire colonial français en Afrique occidentale et en Afrique équatoriale. Une grande partie d’entre eux fut enrôlée de force.
En transit sur le camp de Thiaroye en novembre 1944 pour rentrer chez eux, ces tirailleurs furent faits prisonniers dès 1940 par l’Allemagne durant la débâcle de l’armée française. Comme l’Allemagne ne voulut pas les interner chez elle pour éviter une « contamination raciale », ils furent transférés en France dans des « Frontstalags ». Ces derniers sont des camps de prisonniers du Reich en dehors du territoire allemand. Cependant, l’encadrement est allemand, de même les règles ou les procédures en vigueur dans les mêmes camps en Allemagne, comme le système de travail obligatoire dans les « Arbeitkommandos », y furent appliquées. Ainsi des tâches ou plutôt des corvées leur furent assignées. En contrepartie des travaux forcés, de maigres rémunérations leur furent versées dans des livrets d’épargne gérés par les Frontstalags.
Paradoxalement, ce faisant en dehors des camps pour les corvées, ces tirailleurs purent rentrer en contact avec les populations qui transfèrent sur eux la compassion ou la sympathie envers les prisonniers français métropolitains inaccessibles. Via un système de marrainage ou de parrainage, de nombreux tirailleurs furent « adoptés » par des familles françaises. Ces liens donnèrent parfois naissance à des couples dits mixtes et par ricochet à des enfants dits métis. Plusieurs évasions eurent lieu. Leurs auteurs en général arrivèrent à rejoindre la résistance et/ou furent protégés par les populations locales à leurs risques et périls. Ce fut de facto une forme de « fraternisation[ii] » entre deux populations qu’un océan de préjugés et de stéréotypes, créé et entretenu par l’idéologie et la propagande coloniales, pouvaient séparer ou voire opposer.
Au cours de la guerre 1939-1945, la gestion des Frontstalags alla changer quand l’armée allemande fut à court de ressources humaines surtout dans le front Est où elle fut bousculée après la défaite de Stalingrad en hiver 1942 en ex-URSS. Ce fut pourquoi elle retira les soldats allemands affectés à la surveillance des Frontstalags. Ce fut ainsi qu’à partir de ce moment-là, la surveillance des prisonniers tirailleurs fut sous-traitée à l’armée française de la zone dite libre. Ce changement ne put que contribuer au pourrissement supplémentaire du climat dans les Frontstalags entre les prisonniers et leurs nouveaux surveillants qui furent des « ex-collègues » ou « ex-camarades » bien qu’étant sous la bannière du régime collaborationniste de Vichy sous la direction du maréchal Pétain. Ce surcroît de tension fut un facteur d’accélération du rapatriement des tirailleurs dès que possible.
Un autre facteur ayant contribué à la précipitation des rapatriements-démolitions des tirailleurs fut le dénommé « blanchiment » ou « blanchissement » des troupes.
Dans le courant de 1944, devant l’imminence de l’effondrement ou de la capitulation de l’Allemagne nazie estimée en termes de mois, la libération des villes sans être une formalité put être envisagée sans les tirailleurs, mais aussi en général sans toutes les troupes de type présumé non-aryen comme les Juifs, les Arméniens, les Tziganes, etc. Le cas le plus emblématique du « blanchiment » s’opéra avec la libération de Paris en août 1944. En accord avec l’état-major des « Alliés », le général De Gaulle décréta que « Paris devait être libéré par des soldats uniquement Blancs [iii]». Tous les soldats non-aryens de la division Leclerc furent parqués près d’Orléans dont Frantz Fanon[iv], martiniquais et futur théoricien de la lutte d’indépendance et de la lutte des peuples du Tiers-Monde en général, entre autres avec son livre-culte « Les damnés de ta terre ». Il fallait à tout prix occulter et invisibiliser l’apport des entités racisées ou colonisées dans la défaite du nazisme. S’y serait peut-être aussi ajouté une volonté d’éviter une « fraternisation » avec les populations urbaines et/ou « une contamination raciale » comme l’assuma crûment le Reich.
Ce n’est pas l’objet de cet article, mais le questionnement sur le caractère véritablement antifasciste de la seconde guerre mondiale mériterait d’être posé, si on isole l’entreprise d’extermination des Juifs, des Tziganes, des LGBT, etc. N'est-ce pas que l'essence du fascisme ou du nazisme est la remise en cause de l'unité du genre humain dans son ensemble en érigeant une hiérarchie sur la base de critères présumés raciaux, ethniques, culturels, etc. ? Comment pourrait-on décerner un label d’antifascisme ou d’antinazisme à des Etats perpétuant durant la guerre la politique d’apartheid pratiquée dans leurs colonies et/ou dans leur pays à l’image des USA, chef de file du « monde libre civilisé et démocratique » où la ségrégation perdura officiellement jusque dans les années 1960. Qui pourrait mieux caractériser cet apparent paradoxe qu’Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme » : "Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique [...]".
Après quatre ans de captivité, les tirailleurs emprisonnés allaient être rapatriés en Afrique en novembre 1944. Ce rapatriement s’intégra dans la cadre d’un processus plus vaste de démobilisations plus connu sous le nom de « blanchiment » des tirailleurs jusqu’à alors en activité.
Le rapatriement des tirailleurs
En prélude au rapatriement, les tirailleurs de différents Frontstalags étaient regroupés à Morlaix en provenance de différents endroits de France : Granville, Rennes, Pontivy, Coëtquidan, La Fléche, Versailles avec un effectif total de 1950 hommes environ. Au moment du départ de Morlaix pour Dakar le 5 novembre, 315 tirailleurs refusèrent d’embarquer à bord du bateau britannique « Circassia » car ils exigèrent le règlement de l’intégralité de leur solde de captivité durant quatre années. Ces derniers seront transférés à Loudéac-Trévé dans les Côtes d’Armor. En fin de compte, l’effectif des tirailleurs à bord s’éleva à 1615 personnes environ. Ce nombre sera important par la suite. Des débarquements de tirailleurs évoqués ultérieurement dans une escale à Casablanca au Maroc ne furent pas avérés.
Bien que cela fût devinable sous un cadre colonial discriminatoire, il est important de noter que le taux de la solde de captivité des tirailleurs d’Afrique dite Noire fut inférieur à celui perçu par leurs « homologues français » et peut-être même à ceux d’Afrique du Nord. En effet, Les tirailleurs avaient droit, en plus de leur solde de captivité, à une solde de traversée, une indemnité de combat de 500 francs, une prime de démobilisation et une prime de maintien sous les drapeaux, après la durée légale, équivalente à la prime de rengagement.
Face aux revendications relatives au paiement des différents droits, au moins pour les soldes de captivité car l’indemnité de traversée ne pouvant être versée avant l’arrivée, les autorités françaises décidèrent du versement seulement du quart en France et les trois-quarts restants à Dakar, soi-disant pour éviter des vols durant le voyage.
Le massacre et ses causes
Dès leur débarquement à Dakar le 21 novembre 1944, les 1615 tirailleurs exigèrent le versement de tous leurs dus restants. Les autorités militaires coloniales refusèrent de leur verser leur argent estimant dans leur mentalité coloniale raciste que les montants déjà perçus furent déjà excessifs pour des « nègres ».
