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25 novembre 2024
Opinions
PAR Mouhamadou Sall
EXPERTISE EN LOGICIEL ET CYBERSÉCURITE - PRÉREQUIS POUR RÉUSSIR LA TRANSITION NUMÉRIQUE
Entre dépendance et souveraineté numérique, un enjeu crucial pour les pays en développement. Si les GAFAM règnent en maîtres sur le marché des technologies du numérique, quelle marge de manœuvre reste-t-il pour les nations du Sud ?
Cet article aborde l’un des deux enjeux majeurs actuels à relever obligatoirement : les enjeux de la transition numérique. Le premier aborde les enjeux de la transition énergétique vers l’objectif « 2050 Net Carbon ». L’hydrogène, la solution vers un monde net zéro carbon | senePlus
Hégémonie des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft)
La démocratisation du numérique et l’adoption massive d’Internet engendrent des volumes croissants de données (principales richesses mondiales) et favorisent l’émergence de technologies innovantes telles que : Big Data, Intelligence Artificielle, Cloud Computing, Objets Connectés, …
Malgré cette démocratisation, la technologie du numérique est fortement dominée par de grands groupes transnationaux originaires de l’Amérique : les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft).
Ces géants du numérique ont leur mainmise sur les données et sur l’économie numérique mondiale. Ils dominent les activités liées à l’Internet, aux médias à la culture et envahissent le quotidien des individus impactant ainsi sur leurs comportements, sur celui de la société et sur la souveraineté des états.
Face à cette hégémonie, l’Asie réagit par les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) pour concurrencer les GAFAM.
A l’image de l’Asie, tout pays peut saisir cette démocratisation, du savoir du savoir-faire et du faire savoir, pour s’approprier les technologies du numérique, promouvoir des acteurs technologiques à l’image des GAFAM et prendre part activement à l’économie numérique mondiale.
A cet effet, il est à noter que, dans cette ère du numérique, les données, principale richesse mondiale, et le logiciel, chargé de leur traitement et qui permet la création d’applications innovantes, sont au cœur de toute technologie innovante.
Nécessité de synergie formation Entreprise-Recherche-Innovation
Le chômage des jeunes est un problème mondial. Il est essentiellement dû à un déficit de formation et, pour un grand nombre de diplômés, à l’inadéquation formation-marché de l’emploi.
La maitrise du savoir-faire logiciel, notamment la réalisation industrielle de logiciels, et la cybersécurité, assurer la protection des données partout où elle peut se trouver (transit dans le réseau, stockage, traitement), sont des prérequis pour s’approprier les technologies du numérique.
L’avancée technologique actuelle est une occasion pour :
la reconversion d’un grand nombre de diplômés dans les technologies innovantes comme : ingénierie du logiciel , cybersécurité, microélectronique, intelligence artificielle.
la promotion des académies de codage, encore embryonnaires, pour un grand nombre de jeunes motivés par la découverte des métiers du numériques
Une formation complémentaire à l‘entreprenariat est nécessaire et permet aux apprenants, à la fin de leur formation, de trouver du travail ou de se positionner comme prestataires de service dans ce marché mondial ouvert à l’expertise.
Les pays en développement ont l’occasion, à l’image de certains pays comme l’Inde, de promouvoir une grande masse de compétences et de faire de leur pays un marché d’investissement grâce à ses ingénieurs hautement qualifiés.
S’inspirer de l’expérience indienne notamment celle du miracle de Bangalore
Bangalore était l’une des villes les plus pauvres d’Inde voire même de la Planète, mais ses enfants n’ont jamais perdu espoir de voir un jour leur ville devenir l’une des plus riches au monde.
Ceux qui avaient pris le chemin de l’émigration ont pu tirer le maximum de l’expérience outre-Atlantique en proposant à leurs collègues des séjours touristiques dans leur ville sans moyens.
Aujourd’hui, la réputation des ingénieurs de l’Inde, en particulier ceux implantés à Bangalore (voir Le miracle Indien | L’actualité (lactualite.com) ), attire, depuis plus de 25 ans, les grands noms de la haute technologie. L’émergence de la compétitivité indienne est basée sur les politiques encourageant les technologies de l’information et des communications. (https://books.openedition.org/pupo/17347?lang=fr )
Aussi, le gouvernement indien clame-t-il souvent : « L’inde a manqué les révolutions agricole et industrielle. Elle ne manquera pas la révolution technologique. »
L’enseignement en Inde est géré par l ‘Etat. Chaque année l’Inde produit plus de 100 000 ingénieurs. Quant à la Chine, elle forme plus de 400 000 ingénieurs par année.
A l’image des pays Asiatiques, l’urgence pour un pays en développement c’est de promouvoir la formation d’un maximum d’experts du numérique à même de participer activement à l’économie mondiale.
Le monde digitalisé, en particulier l’Afrique, est sous la menace d’une crise cyber majeure
L’utilisation massive des services en ligne ainsi que du travail en ligne, ont entrainé l’élargissement des surfaces d’attaques et l’exposition aux cyberattaques devenues de plus en plus complexes avec l’usage de l’intelligence artificielle par les hackeurs.
Parmi les cybers malveillances les plus courantes contre les états et les entreprises :
Le phishing : courrier électronique (ou SMS) dont l'expéditeur se fait généralement passer pour un organisme financier et demandant au destinataire de fournir des informations confidentielles ;
Le ransomware : logiciel rançonneur qui crypte certains fichiers sur l'ordinateur de la victime. Le rançonneur propose la clé de décryptage contre une rançon
Social engineering : exploiter les failles humaines en manipulant psychologiquement une personne (un employé) afin obtenir des informations confidentielles
Les hackeurs exigeaient une rançon de 3 millions de dollars que l’Union a bien fait de refuser de payer d’autant plus que les données étaient dupliquées dans un data center à Nairobi. Cependant, elle a déboursé 6 millions de dollars pour la reprise des activités en faisant a fait appel à des experts externes.
Selon le cabinet de cybersécurité Serianu : en 2017 la perte due au télétravail, en Afrique, a été estimée à 3,5 milliards de dollars
Lutte contre la cybercriminalité besoins de stratégies communes
La faiblesse des infrastructures, le manque de compétences et l’absence de sensibilisation des entreprises et des usagers rendent l’Afrique particulièrement vulnérable aux cyberattaques.
La sécurité n’est jamais garantie à 100%. La gestion de la sécurité doit s’appréhender d’une manière globale afin de maitriser les risques techniques, économiques, juridiques, humains. C’est une responsabilité partagée qui requiert un besoin en formation, de la sensibilisation et de la résilience au niveau individuel, organisationnel, territorial voire sociétal.
La résilience suppose des mesures préventives organisationnelles et techniques résilientes et agiles à même de résister, d’absorber et/ou rebondir face à une crise majeure et de s'adapter de façon régulière.
Depuis 2016, l’Europe a adopté une position commune en matière de lutte collective contre la cybermenace pour promouvoir la cyber résilience, combattre la cybercriminalité, stimuler la cyberdéfense.
Aussi, est-il impérieux pour l’Afrique de mettre en place une stratégie de lutte contre la cybermenace à plusieurs niveaux : territoriale, régionale, continentale, internationale.
Prendre le train des GAFAM ou rester sur les quais
Le déficit structurel et technologique dont souffre l’Afrique ne se justifie que par le manque de vision ou de volonté politique de la part de ses états.
La démocratisation de l’accès au numérique, le partage du savoir, du savoir-faire et du faire-savoir à travers le cyber espace, offre l’opportunité à tout pays, et à l’Afrique en particulier, de promouvoir une masse critique de compétences à même de faire partie des acteurs technologiques mondiales à l’image des GAFAM (Google Facebook, Amazon, Apple, Microsoft).
Relever les enjeux de la transition énergique et celle du numérique sont à la portée de tout pays. Il appartient à chaque pays de saisir cette opportunité ou de plonger davantage dans la dépendance et le sous-développement.
PAR Mbaye Sadikh
EN FINIR AVEC LA TOUTE-PUISSANCE DES DG
Les nouvelles autorités doivent donc mettre un terme à ce ‘’gouvernement des directeurs généraux’’. Pendant presque 12 ans, sous Macky Sall, le Sénégal a connu des directeurs généraux trop puissants
La publication de la liste du gouvernement a déjà donné une première indication sur ce que comptent faire les nouvelles autorités. Pour l’instant, la volonté de rupture semble assez nette, au vu des hommes qui ont été choisis. Mais il reste au président Bassirou Diomaye Faye et à son Premier ministre Ousmane Sonko d’aller plus loin, notamment du côté des sociétés publiques.
Le nouveau régime a annoncé sa volonté de passer par des appels à candidatures pour choisir les directeurs généraux de certaines sociétés publiques, sans préciser lesquelles. Mais il y a un point fondamental sur lequel les autorités doivent s’attaquer : la toute-puissance des DG de ces sociétés nationales.
Pendant presque 12 ans, sous Macky Sall, le Sénégal a connu des directeurs généraux trop puissants. Au point d’écraser leurs ministres de tutelle. L’exemple type en la matière est l’ancien directeur général du Port autonome de Dakar (PAD) Cheikh Kanté. On se demandait même s’il n’était pas plus influent que le Premier ministre, se plaçant juste après le chef de l’État. Son nom était cité à longueur de journée pour des parrainages d’activités culturelles, religieuses et sportives. Tout cela, parce que le PAD génère des milliards de francs CFA. Une puissance financière qui fait que c’est plutôt le ministre de tutelle qui dépend du DG.
Cheikh Kanté n’est pas le seul dans cette position. Aujourd’hui, le directeur général de la Senelec, Pape Demba Bitèye est, à bien des égards, plus visibles que les anciens ministres de l’Énergie Aïssatou Sophie Gladima et Antoine Diome.
Quid des directeurs généraux de l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) ? Que ce soit Doudou Ka, l’ancien ou Abdoulaye Dièye l’actuel, tous ont fait de l’ombre à leur ministre de tutelle. Abdoulaye Dièye est chanté à longueur de journée à travers la une de certains journaux. On se souvient encore du ‘’messie de la Médina’’, Cheikh Tidiane Ba, à la tête de la Caisse des dépôts et consignations. Tous ont été de super puissants directeurs généraux. Même celui du Coud rêve parfois de cette puissance, instaurant une ‘’république autonome’’ au sein de l’université Cheikh Anta Diop, au nez et à la barbe du recteur.
Pareil pour le DG de l’ARTP. Lorsque la question de la 4G ou des sanctions contre les opérateurs de téléphonie pour fraude ou mauvaise qualité du réseau s’était posée, l’ARTP a été toujours omniprésente sur les dossiers et le ministre quasi absent. Certains ministres comme Yaya Abdoul Kane sont passés inaperçus au ministère des Télécommunications pendant que le DG Abdou Karim Sall était au cœur du secteur.
Combien de Sénégalais se souviennent de l’ancien ministre de la Culture et de la Communication Abdoulaye Diop ? Au même moment, Racine Talla de la RTS et Yaxam Mbaye du ‘’Soleil’’, deux directeurs sous son autorité, étalaient leur influence. Voilà deux DG qui n’avaient que faire des ministres, leur seul répondant étant le président de la République. Tant qu’ils étaient en accord avec celui-ci, ils pouvaient ignorer tous les avis et injonctions de l’autorité de tutelle.
D’ailleurs, l’impuissance du ministre face au conflit entre le journaliste Bamba Kassé et l’ancien DG de l’Agence de presse sénégalaise (APS), Thierno Birahim Fall, illustre parfaitement cette situation. Le ministre a initié une médiation sans succès. Il a fallu que Thierno Birahim soit limogé au profit d’un autre Thierno (Amadou Sy) pour que Bamba Kassé, par ailleurs secrétaire général national du Synpics, retrouve son salaire suspendu pendant 36 mois.
Cette situation fait que certains ministères étaient presque des coquilles vides, l’essentiel des pouvoirs étant concentré dans une ou deux agences ou sociétés publiques qui refusent de répondre au ministre. C’était le cas du ministère des Télécoms et du Numérique, totalement vidé de sa substance avec le rattachement de l’ARTP et de la Société Sénégal numérique (ex-ADIE) à la présidence de la République.
Les nouvelles autorités doivent donc mettre un terme à ce ‘’gouvernement des directeurs généraux’’. Ces derniers doivent rester sous la tutelle effective des ministres qui doivent disposer d’un pouvoir de contrôle et de sanction, si nécessaire. Chaque ministère doit être un écosystème complet et garder un minimum de cohérence. Et pour cela, il faut que l’autorité puisse avoir un contrôle sur tout ce qui relève de son gouvernement. La clé de répartition des services nous donnera une idée plus nette de ce que sera la gouvernance de Diomaye et Sonko sur ce point.
Par Ababacar FALL
DIAGNOSTIC DES TEXTES DE LA CENA
Dans le Code électoral du Sénégal, à la section deux, vingt articles sont consacrés à la CENA. Ces articles définissent la création de l’organe de contrôle et de supervision, sa composition, ses missions et ses attributions
Dans le Code électoral du Sénégal, à la section deux, vingt articles sont consacrés à la CENA. Ces articles définissent la création de l’organe de contrôle et de supervision, sa composition, ses missions et ses attributions. Du point de vue des textes, on se rend compte que les recommandations de la commission cellulaire ont été largement prises en compte et la loi électorale confère à la CENA des pouvoirs réels en matière de contrôle et de supervision du processus électoral. Elle est obligatoirement présente du moins théoriquement à tous les niveaux de conception, d’organisation, de prise de décision et d’exécution depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. (Article L.6 du code électoral).
Mais comme on l’a vu plus haut ceci n’est pas toujours le cas ; la CENA est mise devant le fait accompli ou tenue à l’écart par l’administration dans bien des cas dont nous pouvons citer quelques-uns :
- Processus de passation du marché des cartes nationales biométriques CEDEAO
- Edition des cartes d’électeurs pendant la refonte partielle de 2017
L’article 4 du code électoral attribue à la CENA la personnalité juridique et l’autonomie financière. A ce titre, selon l’article 21, elle élabore son budget en rapport avec les services techniques compétents de l’Etat et l’exécute conformément aux règles de la comptabilité publique.
Les crédits nécessaires au fonctionnement et à l’accomplissement des missions de la CENA et de ses démembrements, font l’objet d’une inscription autonome dans le budget général. Ils sont autorisés dans le cadre de la loi des finances. Les crédits correspondants sont à la disposition de la CENA dès le début de l’année financière. La CENA est dotée d’un ordonnateur de crédit en la personne de son président et d’un comptable public nommé par le Ministre des Finances.
En violation de cette disposition, les crédits alloués à la CENA ont migré vers le budget du Ministère de l’Intérieur
Concernant, la nomination des membres de la CENA, aucune consultation n’est menée avec les institutions, associations ou organismes tel que précisé dans l’article 7. Les nominations et remplacements se font directement par le Président de la République.
Du point de vue des textes, le modèle institutionnel de gestion des élections est globalement bon avec un organe de gestion des élections mixte composé d’un ministère de l’intérieur qui organise les élections s’appuyant sur une administration électorale expérimentée et rompue à la tâche et une Commission Electorale Nationale Autonome avec des pouvoirs réels.
Mais que valent des pouvoirs renforcés et une indépendance vis-à-vis du pouvoir si on décide de ne pas les assumer pleinement ?
Comme on peut le constater, ce qui pose problème, ce n’est pas la CENA en tant que tel, mais ce sont le mode de nomination des membres, et l’exercice intégral des pouvoirs et attributs conférés par la loi. Ainsi des réformes s’imposent-elles après 20 années d’existence dans le contrôle et la supervision du processus électoral. Ceci passe par une évaluation sans complaisance de la CENA tant dans ses missions que dans ses attributs. L’article L.11 du Code électoral consacre dèjà 20 attributs à la CENA.
A notre humble avis, il ne s’agit pas de remplacer la CENA par une CENI dont des exemples foisonnent en termes de d’échec à l’épreuve des élections du fait des blocages et difficultés d’organisation survenues et qui ont conduit dans bien des cas à leur réforme.
Nous pensons que l’administration du fait des expériences capitalisées au fil de longues années de pratique est incontournable dans la réussite des élections au Sénégal pourvu que l’autorité politique en charge des élections soit suffisamment neutre et impartiale ou que la Direction générale des élections soit érigée en Délégation générale avec une autonomie fonctionnelle vis-à-vis du ministère de l’intérieur. Il faut signaler que pour les trois alternances que le Sénégal a connues, nous avons eu à la tête du ministère de l’intérieur des personnalités neutres, Feu Général Lamine CISSE, l’Inspecteur général d’Etat Cheick GUEYE et l’Inspecteur général d’Etat Makhetar CISSE.
La mission exploratoire de l’Union européenne effectué en 2011 en prélude à l’audit du fichier électoral, dans son rapport de synthèse de l’atelier multi-acteurs tenu le 20 mai 2010 au Novotel de Dakar, concernant le cadre légal, a abordé la question relative aux organes de gestion des élections, notamment, le cas de la CENA. Il est rappelé à la page 5 du rapport que la CENA a fait l’objet, au moment de sa création, d’un large consensus, la loi l’ayant créée ayant été adoptée à l’unanimité. Cependant les pouvoirs de la CENA ne se déploient pas, aux yeux de certains, avec toute l’amplitude souhaitable, et les pouvoirs que lui confèrent la loi ne semblent pas « acceptés » ou « intériorisés » par tous les acteurs du processus électoral.
A ce stade, toujours selon le rapport de la mission de l’UE, une proposition a été faite, qui consisterait à une mise à niveau technique de la CENA, un déphasage existant entre les pouvoirs et compétences de l’institution d’une part, et les moyens techniques dont elle est dotée d’autre part ; il est nécessaire que la CENA soit outillée, au plan matériel, pour assumer pleinement des pouvoirs dont elle n’a pas aujourd’hui les moyens.
Enfin dans le rapport final sur l’observation de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2012, des recommandations ont été faites concernant la CENA.
Parmi ces recommandations, on peut noter celles-ci :
- Constitutionnaliser la CENA et limiter le pouvoir de nomination discrétionnaire de l’ensemble de ses membres dévolus au Président de la république
- Charger la CENA d’arrêter la liste provisoire des candidats à l’élection présidentielle ;
- Procéder à un renouvellement générationnel progressif des membres de la CENA et de ses démembrements, tenant compte du genre ; - Inclure parmi ses membres un expert ayant un profil de démographe ou de statisticien électoral
Pour ma part, je propose les recommandations suivantes :
• Intégrer les partis politiques dans la CENA suivant un mode de représentation qui tient compte des regroupements de partis en pôle mais sans possibilité de participer aux délibérations, ni aux votes ;
• Nomination de tous les membres statutaires sur la base de propositions émanant des institutions à raison de trois par institution (professions libérales, ordre des avocats, universitaires et administrateurs civils à la retraite, organisations de la société civile) ;
• Porter le mandat des membres à cinq (05) ans renouvelable une seule fois ;
• Renouvellement de moitié des membres à l’expiration du chaque mandat ;
• Confier la gestion du fichier électoral à la CENA ainsi que la production des cartes d’électeurs ainsi que leur distribution sur la base d’un système d’information électronique de l’électeur dès la production de sa carte et revenir à la situation antérieure qui sépare la carte d’identité et la carte d’électeur ou figurera la photo du titulaire.
• Confier le contrôle du parrainage à la CENA ainsi que le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle et leur validation par la Cour constitutionnelle.
Pour sa part, le Ministère de l’Intérieur par le biais de l’administration électorale, s’occupera de l’organisation matérielle des élections avec les tâches suivantes :
• Gestion et production du fichier des cartes nationales d’identité
• Réception des candidatures aux élections législatives et locales
• Impression des bulletins de vote et éclatement du matériel électoral
• Sécurisation des lieux et bureaux de vote
• Ramassage et transmission des procès-verbaux en collaboration avec la CENA
De telles propositions non exhaustives constituent des axes de réflexion qui sont certainement à améliorer afin que nous ayons des élections transparentes, sincères et crédibles car notre système électoral, dans ses fondamentaux, reste l’un des meilleurs en Afrique. Notre principal problème a été et demeure la récurrence des contestations sur le fichier électoral, la suspicion autour de la problématique de la production/distribution des cartes d’électeur, de l’établissement et de la publication de la carte électorale et depuis 2019 les modalités de collecte et de contrôle du parrainage citoyen.
QUATRE HOMMES, UN ETAT, par henriette niang kandé
SENGHOR, LE PÈRE DU PRÉSIDENTIALISME
Tout au long de la vingtaine d’années passée à la tête de l’Etat, le premier président du Sénégal s’est évertué avec « organisation et méthode » à matérialiser sa conception du pouvoir, via une reproduction du modèle constitutionnel français
Le 4 avril dernier, après que le Sénégal a célébré le 64ème anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale, dans une sobriété marquée par la prise de pouvoir du nouveau président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, Sud Quotidien revisite les magistères de ses quatre prédécesseurs. Sous ces différents régimes, la contestation a été permanente du fait de l’hyperprésidentialisme. Si l’ère senghorienne reste dominée par les doutes d’une Nation naissante, elle demeure hésitante à rompre les amarres avec l’ancien colonisateur, la France. Sous le magistère de son successeur Abdou Diouf, la situation sera plus contrastée. Promu à la tête de l’Etat grâce à l’article 35, il avait une marge de deux ans pour mener à terme le dernier mandat de son mentor, Léopold Sédar Senghor.
En 2000, en dépit de l’avènement de la première alternance démocratique et la grande ferveur qui a accompagné l’accession de Abdoulaye Wade à la magistrature suprême, la nature présidentialiste de l’Etat sous Senghor et Diouf ne sera substantiellement pas remise en cause. Avec Macky Sall, président élu en 2012, consacrant ainsi, la deuxième alternance démocratique, la situation va perdurer. Il rendra les clés de la République, deux mandats plus tard, dans le contexte d’un Sénégal divisé entre Républicains et Patriotes.
Dans ce premier jet du dossier « Quatre hommes, un Etat », Henriette Niang Kandé revient à grands traits sur le régime de Léopold Sédar Senghor, premier président de la République. Toujours est-il que tout au long de son histoire, le pays a montré que quand il s’agace, tout comme lorsqu’ il s’ennuie, le Sénégal devient volontiers imprévisible.
Léopold Sédar Senghor : Le père du présidentialisme
Léopold Sédar Senghor ou une gouvernance politique où la pratique présidentialiste du pouvoir n’a cessé de s’imposer, de rentrer dans les usages et de devenir une habitude. Tout au long de la vingtaine d’années passée à la tête de l’Etat, le premier président du Sénégal s’est évertué avec « organisation et méthode » à matérialiser sa conception du pouvoir, via une reproduction du modèle constitutionnel français, doublée de la prépondérance du chef de l’Etat. Ce présidentialisme poussé, au point de personnaliser le parti, le groupe parlementaire, les affaires de l’Etat. Tout se passait au Palais de la République. Cette forme de gouvernance politique s’accentuera au cours de l’histoire politique du Sénégal post-indépendant malgré l’avènement du multipartisme encadré.
Plus d’une vingtaine d’années après l’enterrement à Dakar du premier président de la République et plus de quarante ans après l’annonce de sa démission, le dernier jour de l’an 1980, voilà que Léopold Sédar Senghor, qui avait déjà huit ans lorsqu’éclatait la Première Guerre Mondiale, n’est plus un référent. La vente aux enchères de ses biens à Verson où il a vécu pendant vingt ans, jusqu’à sa mort en 2001 (suspendue in extremis pour permettre des négociations directes avec le Sénégal qui souhaite les acquérir, subitement réveillé d’une inertie coupable) et l’appel à sécuriser sa bibliothèque par l’Etat en sont une parfaite illustration. S’il est une ombre, une énigme pour la génération des jeunes Sénégalais, il est encore moins une référence dans l’histoire politique officielle, lui, le concepteur de la théorie du «socialisme africain». Aux grandes heures de son histoire, et de la nôtre, il a su maîtriser son « timing ». C’est en s’opposant à lui et à l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue plus tard Parti Socialiste (PS), qu’un grand nombre de concitoyens ont fait clandestinement, leurs premiers pas en politique – même si la dissension était tolérée - jusqu’en mai 1974, date à laquelle Senghor instaure le multipartisme limité à quatre courants. Ils accusaient le chef de l’Etat d’alors d’être « le valet de l’impérialisme français » et n’hésitaient pas à lui rappeler, chaque fois qu’ils en avaient l’occasion, qu’il avait servi la France, appelé par Georges Pompidou, son condisciple au lycée Louis-Le- Grand. Ils ne s’arrêtaient pas là, dénonçant « l’idéologie de la Négritude servante de la Francophonie » (titre d’un ouvrage de Pathé Diagne), dont Senghor fut, avec Hamani Diori du Niger et Habib Bourguiba de Tunisie, l’un des promoteurs. Au passage, ses opposants se gaussaient du « rebelle » dont il se qualifiait lui-même dans ses poésies des années 30, qui promettait de « déchirer le rire Banania sur tous les murs de France », fort distinct de celui qui finira parmi les Immortels du Quai Conti, à l’Académie Française.
Entre ces deux bornes temporelles, il dit une prière : « Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par des sentiers obliques (Hosties noires- Prières de paix1948) », dénonçant le contraste entre la France idéale des arts, de la philosophie, et de la littérature (la voie droite) et la France historique de la brutalité coloniale, du racisme et de la xénophobie (les sentiers obliques). N’y a-t-il pas un sens du drame dans la poésie ? Ce que Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice sous François Mitterrand a dit avec d’autres mots lors d’une conférence : « Lorsque la France se targue d’être la patrie des Droits de l’Homme, c’est une figure de style. Elle est la patrie de la Déclaration des Droits de l’Homme ».
La personnalité du francophile Senghor qui n’a pas su rompre les amarres avec l’ancienne puissance coloniale, est sans doute pour quelque chose dans cet attrait qui se traduit en 1960, sur le plan institutionnel, par une reproduction du modèle constitutionnel français. Il faut aussi, à la vérité de dire que tous les Etats de l’empire français qui venaient d’être indépendants, ont eu du mal à se départir du modèle d’organisation légué par le colon.
Le problème constitutionnel de Senghor fut celui de l’aménagement du pouvoir au sommet de l’Etat. Très vite, l’exercice du pouvoir révèle la difficulté d’avoir un Exécutif à deux têtes avec un président de la République et un président du Conseil, c’està-dire l’équivalent d’un chef de gouvernement, comme la France en a connu lors des 3ème et 4ème Républiques. La crise de décembre 1962 achève de prouver la difficulté d’avoir un tel binôme, du point de vue de leurs personnalités respectives. Dans la Constitution de 1959, (tout part de là), le président de la République n’exerce qu’une magistrature d’influence et laisse le président du Conseil administrer et diriger le Conseil des ministres et définir la politique de la République du Sénégal. Il s’agit là, d’un modèle inspiré de la France dont le président, avant la venue du Général Charles de Gaulle et la naissance de la Vème République, détient un pouvoir très limité. La formule consacrée a été prononcée par de Gaulle lui-même : « Qui n’a jamais cru, que le Général de Gaulle ayant été appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes»! La Constitution de 1963 dérive directement de la crise de décembre 1962. Senghor sort « victorieux » du conflit qui l’oppose au président du Conseil, Mamadou Dia. Elle traduit en termes constitutionnels, la nouvelle prépondérance du chef de l’Etat. Le poste de Président du Conseil est supprimé, les ministres et secrétaires d’Etat rendent compte directement au président de la République qui peut les démettre. Mieux, ils ne sont responsables que devant lui et non devant l’Assemblée nationale.
Le Sénégal rompt ainsi donc avec sa tradition parlementaire. Au-delà du nouveau montage constitutionnel, c’est la conception senghorienne du pouvoir politique qui se trouve mise en exergue. Celui-ci, au moins, ne se partage plus. Il est désormais nécessaire que dans l’Etat, le pouvoir soit clairement identifié. La bonne marche de l’Etat requiert que soit effacé tout schéma de type dyarchique. Celui qui plaçait la culture au-dessus de toute forme d’activité, se dévoile alors en Senghor politique. « Le politique », c’est-à-dire l’adepte de la realpolitik, l’homme averti des rapports de force et sachant jouer de ceux-ci . La prépondérance du chef de l’Etat est confirmée par la première révision de la Constitution de 1963.
Présidentialisme
Par la loi constitutionnelle du 20 juin 1967, le président de la République se voit reconnaître le droit de dissoudre l’Assemblée nationale, alors que le type de régime adopté selon la Constitution de 1963, n’admet pas une telle prérogative. C’est ainsi que démarre le présidentialisme qui s’est accentué au cours de l’histoire politique du Sénégal. Depuis lors, nous n’avons cessé de nous habituer à une croissante anormalité : la prépondérance croissante de l’institution présidentielle sur l’institution parlementaire. En effet, le droit de dissolution est en principe la contrepartie du droit, pour les députés, de renverser le gouvernement. La troisième révision de la Constitution, celle du 2 février 1967, traduit encore l’obsession senghorienne de l’aménagement du pouvoir au sommet de l’Etat. On a peine à croire que les députés sont les premiers élus de la Nation, chargés de faire la loi et de contrôler son exécution, d’élaborer et de voter les règles et objectifs que le pays se fixe, tout en surveillant leur mise en œuvre par le gouvernement. Senghor aimait plus que tout, les tournées économiques et en profitait pour procéder à des remises de dettes en faveur des paysans, à qui il avait promis d’acheter leur production d’arachide à «barigo junni» (5000 francs la tonne). Mais après que les paysans refusent de s’acquitter de leur impôt suite à une période de sécheresse et face aux abus de l’Oncad, (organisme d’encadrement rural), il n’hésite pas à les faire saupoudrer de pesticides. On peut inscrire à son tableau le fait de tout vouloir faire encadrer par l’Etat qu’il voulait pionnier et promoteur d’une politique agricole dont il n’a pu empêcher le naufrage.
En 1968, la situation se dégrade dans le monde rural, suite à une série de périodes de sécheresse, la chute du prix des matières premières, la stagnation des surfaces cultivées. La production agricole fortement perturbée se répercute sur les conditions de vie paysanne. La migration vers les centres urbains commence. Le phénomène est qualifié d’exode rural. Entre 1968 et 1974, le Sénégal bouillonne de revendications et de contestations de toutes sortes. Les grèves des employés de banques, de la Poste, de l’ONCAD, ponctuent la vie politique et syndicale. Senghor réorganise l’Etat tout en élaborant une règlementation destinée à freiner le mouvement revendicatif à l’Université. La foudre s’abat sur des étudiants grévistes : « la quinzaine d’étudiants qui, violant la loi, pris en flagrant délit de s’opposer à la liberté des cours, ont été déférés à la justice. On leur fera faire leur service militaire. Ils rejoindront ainsi, parmi d’autres, deux anciens élèves de l’Ecole de santé militaire qui avaient fait la grève. D’autres étudiants, moins coupables, mais coupables tout de même de s’opposer à la liberté des cours, seront exclus des établissements d’enseignement supérieur et d’abord de l’Université. Des élèves des enseignements moyen et secondaire convaincus des mêmes fautes, subiront le même sort que ces étudiants. Ils seront renvoyés des écoles publiques : collèges et lycées ». Quelques autres sont mis en résidence surveillée par un éloignement du centre du mouvement revendicatif. Pour ce faire, ils sont envoyés dans des environnements climatiques sévères.
Le poète n’a pas hésité à opérer le bannissement d’adolescents ou de jeunes adultes pétris d’idéaux, rendus cauchemardesques par une répression du mouvement social en 1968 et 1969, puis en 1971 et 1973. A l’Université de Dakar, le déni de promotion était une arme privilégiée. Sans parler des bourses refusées, des thèses rejetées et des mentions niées, à tout le moins, délibérément ignorées.
L’emprisonnement systématique a été appliqué aux hommes politiques : Mamadou Dia et ses compagnons, des cadres du Parti Africain de l’Indépendance…. De Senghor, l’histoire politique n’effacera pas le peloton d’exécution pour Abdou Ndaffé Faye, accusé d’avoir tué le député Demba Diop et Moustapha Lo, qui avait été incriminé de tentative d’assassinat sur la personne du président de la République. Justice sévère, comme il en a été convenu dans le discours officiel pour justifier le verdict de 1962 contre Mamadou Dia et ses compagnons.
Cependant, il faut mettre à son crédit, dans son comportement, cette fixation sur l’«organisation et la méthode » sans qui, rien de grand ne se réalise. C’est ainsi qu’il fit adopter la loi sur le Domaine national (1964) et le Code de la Famille (1972). Ce code, (qui pourrait faire l’objet d’un dossier spécial), avait vu ses travaux lancés dès 1961 avec la création d’une Commission de «Codification du droit des personnes et du droit des obligations». L’exploitation des questionnaires avait recensé 79 coutumes et autant de droits. En 1965, un comité des «options», composé de 32 membres est créé pour inventorier les informations récoltées et ses conclusions ont permis de nourrir les réflexions du «Comité de rédaction du Code de la Famille» désigné par arrêté en juillet 1966. Après examen de la Cour suprême (juillet 1967), le projet a été soumis et adopté par l’Assemblée nationale en mai 1972.
Derrière l’apparence des discours et des réformes, la pratique présidentialiste du pouvoir n’a cessé de s’imposer, de rentrer dans les usages et de devenir une habitude. Du passage de Senghor, il est juste de noter son œuvre (qu’on oublie bien trop souvent), en faveur de la promotion des langues nationales, en permettant la codification et l’enseignement de six d’entre elles (wolof, sereer, pulaar, joola, manding et soninké), bien que leur intégration dans le système éducatif scolaire n’a pas été effective. L’agrégé de grammaire française qu’il était n’a pas hésité à utiliser l’orthographe wolof, pour régler ses divergences politiques avec ses opposants, avec «organisation et méthode». C’est ainsi qu’il contraint Cheikh Anta Diop à changer le titre du journal de son parti, le Rassemblement National Démocratique, «Siggi» (relever la tête) parce qu’il trouvait dans l’orthographe, un «g» de trop. Le journal prit alors le titre de «Taxaw» (debout) qui avait fait l’objet, dans la chute bien à propos d’un éditorial de l’époque : «Ñulaay tere siggi nga taxaw nak faf» (On t’interdit de lever la tête et tu te relèves). Il en a été de même avec le cinéaste Ousmane Sembène, très critique de la bourgeoisie compradore et bureaucratique qui n’a pu projeter son film «Ceddo», qu’une fois Senghor parti vivre en Normandie. Le motif est que ce dernier lui voulait faire immoler un «d», que Sembène refusa.
De ce catholique si cher au second khalife des Mourides, Serigne Mouhamadou Falilou Mbacké et à Seydou Nourou Tall, il est juste de retenir l’ouverture pluraliste, cette particularité longtemps sénégalaise, en un temps où le monopartisme était la règle sur la quasitotalité du continent africain. Il autorise Abdoulaye Wade, l’ancien militant de l’UPS, après un dîner à Mogadiscio, en marge d’un sommet de la défunte Organisation de l’Unité Africaine (OUA), à créer le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) comme parti dit, de «contribution», non sans l’affubler du sobriquet - «N’Diombor le lièvre» - qui, pendant longtemps, fit prendre pour un tacticien habile, et même redoutable, celui qui allait incarner la première alternance politique du Sénégal en 2000. Il a été également le premier président d’une République de l’Afrique de l’Ouest à avoir fait élire une femme, madame Caroline Diop, député et ministre d’un gouvernement
Quid de ses rapports avec la presse ? «Profitant» de cette période où les partis politiques étaient interdits, ce qui ne les empêchaient nullement de publier clandestinement et que les libertés étaient particulièrement surveillées, seuls «Promotion» et «le Politicien» (premier hebdomadaire satirique africain), incarnaient la presse indépendante de l’époque, dont il n’a pas hésité à envoyer leurs promoteurs en prison, à un moment ou à un autre. Si la presse étrangère a eu ses faveurs, Senghor ne s’adressait à ses compatriotes qu’à travers des allocutions radiophoniques d’abord, puis télévisées plus tard quand la télévision est entrée dans les ménages. En 1979, le Code de la Presse est adopté, véritable corset couplé avec des dispositions du code pénal.
Déconcentration
Fatigué d’être le centre de la vie politique, lassé d’une prépondérance qui pourrait très vite «dévaloriser» la fonction présidentielle en la «banalisant», car le président est bien obligé de se mêler de tout, Senghor rétablit le poste de Premier ministre, en 1970. Mais la fonction n’a plus rien à voir avec celle du Président du Conseil de 1962. Le Premier ministre est sous la dépendance étroite du Président de la République, lequel détermine la politique de la Nation et peut, quand il veut, le révoquer. C’est ce que l’on a appelé, l’ère des « Premiers ministres de la déconcentration ». La création de la fonction ne doit pas, non plus, faire illusion. Il n’y a aucune volonté de changer la substance du régime, il n’est pas question de retourner au régime parlementaire, qui est celui dans lequel, l’institution primo ministérielle a un sens. Il s’agit simplement de trouver au Président Senghor un «collaborateur», dont la « loyauté » sera, on le devine bien après les événements de 1962, une qualité essentielle.
L’homme qui est choisi pour occuper le poste est conforme aux arrière-pensées du président : administrateur effacé, ancien secrétaire général de la présidence, n’ayant a priori nulle ambition politique, Abdou Diouf paraît bien faire l’affaire. Sa longévité à ce poste en atteste : il l’a occupé sans discontinuer de 1970 à 1981.
Cependant, tout au long de cette dizaine d’années, le rôle du Premier ministre est de plus en plus pâle. Celui du président de la République se dilate, se répand et s’épanouit. Les calendriers électoraux, plaçant les législatives après la présidentielle, ont potentiellement affermi cette évolution, en l’identification des majorités parlementaires à une majorité présidentielle compacte et obéissante. Le pouvoir n’est plus en rien réparti : le parti, la coalition, le groupe parlementaire, les affaires de l’Etat. Tout se passe au Palais de la République.
La révision constitutionnelle du 28 décembre 1978 qui consacre le multipartisme, est resté limité, le Président voyant dans un pluralisme sans borne un «péril mortel» pour une jeune démocratie. Le rapport que le président Senghor a entretenu avec les institutions constitutionnelles est ambivalent. Il a utilisé la Loi fondamentale comme instrument de consécration de rapports de forces politiques, et s’est appuyé dans le même temps, sur son pouvoir de susciter des réformes pour ouvrir des voies assurément «progressistes», pour figer dans le marbre de la loi, des audaces salutaires.
Son souci de la Constitution doit toutefois être relativisé par la particularité de son époque, époque placide, qui ne baigna pas à vrai dire, dans une ambiance de débats et de contradictions. Dans un style proconsulaire, il fit modifier un article, pour propulser son Premier ministre Abdou Diouf, à la tête de l’Etat. C’est ainsi que le cycle politique du premier président du Sénégal entamé plus d’une vingtaine années avant l’indépendance, est arrivé à son terme.
Dans le discours senghorien qui s’appuie sur la Négritude, le socialisme africain, la Francophonie, des historiens font remarquer une faiblesse par rapport à la «tradition» et au folklore historique : «tout en réarrangeant la tradition, il s’en écartait de manière souveraine et dédaigneuse». C’est ainsi qu’il est resté «le griot de son projet culturel», laissant les intellectuels investir l’espace public. En dehors des reportages lors de la fête du 4 avril, des commentaires de combats de lutte ou de courses hippiques, les griots contaient dans leurs émissions radiophoniques, le passé du pays, sans une instrumentalisation de l’histoire au service du politique.
Au moment de l’indépendance, le souci était de consolider la Nation. Des émissions culturelles et historiques, animées par des griots ont contribué à cela. Après la crise de 1962, leurfonctionnarisation a été effective. Pour diffuser sa propagande lors des crises de 1962 et de mai 1968, Senghor s’attache les services de El Hadj Ousseynou Seck, chroniqueur « politique », à Radio Sénégal, qui ripostait aux étudiants et même à Sékou Touré, dans la crise entre le Sénégal et la Guinée. Il n’est cependant pas superflu de noter que Yandé Codou Sène, griotte attitrée a servi elle, à établir une filiation de Guélewar à Senghor.
Obsèques
A son enterrement à Dakar, le 29 décembre 2001, la France n’est représentée « que » par le président de son Assemblée nationale, Monsieur Raymond Forni et parle ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie. Ni Jacques Chirac, alors président de la République française, ni Lionel Jospin, son Premier ministre de la cohabitation n’ont fait le déplacement. Ami et défenseur indéfectible de la France, celle-ci s’est montrée ingrate en l’ignorant superbement dans le froid de son cercueil. D’aucuns pensent que Jacques Chirac, héritier de Charles de Gaulle lui avait fait payer son absence aux obsèques de ce dernier en 1970. Ignorait-il que Senghor avait à l’époque, dit-on, écrit une lettre adressée à Madame de Gaulle dans laquelle il donnait la raison de son absence : le Général voulait des funérailles familiales et intimes.
En 2006, est organisé sous les dorures de l’Assemblée nationale française un colloque traitant de : «Léopold Sédar Senghor : la pensée et l’action politique». Parmi les nombreux textes publiés qui étaient les communications des intervenants, un témoignage a un goût particulièrement savoureux. C’est celui d’une ancienne fonctionnaire de l’administration française à Dakar, