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25 novembre 2024
Opinions
QUATRE HOMMES, UN ETAT – Par Henriette NIANG KANDE
ABDOULAYE WADE, AU NOM DU PERE ET DU FILS
Acteur principal de la première alternance politique à la tête de l’Etat sénégalais, le président Abdoulaye Wade suscita un grand espoir de changement de mœurs politiques, plus de démocratie et de transparence, après 40 ans de règne d’un Parti socialiste
Acteur principal de la première alternance politique à la tête de l’Etat sénégalais, le président Abdoulaye Wade suscita un grand espoir de changement de mœurs politiques, de plus de démocratie et de transparence, après 40 ans de règne d’un Parti socialiste devenu impopulaire, malgré le système politique pluraliste. Celui qui s’était opposé pendant 26 ans avant d’accéder à la magistrature suprême géra cependant le pays et son parti comme son patrimoine en étant la « seule constante », s’abandonna dans une présidentialisation accrue du pouvoir, anoblit la transhumance, mit très souvent les institutions en question et s’enferra dans un projet de « dévolution monarchique » du pouvoir avant de passer la main, suite à l’échec d’une troisième candidature à la magistrature suprême. En emportant avec lui l’espoir d’une consolidation du système démocratique par le rétrécissement de l’extrême concentration des pouvoirs entre les mains du Chef de l’Etat.
Le 19 mars 2000, quand Maître Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à 74 ans, il avait atteint toutes les majorités. L’appui massif de l’opposition qui est allée le chercher à Paris à la veille de l’élection, aida à faire basculer le Sénégal dans l’alternance. Désargenté, il fait sa campagne électorale au rythme de « la marche bleue », au cours de laquelle il culmine dans le port de bretelles (un accessoire vestimentaire que les suiveurs ont copié), les doigts en V de la victoire. Improbable télégénie de la tradition « zazou » et de l’espoir. Contemporain de ces générations de l’après deuxième guerre mondiale, il pensait mordicus que sa génération avait conduit les pays africains à la ruine et qu’il était de son devoir de réparer cette faute.
De Senghor à Diouf, il avait traversé des périodes de complicité avec ses prédécesseurs. Excluant de façon régulière ses principaux lieutenants dans sa marche vers l’Avenue Roume, il a géré son parti comme son patrimoine en étant la « seule constante ». Comme Sisyphe il a toujours remis l’ouvrage sur le métier et a opéré dans le pays, après des absences régulières plus ou moins longues, des retours spectaculaires, refusant ainsi d’être confronté à son propre effacement. Un réflexe chez lui.
Le titre d’opposant qu’il avait porté pendant 26 ans, il le devait à Senghor, pas peu fier d’inaugurer en Afrique, le multipartisme. Dès ce moment, Abdoulaye Wade fait de la rue son bastion et son tréteau, pendant un quart de siècle. Son habilité, sa ruse, très tôt décelées par Senghor, l’ont fait assimilé à « leuk-le-lièvre »
Son ascension fut longue. Il lui fallut beaucoup d’opiniâtreté, de ténacité pour être élu sur la promesse de ramener le prix du riz à 60 francs le kilo, de régler le problème casamançais en 100 jours, de trouver du travail à tous ces jeunes qui avaient levé la main lorsqu’il avait demandé qui n’en n’avait pas. Pour certains, Abdoulaye Wade était l’évidence même, parce qu’il est un autre homme. Celui qui prendra le Sénégal à pleine main, comme le boulanger travaille sa pâte, la malaxe, la pétrit pour lui redonner une forme humaine après tant d’années perdues dans les calamités socialistes.
L’alternance de 2000 a été un grand espoir, après 40 ans de règne d’un Parti socialiste devenu impopulaire, même s’il avait maintenu le Sénégal dans la paix et organisé un système politique pluraliste, ce qui était une « curiosité », sinon une exception dans cette partie de l’Afrique.
LA CONQUETE
De Maître Wade, tout a été étudié : l’espoir incarné par le « sopi », celui d’un espoir de changement de mœurs politiques vers plus de démocratie et de transparence, les détours de la construction du pouvoir politique de l’alternance qu’il a incarnée, les malentendus qui ont balisé la composition de la coalition qui l’a fait élire et qui a été mise au ban, l’exercice du pouvoir et sa confiscation, ses interventions multiples et intempestives, les institutions mises très souvent en question, les nouveaux adhérents, ces transhumants, les féaux, le projet de « dévolution monarchique », son fils Karim, incarnant cette singulière aventure familiale qui a donné la trame d’une tragédie politique unique, le spectre des images de la vieillesse perçue comme un éventail de pertes. Dans l’opposition, il ne se voyait jamais vaincu des suffrages. En majesté, tous pouvoirs en main, régnant sur un peuple acquis à sa cause et une Assemblée nationale à sa botte, il continue de plonger dans des batailles procédurières face à des juges, surtout ceux du Conseil constitutionnel.
Une fois arrivé au pouvoir, il ne s’étouffa pas de principes et se montra plus politicien qu’homme d’Etat. Comme Appolon, il disperse la nuit et accompagne la course du soleil. « L’homme le plus diplômé du Caire au Cap » apporte la modernité, la force même en faisant fi de toutes les résistances.
L’ascension de Abdoulaye Wade et de son parti, le PDS, s’est faite graduellement. L’homme a bâti sa carrière sur une cuirasse. Increvable. Aux élections présidentielle et législatives de 1978, Senghor est déclaré vainqueur avec 82% des suffrages et Wade est crédité d’un peu plus de 17%. Mais ce qui est d’une toute nouveauté, c’est qu’à l’Assemblée nationale, l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue Parti socialiste pour la première fois dans l’histoire politique du pays, partage désormais les sièges avec un parti d’opposition.
Cinq années plus tard, en 1983, les élections présidentielle et législatives « débrident » Abdou Diouf, qui en en sortant vainqueur, n’est plus « l’homme de Senghor » arrivé à la tête du pays par une technique constitutionnelle. Entre temps, l’Assemblée nationale est passée de 100 à 120 députés. Le Parti socialiste au pouvoir obtient 111 sièges, le PDS 8. A la proclamation des résultats, l’étendue de la victoire du PS fit hurler l’opposition qui accuse le parti au pouvoir de fraudes massives.
Communicateur talentueux, Abdoulaye Wade lance, en février 1988, à quelques jours de la présidentielle, le journal Sopi. Ce n’était pas la première fois qu’il créait un journal. A ses débuts dans l’opposition, il publie en juillet 1974, le « Démocrate » qui cesse de paraitre en 1979. Puis, Takussan voit le jour en 1983, pour dit-il, « équilibrer » le Soleil, le quotidien progouvernemental. Aux élections présidentielle et législatives du 28 février 1988, la bipolarité PS/PDS se confirme et Abdoulaye Wade continue à creuser sa voie : Abdou Diouf 73,20% et Abdoulaye Wade, 25,80%. A l’Assemblée nationale, le rapport de force est encore inégal : 103 sièges pour le Parti socialiste, 17 au PDS.
Les résultats proclamés sont suivis de manifestations monstres qui firent prendre à Abdou Diouf, la décision d’instaurer l’état d’urgence sur toute l’étendue de la région de Dakar et le couvre-feu à partir de 21 heures. Abdoulaye Wade, quelques-uns de ses proches, ainsi que Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily furent arrêtés. La tension était si forte que le 4 avril, jour de l’anniversaire de l’indépendance, la fête fut réduite à une prise d’armes. Abdou Diouf remanie son gouvernement sans tenir compte des manifestations post-électorales.
Le procès de Maître Wade s’ouvre le 21 avril 1988 dans une ambiance d’extrême tension et devant une opposition remobilisée à bloc. Abdoulaye Wade s’était déclaré élu des Sénégalais avec 56% des suffrages et récusait toutes les charges retenues contre lui, contre ses collaborateurs et contre ses alliés. Au terme du procès, et après des médiations, une libération graduelle de Wade et de ses alliés favorise un rétablissement de l’ordre social et politique, même si l’opposition réunie au sein de la Conapco, continue à contester la régularité de l’élection présidentielle, demande l’organisation de nouvelles élections, la réforme du code électoral, l’accès aux médias d’Etat… Le souci de pacification présageait la cooptation de l’opposition et l’entrée de Wade dans un « gouvernement de majorité présidentielle » en 1991.
Un nouveau code électoral est adopté en 1992, mais qui, à terme n’a rien changé aux élections de 1993. Au contraire, elles sont les plus contestées. Tout le monde en prend pour son grade : le pouvoir, l’opposition, les magistrats en charge de l’arbitrage car les fraudes sont manifestement opérées par tous et dans tous les camps. Le contentieux traine en longueur. Dans la foulée, Kéba Mbaye, le Président du Conseil Constitutionnel démissionne et son Vice-président assassiné le 15 mai, donnant ainsi lieu à de nombreuses polémiques. Plusieurs personnes dans le camp du PDS sont arrêtées suite à ce meurtre dont le mobile semble politique. Diouf sort vainqueur de cette élection et Wade réalise son meilleur score mais reste, avec l’opposition sur l’exigence de la création d’un observatoire des élections. Malgré le spectre du magistrat assassiné, Wade revient en 1995 jusqu’en 1997, dans le gouvernement de Habib Thiam. Il y occupe le même poste de ministre d’Etat auprès du Président de la République, sans domaine de compétence, occupé à ce qu’il sait faire : la politique. Était-il contraint d’accepter les règles du jeu tout en contestant ceux qui mènent le jeu ?
En 1997, deux généraux de l’Armée sont nommés. Lamine Cissé, ministre de l’Intérieur, chargé d’organiser les élections législatives de mai 1998 (il aura les mêmes charges lors de l’élection présidentielle de 2000) et Mamadou Niang, à qui la présidence de l’ONEL est confiée, qui met un point d’honneur à procéder à la vérification du fichier électoral. Ce casting avait sorti le pays des débats et « arbitrages » de politiciens retors et des violences postélectorales de 1983, 1988 et 1993. Les règles du jeu étaient devenues un peu plus transparentes, les composantes politiques et la gouvernance de l’administration plus rassurantes dans le système démocratique en construction. Sous l’Etat de droit, se profilait une alternance qui naitra de la nécrose puis de l’implosion du Parti socialiste, suite à la mise en orbite de Ousmane Tanor Dieng DéSéqUILIbRES Mars 2000. Les premières actions de Me Abdoulaye Wade après la « marche bleue » triomphale, donnent le ton d’une présidentialisation accrue du pouvoir, centrée autour de l’allégeance personnelle au nouveau président. Le 1er avril, lors de sa prestation de serment, il fait passer l’hymne national officiel pardessus les murs du stade Léopold Sédar Senghor et fait faire résonner son « hymne à l’Afrique », parce que avait-il soutenu, le « pincez tous vos koras », dont les paroles avaient été écrites par Senghor, était rythmé sur la musique de « Printania », une chaine française de supermarchés, tout en insistant sur la nécessité de se focaliser sur le travail pour développer le pays : « Il n’y a pas de secret. Il faut travailler. Beaucoup travailler. Toujours travailler ». Or, c’est sans doute dans cette perspective que le rêve de changement a le plus déçu. Le régime de la première alternance s’est inscrit dans une remarquable continuité par rapport aux lignes de force du système politique sénégalais antérieur, en en amplifiant tous les travers.
En janvier 2001, Maître Wade organise un référendum, (le 3ème depuis l’indépendance), qui pose les jalons des législatives anticipées d’avril 2001. Le référendum proposait, dans ses grandes lignes, de réduire le futur mandat présidentiel de 7 à 5 ans, d’élargir les prérogatives du Président de la République qui peut désormais, dissoudre l’Assemblée nationale. Il ne faut pas oublier que l’une des revendications de l’opposition qui vient d’accéder au pouvoir, a été la mise en place d’un « régime parlementaire ». Le débat institutionnel se trouve ainsi d’emblée placé au cœur du projet politique des nouveaux gouvernants.
La nouvelle Constitution est adoptée, dont on escompte qu’elle évitera les dérives de l’ancienne. Le nombre de députés passe de 140 à 120. Le Sénat est supprimé – il sera rétabli en 2007 –de même que le Conseil économique et social. La présidentialisation poussée passe par la marginalisation du Premier ministre, ramené au poste de super directeur de cabinet. Dans une ferveur primatoriale , il en a nommé six en douze ans. En comparaison, Senghor en a eu deux en 20 ans (si Mamadou Dia est considéré comme tel), Abdou Diouf, trois en vingt ans, et Macky Sall, cinq en douze ans). La Constitution de 2001, qualifiée de meilleure que ces devancières, était une illusion. L’illusion qu’il suffit d’avoir de bons textes pour avoir une bonne pratique des institutions. Comme jamais dans notre histoire, notre Loi Fondamentale n’a paru aussi compromise dans des querelles partisanes, voire personnelles. Entre 2001 et 2012, elle a été modifiée quinze fois (la seizième n’ayant pas abouti). Elle perd de sa solennité, tant les réformes de circonstances en ont tué sa majesté. Si l’objectivité commande de reconnaître que certaines révisions ont pu procéder d’une vision au service de l’approfondissement de la démocratie, on doit admettre que d’autres changements ont, au contraire affaibli l’Etat de droit dont la stabilité constitutionnelle peut être la marque.
En juin 2007, fait inédit dans une République, il fait jurer le nouveau gouvernement mis en place après sa victoire au 1er tour de la présidentielle ce qui avait amené beaucoup d’observateurs à dénoncer une personnalisation accrue du pouvoir, centrée sur l’allégeance au chef de l’Etat. Cette décision de faire prêter serment n’était pas seulement anecdotique, ni folklorique. Loin de là. Elle aggravait très sérieusement les déséquilibres d’un système que Wade qualifiait de dangereux, avant lui. Avec lui, il le sera tout autant. Sinon plus.
Un pouvoir économique et financier s’était constitué en dehors des sites légitimes de l’exercice du pouvoir : l’administration et les assemblées représentatives.
Il s’est aussi arrogé le privilège de choisir et de marquer de son empreinte, voire de son nom, un Monument de la Renaissance africaine, révérence et référence aux antiques mégalomanies de tous les tyrans de l’histoire. Sous prétexte qu’il en est l’auteur, il récupère 35% des recettes touristiques générées par le Monument. A cela, il faut ajouter les opérations foncière et financière opaques ayant permis l’édification du monument. Sa recherche obstinée d’une historicité « restaurait » t-elle la continuité avec le Poète-président ? Il est important de rappeler que Wade avait, sous les yeux d’un Abdou Diouf présent sur les lieux des funérailles de Senghor qu’on venait enterrer à Dakar, mais qui ne brilla que par son silence, littéralement récupéré, « l’héritage senghoriste ». On peut insérer dans ce même chapitre, le Festival mondial des Arts nègres (le 1er avait été initié par Senghor en 1966) qui n’était pas un projet du peuple sénégalais mais la volonté du président lui-même.
Pour son égo, la relecture de la mémoire coloniale l’amène à une orchestration, une mise en scène autour de lui-même, de son panafricanisme, de sa culture populaire, les valeurs du mouridisme. Il propose une réforme territoriale qui érige les départements en provinces et baptise les collectivités selon les « réalités historiques du pays ». N’ayant trouvé un écho favorable ni dans la presse, ni un accord des populations concernées qui ne se sont pas entendues sur le nom des différentes provinces, le projet fut vite enterré.
La statue de « Demba et Dupont » qui trônait en face de l’Assemblée nationale, puis remisée par Abdou Diouf, a été ressuscitée lors de la commémoration de la « Journée du Tirailleur », lancée en pleine polémique sur la « cristallisation des pensions » tenue par d’anciens combattants de la Deuxième guerre mondiale. Il en profite pour capitaliser les revendications des concernés, et entendait immortaliser et réhabiliter leurs efforts de participation des Tirailleurs à la libération de la France de l’emprise de Hitler
Si Senghor et Diouf s’étaient laissés aller par opportunisme politique, aux liaisons avec les pouvoirs religieux, ils ne se sont pas moins soucié des équilibres de la République et se sont gardé d’abjurer leur serment de fidélité à l’Etat. On pourrait penser que c’est un élément essentiel de la consolidation des bases de notre Nation. Abdoulaye Wade lui, par populisme a posé des actes attentatoires à la cohésion nationale, tenu des propos qui ont profondément choqué des composantes de la Nation, entretenu une attitude ostentatoirement confrérique et anti-laïque.
C’est un homme plein de contradictions et parfois dans une insondable démagogie marquée d’une forte instabilité par de fréquents changements de gouvernement. Mais quoiqu’on dise, c’est lui, Abdoulaye Wade qui a rompu une règle jusque-là observée par ses prédécesseurs. La nomination d’une femme au poste de Premier ministre. Il brise cette « tradition » jusque-là appliquée : le poste, depuis l’indépendance, avait été occupé par des hommes, de confession musulmane et de culture wolof. Il a également fait réaliser un progrès notable : la suppression de la peine de mort. On lui doit l’instauration de la parité homme-femme dans les fonctions électives après que des résultats d’un plaidoyer dans ce sens lui a été soumis. Il s’est battu farouchement et son rôle a été décisif dans le débat relatif à la fracture numérique en Afrique. Le 3 avril 2004, lors du traditionnel message à la Nation de la veille de la fête de l’indépendance, il propose une nouvelle forme non violente de revendication, s’inspirant « du modèle japonais » : arborer un ruban rouge en guise de protestation. Plus tard, il reprocha à ceux qui appliquaient la méthode à son endroit, d’en faire un usage abusif ! Il fait également adopter une loi octroyant le droit de vote des militaires. Si l’intégration des femmes au sein de la Police (1981), de l’administration pénitentiaire (1984) et de l’Armée sénégalaise s’est faite progressivement (intégration à l’Ecole militaire de santé en 1984), la mixité dans les casernes militaires a fait l’objet d’un décret en 2007.
LE JOOLA ET LA CASAMANCE
En septembre 2002, la côte maritime sud du pays est devenue le funérarium de 1863 personnes de douze nationalités par le naufrage du bateau « le Joola », surchargé, qui assurait depuis 1991, la liaison maritime Dakar-Ziguinchor et retour. Le rapport d’enquête indiquait que « Le Joola ne disposait d’aucun titre de sécurité depuis 1996 et de navigation depuis 1998 ». En 2001, les avaries de propulsion et les arrêts techniques se multiplient et le bateau est mis en cale sèche pendant un an. Il reprend ses rotations en septembre 2002, malgré les doutes et les avertissements de journalistes-reporters, embarqués. Abdoulaye Wade manœuvre à tel point qu’en fin de compte, en aout 2003, l’Etat sénégalais décide de classer l’affaire sans suites pénales. La responsabilité du naufrage a été « portée » par le commandant du bateau, lui-même disparu au cours de ce même naufrage !
Une des promesses de campagne de Wade a été le « règlement du conflit casamançais en 100 jours ». Au pouvoir, il pose des actes forts : nomination d’un ministre des Forces armées issu du terroir, réception à Dakar de l’Abbé Diamacoune Senghor à qui il a rendu visite (ce que Diouf n’a fait qu’en 1999, soit 17 ans après le début de la rébellion). C’est en comptant sur l’assise déjà ancienne du PDS dans la région qu’il signe en 2001, un cessez-le feu, après trois autres paraphés sous Diouf, sans aucun effet, du fait essentiellement de désaccords internes au MFDC.
La crispation du pouvoir sur ce dossier avait amené le pouvoir d’expulser du pays, une journaliste française qui avait interviewé une faction hostile à Diamacoune. En 2004, le délai des 100 jours largement dépassé, la signature d’un accord portant sur « la renonciation définitive à la lutte armée » par Diamacoune Senghor est remise en cause par l’aile dure du mouvement qui ne le considère plus que comme « président d’honneur » depuis le mois de septembre de la même année en raison de son « incapacité objective » à occuper des postes de direction opérationnelle. Le texte, objet de la signature de 2004, avait été interprété par les observateurs comme le pari de Wade qui avait compris que c’est en développant économiquement la Casamance qu’il espérait pacifier cette région instable. En effet le texte prévoyait l’engagement de 19 bailleurs de fonds internationaux à débloquer 94 millions d’euros pour financer la reconstruction des villages, la démobilisation des combattants et le déminage du territoire, la construction du quai du port de Ziguinchor…
« LE PLUS DIPLOME DU CAIRE AU CAP »
Pressé de mettre en œuvre ses innombrables projets, il se méfie des services de l’Etat, contourne les ministères en multipliant les agences ad hoc – 27 dans le gouvernement de novembre 2006 - et assouplit le fonctionnement de l’administration en l’informalisant. Au plan politique et institutionnel, il fait preuve d’un zèle dévastateur au point de nourrir des controverses quant à sa participation à la présidentielle de 2012, pour un 3ème mandat, légitimée par les juges du Conseil constitutionnel, tous nommés par lui.
Il investit aussi des chantiers géostratégiques en délogeant les bases françaises installées sur la presqu’ile du Cap Vert. Plus tard, on comprendra que ce n’était que pour des calculs fonciers.
Au plan sous-régional, et africain, il regarde de haut les chefs d’Etat ouest-africains avec qui pourtant il faut travailler pour continuer à construire la sécurité et l’espace économique de la CEDEAO et de l’UMOA. Vexé de n’avoir été invité à la conception du Millenium African Plan (Map) aux côtés de l’Algérien Bouteflika, du Nigérian Obasanjo et du Sud Africain Mbeki, lui, « l’Africain le plus diplômé du Caire au Cap » propose un plan Omega. Plus tard, les deux plans sont fusionnés pour donner naissance au NEPAD. Au plan local, la GOANA est lancée en grandes pompes. Mais les improvisations sur des spéculations hasardeuses ont fait qu’elle a fait long feu.
LA FAMILLE
Le premier mandat d’Abdoulaye Wade a vu l’émergence progressive de son fils Karim qui devient peu à peu, la figure incontournable de la gestion patrimoniale du pouvoir, ce qui préfigurait, pour quelques observateurs une succession héréditaire biologique. La préférence s’est faite à la faveur d’un double processus dans deux familles distinctes. Dans la famille nucléaire d’abord. Sindjély, la fille est nommée conseillère de son père dans le domaine des arts, des sports et de la culture. Elle est très active dans la participation de son père au Sommet de Davos en 2001, et dans la Tanière des Lions du football lors de la Coupe du Monde en 2002. Pour la 3ème édition du Festival mondial des Arts Nègres, elle nommée déléguée adjointe. En 2013, elle est citée dans le rapport de l’Inspection Générale d’Etat et les 400 millions de francs injustifiés ont été miraculeusement remboursés à l’Etat du Sénégal. Il y a ensuite la mère. Madame Wade, devenue, Madame la Présidente en 2000, dispose d’un cabinet faisant partie de la Présidence de la République. Elle s’investit dans l’éducation et la santé et fait construire un hôpital inauguré en 2003, à Ninéfécha à plus de 700 km de Dakar. En 2013, l’hôpital ferme ses portes. Aujourd’hui, c’est un poste de santé intégré dans le système sanitaire de la région de Kédougou. Il est essentiel de rappeler que jusque-là Mesdames Senghor et Diouf ont toujours été et encore aujourd’hui, appelées Madame Colette Senghor et Madame Elisabeth Diouf.
Le fils Karim est en miroir, sur le plan politique et administratif, de l’implication de la mère et de la fille. Sur ce plan politique, la lutte pour la succession l’opposera, selon différentes configurations au cours des deux mandats de Wade à Idrissa Seck, puis à Macky Sall, qui, en réaction à la destitution de leur filiation politique, créeront chacun leur parti politique, en vue de l’élection présidentielle de 2012.
Dès la prise de fonction de son père, il est nommé conseiller personnel dans l’ombre. Mais il est très vite sous les feux des projecteurs lorsqu’il est nommé à la tête de l’Agence nationale de l’Organisation de la Conférence islamique, chargée de la 11ème tenue de l’OCI en 2008. Les rideaux tombés sur le sommet, des accusations de gestion opaque des fonds et d’affairisme se font jour.
Il entre au PDS par le biais d’un mouvement appelé « la génération du concret » qui devient le cœur d’une stratégie politique, qu’il co-anime avec celui qui a été son directeur exécutif à l’Anoci. Aux élections locales de 2009, la Génération du Concret présente Karim Wade à un mandat électif mais il est battu. La Gc explose en 2012 et c’est le début des poursuites judiciaires contre Karim Wade.
Malgré la défaite du fils le père n’hésite pas à le porter à des postes nominatifs : ministre de la coopération internationale, du développement régional, des transports aériens et des infrastructures, ce qui le fait qualifier de « ministre du ciel et de la terre ». LE bAROUD D’HONNEUR Réélu au premier tour en 2007, Wade ressuscite le Sénat. Pour d’aucuns, la conjugaison de quatre éléments principaux explique, l’ampleur de la victoire d’Abdoulaye Wade : le temps, le vide offert par l’opposition qui s’était présentée en ordre dispersé, l’« achat de conscience » dès la proclamation provisoire des résultats, le rêve et … quelques réalités. Parmi elles, le meilleur positionnement du pays, suite à la désaffection des investisseurs étrangers vis-à-vis de la Côte d’Ivoire, qui traversait une crise profonde. Dans le domaine fiscal, des réformes ont concouru à une meilleure maîtrise de la Tva, ce qui a permis l’octroi de bourses à tous les étudiants, puis quelques mois avant la présidentielle la gratuité des soins aux personnes âgées. L’Etat a également considérablement investit dans la construction de collèges et de lycées et les grands travaux répondant aux besoins de fluidité urbaine ont été opportunément inaugurés. Le succès en 2007 s’explique aussi par une meilleure situation économique. Des économistes annoncent un taux de croissance supérieur à 5% de 2000 à 2005, avant de connaitre un fléchissement en fin 2006. Si le transfert des émigrés contribue pour beaucoup à huiler les rouages du système social, l’origine de la circulation monétaire est alimentée également par l’aide extérieure très diversifiée que le régime a su capter, mais aussi celles des monarchies du monde arabe et de la Chine, ces dernières se caractérisant par une certaine opacité de nature à élargir les marges de manœuvre politiques du régime.
Une contestation majeure nait, confirmée par la tenue des Assises nationales dont l’objectif premier était de dresser un état des lieux de la crise politique et institutionnelle par une « refonte de l’Etat et de la Nation ». En juin 2011, un projet de double réforme institutionnelle est lancé : ticket présidentiel et élection à 25% des voix. Une vive opposition dénonce une tentative de « dévolution monarchique du pouvoir », la contestation craignant que Wade puisse démissionner en cours de mandat pour faire la place à son fils. portait également sur la production des cartes nationales d’identité et d’électeur. La réponse politique, face au « manque de crédibilité de Ousmane Ngom » est la nomination d’un ministre chargé des élections
Ses talents de communicateur ont fait la différence de Abdoulaye Wade d’avec ses prédécesseurs. Dans la rhétorique du pouvoir jusque-là confinée au « Sénégal émergent », et les mises en scène qu’il écrit lui-même, il en fut en tantôt l’acteur, tantôt le réalisateur qui renouvelait ses hommes afin d’assurer la représentation de sa pièce, confiant le récit à Abdoulaye Mbaye Pekh. Le pouvoir de Wade a trouvé en cet homme, le chantre de sa propagande, « le griot de l’alternance ». Ce passionné de chevaux et de courses hippiques, n’a rencontré Wade qu’au second tour de l’élection présidentielle de 2000. N’étant allé ni au daara, ni à l’école française, Abdoulaye Mbaye Pekh, n’a également ni la culture, ni l’expérience de El Hadj Mansour Mbaye dont le parcours a permis de connaitre les hommes qui ont participé à l’exercice du pouvoir. Mbaye Pekh lui, sans séduction, sans technique oratoire, ne tient que des propos laudatifs très souvent qualifiés de dérapages et de bavardages. Wade méritait-il quelques années de plus, malgré son grand âge ne serait-ce que pour terminer les nombreux chantiers entamés ? L’homme avait capitalisé sur son endurance et son énergie. Pour tenter un ultime assaut, un mélange d’incantation et de bricolage ne donneront pas au président la maîtrise de l’élection de 2012, qui a été au mieux pour lui, l’année du baroud d’honneur.
HENRIETTE NIANG KANDÉ
par baba Zoumanigui
PRIÈRES CITOYENNES
Le Sénégal vit sa quatrième alternance. Comme une jeunesse en renaissance. Nombreuses sont les doléances. Et moi comme un sage je médite en silence. Comment concilier le droit la justice et l’équité Comment rendre au travail toute sa dignité
Le Sénégal vit sa quatrième alternance
Comme une jeunesse en renaissance
Qui vit l’aboutissement de ses rêves
Ndiaganio désormais sur une carte du continent
Par la force des urnes et celle du divin
Un fils issu de ce bourg veille sur notre destin
Le peuple des profondeurs se reconnait dans son président
Nombreuses sont les doléances
Profonds sont les besoins de savoir
Gloutons sont les appétits de pouvoir
Énormes sont les espérances
Sur les frêles épaules de son leader le pays attend
Des réponses et surtout des actions
Des décisions pour sauver la nation
Dont la jeunesse vibrante n’a plus de temps
Et moi comme un sage je médite en silence
Comment concilier le droit la justice et l’équité
Comment rendre au travail toute sa dignité
Et permettre à chaque citoyen de garder l’espérance
Je voudrais que partout résonne le cri de ceux qui ont faim
Pour éveiller les cœurs et les consciences
Que la solidarité dans le partage des abondances
Permette à ceux qui ont tout de penser à ceux qui n’ont rien
Que les terres ancestrales arrachées sur la foi d’un titre foncier
Comme preuve ultime de propriété héritée du colonisateur
Au mépris de l’Afrique et ses valeurs
Soient rendues aux communautés au nom de l’histoire et de la vérité
J’observe impuissant des guides dits spirituels
Passeports diplomatiques en main
Sillonnant les capitales en quête de l’aumône du lendemain
En échange d’une prière vers le ciel
J’entends la détresse des familles éplorées
Dont les fils agglutinés dans des pirogues à la merci des vagues
Ont préféré défier la mort et les langues
Plutôt que l’inutilité d’une vie sans opportunités
Je vois tous ces politicards sans convictions
Qui retournent leur veste pour le son des espèces
Qu’importe le projet pourvu qu’ils aient l’ivresse
Celle du pouvoir de l’argent et des oripeaux de la Nation
Je perçois la désespérance et l’instinct de survie
Dans les banlieues périphériques
Quand dans les beaux quartiers des politiques
Dépensent sans compter des biens mal acquis
Alors je prie pour que ceux qui ont le pouvoir
Et guident notre chemin vers l’avenir
Ne cèdent jamais à leur bon plaisir
Et veillent à la flamme et l’espoir des gens du terroir
Je prie pour le courage de leurs décisions
Je prie pour leur sens de l’équité et de la tolérance
Je prie pour leur clairvoyance et leur pertinence
Je prie pour que l’intégrité soit au cœur de leurs actions
Puisse l’étoile polaire guider le berger et son peuple
Que jamais nul ne s’écarte du but
Et que rien ne nous détourne de la foi
par Ibrahima Thioye
MESSAGES BRUTS POUR CONSTRUIRE DES ÉLÉMENTS DE LANGAGE
Des mots-clés pour une communication maîtrisée. Focus sur les messages à véhiculer pour aborder avec discernement des sujets polémiques tels que les erreurs, les critiques, le système ou le parrainage d'événements
Nous proposons aux nouveaux dirigeants ces messages bruts qui peuvent être utiles dans la construction des éléments de langage. Certains thèmes font déjà l’objet d’échanges et/ou de controverses (populisme, patriotisme, panafricanisme, parrainage de manifestations). D’autres peuvent éclairer l’opinion et constituer de bons défis pour la nouvelle équipe (la démocratie interne, les erreurs). Pour chaque point, nous indiquons l’avantage qui le sous-tend. Les thèmes abordés sont :
l’ennemi public n° 1
l’appréciation des régimes précédents
la chasse aux sorcières
les erreurs
les critiques
le système
la démocratie
la démocratie interne
le populisme
le patriotisme et le souverainisme
l’apprentissage de l’action gouvernementale
l’orientation politique
le panafricanisme de gauche ou de droite
l’expertise et les ressources humaines compétentes
le parrainage des manifestations (lutte et autres événements culturels)
- L’ennemi public n° 1 : « Notre seul ennemi est le retard économique. »
: recentrer le débat sur le retard économique plutôt que sur des adversaires ou des individus, évitant ainsi la stigmatisation et les débats inutiles.
Les régimes précédents : « Ils ont probablement fait de leur mieux compte tenu du contexte qui était le leur. Nous nous efforcerons d’aller plus loin pour répondre aux aspirations, besoins et exigences des populations. »
: une évaluation lucide et réaliste qui est au-delà des personnes, tenant compte du contexte et mettant l’accent sur l’amélioration future.
La chasse aux sorcières : « Nous n’engagerons pas de chasse aux sorcières ; amnistie et non amnésie, réconciliation nationale basée sur la justice et la vérité. »
: éviter de focaliser l’attention de l’opinion sur ces questions, tout en étant ferme sur le principe de non-impunité et de reddition des comptes.
Les erreurs : « Nous admettrons nos erreurs et les corrigerons avec promptitude. »
: favoriser un climat d’honnêteté et d’authenticité en reconnaissant et en corrigeant les erreurs.
Les critiques : « Nous accueillerons favorablement les critiques constructives, les considérant comme des outils précieux pour nous ajuster. Les critiques non fondées seront traitées avec indifférence, sauf celles nécessitant des éclaircissements. »
: démontrer un esprit d’ouverture et une capacité de discernement face aux critiques non fondées.
Le système : « Le système est un ensemble d’éléments en interaction. Nous ciblons les interactions plutôt que les acteurs. Notre critique du système vise les interactions malsaines. Lutter contre le système signifie introduire de nouvelles interactions saines. »
: souligner l’importance des interactions dans le système et l’engagement à les améliorer pour un changement positif.
La démocratie : « Nous maintiendrons et renforcerons les acquis démocratiques et l’État de droit. »
: promouvoir la démocratie et l’État de droit pour favoriser un dialogue pacifique et constructif.
La démocratie interne : « Nous favoriserons la démocratie interne en encourageant l’inclusion et le renouvellement régulier des instances de nos structures. »
: dynamiser les organisations en évitant la concentration du pouvoir et en favorisant l’émergence de nouveaux leaders.
Le populisme : « Le populisme a tendance à opposer le peuple aux élites politiques, économiques ou médiatiques. Nous rejetons le populisme et nous nous engageons à travailler pour le développement économique et la résolution des problèmes sociaux en mobilisant tous les acteurs de la vie nationale. »
: clarifier la position par rapport au populisme et mettre l’accent sur le développement économique et social.
Le patriotisme et le souverainisme : « Nous aspirons à renforcer le patriotisme et le souverainisme pour parachever notre indépendance ».
Avantage : promouvoir le patriotisme et le souverainisme comme compléments à l’indépendance et sortir du joug de la dépendance.
L’apprentissage de l’action gouvernementale : « Nos ministres sont ouverts à l’apprentissage et visent à être opérationnels rapidement pour éviter les erreurs. » Avantage : promouvoir une attitude d’apprentissage et d’efficacité dans l’action gouvernementale.
L’orientation politique : « Nous ne nous positionnons ni à gauche ni à droite, mais nous favorisons une approche équilibrée en soutenant à la fois l’initiative privée et les politiques sociales ».
Avantage : adopter une position équilibrée pour répondre aux besoins de toutes les couches de la société.
Le panafricanisme de gauche ou de droite : « Nous promouvons un panafricanisme axé sur l’efficacité dans un cadre de marché libéral. »
: clarifier la position sur le panafricanisme et son orientation économique.
L’expertise et les ressources humaines compétentes : « Nous utiliserons les ressources humaines compétentes du pays, en mettant l’accent sur l’intégrité. »
: garantir l’efficacité de l’action gouvernementale tout en promouvant l’intégrité.
Le parrainage des manifestations (luttes et autres événements culturels) : « Nous éviterons l’implication des membres du gouvernement dans le parrainage des manifestations pour prévenir toute dérive (conflit d’intérêts, exhibitionnisme, etc.). Nous veillerons à l’organisation appropriée de ces événements. »
: assurer la transparence et éviter les conflits d’intérêts et autre potentielle dérive dans le parrainage des événements.
PAR Abdou Karim Gueye
INTRODUCTION A LA THÉORIE DES 100 PREMIERS JOURS : MYTHE OU RÉALITÉ ?
Les 100 premiers jours: une période cruciale pour un nouveau dirigeant. Révélé par Roosevelt dans les années 1930, ce concept est devenu un véritable outil de gestion pour installer rapidement les bases d'un mandat réussi
À l’origine du concept, une ferme résolution de Franklin Delano Roosevelt nouvellement élu de faire de sa présidence un succès face à la grande dépression économique. Tout au début de celle-ci, Roosevelt se fixa alors un objectif fort ambitieux : « remettre les Américains au travail, protéger leur épargne, créer de la prospérité, soulager les malades et les personnes âgées, remettre l'industrie et l'agriculture sur pied, ceci en trois mois… » On connaît la suite, le succès de ce dirigeant et le redressement économique des États-Unis. Depuis, ce modèle des 100 jours est évoqué dans des situations diverses. Par exemple, aux États-Unis, il est utilisé par une variété d’experts, d’analystes, d’organismes, de cabinets conseil, d'ONG, pour évaluer les 100 premiers jours d’un mandat présidentiel ou ceux suivant les nominations de dirigeants, PDG, divers responsables, etc. Ce modèle est devenu un outil de gestion, de planification et de suivi développé et vendu par de nombreux cabinets, consultants, experts, etc. Au-delà du concept, plusieurs « business models » sont donc proposés dans le cadre d’activités de conseils, de coaching, d’accompagnement d’un nouveau PDG, d’un cadre exécutif nommé ou d’une personne élue ou affectée à la prise en charge d’un nouveau projet, programme, etc. En effet, il est important pour le nouvel élu ou nommé de maintenir une première bonne impression, de ne pas perdre une bonne première chance, d’impulser le mouvement et de maintenir l’élan durant les premiers mois et semaines qui suivent. Ces 100 premiers jours de travail sont cruciaux ; ils donnent le ton et potentiellement, ont un impact sur l’image, les premières impressions de crédibilité et de professionnalisme.
En dépit de la variété des modèles existants, la méthode des 100 premiers jours impose au nouveau venu de veiller à l’exécution des diligences ci-dessous :
Évaluer la situation et se préparer minutieusement à définir un plan des 100 premiers jours et les règles qui vont avec, ceci pouvant exiger des recherches approfondies sur l’environnement, les tendances économiques, les comportements, les enjeux de compétition et de positionnement. Il est recommandé de rester détendu, serein, optimiste et orienté vers une approche réfléchie des modalités d’intégration dans une nouvelle organisation.
Communiquer clairement sur les intentions au cours des trois prochains mois de la période des 100 jours en étant véridique sans tricher ; écouter activement, accepter de se connecter avec le principe que « communiquer c’est bien, se connecter, c’est mieux ».
Parier sur les talents, construire une équipe soudée et solide, en maîtrisant les collaborateurs et les conversations toxiques ; dès lors, s’il existe des documents permettant d’en savoir plus les performances des collaborateurs, les étudier attentivement pour se faire une idée ; à cet égard, l’art des conversations transformationnelles constitue un atout incomparable de leadership transformationnel.
Privilégier l’intention de s’améliorer et de se perfectionner, voire de développer ses compétences en leadership pour le succès du mandat, de la vision et/ou des ambitions dont la réalisation est recherchée.
Connaître et comprendre l’organisation, ses métiers, ses hommes, l’environnement dans lequel on met les pieds, son mode de fonctionnement, ses règles du jeu, sa culture organisationnelle.
Développer un narratif sur la vision, les ambitions et bien d’autres considérations stratégiques (par exemple la transparence, l’éthique, la méritocratie, les talents, le modèle de transformation, etc.) permettant de mettre en œuvre la vision, les stratégies, les plans et les processus pertinents.
Identifier et clarifier les attentes et les rôles, les réseaux, les partenariats nécessaires au succès et les ressources dont on dispose pour réaliser l’ambition projetée.
Définir les moyens « d’accélérer la cadence », de mobiliser les gens autour d’urgences et en dehors de leur zone de confort.
Se plier aux exigences d’attention soutenue et d’humilité pour écouter et apprendre, pour s’éduquer soi-même en évitant de perturber tous les projets déjà existant en se concentrant sur la planification des urgences et des prochaines étapes.
Plusieurs modèles de « Plans des 100 premiers jours » formalisent des démarches et des processus destinés à retracer des objectifs à court, moyen et long terme, mensuels ou hebdomadaires. Ce genre de document, voire de processus, tend aussi à identifier et à impliquer les parties prenantes au succès, les messages clés, la mesure du succès, les récompenses à court terme de ceux qui réalisent des victoires immédiates. Le succès de tels plans dépend donc fortement de l’intentionnalité des nouveaux dirigeants, de leur volonté à apprendre, de leurs capacités de leadership inclusif, d’interactions, d’échapper aux contraintes bureaucratiques et de lever la tête pour réfléchir et regarder ce qui se passe autour d’eux.
En conclusion, les 100 premiers jours d’un nouveau leader représentent une période critique pour établir des fondations solides et pour façonner le succès futur. En général, la méthode comporte de nombreux processus allant de l'évaluation initiale à la mise en œuvre stratégique, en passant par la communication efficace et la mobilisation des talents.
Dans les prochains articles de cette série, nous explorerons en profondeur les thèmes clés tels que les modalités d’élaboration et de mise en œuvre des plans des 100 premiers jours, les calendriers, les outils et les référentiels essentiels à leur succès, les bonnes et meilleures pratiques permettant de maximiser l'impact et la réussite de cette période cruciale.
Mots clés : 100 premiers jours, leadership, coaching, onboarding, planification stratégique, communication, évaluation, mise en œuvre, outils, référentiels, succès, gestion du changement, transformation, apprentissage continu.
À bientôt pour une analyse approfondie et une orientation pratique sur la réussite des 100 premiers jours !
A suivre …
Abdou Karim Gueye, DBA- MBA- ENA -UCAD. Ancien Directeur général de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Sénégal. Inspecteur général d’Etat à la retraite. Ancien Secrétaire exécutif du Forum des Inspections générale d’Etat d’Afrique. International Certified Investigator, Coach, Consultant and Advisor !
Par Mamadou Bodian
RENEGOCIER LE CONTRAT SEXUEL AU SENEGAL
La récente annonce de la composition du nouveau gouvernement au Sénégal, marquée par une faible présence de femmes (seulement quatre parmi vingt-cinq membres), a exacerbé les critiques au sein d’une frange du mouvement des femmes
La récente annonce de la composition du nouveau gouvernement au Sénégal, marquée par une faible présence de femmes (seulement quatre parmi vingt-cinq membres), a exacerbé les critiques au sein d’une frange du mouvement des femmes, qui perçoit cette sous-représentation non seulement comme le reflet d’une lacune immédiate dans le nouvel Exécutif, mais également comme l’indicateur d’un recul en termes de reconnaissance de la place des femmes dans les sphères de pouvoir.
Certain.e.s sont allé.e.s plus loin, qualifiant la transformation du ministère de la Femme en ministère de la Famille et des solidarités, de dilution des enjeux de genre au profit d’une approche matrimoniale réductrice, susceptible d’éclipser les politiques essentielles permettant de lutter contre les inégalités structurelles en faveur des femmes. Je comprends les alertes qui soulèvent des questions fondamentales sur les relations hommes-femmes dans une société sénégalaise qui, empreinte d’un imaginaire patriarcal, voit l’Etat sous les traits d’un père protecteur et ordonnateur. Cette omniprésence masculine imprégnée sous-tendue par la religion fait craindre une perpétuation du «contrat social sénégalais» tel que décrit par Cruise O’Brien - c’est-à-dire fondé sur une alliance au sommet entre le prince et le marabout-, qui pourrait dissimuler un autre «contrat sexuel» (pour reprendre Carole Pateman) qui cantonne les femmes dans des rôles privés et matrimoniaux. Cette crainte est d’autant plus compréhensible que la configuration du pouvoir dans notre société semble influencer systématiquement toutes les décisions, les lois et les normes, révélant ce que certains critiques décrivent comme un «sexisme latent» qui irrigue l’ensemble de la structure sociale. Mais en vérité, le Sénégal ne peut aucunement souffrir d’un «sexisme institutionnalisé», compte tenu des avancées significatives réalisées en faveur des droits des femmes, qui méritent d’être pérennisées. C’est pourquoi il me semble prématuré de spéculer sur les politiques que les nouvelles autorités étatiques mettront en œuvre concernant les questions de la femme (audelà de la famille), en l’absence de la déclaration de politique générale du Premier ministre et des directives du nouveau ministère de la Famille et des solidarités. En attendant, il me semble crucial de diriger le débat vers des discussions plus constructives et exemptes de préjugés. Ces échanges doivent prendre en compte une compréhension holistique des défis globaux et locaux liés aux femmes. C’est dans cette perspective que cette analyse entend souligner trois aspects-clés qui pourraient servir de catalyseur à ce dialogue essentiel.
Lever les équivoques sur le «genre» et la femme
Au Sénégal, la problématique du genre semble se situer à l’intersection de deux visions opposées. D’une part, une approche néolibérale, influencée par les valeurs occidentales, considère l’émancipation et la modernisation des rôles sexués comme cruciaux pour le progrès social. D’autre part, une perspective post-coloniale et conservatrice insiste sur la préservation des valeurs culturelles et religieuses traditionnelles, considérées comme un bouclier contre les effets homogénéisants de la mondialisation. Cette vision conservatrice, profondément ancrée dans la société sénégalaise à majorité musulmane, soustend les réactions défensives face aux questions de genre, perçues -à tort ou à raison- à travers le prisme de stéréotypes négatifs. Sur le plan conceptuel, il est fondamental de distinguer le «sexe», qui désigne les différences biologiques et physiologiques, du «genre», qui se rapporte aux rôles socialement attribués.
Cette distinction est capitale pour comprendre les tensions autour de l’élaboration de certaines politiques publiques, en différenciant par exemple celles spécifiquement destinées aux femmes de celles globalement liées au genre. Les politiques centrées sur les femmes abordent des enjeux spécifiques tels que les inégalités professionnelles, la violence contre les femmes et les limitations d’accès à l’éducation et aux soins de santé reproductifs, et motivent des mesures correctives telles les lois pour une plus grande représentation des femmes dans les positions de pouvoir ou le soutien à l’entrepreneuriat féminin. Parallèlement, les politiques de genre adoptent une approche plus vaste et inclusive, couvrant diverses identités -y compris celles des hommes, des personnes non binaires et transgenres- dans le but de promouvoir l’égalité dans tous les secteurs de la société et de déconstruire les stéréotypes limitant les choix et les opportunités des individus de tout genre. Cette approche genre a rencontré des résistances culturelles marquées, notamment lors des premières initiatives en faveur de l’émancipation des femmes.
C’est le cas par exemple de la mise en œuvre de politiques de planification familiale et de démographie par des organisations telles que l’International Planned Parenthood Federation (Ippf) et le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) durant les années 1980. Initialement centrées sur la santé maternelle et infantile, ces initiatives ont progressivement intégré des questions de genre, marquant une évolution notable dans l’approche des politiques de santé et de population. Elles ont progressivement déclenché des débats passionnés autour de sujets sensibles tels que le mariage précoce, la polygamie, le divorce, l’homosexualité, les mutilations génitales féminines et l’autonomie corporelle des femmes. Elles ont révélé que les questions de santé sexuelle et reproductive font partie intégrante d’une lutte plus large pour l’égalité non seulement pour les femmes, mais aussi en faveur de l’égalité des genres et de l’autonomie individuelle, en influant sur tous les aspects de la vie sociale et privée. Dans le contexte sénégalais, où les normes religieuses jouent un rôle dominant dans la définition de ce qui est acceptable, les débats sont amplifiés par une propension à envisager les notions de genre, d’équité sociale et de dynamique familiale comme indissociables. Comment peut-on avancer vers une plus grande équité pour les femmes sans renforcer les stéréotypes de genre qui conduisent certains à rejeter en bloc des avancées potentiellement positives ?
La réponse à cette préoccupation est d’autant plus importante que le récent changement de régime au Sénégal intervient dans un contexte d’adoption de la Stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre II (Sneeg), qui vise à promouvoir l’égalité entre les sexes jusqu’en 2026, alignée sur les Objectifs de développement durable à l’horizon 2030.
II- Le nouveau régime et le contrat sexuel
Dans la continuité de cette réflexion, il est crucial de redéfinir un «nouveau contrat sexuel» au Sénégal, où hommes et femmes collaborent de manière complémentaire pour faire avancer la cause de la femme. Cela nécessite de se concentrer attentivement sur des aspects-clés pour garantir un progrès à la fois tangible et pérenne. Premièrement, il semble essentiel de préserver et valoriser la mémoire et les acquis des luttes féminines au Sénégal, ancrées dans l’histoire politique depuis l’époque coloniale. Des figures emblématiques telles que Ndaté Yalla Mbodj, reine du Waalo, et Aline Sitoë Diatta, prêtresse de la Casamance, ont marqué de leur résistance inspiratrice face à l’oppression, ouvrant la voie aux futures générations pour continuer la lutte pour l’égalité. Au fil du temps, l’activisme féminin a transcendé les divisions ethniques et politiques. Des leaders comme Ndaté Yalla Fall et Soukeyna Konaré, bien que de partis opposés, ont collaboré pour défier des lois discriminatoires telles que l’ordonnance française de 1944 qui limitait le droit de vote aux seules Françaises «de souche»
Le combat continu des femmes a contribué à des avancées majeures, comme l’adoption de la loi sur la parité absolue en 2010 sous la Présidence de Abdoulaye Wade, renforçant significativement leur participation dans la vie politique sénégalaise. Deuxièmement, le Sénégal doit renforcer son rôle de leader dans la promotion des droits des femmes sur la scène internationale et drainer des investissements en faveur de ces dernières. Le pays a déjà fait preuve de dévouement en ratifiant des accords-clés tels que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedef) de l’Onu en 1979 et son Protocole additionnel, adoptés respectivement en 1985 et en 2000. Ces engagements soulignent la volonté sénégalaise d’éliminer la discrimination et de promouvoir l’égalité des femmes dans la sphère politique et publique. En adhérant à des initiatives internationales comme la Déclaration de Beijing, la Résolution A/RES/66/130 de l’Onu, le Protocole de Maputo complétant la Charte africaine des droits de l’Homme sur les droits des femmes et l’Acte additionnel de la Cedeao pour l’égalité des droits dans le développement durable, le Sénégal s’affirme comme un acteur engagé. Sur le plan national, des mesures comme l’adoption la loi n°2010 du 28 mai 2010 portant parité absolue entre les hommes et les femmes dans les instances électives et semi-électives illustrent cet engagement législatif. De plus, le pays respecte ces obligations internationales en fournissant régulièrement des rapports aux comités de suivi, ce qui assure une mise en œuvre effective de ses engagements. Cette posture non seulement renforce la position du Sénégal comme modèle de progrès dans les droits des femmes, mais peut également encourager des investissements internationaux et des collaborations qui favorisent le développement socioéconomique global du pays.
Troisièmement, les défis auxquels sont confrontées les femmes sénégalaises vont bien audelà de leur simple participation dans les sphères décisionnelles ou les débats, souvent circonscrits aux enjeux reproductifs et matrimoniaux. Ces défis représentent un enjeu majeur de développement, et il est impératif que les nouvelles autorités saisissent cette opportunité pour rectifier les inégalités structurelles qui pèsent sur les femmes. Elles rencontrent divers obstacles, incluant un accès restreint à l’éducation, des disparités économiques et la persistance de violences physiques et psychologiques. Leur combat constant appelle à une intervention proactive de l’Etat non seulement pour protéger leurs droits politiques, économiques et sociaux, mais également pour valoriser équitablement leurs compétences et contributions au développement du Sénégal, au même titre que les hommes. Cela nécessite le renforcement des politiques adaptées aux réalités vécues par les femmes sénégalaises et l’engagement dans des réformes structurelles qui favorisent leur bien-être et leur autonomie dans tous les aspects de la vie, tout en préservant les équilibres familiaux et sociaux.
Par Ibou FALL
JE SUIS MONOGAME MAIS JE ME SOIGNE
L’élection de Diomaye est une révolution, non pas seulement parce qu’il est le premier opposant à remporter une présidentielle au premier tour. Il nous confirme dans notre imaginaire collectif : la Sénégalaise n’a pas le même standing que le Sénégalais
Depuis le 2 avril 2024, la polygamie, longtemps revendiquée comme la plus farouche et indécrottable manière d’être sénégalais, frappée d’authenticité mais marginalisée en République, franchit le Rubicon.
Jusque-là, disons, avant l’ère Bassirou Diomaye Faye, elle s’arrête aux portes du Palais : de Senghor à Macky Sall, rien que des monogames, dont les heureux époux de deux Françaises, pardon, deux «Sénégalaises d’ethnie toubabe» comme le précisera Viviane Wade, histoire de confirmer sa légitimité de maîtresse de maison, douze années durant, dans le pied-à-terre de l’avenue Léopold Sédar Senghor
Au palais de la République, comme par respect pour une règle tacite, soixante-quatre ans durant, la monogamie prend ses quartiers, en faisant un bastion imprenable du tête-à-tête amoureux, une forteresse du couple, un temple de la vie amoureuse à deux, alors qu’ailleurs, sur le continent, et même au-delà, ça ne se gêne pas trop dans les palais présidentiels quant à additionner les épousailles ou entretenir des favorites à peine clandestines en multipliant les bâtards…
Le Sénégal, curieusement, ne laisse pas échapper de sordides secrets d’alcôves à ce niveau. Certes, de folles rumeurs, jamais prouvées, animent depuis la nuit des temps les ragots de conciergerie qui tiennent plutôt du fantasme collectif que les ravissantes mondaines de la jet-set inspirent aux mauvais coucheurs
Il faut de tout pour faire une République, surtout des racontars
Dans les milieux féministes, postes avancés de l’émancipation des Sénégalaises, ça bataille jusque-là contre l’informel. La polygamie existe, certes, bien avant la pénétration de l’islam, alors que les roitelets locaux entretiennent des harems qui sont autant de pactes d’alliances entre les familles guerrières.
Chez les badolos, qui cultivent la terre et élèvent leur bétail quand ils ne vont pas pêcher au large, il faut des bras, autant que possible, et vigoureux de préférence. Multiplier les épousailles est presque une obligation pour survivre à la pauvreté, parce qu’il est surtout question de se multiplier à l’envi. L’utile et l’agréable : n’est-ce pas une manière d’avoir plusieurs cordes à son arc ?
Lorsqu’arrive le Toubab sur la côte et qu’il se met à construire des villes, sa cohabitation avec les autochtones n’empêche rien : les ruraux débarquent dans la cité avec leurs manières de ploucs et leur basse-cour. Quelques-uns franchissent les limites tolérées et s’urbanisent. Ils résident non loin des quartiers des Toubabs, assimilent leurs codes et urbanités au point de fonder des foyers dont les marmots font café au lait.
A ma droite, ces constipés de monogames et, à ma gauche, ces polygames dissipés…
Dans la hiérarchie de ce qui devient la colonie française d’Afrique occidentale, si l’on veut grimper dans la hiérarchie, autant faire comme les Toubabs… Bien sûr qu’il y en a qui font de la résistance : ces trop virils messieurs ont beau fréquenter les cercles de la haute société coloniale, jouir de ses privilèges, dès que ça descend sous la ceinture, ils restent des Nègres, aussi authentiques que susceptibles, hypersensibles à la provocation.
Pas touche à ma polygamie…
Surtout que le statut est couvert par l’islam, la religion qui fait alors fureur dans les cercles vernaculaires, et qui phagocyte le sempiternel paganisme après lui avoir emprunté ses décoctions nauséabondes, ses amulettes surréalistes et ses mythes effroyables. C’est une recommandation divine serine-ton à l’intention des Toubabs et leurs sbires, comprenez ces traîtres d’assimilés nègres qui renoncent à leur culture, épousent des Blanches, se permettent même de s’apostasier au nom du Progrès et de la sacro-sainte Civilisation !
Et puis, surtout, quelle est cette lubie de croire que les femmes sont les égales des hommes alors que même les Toubabs qui en parlent n’en croient pas un traître mot ? Quand l’Occident nous ramène cette question sur la table, on lui crache à la figure qu’il ne sait plus reconnaître ce qu’est un homme ou une femme : les gays, les transsexuels, et toute la gamme des frustrés de la quéquette et du clito vous saluent bien bas.
Bref, jusqu’à ce jour, le débat ne sera jamais tranché dans le vif.
Sauf que Senghor n’aurait jamais osé ramener au Palais une Négresse qu’il présenterait à Madame Colette Hubert comme une petite sœur disponible pour les tâches domestiques ingrates. L’art de faire avaler ce genre de sornettes à son épouse vieillissante est une authentique sénégalaiserie certes, mais il faudrait que l’impétrante, à qui l’on refile une assistante si gentiment, ait la comprenette rouillée. Abdou Diouf, non plus. Il a beau poser à la Tabaski avec une Première Dame légèrement bronzée, cette histoire de seconde épouse, n’y comptez jamais, même pas en rêve : le protocole que dirige Bruno Diatta est d’une vigilance absolue. Le Fmi et la Banque mondiale, qui paient à l’époque tous les salaires du pays, ont plutôt tendance à favoriser le dégraissage de la Fonction publique, et virer le personnel encombrant. Alors, comment leur expliquer, à ces sourcilleux bailleurs de fonds, qu’il y a une smala supplémentaire à entretenir, à grands frais, avec les deniers publics, alors qu’on est en plein ajustement structurel ?
Ils auraient plutôt tendance à encourager le célibat, ces financiers économes
Le Père Wade ? C’est un enfant de l’époque coloniale en dépit de ses manières de kaw-kaw du Cayor qui a le bon goût de se faire déclarer à Saint-Louis pour embarquer sur la galère de la citoyenneté, du progrès, de la modernité et du métissage senghorien. La consigne d’alors ? Un homme, une femme, une seule, et peau couleur de lait de préférence… Il a le choix, n’est-ce pas : qu’est-ce qui l’empêcherait en ces ères farouches, de se faire paysan rude, mais polygame comblé ?
Un éclair d’espoir traverse la populace quand Macky Sall, né après les indépendances, débarque avec une Première Dame bien de chez nous : Marième Faye, qui esquisse des pas de pakargni en public, affiche ses dévotions et ses cheveux naturels, ne surveille pas sa ligne. Enfin, nous redevenons nousmêmes, authentiques… Sauf qu’il y a un hic : contrairement aux vrais Nègres qui osent tout, Macky Sall a manifestement peur de sa femme.
Ce qui n’est pas très sénégalais.
L’élection de Bassirou Diomaye Faye est une révolution, non pas seulement parce qu’il est le premier opposant à remporter une présidentielle dès le premier tour. Il est celui qui nous ressemble le plus, en majorité, et nous confirme dans notre imaginaire collectif : la Sénégalaise n’a pas le même standing que le Sénégalais.
La question qui fâche : à quel moment la République se demandera sérieusement pourquoi une moitié de la population n’a pas les mêmes droits que l’autre ?
Je ne parle pas d’apartheid, mais bien de polygamie.
Par Mbagnick DIOP
MONSIEUR LE PRESIDENT, PRENEZ UN SOIN PARTICULIER A NOS RELATIONS AVEC LA GAMBIE ET NOS AUTRES VOISINS
L’État du Sénégal, sous l’autorité du Président Bassirou Diomaye Faye, doit travailler d’arrache-pied au renforcement des relations avec la Guinée-Bissau, la Guinée Conakry et la République du Mali
Excellence Monsieur le Président Bassirou Diomaye Faye en ayant choisi de consacrer votre première sortie officielle à la République de Mauritanie, vous avez sans doute voulu donner une assurance certaine que les engagements de notre pays pour l’exploitation du gisement gazier Grande Tortue Aymehim, seront tenus. Ce malgré un nécessaire audit. Mais bien plus que cela, votre visite-éclair à Nouakchott sera aussi inscrite dans la géostratégie sous-régionale marquée par des événements déstabilisants. C’est sous ce rapport que nous vous invitons à poser un regard particulier sur la Gambie que nous aurions tort de considérer comme un simple État voisin du Sénégal. La Gambie est, pour notre pays, à l’image du nombril dont la moindre douleur affecte sensiblement la vitalité des autres organes humains. Point n’est besoin de faire un cours de géographie pour vous édifier sur l’organisation administrative de la Gambie. Vis à vis de ce pays, tout nous commande de veiller strictement sur sa sécurité et ses relations internationales.
Pour mémoire, nous convoquons des faits historiques. En 1981, une tentative de coup d’État des éléments de la Field force (police gambienne) était déjouée. Quelques mois après, précisément dans la nuit du 29 au 31 juillet 1981 intervint le coup de force sanglant de Kukoï Samba Sagnang. Deux tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel dans ce pays que l’armée sénégalaise a fait échouer avec les opérations Fodé Kaba 1et 2.
Le 22 juillet 1994, un autre coup d’État dirigé par James Junkung Jammeh ou Yaya Abdou Aziz de son nom musulman, a définitivement sonné le glas politique de Sir Daouda Kaïraba Diawara, Président de la Gambie depuis son indépendance en 1969.
Le Sénégal, un pays gendarme !
Excepté le coup de Yaya Jammeh, toutes ces opérations insurrectionnelles ont été désamorcées au prix de lourds sacrifices consentis par le Sénégal sous l’autorité du Président Abdou Diouf. Un Président à l’image d’un « gendarme » ami qui s’est toujours déployé en Gambie pour la sauver du chaos. N’eût été sa grande lucidité et, surtout, son courage sous-tendu parle professionnalisme de nos forces armées, la Gambie aurait échappé définitivement à l’emprise géostratégique du Sénégal. Cette emprise a été consolidée à la faveur du pacte confédéral signé dans la ville gambienne de Kaur, en novembre1981. Un pacte créant une confédération entre la Gambie et le Sénégal malheureusement minée par d’autres pays ouest-africains, en intelligence avec la Grande Bretagne qui entendait garder la Gambie dans le Commonwealth l’équivalent anglophone de la Francophonie.
Outre ce rappel historique procédant du devoir de mémoire, le président Bassirou Diomaye Faye se doit de comprendre parfaitement que notre sûreté nationale et notre sécurité sont et seront à jamais étroitement liées à celles de la Gambie. Les Gambiens, tel qu’ils le disent, sont dans la même disposition d’esprit et savent que le fameux « mboka » (le lien de parenté) entre eux et nous date de la nuit des temps et continuera à résister à toute forme de division.
Dans la même veine, l’État du Sénégal, sous l’autorité du Président Bassirou Diomaye Faye, doit travailler d’arrache-pied au renforcement des relations avec la Guinée-Bissau, la Guinée Conakry et la République du Mali. Des pays caractérisés par la prééminence militaire sur le processus démocratique. Lequel y échappe au contrôle des partis politiques.
Dans l’ensemble de sa diplomatie, le Sénégal a intérêt à situer prioritairement les pays qui l’entourent y compris bien sûr la République du Cap-Vert. Concernant la Mauritanie, « Le Témoin » a déjà exposé les raisons qui imposent l’approfondissement et la consolidation de nos relations avec elle. Car, comme le dit l’adage, on peut choisir ses amis guère ses voisins qui, eux, s’imposent naturellement à soi.
Par Kaccoor Bi
LES ECURIES D’AUGIAS
Tremblez messieurs et dames ! A la lecture du communiqué du Conseil des ministres d’hier, on est tenté de dire : pourvu que la même rigueur dure et s’applique à tout le monde.
Tremblez messieurs et dames ! A la lecture du communiqué du Conseil des ministres d’hier, on est tenté de dire : pourvu que la même rigueur dure et s’applique à tout le monde. Que les intentions ne soient pas des vœux pieux comme le fut cette promesse d’une gestion sobre et vertueuse de l’année 2012 et qui s’est réalisée exactement à l’envers.
Depuis nos glorieuses indépendances, à part l’intermède Diouf avec sa loi sur l’enrichissement illicite qui n’avait permis de sanctionner que des lampistes, depuis donc ces glorieuses indépendances, on n’a pas souvenance d’avoir vu les voleurs de nos deniers publics lourdement sanctionnés à travers notamment un séjour carcéral. Pendant longtemps ces voleurs n’ont cessé de tirer la langue à la populace.
Hier, Seugn Bass n’a pas tremblé et, dans quelques salons huppés, c’est sûr que y en a qui ont failli piquer une crise cardiaque. On verra bien ce que donneront les missions de vérification des corps de contrôle lâchés hier dans les ministères. Ce serait déjà ça de gagné si ces missions fichent la trouille à tous ces fonctionnaires jamais repus et qui bouffent des deux mains nos sous. Seugn Bass, qui doit en connaître davantage sur les mœurs de ces messieurs et dames qui ont gouverné ce charmant pays ces douze dernières années, a également ordonné l’audit rapide du scandaleux contrat d’affermage entre l’Etat (SONES) et SEN’EAU et du contrat de performances Etat-SONES-SEN’EAU.
Ça va certainement donner des démangeaisons à certains. Pourquoi donc pensez-vous au Beauf de l’ex-Chef ? Et y a pas que ça. Seugn Bass, qui a bouffé du lion, a également ordonné la publication des rapports de la Cour des comptes, de l’Inspection générale d’Etat et de l’OFNAC des cinq dernières années. Eh eh, c’est pas la presse qui va manquer de matière dans les semaines voire les mois à venir !
L’administration pénitentiaire aura assurément du boulot si l’on sait le nombre de dossiers que l’ex-Chef avait mis sous le coude, protégeant des voleurs pendant que d’autres étaient promus à de hautes fonctions après avoir dilapidé nos ressources. Plutôt que d’être châtiés, ces bienheureux étaient au contraire promus pour leurs performances de kleptomanes !
L’œuvre de salubrité publique que veut réaliser le nouveau Président doit être soutenue par tous ceux qui se réclament patriotes. C’est déjà en soi un symbole très fort de rupture par rapport aux pratiques maffieuses qui prévalaient jusque-là. Diadieuf, Monsieur le Président !
QUATRE HOMMES, UN ETAT - Par Henriette NIANG KANDE
ABDOU DIOUF, L’HOMME DES PARADOXES
Les années Diouf, entre tentatives de consolidation du pouvoir et crises successives. Portrait d'une présidence marquée par les tensions sociopolitiques, la sécession casamançaise, les conflits frontaliers et l'usure du régime socialiste
Pendant qu’il renforçait son pouvoir, en Casamance, les tensions montent autour du foncier, particulièrement à Ziguinchor. Bien qu’elle soit toujours restée partie intégrante de la vie administrative et économique du Sénégal, le malaise s’approfondit même au Parti socialiste où des luttes factionnelles se font en partie, au nom de l’autochtonie. Les partis d’opposition, et en particulier le Parti démocratique sénégalais, alors influent à Ziguinchor, alimentent la contestation contre la mairie socialiste dénoncée à la fois comme « nordiste » et corrompue. Deux hommes en particulier concentrent et canalisent ces tendances variées au contenu politique très inégal : l’abbé Augustin Diamacoune Senghor en Casamance et Mamadou « Nkrumah » Sané à Paris. Ils formulent une revendication de type nationaliste, et exigent l’indépendance de la Casamance. Ils structurent la lutte, en reprenant à leur compte le sigle du MFDC. La suite est connue : des arrestations « préventives » opérées par l’Etat, qui ne font pas échec à la manifestation du 26 décembre 1982. La nouvelle poussée de tension un an plus tard, autour du procès des personnes arrêtées, avec la mort violente de plusieurs gendarmes à Diabi, la marche, les armes à la main, organisée en décembre 1983, et la rude sanction qui s’abat sur les cercles séparatistes, pousse les militants réfugiés le long de la frontière bissau-guinéenne à s’organiser. A la fin des années 1980, Atika, la branche armée du mouvement se procure des armes. L’Etat sénégalais adopte la politique de la carotte et du bâton : répression et gestes d’ouverture qui aboutissent en 1991 à la signature du premier d’une longue série d’accords entre l’Etat et les séparatistes. Le contexte a également balisé le chemin qui a débouché sur des conflits d’intensités inégales avec la Gambie et la Guinée Bissau.
En 1981, Diouf inaugure sa politique étrangère avec la Gambie qui est à…l’intérieur du Sénégal. Le président gambien, Dawda K. Jawara présent à Londres pour assister au mariage du Prince Charles et de Lady Diana, est victime d’une tentative de coup d’Etat. Il appelle à la rescousse Abdou Diouf qui le rétablit dans son fauteuil présidentiel. A la fin de la même année, nait la Confédération de la Sénégambie qui meurt en décembre 1989 suite à de nombreuses tensions. Pourtant durant cette période (1981-1989) des résultats notables sont enregistrés notamment dans les secteurs du transport et de la communication. Son échec se trouve dans l’insuccès des tentatives d’accord sur les modalités d’une union économique, dû aux grandes différences des systèmes économiques des deux pays. Sur le plan de la défense, les Gambiens en ont été les plus grands bénéficiaires, le Sénégal supportant 80% des dépenses. L’écroulement de la Confédération réside également dans le fait de l’absence de soutien, de confiance ou de consensus des populations et s’inscrit dans le cadre plus global des conflits régionaux notamment entre le Sénégal et la Mauritanie d’une part et avec la Guinée Bissau, d’autre part.
La mort de la Sénégambie en décembre 1989, est décrétée alors qu’éclate en avril de la même année, un conflit avec la Mauritanie, résultat de conjonctions de problèmes en suspens et leurs interférences tant au niveau de la frontière qu’à l’intérieur des deux Etats. Au Sénégal, la tension non gérée, encore vive entre le pouvoir et l’opposition du fait du contentieux électoral de 1988 et en Mauritanie, une opposition de plus en plus active des groupes de populations négro-africaines.
Un conflit à Diawara (village près de Bakel) a mis le feu aux poudres, opposant des cultivateurs et des pasteurs. Une répression sanglante s’en suit avec prise d’otages par des forces mauritaniennes. La réponse ne s’est pas faite attendre au Sénégal, où l’explosion a eu lieu dans les villes. Aux pillages des échoppes mauritaniennes au Sénégal, la réaction en Mauritanie a été une chasse à l’homme selon le faciès, l’activité et l’origine ethnique. Dans un pays comme dans l’autre, se révèle un réservoir insoupçonné de haine. Le pont aérien mis en place, rapatrie plusieurs dizaines de milliers de ressortissants des deux pays, sans que l’on ne sache très bien leur nationalité, vu les critères d’exclusion mis en œuvre.
Dans le même temps, le tracé des frontières avec la Guinée Bissau ressurgit, d’autant plus que le conflit en Casamance devenait plus prégnant mais surtout la découverte d’un gisement de pétrole dans la zone maritime a occasionné un débat concernant l’interprétation des textes écrits pendant les colonisation française pour le Sénégal et portugaise pour la Guinée Bissau. N’ayant pas trouvé de réponse, un arbitrage international est demandé, dont le verdict a été rejeté parla Guinée Bissau. Décision fut prise de se tourner vers le tribunal de la Haye qui donna raison au Sénégal. La Guinée Bissau, une fois encore, conteste le verdict. Un autre épisode avec la Guinée Bissau se déroule en 1998. C’est l’opération Gabou qui avait deux objectifs. Le premier « officiel » était de « rétablir la légalité constitutionnelle » en venant en aide au président Nino Vieira en difficulté face à son ancien bras droit Ansoumane Mané soutenu par l’armée. Le second objectif, officieux celui-là était de faire tomber les bases arrière du MFDC qui longent la frontière.
De cette intervention mal préparée, les Jambars furent aux prises avec des soldats rompus à la guérilla, disposant d’orgues de Staline et, soutenus par la population. L’aile combattante du MFDC, dirigée par Salif Sadio prend part aux combats aux côtés d’Ansoumane Mané et investit l’ambassade du Sénégal. Il aura fallu toute la diplomatie du Général Mamadou Niang, ambassadeur à l’époque qui parlementa avec les soldats bissau-guinéens pour éviter un massacre. Dans son livre-Mémoires, qui passe très vite sur ce drame Abdou Diouf se contente d’un : « Et j’ai renvoyé les troupes à la maison ».
Le temps des crises et de la pacification
Ces crises de grande envergure et d’acuité croissante informent des limites de toutes les stratégies mises en œuvre pour consolider le pouvoir de Diouf. En avril 1987, le pays n’a plus de police nationale. La condamnation de 7 policiers accusés d’avoir torturé à mort un jeune commerçant est à l’origine de protestations du corps. (Il y a eu un précédent en 1983, après une menace de grève pour des raisons liées à la condamnation de gardiens de la paix à des peines de prison pour coups et blessures ayant entrainer la mort d’un homme, au cours d’une enquête). Des manifestations sont organisées à Dakar et à Thiès. L’Etat fait intervenir la Légion de gendarmerie d’intervention (Lgi) pour disperser la marche qui se hâtait vers le ministère de l’Intérieur. Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur et ses collaborateurs sont démis de leurs fonctions et 6265 personnels de police successivement suspendus et radiés : 94 commissaires de police, 14 officiers de paix supérieurs, 201 officiers de police, 42 officiers de paix, 383 inspecteurs de police, 101 sous-officiers, 5430 gardiens de paix). Les tâches de maintien de l’ordre sont confiées à la gendarmerie. 1988 est le temps des crises. La précampagne etla campagne électorale pour les élections présidentielle et législatives sont marquées par des manifestations folkloriques des comités de soutien et une vive polémique autour du code électoral. Des violences postélectorales obligent le président Diouf à décréter l’état d’urgence le 29 février 1988, après avoir fait arrêter les leaders de l’opposition. Abdoulaye Wade et ses co-inculpés, accusés d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de violation de la loi anti-émeute sont jugés en avril et le procès remobilise les partis d’opposition. Dans cette atmosphère plus que tendue de 1988, Abdou Diouf révèle dans ses Mémoires que « c’est d’ailleurs le moment que choisit le Général Tavarez pour essayer de faire un coup d’Etat ». D’après son récit, c’est l’épouse d’un des initiateurs qui avait parlé à son amie et cette dernière avait demandé une audience pour l’en informer. Selon elle, et d’après Diouf, Tavares, avait sollicité les colonels Gomis (chef des Paras), Gabar Diop, (chef des Blindés) Bampassi, (chef des commandos), et l’intendant Oumar Ndiaye. Le principal accusé, avait répliqué : « on ne tente pas un coup d’Etat, on le fait ». Il sera limogé et affecté en Allemagne en qualité d’ambassadeur. A son retour, un an plus tard, il est traduit en conseil d’enquête et jugé par celui qui l’avait remplacé : le général de corps d’armée aérien Mamadou Mansour Seck
Au parti socialiste, le « Congrès d’ouverture et de rénovation cède la place au « sursaut national » et à la bataille entre « les barons » et « les technocrates ». Les Rénovateurs jouent les uns contre les autres selon les difficultés du moment. Jean Collin quitte le gouvernement et certains « barons » reprennent du service en qualité de contrôleurs du Parti. Le souci de pacification du front social et politique, ainsi que la restauration d’un ordre institutionnel légitime inclineront Abdou Diouf à négocier avec les principaux leaders de l’opposition regroupés au sein de la CONACPO, ce qui préfigurait la logique de cooptation de l’opposition et l’entrée de Wade au gouvernement de « majorité présidentielle élargie » en avril 1991.
De l’intérieur, il négocie l’adoption d’un nouveau code électoral en vue des élections de février 1993. Il n’empêche. Ces élections ont été les plus contestées et contestables depuis l’indépendance. Les ordonnances utilisées à grande échelle par toutes les parties font s’éterniser le contentieux. L’Observatoire National des Elections (Onel) est incapable de trancher. C’est dans ce contexte que le Président du Conseil Constitutionnel Kéba Mbaye démissionne et le vice-président de la même institution assassiné. Abdou Diouf est réélu avec 58,40% des voix. Commence une période d’affrontements avec les syndicats et les partis politiques à l’adoption du Plan Sakho-Loum, qui n’empêchera pas la dévaluation du F Cfa en 1994. Alors que les ajustements structurels suivent les années de sécheresse et envoient des milliers de chefs de famille au chômage une espèce de vigilance démocratique surgit. Entre 1996 et 2000, la démocratie sénégalaise prend un coup, alors qu’ailleurs, on découvre et cherche à perpétuer les délices de la démocratisation. C’est l’heure des réformes presqu’unilatérales, initiées parle PS, dont la longévité au pouvoir a réduit la lucidité et a donné l’illusion d’une invincibilité dont il ne va pas tarder à revenir. 1996 voit la restructuration du Parti socialiste et la mise en orbite de Ousmane Tanor Dieng, après le « Congrès sans débat » au « préjudice » de Djibo Ka et de Moustapha Niasse, qui entrent en dissidence et quittent le parti. Les élections de novembre dégradent encore plus l’image du parti socialiste. Des partis d’opposition, regroupés autour du PDS, demandent la mise sur pied d’une Commission électorale nationale indépendante (CENI). D’âpres échanges verbaux entre des Socialistes regroupés autour de Tanor Dieng et le « groupe des 19 », furent tranchés par la création de l’Observatoire national chargé des élections (ONEL).
En 1998, L’Assemblée nationale vote la création d’un Sénat, présenté comme une mesure logique dans le cadre de la politique de régionalisation et visant à donner une plus grande autonomie aux collectivités locales. « Le Sénat doit être dans la ligne de cette décentralisation, veiller à ce que les intérêts des collectivités locales soient également représentées au niveau central ». Pour beaucoup, le Sénat avait été créé pour « caser » les députés ayant perdu leur siège lors des législatives. Sa création, la suppression du « quart bloquant », le retour au septennat, sont des initiatives regardées, au moins dans le pays, comme des reniements démocratiques.
La perspective de la présidentielle de 2000 avait fait naitre la rumeur qu’en cas de victoire, comme Senghor, Diouf ne terminerait pas son mandat et le transférerait à Ousmane Tanor Dieng. Face à la détermination de l’opposition qui s’organisait en un bloc, l’administration locale qui était devenue brusquement « neutre », il lui était demandé par quelques membres de son parti, comme par ceux de l’opposition, de « sacrifier » Ousmane Tanor Dieng. Diouf résista à cette demande et signait par là même sa perte et celle de son parti. Ajoutés à cela, la détermination de l’opposition qui se regroupait, la « neutralité » de l’administration locale qui a toujours été favorable au pouvoir, la critique quotidienne des tares du régime, le mutisme des confréries qui traditionnellement appelaient à voter pour la classe dirigeante, et enfin la « demande sociale ». Le soutien de Djibo Ka et l’appel de Serigne Cheikh Tidiane Sy, le plan de campagne de Séguéla, n’y firent rien. Abdou Diouf ne s’était pas converti à l’autocratie, mais l’usure du pouvoir l’avait éloigné de certaines réalités et affaibli son jugement politique. C’est ainsi que le 19 mars 2000, les Sénégalais mirent un terme à son long bail avec le pouvoir et le Sénégal connut sa première alternance politique.
Par Alpha Amadou SY,
LE SÉNÉGAL POST ALTERNANCE : L’IMPERATIF D’UNE INTEGRATION AFRICAINE A L’EPREUVE D’UN CONTEXTE SOUS REGIONAL FORT AGITE
Au lendemain de l’accession de beaucoup de pays africains à la souveraineté internationale, le projet d’un État fédéral, porté par des élites au nombre desquelles Cheick Anta Diop et Kwame Nkrumah, n’a pas été réalisé. Néanmoins, l’OUA a pu voir le jour.
Au lendemain de l’accession de beaucoup de pays africains à la souveraineté internationale, le projet d’un État fédéral, porté par des élites au nombre desquelles Cheick Anta Diop et Kwame Nkrumah, n’a pas été réalisé. Néanmoins, l’OUA a pu voir le jour.
En dépit de l’interventionnisme des puissances étrangères conjugué aux ego surdimensionnés de certains leaders africains, la dynamique unitaire poursuivie déboucha, en avril 1980, sur le Plan de Lagos. Ce dernier, expression condensée de l’expertise africaine, avait comme finalité de promouvoir l’autosuffisance nationale et collective dans le domaine économique et social dans la perspective de l’instauration d’un nouvel ordre économique international. Mais cette ambition assumée de travailler en faveur de l’indépendance effective du continent sera hypothéquée par un ultralibéralisme qui a retrouvé un regain de vitalité avec le duo Ronald Reagan/Margaret Thatcher.
Cette ère a été marquée par l’application de draconiennes Politiques d’Ajustement Structurel et de Stabilisation en faisant prévaloir avec la doctrine du « moins d’État, mieux d’État ». La mise au mal de toutes les structures ayant en charge la Production, la Santé, l’Éducation et la Culture en fut l’une de ses conséquences les plus dramatiques.
Toutefois près de deux décennies d’application des recettes des institutions financières de Breton Woods, le constat d’un échec cuisant sera de rigueur. Et le sentiment de débauche d’énergie voire de sacrifices multiples inutiles, sera d’autant plus profond que le Directeur du FMI, Michel Camdessus, lui-même, reconnaitra avoir été non pas « architecte » mais … « seulement pompier ! »
Mais avant même d’établir ce bilan négatif des politiques d’Ajustement Structurel, se tenait le Sommet de la Baule en juin 1990. Au sortir de ces assises, l’Afrique francophone sera mise en demeure de procéder à la démocratisation sous peine d’être privée de l’aide publique. Cette politique, prétendument conçue pour extraire le continent du bourbier de l’endettement et de la culture du parti unique, préservait plutôt les intérêts d’une France obligée de repenser sa stratégie géopolitique avec la fin du cycle politique issu de Yalta 1945. L’enjeu était à la fois de gérer le lourd service de la dette et de réformer la gouvernance des États en leur inoculant une rationalité à même de favoriser l’économie libérale.
Pourtant, malgré ce triomphe de l’ultralibéralisme, les chefs d’États les plus attachés à la dynamique unitaire ont toujours cherché à renouer avec l’initiative historique. Ainsi, au début des années 2000, naitront le Millenium African Plan sous l’initiative des présidents algérien, Abdelaziz Bouteflika, nigérian, Olusegun Obasanjo et Sud-africain, Thabo Mbeki et le Plan Omega, porté par le président Abdoulaye Wade. La fusion de ces deux plans donnera le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique) qui sera dénommé, en 2018, l'Agence de développement de l'Union Africaine
Et avec la question de la monnaie à l’ordre du jour, il n’est pas superflu de rappeler que l’assassinat de Kadhafi n’a pas eu comme unique conséquence la déstabilisation du Sahel. Il a aussi privé le continent de l’un de ses fils les plus disposés idéologiquement et financièrement à assurer sa souveraineté monétaire.
Aujourd’hui, il est loisible de noter qu’aucune théorie du développement n’a réussi à sortir l’Afrique du mal développement. Même du Sommet de la Baule n’a résulté qu’une amère désillusion. Cette observation tient sa pertinence du fait de la distance prise par certains pays non pas seulement par rapport à l’Hexagone, mais vis-à-vis du projet démocratique lui-même. Et contrairement aux crises prétendantes qui n’ont pas emporté dans leur sillage les structures fédératives, les contradictions du moment menacent les institutions. Tout au moins, la CEDEAO voit son existence compromise sous les efforts conjugués du Burkina Faso, du Mali et du Niger qui viennent de porter sur les fonts baptismaux l’Association des États du Sahel, AES.
L’organisation sous régionale a désormais une légitimité sujette à caution. Il a été reproché à ses leaders d’avoir pris des mesures draconiennes contre les juntes, sans tenir compte de l’intérêt des populations. Pire, la CEDEAO est accusée d’être davantage guidée par un corporatisme spécifique au syndicalisme des Chefs d’État que du souci de préserver les droits constitutionnels. Pour preuve, indique-t-on, autant les dirigeants de l’institution sous régionale sont intransigeants avec les juntes militaires autant ils sont d’une complicité déconcertante avec les auteurs de coups d’État constitutionnels.
Dans ce contexte fort complexe, le Sénégal, pour avoir réussi à mettre à contribution l’engagement rarement pris à défaut des citoyens-électeurs, le professionnalisme toujours réaffirmé de la presse, l’esprit républicain des animateurs des différentes institutions et le sens retrouvé de la responsabilité de sa classe politique, a réalisé la troisième alternance politique du pays. Et confirmant la proximité de l’urne avec la roche tarpéienne, dans une adresse d’une haute teneur républicaine, le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Badio Camara, fera noter avec toute la solennité qui sied : « À mon avis, le secret est dans le bulletin de vote ».
Et cette affirmation de l’ancrage ferme du Sénégal dans le projet démocratique a été suivi, quelques jours après, de la volonté affichée du pouvoir issu de la troisième alternance politique à œuvrer pour une Afrique unie et solidaire. Cette volonté a trouvé son répondant dans la création d’un ministère chargé de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères. Dès lors, l’intégration africaine étant à réaliser à partir de la constitution de solides pôles sous régionaux, la curiosité est de savoir quelle stratégie élaborer pour atteindre cet objectif. Comment le Sénégal à l’ancrage démocratique si prononcé pourra- t-il coopérer avec des États voisins, dirigés par des militaires ?
Peut -être bien que l’un des atouts majeurs est que les hommes forts de ces pays partagent avec ceux du Sénégal non seulement leur jeunesse mais aussi leur option résolument souverainiste. Le défi alors est ne pas faire moins que « les pères des indépendances africaines » qui avaient réussi à entretenir une dynamique unitaire dans un contexte autrement plus complexe.
Leurs velléités pour asseoir la souveraineté économique avaient fortement buté sur les politiques de chasses-gardées érigées parles puissances occidentales. Pour conserver leurs privilèges, les leaders les plus radicaux des mouvements nationaux devenaient l’objet d’une insoutenable chasse aux sorcières, s’ils n’étaient pas liquidés purement et simplement. Les conditions dans lesquelles Patrice Lumumba a été assassiné en sont l’une des illustrations les plus dramatiques.
Une telle configuration géopolitique confinait le choix des partenaires dans un cercle restreint. En dépit de ces pesanteurs, le continent avait fait émerger l’un de ses plus beaux fleurons, à savoir Air Afrique. S’inscrivait dans ce registre, le regroupement entre la Côte d’Ivoire, le Togo et le Sénégal pour constituer les Nouvelles éditions africaines.
Présentement, prévaut une coopération bilatérale délestée de toutes conditionnalités, y compris celles ayant trait au formalisme républicain. Des pays comme le Brésil, l’Inde, la Chine et la Turquie manifestent leur désir d’être beaucoup plus présents sur le continent. D’un même mouvement, les anciennes puissances voient leur zone d’influence se rétrécir très sensiblement. Signes des temps : des coups d’État sont perpétrés à leur insu. Au Niger, au Burkina Fao et au Mali, militaires américains et/ou français sont sommés de déguerpir avec armes et bagages.
Paradoxalement, cette hostilité manifeste envers l’Occident milite en faveur du renouveau partenarial que revendique la nouvelle génération de dirigeants. Les Occidentaux, édifiés sur la spécificité du cours actuel et ayant l’intelligence de leurs intérêts vitaux, seront mis en demeure de lâcher du lest pour mieux se redéployer.
Dans ce contexte, le nouveau pouvoir, issu de la récente alternance politique, survenue au Sénégal, gagnerait à réaliser que, tout en nourrissant la même ambition souverainiste que les leaders militaires, leur mode de gouvernance les oppose. Conscient de cette donne, le Sénégal est à même de privilégier la coopération entre États en laissant à chacune des entités nationales le soin de régler ses propres contradictions. Ainsi, la sous-région marquera un pas important dans la quête de l’unité africaine, laquelle restera un vœu pieux, en l’absence de véritables pôles économiques au sein desquels sera garantie la libre circulation des biens, des personnes et des idées. Dans cette logique d’apaisement, la nouvelle génération aux affaires serait bien inspirée de se réapproprier de l’esprit qui a présidé à l’élaboration du Plan de Lagos et de promouvoir une véritable diplomatie culturelle.
Une telle suggestion, aux contours d’un impératif catégorique, est dictée parle simple fait que sans la souveraineté alimentaire, sans l’indépendance financière et la sécurité, les dirigeants du continent du moment ne sauraient répondre aux fortes et légitimes attentes du peuple africain.
Au demeurant, un tel modus vivendi ne saurait signifier l’interdiction des intellectuels, des membres de la société civile et des formations politiques de se prononcer sur les politiques en vigueur dans les différents pays. Partant, les questions, ayant trait aux libertés démocratiques, aux transitions politiques et à la substitution d’un supposé oppresseur à un autre, ne pourront être soustraites de l’examen critique des citoyens, toutes nationalités confondues
Alpha Amadou SY,
philosophe auteur, entre autres, d’Un pas dans l’univers de la philosophie,
Paris, éditions l’Harmattan, 2015.