Par ailleurs, l’administration coloniale proféra aux tirailleurs des accusations immondes de vols, de pillage, de dépouillage ou de détroussage de leurs collègues morts au regard du montant cumulé de leurs salaires de travaux forcés retirés de livrets d’épargne où ils furent placés. En outre, les autorités coloniales tentèrent d’escroquer les tirailleurs en voulant imposer un taux de change moitié moindre au détriment des tirailleurs entre le Franc de la métropole et le Franc des colonies.
Devant la détermination et la fermeté affichées par les tirailleurs, la hiérarchie militaire coloniale débita à l’endroit des tirailleurs d’odieuses calomnies sous différents angles :
- En remettant en cause l’état réel de leurs services, en les soupçonnant d’avoir passé leur temps à courir derrière les femmes blanches sous prétexte que certains sont mariés ou pères d’enfants en France ;
- En les suspectant d’être contaminés par « le virus communiste » ;
- En les accusant d’une intelligence avec l’ennemi allemand au motif que certains d’entre eux parlèrent plus ou moins bien l’allemand. Le Général Dagnan, commandant de la division Sénégal-Mauritanie, l’affirma d’une manière on ne peut plus clair : « Il ne fait aucun doute qu’à la base, il y a une influence allemande qui s’est exercée pendant les quatre années de captivité. (…) La répartition dans l’ensemble de nos territoires africains de cet afflux d’éléments animés vis-à-vis de la Mère patrie de sentiments plus que douteux, déterminera très vite un grave malaise parmi nos populations jusqu’alors parfaitement loyales et fidèles. (…) Ils formeront très vite le noyau agissant de tous les groupements hostiles à la souveraineté française.[v]»
Ce que ne purent comprendre les officiers de la coloniale, c’est la dialectique de l’histoire qui fit que la France, en enrôlant de milliers de tirailleurs dans sa guerre au sein même de sa métropole, engendra les germes qui allaient féconder et secouer son empire colonial. En métropole, les tirailleurs observèrent les failles, les contradictions de la société qui leur fut maquillée jusqu’alors supérieure, voire parfaite par la propagande coloniale. La débâcle militaire française en 1940 détruisit définitivement dans leurs têtes le mythe de l’invincibilité ou l’invulnérabilité de la puissance coloniale. Comme leurs ainés de la guerre 1914-1918, ils croisèrent dans les rues ou les routes de France des handicapés physiques ou mentaux de type leucoderme. L’aliénation, le conditionnement sous le colonialisme matraquant le mythe d’un être Blanc sans « défauts », ni « aspérités » imposèrent au régime colonial le rapatriement à la métropole de tout colon Blanc n’étant plus dans la « norme supérieure » quant à leurs apparences physiques ou à leurs présumées capacités intellectuelles.
Les tirailleurs revinrent avec une conscience de leur dignité humaine qui devrait être respectée et protégée contre toute atteinte à ce qu’ils estimèrent être leurs droits.
Face à ce qu’elles considérèrent comme une spoliation consistant en une escroquerie dans le taux de change pour leur épargne, mais aussi en non-paiement de leurs droits tels que la solde de captivité, les tirailleurs restèrent fermes et déterminés dans leurs revendications. Cinq cents tirailleurs devant rentrer au Mali refusaient de partir sans avoir reçu l’intégralité de leurs droits. Le 28 novembre 1944, c’est la même détermination qui fut opposée au Général Dagnan venu au camp de Thiaroye pour les « amener à la raison ». Contre son refus de satisfaire leurs demandes, les tirailleurs bloquaient sa voiture dont le passage ne fut possible que contre la promesse de réétudier d’une manière plus attentive leurs revendications. Ce furent les derniers échanges « pacifique » entre les tirailleurs et les autorités coloniales.
L’issue de cette journée du 28 novembre 1944 marqua un tournant se traduisant par la décision de la hiérarchie militaire de réduire par les armes la détermination des tirailleurs.
Le 1er décembre 1944 à l’aube, le camp de Thiaroye fut encerclé par un char américain, deux half-tracks, trois automitrailleuses, deux bataillons d’infanterie, un peloton de sous-officiers et hommes de troupes français, trois compagnies indigènes. La troupe ouvrait le feu sur les tirailleurs appelés en rassemblement[vi]. Ce fut un véritable carnage, les survivants se comptaient parmi ceux qui s’étaient couchés ou ceux qui ne furent pas touchés dans leurs baraquements.
Mensonges, Manipulations, falsifications sur le quoi, pourquoi, le bilan d’un crime d’Etat ?
Jusqu’au discours du président français François Hollande en 2012 au Sénégal qui parle d’une répression sanglante, les « évènements de Thiaroye [viii]» sont officiellement présentés comme une mutinerie ou une rébellion armée[ix]. C’est ce que corrobore un rapport du Général Dagnan : « Ma conviction était formelle : tout le détachement était en état de rébellion. Il était nécessaire de rétablir la discipline et l’obéissance par d’autres moyens que les discours et la persuasion. ». Cette version est confirmée par un autre rapport transmis au même général Dagan : « Je préviens les mutins, une fois encore, que je vais faire usage de mes armes. Ils me rient au nez, m’insultent, se montrent de plus en plus menaçants. Je fais tirer une salve en l’air : débordement d’insultes. Des coups de feu semblent venir des baraques de la face sud. (…) Je fais sonner le « garde à vous » et préviens une dernière fois les mutins d’évacuer les baraques ou je fais ouvrir le feu. Les mutins bravent tout, ricanent. (…) Je fais sonner l’ouverture du feu. (…) Il a duré 10 à 15 secondes. (…) Tout est rentré tragiquement dans l’ordre. ».
Mais la thèse d’une mutinerie pour qu’elle aspire à un minimum de cohérence dut imposer un scénario réécrivant l’histoire, malmenant des faits avérés, inventant d’autres faits n’ayant existé que dans l’imagination des auteurs des rapports ou des procès-verbaux relatifs au 1er décembre 1944. Les autorités militaires mirent en branle un arsenal de manipulations, de mensonges, de falsifications pour :
- accréditer la thèse de la rébellion armée en déniant toute légitimité aux revendications des travailleurs ;
- construire « les preuves matérielles » des préparatifs de cette présumée rébellion ;
- simuler un « déroulé cohérent de la mutinerie et de l’opération de maintien de l’ordre y répondant » ;
- fabriquer un bilan à la mesure « d’une opération de maintien de l’ordre maîtrisée » ;
- pour organiser un simulacre de procès : car toute mutinerie est présumée avoir des meneurs qui devront être jugés !
Le Général Dagnan fut couvert par sa hiérarchie au Sénégal qui fut couverte par le gouvernement provisoire de De Gaulle. Il en fut ainsi durant la toute la quatrième république et la cinquième république jusqu’à aujourd’hui avec le président Emmanuel Macron. Une certaine plaidoirie ayant visé à mettre la responsabilité des « évènements de Thiaroye » sur le dos de vichystes ou pétainistes bien présents est complètement inconsistante
Les tentatives de délégitimation de la résistance des tirailleurs
Le refus du paiement des soldes de captivité est difficilement défendable au niveau de l’opinion, mais aussi niveau des sphères étatiques et surtout au niveau de l’armée. Pour essayer d’ôter toute base crédible aux revendications des tirailleurs et leur ténacité à les défendre, il fallait après les tueries produire des circulaires a posteriori attestant que leurs droits ont été réglés. Et ainsi « ils furent mus » par d’autres motivations téléguidées par « l’ennemi allemand » et/ou comme le résultat de « l’influence communiste subie ».
« Ainsi la circulaire n° 6350 du 4 décembre 1944 émanant du ministère de la Guerre (direction des Troupes coloniales) fait part d’une modification pour le paiement des soldes de captivité confirmant un télégramme du 16 novembre 1944 »[x] :
« Elles seront payées [intégralement] avant le départ de la métropole ». En note de bas de page, il est indiqué : « Cette mesure a déjà été appliquée au détachement parti de France le 5 novembre[xi]».
Pourtant « Une lettre datée du 24 novembre 1945 d’un sergent rapatrié à sa marraine de guerre nous apprend qu’il n’a toujours pas perçu le rappel de solde alors que son retour est postérieur à décembre 1944[xii]. »
L’historienne Armelle Mabon résuma les machinations de l’Etat français ainsi : « C’est le gouvernement provisoire après le massacre de Thiaroye qui a fait croire que ces hommes avaient perçu tout leur dû, via une circulaire officielle émanant de la direction des troupes coloniales, estampillée « Ministère de la guerre. » L’objectif était de montrer que les revendications des tirailleurs étaient illégitimes afin de valider la thèse construite de la mutinerie et de la rébellion armée[xiii]. ».
Et le Général André Bach, ancien responsable des archives militaires du Fort de Vincennes, abonda dans le même sens : « C’est du roman. La version présentée dans les archives ne tient pas la route ! Il n’y avait aucune raison de tirer sur des gens qui, contrairement à ce qu’on a dit, n’étaient pas armés. Un camouflage est donc immédiatement mis en place. A partir du moment où une autorité très élevée dit : « On va couvrir », c’est là que commencent les mensonges ».[xiv]
« Les preuves matérielles des préparatifs des mutins »
Une mutinerie présuppose un arsenal, une structure de liaison ou de coordination, un plan d’attaque. Or rien de tel ne fut étayé. Tout au plus, un arsenal relevant de la « petite quincaillerie » fut exhibé. Qui plus est, l’arsenal imputé aux présumés mutins n’est pas le même dans l’acte d’accusation des dits meneurs et dans le rapport du Général Dagnan : « Acte d’accusation : 75 baïonnettes, 12 revolvers, 1 mousqueton, 2 grenades, cartouches. [Rapport du] Général Dagnan : 1 poignée de pistolet de mitraillette, un chargeur, un mousqueton, 4 pistolets automatiques, deux grenades, une centaine de baïonnettes allemandes, poignards, cartouches, etc. ».
« le scénario de la mutinerie et de sa répression »
Comme dans les étapes précédentes, le scénario mal ficelé de la prétendue mutinerie est un fil continu de contradictions et de d’incohérences :
La chronologie des présumés échanges de tirs diffère selon les rapports ou selon les individus. Ces tirs débutèrent selon les versions entre 8h45 et 9h30 avec des provenances différentes.
Or « Le chef d’escadron Lemasson, qui était sur le [bateau] Circassia avec les ex-prisonniers de guerre, dans son rapport du 1er décembre 1944, est encore plus explicite car il indique qu’à 6h45, il a été prévenu que la force armée intervenait pour réduire les rebelles[xv]».
Aucun procès-verbal, aucun rapport ne firent pas mention de douilles ramassées attestant de tirs en provenance des tirailleurs ;
Le seul blessé parmi la troupe ayant attaqué le camp des tirailleurs est un « indigène » blessé dont la balle extraite de la main ne pouvait pas provenir, d’après une expertise balistique, des mousquetons en tant qu’armes imputées aux tirailleurs ;
Les 110 « indigènes » de la troupe de répression des tirailleurs présumés arrivés sans munitions à 9h20 ne pouvaient pas matériellement recevoir les cartouches en 10 minutes pour commencer à « riposter » ; Etc. ;
Armelle Mabon, la chercheuse ayant le plus travaillé sur le sujet pour faire éclater la vérité, est arrivée à la conclusion suivante : « L’armée parle de légitime défense. Or, au moins un rapport d’un officier montre un cheminement tout à fait inverse. En fait, l’ordre a été donné aux militaires de quitter l’endroit où ils étaient au petit matin du premier décembre pour se déplacer et laisser la place aux automitrailleuses afin que les forces armées puissent intervenir pour réduire les rebelles. L’ordre avait été donné la veille au soir, non pas de faire une opération de maintien de l’ordre, mais d’encercler la caserne et de tirer[xvi] ».
Une conclusion partagée par le Général André Bach, spécialiste des archives militaires :
« C’est bien un tir à tuer qui est donné, alors qu’il n’y avait aucune raison pour le faire. Fatalement, dans un cas pareil, il y a bien un ordre qui a été donné. Il a bien fallu que pendant la nuit qui précède, des ordres soient donnés. Il fallait récupérer un bataillon de nuit, ouvrir les armureries, récupérer les armes… On peut penser, vu ce qui s’est passé, qu’on a dû expliquer aux cadres militaires l’issue prévisible : leur expliquer que ça aller se terminer par des tirs sur des hommes désarmés[xvii] ».
Le feuilleton du bilan de ce crime d’Etat
Dans le fil contenu de contradictions du film officiel de la « mutinerie » de Thiaroye, le bilan macabre constitua à lui seul un feuilleton sordide. Il y eut deux bilans dans les rapports et les procès-verbaux officiels : un de 35 morts et un autre de 70 morts. De 1945 à 2014, le bilan officiel de référence était de 35 morts. Ainsi le président français François Hollande fit passer lors de deux visites au Sénégal le bilan officiel de 35 morts en 2012 à 70 morts en 2014.
Soit un bilan doublé en l’espace de deux ans ! Combien de voyages officiels de ce président français ou d’un président français aurait-il fallu pour s’approcher de la vérité du bilan macabre du crime de Thiaroye. Il est évident que le bilan macabre est minoré. De par des témoignages et certains éléments non censurés des archives, les corps de tirailleurs ne sont pas enterrés dans le cimetière militaire, mais dans trois fosses communes dont le secret de leurs localisations est toujours gardé dans les archives de l’Etat français.
Que faire pour estimer le bilan devant la rétention de parties essentielles des archives, la falsification de certains rapports militaires constatés par l’historien Martin Mourre : « Je pense que les rapports ont été falsifiés dès leur rédaction pour que les militaires se couvrent vis-à-vis de leur supérieur hiérarchique. Une série d'ensembles d’éléments sont illogiques. Par exemple, on annonce un chiffre de 35 tués… mais on ne possède le nom que de 11 personnes, donc pourquoi il en manquerait 24 ? »[xviii]
Il ne nous reste qu’à examiner les hypothèses les plus crédibles des individus s’étant penchés sur le sur sujet :
La moins crédible parmi les hypothèses est celle de l’historien Julien Fargettas[xix] qui adopte le bilan de 35 morts, bien en dessous des 70 morts reconnus par François Hollande en 2014. Ce n’est étonnant de sa part en tant qu’historien et ancien officier plus préoccupé par la défense de sa corporation que par la recherche de la vérité. Il s’est évertué à calomnier l’historienne Armelle Mabon au lieu d’attaquer ses thèses sur le terrain de la polémique universitaire argumentée[xx].
Martin Mourre avance un bilan d’une centaine de morts environ ;
Quant à Armelle Mabon, elle soutient le bilan de plusieurs centaines de morts, approximativement entre 300 et 400 morts. Pour aboutir à environ 400 morts, elle utilise un indice pertinent qui est la sous-estimation du décompte des tirailleurs arrivés dans le camp de camp de Thiaroye après leur débarquement le 21 novembre 1944 à Dakar. Après les massacres, l’effectif déclaré officiellement par les autorités militaires s’éleva à 1 300 alors que 1 615 tirailleurs furent recensés au départ. Il n’y eut aucun débarquement avéré de tirailleurs avant Dakar. Donc, 315 tirailleurs se seraient volatilisés dans l’effectif initial. Ce qui est difficilement admissible si on réfère aux appels récurrents dans l’armée pour le décompte des effectifs, mais au ravitaillement et à la logistique pour lesquels une connaissance précise des effectifs est impérative. En ajoutant les 315 tirailleurs « oubliés » et les 70 morts, cela fait 385 morts, on n’est pas loin des 400 morts. C’est l’hypothèse la plus pertinente.
Le procès ne va déroger aux subterfuges et aux manigances qui furent à l’œuvre durant toutes les étapes antérieures.
Le procès des présumés meneurs
Il n’est nullement étonnant que le procès subséquent des 34 « meneurs » fût un simulacre de procès où l’instruction fut menée exclusivement à charge à l’aide de pièces souvent montées de toutes pièces. Au nombre de huit, les chefs d’inculpation embrassent aussi bien la provocation de militaires à la désobéissance que la rébellion commise par des militaires armés. Le passé d’engagement dans la résistance de plusieurs tirailleurs fut nié, en dépit des témoignages ultérieurs prouvant le contraire. Un témoin-clé, en l’occurrence le commandant des automitrailleuses, ne fut pas entendu alors qu’il était présent à Dakar lors de l’instruction. Ces automitrailleuses dépendaient du 6ème Régiment d’artillerie coloniale (RAC). Ces « oublis » ou ces manipulations furent en résonance avec l’altération des archives à un point qu’« En 1973, le chef du Service historique de la Défense (SHAT) a exprimé sa surprise en constatant « des archives du 6ème RAC extrêmement sommaires qui ne contiennent rien sur leur participation pourtant indiscutable[xxi]».
Le prononcé du jugement de ce « procès » le 5 mars 1945 infligea des peines d’emprisonnement de d’un an à 10 ans avec des dégradations militaires. Une minorité fut condamnée à des amendes. Le pourvoi en cassation des condamnés fut rejeté le 17 avril 1945. Tous les condamnés furent graciés furent graciés en 1947 par le président français Vincent Auriol. La grâce permit aux condamnés de recouvrer leur liberté, mais n’effaça pas leur « culpabilité ». Ils restèrent dépouillés de leurs droits suite à une spoliation doublée d’une escroquerie dans les taux de change. Ils restèrent aussi pour la plupart l’objet d’une dégradation militaire. Par ce verdict, le pouvoir colonial pensait ainsi enterrer la résistance des tirailleurs de Thiaroye ainsi que leur mémoire. C’était sans compter avec la volonté de leurs descendants, des associations de tirailleurs et des organisations démocratiques, en général.
Chape de plomb et Concessions récentes de l’impérialisme français
Thiaroye fut un crime d’Etat prémédité. Ce que ne veut pas jusqu’à présent reconnaître l’Etat français. Il usa de tous les moyens possibles pour biaiser, déformer, maintenir le brouillard sur les raisons de cette boucherie, son exécution, le nombre de morts, la localisation des fosses où furent enterrées les victimes.
Le premier moyen utilisé fut la force brute consistant à interdire et à réprimer toute célébration des massacres du Thiaroye. Cela n’empêcha l’entretien de cette mémoire qui se perpétua par des poèmes comme « Aube africain » du guinéen Fodéba Keita[xxii], une littérature circulant sous le manteau, entre autres, durant la période coloniale.
Dans le complot pour étouffer toute manifestation de la vérité, l’Etat français eut recours à des méthodes plus machiavéliques se traduisant par la falsification, la création de pièces factices de documents au niveau des archives historiques. Comme pour les massacres des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris, les archives y afférentes sont biaisées, caviardées avec des pièces tronquées, manquantes ou parfois inventées.
C’est ce que pense Armelle Mabon : « Mais le gros problème de ces archives est qu’elles ont été constituées pour alimenter un récit falsifié de ce qui s’est passé. Elles comportent des rapports rédigés sur ordre pour faire croire à une rébellion armée. Les vraies archives sont restées à Dakar. Tout porte à croire qu’elles étaient conservées au camp militaire de Bel Air jusqu’au retrait des forces françaises en 2011. Elles ne sont répertoriées nulle part, mais nous avons des témoignages sur l’existence de cartons d’archives dans lesquels pourraient se trouver la liste des personnes tuées, leur nombre ainsi que l’emplacement des fosses communes où elles ont été enterrées. Il est aussi fort probable qu’y soient consignés les montants spoliés. J’ai fait des demandes au ministère de la défense et je n’ai eu jusqu’à présent aucune réponse, alors que le dernier commandant des forces françaises au Sénégal, le général Olivier Paulus a été nommé dans la foulée directeur du Service historique de la défense [avant d’en être exclu en 2013]. S’il y a bien quelqu’un qui sait où sont ces archives, c’est lui. Ma crainte est que ces archives aient été détruites[xxiii]».
Ces mensonges et cette réécriture de l’histoire continue jusqu’à présent dans les expositions officielles. Peu avant la visite du président français Hollande en fin novembre 2014 où il révisa le bilan à la hausse à 70 morts, il y eut « L’affiche de l’exposition, le 20 novembre 2014 à Thiaroye, au Sénégal, pour commémorer le massacre qui n’a officiellement fait « que » 35 victimes parmi les tirailleurs sénégalais le 1er décembre 1944[xxiv]». Ah si le ridicule tuait !
Dans le complot de silence de l’Etat français contre ce qu’il appela les « évènements de Thiaroye », l’action la plus spectaculaire fut la censure du film « Camp de Thiaroye » de Sembène Ousmane. Sorti en 1988, le film fut boycotté au festival de Cannes de la même année et fut interdit durant dix ans en France. Ce fut aussi l’action peut-être la plus contreproductive pour l’Etat français car le film fut non seulement primé au Mostra de Venise[xxv] en Italie, mais connut un grand retentissement en Afrique francophone et dans le monde. Ce succès incita beaucoup de monde en France à le voir par divers biais. Les cassettes du film circulèrent sous le manteau. 38 ans après sa censure en 1988, « Camp de Thiaroye » a fait partie de la sélection « Cannes Classics 2024 » au festival de cannes en mai 2024[xxvi].
La mémoire des tirailleurs de Thiaroye est restée vivace dans la conscience des peuples africains. C’est le résultat du travail d’organisations de tirailleurs, de leurs descendants, des forces de gauche, mais aussi après l’indépendance de régimes plus ou moins patriotes ou nationalistes. Ainsi en décembre 2001, le président malien Alpha inaugura un monument en leur mémoire[xxvii] avec l’inscription suivante : « À la mémoire des fusillés de Thiaroye. Cette plaque vise à perpétuer le souvenir des combattants de la Seconde Guerre mondiale dont de nombreux Soudanais [nom du Mali sous la période coloniale – Soudan français] lâchement fusillés par les autorités coloniales le 1er décembre 1944 au camp de Thiaroye près de Dakar pour avoir réclamé le paiement de leur solde, de la prime de combat et celle de démobilisation[xxviii] ». En 2024, l’Etat sénégalais, sous le régime d’Abdoulaye Wade, instaura le 23 août comme « la journée du tirailleur sénégalais » et invita tous les pays africains concernés à s’y associer. C’est le premier régime sénégalais à soulever la question des tirailleurs, mais sans esprit conséquent d’aller jusqu’au bout et dans une certaine ambigüité folklorique. Le régime suivant de Macky Sall s’est contenté durant son règne d’accompagner les revirements de façade de l’Etat français.
Depuis les années 2000, il y a un vent de renaissance panafricaniste centré autour de la revendication de réappropriation de souveraineté, de la dignité et des ressources des peuples africains. Outre la traite esclavagiste, le colonialisme, le néocolonialisme avec sa facette « Françafrique » est pointé du doigt. La jeunesse africaine, à l’avant-garde du mouvement, s’est saisi des crimes de Thiaroye 1944, entre autres. Ce mouvement déboucha sur des « coups d’Etat populaires » soldés par l’expulsion des troupes militaires française du Mali, du Burkina-Faso et du Niger. Au Sénégal, à l’issue des élections démocratiques en mars 2024, le régime opéra un début de prise de distance vis de l’Etat français et de sa politique africaine. Une première, en 2024 un président sénégalais n’a été présent ni au sommet de la francophonie, ni aux célébrations d’un débarquement en Provence, en l’occurrence le 80ème, tous les deux évènements organisés en France.
L’Etat français s’est ainsi trouvé sous une forte pression par la lutte conjuguée des peuples africains avec le soutien des forces démocratiques ou anti-impérialistes en France, sans oublier le travail acharné au niveau universitaire mené par l’historienne Armelle Mabon. Il n’a eu d’autre choix que de lâcher du lest. C’est ainsi que le 18 juin 2024, deux jours avant la rencontre entre le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et le président français Emmanuel Macron, discrètement le 18 juin 2024, l’Etat français a attribué la mention « Mort Pour la France » (MPF) à M’Bap Senghor et à cinq autres anciens tirailleurs originaires du Sénégal, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire par l’armée français le 1er décembre 1944[xxix]. Biram Senghor, orphelin de son père M’Bap fusillé quand il avait l’âge de six ans, devient 80 ans plus tard à 86 ans pupille de la nation française après s’être heurté des décennies durant au refus et au silence de l’administration française. Cela pourrait peut-être figurer comme record dans le Guinness !
Trop peu et trop tard !
Dans une tribune publiée par le journal « Le Monde », les familles des morts, des condamnés et des rapatriés spoliés de « Thiaroye 44 » ont formulé les revendications suivantes en 2016 :
«
- rendre consultables toutes les archives sur l’affaire Thiaroye ;
- proposer son aide au Sénégal pour l’exhumation des corps ;
- donner la liste des morts et leur attribuer la mention « Mort pour la France » [MPF]. Il n’y a rien de plus tragique que des morts sans nom ;
- saisir la commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen pour les 34 condamnés ;
- réparer les spoliations
- modifier les textes exposés au Mémorial du cimetière de Thiaroye ;
- cesser de porter atteinte à la mémoire de ces hommes et des officiers qui ont eu le courage de les défendre ;
- nommer les responsables aujourd’hui de cette obstruction à la manifestation de la vérité sur un crime commis[xxx] ».
Ces revendications recoupent grosso modo les exigences formulées par l’historienne Armelle Mabon[xxxi]. Elles s’intègrent aussi parfaitement dans la triple réhabilitation défendue par l’actuel premier ministre du Sénégal Ousmane Sonko où il plaide pour :
- « une réhabilitation humaine, en exhumant les fosses communes et en offrant une sépulture digne aux victimes ;
- une réhabilitation mémorielle, en réexaminant les cas des survivants accusés de trahison ;
- et une réhabilitation matérielle, en réclamant le paiement des indemnités et soldes promis par la France aux descendants des tirailleurs[xxxii] ».
Toutes ces exigences sont justifiées et légitimes même si des réserves pourraient être émises sur certaines modalités de la réhabilitation mémorielle avec la mention « MPF ». Mort pour quelle France : une France impérialiste ou une France colonialiste d’autant plus que les tirailleurs ont été mobilisés d’une évidence réactionnaire comme révoltes anticoloniales ou les luttes de d’indépendance d’autres pays colonisés comme l’Algérie, Madagascar ou en Indochine ou bien une autre France réellement internationaliste égalitaire ?
Quelle que soit l’éventuelle pertinence de ces réserves qui seront développées plus loin, force est de reconnaitre que les concessions sont très loin du compte par rapport aux aspirations des descendant-e-s des tirailleurs et du gouvernement sénégalais, entre autres. Même si ce dernier se déclare ouvert à reconnaître plus de MPF[xxxiii].
Encore trop peu et trop ! Et la réponse est cinglante de la part du premier ministre du gouvernement sénégalais qui se revendique souverainiste Ousmane Sonko. Il est exprimé en tant que président du parti au pouvoir « Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l'éthique et la Fraternité » (Pastef)-Les Patriotes : « Nous demandons au gouvernement français de revoir ses méthodes, car les temps ont changé ! … Pourquoi cette subite « prise de conscience » alors que le Sénégal s’apprête à donner un nouveau sens à ce douloureux souvenir, avec la célébration du 80e anniversaire cette année ? ... Je tiens à rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique. Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. …Thiaroye 44, comme tout le reste, sera remémoré autrement désormais.[xxxiv]»
Dans cette logique, en mi-août 2024, l’Etat sénégalais a installé un comité de commémoration du 80ème anniversaire des tueries de Thiaroye qui aura lieu le 1er décembre 2024. Il est dirigé par l’historien Mamadou Diouf, enseignant à l’Université Columbia aux USA. Le comité se compose de deux commissions : « La première sera chargée d'établir "les preuves, les témoignages, les documents pour comprendre pleinement les évènements". La deuxième, dédiée notamment "aux réparations", devra "proposer des actions pour honorer la mémoire des victimes et sensibiliser les générations futures" sur la tuerie. [xxxv]»
Dans l’optique de ce travail, avec en toile de fond une affaire franco-africaine et non une affaire franco-sénégalaise, selon Dialo Diop, conseiller mémoire du président sénégalais Bassirou Diomaye Faye : « Au nom des Etats africains, nous allons demander au gouvernement sénégalais de faire exhumer les fosses communes qui ont été en partie localisées. Cela permettra de mettre un terme à la controverse sur le nombre de victimes, annonce Dialo Diop, conseiller mémoire du président Faye. L’urgence est là. La mention “Mort Pour la France” attribuée à six personnes est une goutte d’eau dans l’océan des morts de l’injustice coloniale. Nous demanderons à la France la restitution de l’intégralité des archives. Un refus signifierait une forme de mépris envers les Africains [xxxvi]».
Quelle formulation cohérente et conséquente des revendications autour Thiaroye-1944 ?
La justesse de la réhabilitation humaine et de la réhabilitation matérielle ne devrait souffrir d’aucune contestation de la part de tout individu tant soi démocrate et/ou sincère. Par contre, la réhabilitation mémorielle est questionnable si on n’essaie pas de l’approfondir ou de la nuancer à travers certains de ses aspects plus ou moins compromettants comme l’octroi de la mention « MPF ». Cette mention revêt un double aspect :
- un aspect relatif à des droits pour ses conjointes ou descendant-e-s en termes de pension de réversion ou d’allocations à des pupilles de la nation. A ces droits, on pourrait y ajouter un autre aussi démocratique dont devrait bénéficier la mémoire du tirailleur assassiné, c’est le droit d’être innocenté d’un crime imaginaire qu’il n’a jamais commis. Et tous les faits émergés de la censure le prouvent. L’approche d’Armelle Mabon pour le statut de « MPF » est aussi une formulation de droits démocratiques dans la bonne intention d’une égalité de traitement des tirailleurs par rapport à leurs « collègues français ». Il fait le parallèle entre l’affaire des tirailleurs de Thiaroye 1944 et l’affaire Dreyfus en France dans ces termes : « La balle est dans le camp du garde des sceaux qui peut saisir la Cour de cassation. Une réhabilitation serait un geste inédit depuis l’affaire du capitaine Dreyfus … Ces tirailleurs ont subi un traitement discriminatoire car ils étaient africains. Aurait-on laissé des soldats blancs dans des fosses communes et camouflé leur assassinat pendant si longtemps ?Thiaroye, c’est aussi une histoire du racisme[xxxvii]». Le capitaine était un officier juif dans un contexte de summum d’antisémitisme officiel entre autres en France à ce moment. Il avait été injustement accusé et condamné pour intelligence avec l‘empire allemand. Il fut libéré et réhabilité à la suite d’une grande mobilisation d’une catégorie d’individus qu’on appelle depuis lors « intellectuels ».
- un aspect politique ou idéologique de la guerre pour laquelle ou à l’issue de laquelle le tirailleur est mort.
C’est dans cet aspect politico-idéologique que l’os s’incruste dans le boudin. Car toutes les guerres dans lesquels les tirailleurs sont impliqués sont soit des guerres entre brigands impérialistes comme en 1914-1918, soit des guerres de conquête, de domination et répression d’autres peuples colonisés. Pour utiliser un jeu de mot avec leur appellation, dans toutes ces guerres les tirailleurs tirent ailleurs que vers ce qui devrait être leur véritable cible : le colonialisme ou l’impérialisme régentés par la bourgeoisie de France. Même le paravent antifasciste ou antinazi brandi par les « Alliés » pour la seconde guerre mondiale ne devrait pas faire illusion dans la lignée de ce qui a été développé ci-dessus. A savoir en dehors du projet nazi d’exterminer d’entités telles que la communauté juive, les Tziganes, les LGBT, etc., la seconde guerre mondiale ne diffère pas fondamentalement de la première guerre mondiale. Les « puissances Alliées occidentales » ont prétendu mener un combat contre un régime prônant une hiérarchie entre les présumées races pour entretenir cette même hiérarchie dans les colonies, dans leurs armées, dans leurs pays concernant les USA où la ségrégation raciale était légale jusque dans les années. Outre la boucherie de Thiaroye en décembre 1944 contre les tirailleurs, le meilleur démenti à la posture antifasciste ou antinazie des « Alliés occidentaux » est la cause sous-tendant la précipitation de leur rapatriement global : « le blanchiment ou le blanchissement de troupes » devant parachever la libération des villes comme Paris !
Et ce n’est pas tout ! La boucherie de Thiaroye 1944 ne constitue qu’un épisode de crimes de l’armée française. Il y en eut plusieurs avant. Peut-être, Thiaroye 1944 fut la seule tuerie de tirailleurs réclamant leurs dus fusillés comme des lapins par « leurs ex-frères d’armes ». Après Thiaroye, 1944 et la défaite du nazisme, les massacres de l’Etat français s’enchainèrent contre les manifestations politiques et les révoltes l’indépendance : les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie à partir de la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne le 8 mai 1945, les massacres de Madagascar en 1947, les massacres en Indochine jusqu’à la débâcle de l’armée en 1954.
Il faudrait souligner qu’au-delà de Thiaroye 1944, l’Etat français a commis une spoliation globale à travers la « cristallisation » des pensions des tirailleurs de son ex-empire colonial dans son ensemble à partir des années 1960. La conséquence fut le gel de leurs pensions déjà à un taux inférieur à ceux de leurs « collègues » français. Pour les toucher, de nombreux tirailleurs étaient obligés de vivre une partie de l’année en France dans des conditions précaires et indignes.
A la rigueur, la mention « MPF » pourrait être assumée par les tirailleurs dans le cadre d’une véritable guerre contre le nazisme avec une implication de fortes forces internationalistes en France se battant dans la perspective d’une révolution prolétarienne en France et d’une reconnaissance inconditionnelle à l’indépendance des nations sous domination coloniale. Hélas, il n’y en eut pas en France, du moins à un niveau très faible incapable de peser.
Dans cette rubrique, le passif de la gauche ou bien de « gauche » est très lourd sur toute une longue période historique :
- La révolution bourgeoise de 1789 n’a libéré ni les femmes, ni les esclaves, ni les prolétaires de France non plus ;
- Les idéologues, « grands Hommes » ou les « Lumières » furent pour l’essentiel des racistes, des colonialistes, des antisémites, des esclavagistes [xxxviii];
- C’est la « gauche » qui entreprit la conquête coloniale après la révolution de 1789 avec un Jules Ferry proclamant fièrement : « Les races supérieures ont le droit et le devoir de civiliser les races supérieures ».
- La direction ou l'implication dans les guerres coloniales en Algérie, en Indochine, au Madagascar (1945-1962), en l’occurrence le Parti « Communiste » Français (PCF) et la Section Française de L’Internationale Ouvrière (SFIO), ancêtre du Parti Socialiste (PS). Le PCF n’était pas au gouvernement durant la guerre coloniale en Algérie en 1954-1962, mais a voté tous les crédits de guerre.
- Un projet de déchéance de la nationalité française pour des personnes d'origine étrangère par le gouvernement de « gauche » Hollande-Valls 2012-2017 (au moins pour ce projet, Christiane Taubira fit preuve de ce qui lui restait de dignité en refusant de le défendre comme ministre de la justice). Selon l’usage, chaque président français, du moins du PS, choisit un parrain. Celui de François Hollande fut Jules Ferry !
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas eu une gauche française ayant incarné une position, une force vraiment anti-chauvine conséquente que l’alternative internationaliste entre les prolétaires de France et les peuples colonisés ne devrait pas être posée. Tout au contraire, quelle que soit la faiblesse des forces qui la portent, cela semble la seule voie de salut de l’humanité en butte à un désastre écologique, à des guerres « civilisationnelles » menées par les différentes puissances impérialistes, à du sionisme et du jihadisme mortifères, etc.
La « gauche » des pays dominés anciennement colonisés qui a viré sa cuti sont est mal placée pour faire la leçon à cette « gauche » française. Par exemple au Sénégal, la présidence et la primature (siège du premier ministre) furent considérées jusqu’à récemment comme un repaire d’entrisme d’anciens maoïstes, trotskystes, anarchistes, etc.
Dans les pays d’Afrique noire, force est de reconnaître que les tirailleurs bénéficièrent d’une certaine aura et suscitèrent la fierté dans de nombreuses familles mêmes élargies. Mais il n’en demeure pas moins l’existence d’un imaginaire négatif provoqué par le passage des tirailleurs dans différents pays contre leurs luttes de libération nationale qui semble être inconnu et/ou refoulé par les présumées élites. Par exemple au Madagascar, les femmes pour faire taire leurs enfants qui pleurent les menacent d’appeler les « tirailleurs sénégalais ». Et c’est dire, les tirailleurs ont dû y laisser une réputation tout sauf glorieuse. De même au Vietnam, les descendant-e-s qui furent le fruit de la « collaboration horizontale » de femmes vietnamiennes et de tirailleurs africains firent toujours l’objet de stigmatisations. Il ne s’agit nullement d’accabler les tirailleurs qui furent en général enrôlés de force comme le furent les « Malgré nous » en Alsace embrigadés par l’Allemagne sous l’occupation pour « servir » dans les pays de l’Est. Contre ces malentendus ou préjugés, des initiatives de contact et d’explications pourraient être prises entre Etats ou entre associations des différents Etats concernés.
Il en résulte de tout cela que cela constitue une révolte à genoux d’esclaves que des Africains demandent quelque chose à l’Etat français parce que leurs ancêtres se sont battus ou sont morts pour la France. C’est un signe de servilité.
La déviation symétrique existe au niveau de certaines organisations politiques en France ou une partie de la population française motivant la reconnaissance de certains droits à des étrangers africains d’une manière utilitariste : par exemple, « leurs ancêtres ont contribué à notre libération » ou bien « ils nous sont utiles économiquement pour une population vieillissante que nous sommes, surtout en faisant des tâches que nous ne voulons pas faire ».
Toute autre est l’approche anti-impérialiste internationaliste considérant une planète dominée par un système capitaliste où circulent sans entraves les capitaux, les marchandises et les biens immatériels. Au niveau des êtres humains, la liberté de circulation est refusée pour l’essentiel seulement aux prolétaires de pays dominés. Les classes dominantes de tous les pays se déplacent sans problèmes. Il en est de même pour les citoyen-ne-s des pays impérialistes sous condition de pouvoir économique.
De ce constat, il peut en découler la revendication suivante :
- Liberté de circulation, d’installation de tous les prolétaires nomades en France ou ailleurs ;
- Egalité complète des droits entre tous les travailleurs, y compris le droit de vote à toutes les élections.
C’est un postulat comme base d’une lutte pour une véritable émancipation sociale en France et une lutte pour la libération de la domination impérialiste des peuples dominés, voire au-delà. Il y a un terreau pour ce socle, à savoir la solidarité active et agissante de nombreuses associations et de plusieurs organisations de la gauche véritable envers les sans-papiers. Grâce aux nombreuses engrangées dans ces luttes, les « clandestins » sont devenus des sans-papiers gagnant en visibilité et aussi en dignité.
Mais cela ne suffit pas comme plateforme au regard du pillage économique, culturel enduré durant des siècles avec le maintien de bases militaires françaises dans différents pays d’Afrique. A cet effet, on devrait aller au-delà de la réhabilitation matérielle légitime des tirailleurs et exiger :
- La remise de toutes les dettes contractées vis-à-vis de la France par ses ex-colonies ;
- L’abandon sans contrepartie de tous les intérêts économiques français dans les ex-colonies françaises d’Afrique, en particulier les implantations de tous les monopoles impérialistes ;
- La fermeture de toutes les bases militaires françaises et le retrait de toutes les troupes militaires françaises en Afrique.
[ii] Cela montrerait qu’en présence d’organisations vraiment internationalistes à rebours de tout chauvinisme pro-colonial ou pro-impérialiste, il y avait des bases pour construire des ponts entre les peuples colonisés et les classes exploitées non pas rétablir la 3ème république bourgeoise, mais pour le renversement du capitalisme en métropole coloniale et la libération des peuples colonisés avec comme préalable la reconnaissance du droit inconditionnel à l’autodétermination des nations colonisées jusqu’à la séparation complète par la reconnaissance d’une indépendance politique.
[viii] Cela rappelle les « évènements d’Algérie 1961 » pour désigner la guerre coloniale menée par l’Etat français en Algérie en 1954-1962, les « évènements du 17 octobre 1961 » à Paris pour nommer une manifestation du Front de Libération Nationale (FNL) où plusieurs centaines d’Algériens furent tués. Décidément, le mot « évènement » est l’euphémisme préféré de l’Etat français pour refouler son passé criminel.
L'ancien président français rompt avec la version officielle d'une simple répression qui aurait mal tourné. Il reconnaît désormais que l'armée française a délibérément ouvert le feu à la mitrailleuse sur ces soldats africains
(SenePlus) - Dans une interview exclusive accordée à Radio France Internationale (RFI), François Hollande qualifie pour la première fois de "massacre" la tuerie perpétrée par l'armée française contre des tirailleurs africains le 1er décembre 1944 au camp militaire de Thiaroye, au Sénégal. Cette déclaration marque une évolution significative dans la reconnaissance officielle de ce drame colonial.
L'ancien président français, qui avait jusqu'alors parlé de "répression sanglante" lors de ses précédentes interventions en 2014, franchit désormais un pas décisif dans la qualification des événements. "C'est un massacre puisque ce n'est pas simplement une répression comme on en connaît dans des manifestations qui débordent. Là, il s'agit d'un massacre à la mitrailleuse", affirme-t-il sans ambiguïté dans l'entretien accordé à la journaliste Charlie Dupiot pour le podcast "Enquêtes africaines" de RFI.
Les faits remontent au 1er décembre 1944, lorsque des dizaines, voire des centaines de tirailleurs africains - Sénégalais, Maliens, Guinéens et Ivoiriens - furent exécutés par l'armée française. Ces soldats, qui avaient combattu sous l'uniforme français et avaient pour beaucoup été prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale, réclamaient simplement le paiement de leurs indemnités.
François Hollande rappelle le contexte : "C'est une répression sanglante parce qu'il y a un acte qui est celui d'une revendication, légitime d'ailleurs, des tirailleurs sénégalais qui demandent d'avoir le versement de leur solde. La manifestation dégénère et il y a une répression qui est sanglante."
Sur la question de la responsabilité, l'ancien chef d'État précise que la décision n'émanait pas nécessairement des plus hautes instances : "Ce n'est pas un ordre qui a été donné forcément en haut lieu, mais les chefs militaires sur place, ceux qui ont donné l'ordre, ont commis l'irréparable."
Cette reconnaissance historique intervient dans le cadre de la diffusion d'une nouvelle saison du podcast "Thiaroye, les tirailleurs sacrifiés" de RFI, dont le dernier épisode sera disponible le 6 décembre, quelques jours après les commémorations officielles du 1er décembre.
Cette déclaration de François Hollande constitue un tournant majeur dans la reconnaissance officielle de ce drame colonial, marquant une évolution significative du discours politique français sur cet épisode tragique de l'histoire franco-africaine.
Les belles feuilles de notre littérature par Amadou Elimane Kane
CHEIKH HAMIDOU KANE OU LE BÂTISSEUR DES TEMPLES DE NOTRE MÉMOIRE
EXCLUSIF SENEPLUS - Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire
Amadou Elimane Kane de SenePlus |
Publication 25/11/2024
Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Cheikh Hamidou Kane est un écrivain rare. Rare car peu littérateur et peu bavard. Ces ouvrages littéraires au nombre de deux ne sont pas la répétition d’une œuvre qui aurait épuisé son souffle. Non, ses publications vont à l’essentiel et nous disent toujours, en même temps qu’ils racontent par leur construction romanesque, ce que nous devons retenir de notre histoire, de notre mémoire, de nos hésitations et de nos complexités humaines.
Si les livres de Cheikh Hamidou Kane appartiennent pleinement au patrimoine littéraire africain, ils sont aussi le reflet de la condition humaine, inspiré de la philosophie et des sciences sociales qui nous éclairent de toute leur intelligence, de toute leur splendeur remplie de générosité et d’humanité.
Après plus de vingt ans de silence et L’aventure ambiguë, publié en 1961, qui, par sa force philosophique, est devenu un livre culte de l’Afrique du 20ème siècle, Les Gardiens du Temple reprennent le fil du récit, interrompu par la fin tragique de Samba Diallo.
Situé juste après les Indépendances, ce livre-ci n’a pas encore effacé « l’ambigüité » des rapports entre les Africains, nouveaux maîtres de leur destin, et les anciens colonisateurs qui règnent encore comme des pères fondateurs, sûrs d’eux-mêmes et qui cherchent inlassablement à laisser leurs empreintes dans un monde nouveau qui aspire à la révolution et à la Renaissance. Construit à partir de personnages dissemblables, aux expériences multiples, le récit des Gardiens du Temple est avant tout la tentative de réhabiliter l’histoire de l’Afrique ravagée par l’esclavage, la déportation et la colonisation.
Ce livre ultime de Cheikh Hamidou Kane parle de la réconciliation identitaire de l’Afrique avec les Africains et qui propose un nouveau mode d’appartenance culturelle et sociale, celui de l’union, celui de la tradition africaine sans revendication, sans aspérité, celui de la concordance qui est la seule planche de salut pour les hommes.
Par la bouche de Daba Mbaye, jeune historienne penseuse intellectuelle et politique, Cheikh Hamidou Kane envoie un message fort qui est celui de la reconstruction unitaire : « Il n’est de Renaissance de l’Afrique-mère que par l’unité, la solidarité fraternelle et le savoir ». En filigrane, Cheikh Hamidou Kane nous dit aussi que savoir c’est connaître, savoir c’est créer, savoir c’est avancer sur les voies de la renaissance africaine.
Mais les personnages de Cheikh Hamidou Kane, de Daba Mbaye à Salif Bâ ou encore Farba Mâri, s’ils sont profondément attachés à la tradition, ils n’en sont pas moins préoccupés par la mutation majeure qui appelle une refondation totale du continent africain qui doit abandonner les oripeaux d’une colonisation et d’une ère post-coloniale dévastatrices au profit de l’aventure humaine, pour voir renaître des peuples enfin réconciliés sur une voie commune, celle de l’unité fondamentale des civilisations : unité culturelle, unité politique et économique, unité sociale, unité humaine qui constituent les piliers des terres africaines de nouveau debout.
Mais Cheikh Hamidou Kane va encore plus loin. À travers les récits imaginaires de ses personnages, il clame une « libération totale du continent – États-Unis d’Afrique – socialisme africain » ! Nous y voilà car la pensée de Cheikh Hamidou Kane est constante depuis très longtemps, sa vision panafricaine s’accompagne du triptyque de l’unité, de l’éthique et de la fraternité.
Car à travers ce nouveau récit, Cheikh Hamidou Kane pose bien la question de la déontologie à ses semblables. Si L’aventure ambiguë retraçait le choc culturel de l’Occident qui conduisait Samba Diallo à l’anéantissement de lui-même, Les Gardiens du Temple pose la problématique de la réappropriation de l’identité africaine à l’aide d’une reconstruction globale conscientisée et unitaire qui vient fracasser la volonté coloniale qui est celle de la division, du malentendu et de la corruption organisée.
Cheikh Hamidou Kane prévient que si l’Afrique ne fonctionne pas en une unité solide au moyen de ses voies géopolitiques, culturelles et sociales, elle sera vouée à de nouveaux schismes et à la décadence qui seront les fantômes de la colonisation mais qui auront pris le visage d’un nationalisme exacerbé et stérile, d’un cercle vicieux retranché sur lui-même et qui contient un paradoxe insoluble, celui de l’enfermement.
C’est avec cette nouvelle ambigüité que se débattent les personnages de Cheikh Hamidou Kane mais lui, en narrateur omniscient et conscient, il donne les clés d’un monde meilleur à bâtir, celui de la confiance, celui de la dignité, celui de la transversalité et de la lutte solidaire.
L’esthétisme littéraire de Cheikh Hamidou Kane est de nouveau à l’œuvre car au-delà de la fiction, il s’appuie sur les valeurs universelles qui doivent guider celui qui crée celui qui propose la réflexion, qui sont celles de la vision humaine pour une société plus juste. La littérature inspirée des sciences humaines a toujours beaucoup plus à dire que le simple exercice stylistique du roman. La force de Cheikh Hamidou Kane c’est de réaliser la promesse d’une littérature qui raconte de manière fine et authentique ce que l’homme doit investir pour proposer une société nouvelle, en société en continuité avec l’histoire mais qui ouvre les portes d’un horizon moderne qui soit en phase avec les aspirations humaines, toutes les respirations humaines. En cela, Les Gardiens du Temple est un grand livre, un livre fondamental pour la reconquête des terres belles d’Afrique qui doivent porter les flambeaux prometteurs d’une renaissance guidée par l’unité, par la générosité, par l’éthique, par le principe de réalité, par le bon sens et par une exigence tenace qui dépasse l’intérêt personnel, assassin de tant d’espérance. Une reconstruction salutaire pour enfin faire rejaillir les flamboyants de la civilisation africaine.
Les gardiens du temple, roman, éditions Stock, Paris, 1995
Amadou Elimane Kane est enseignant et poète écrivain.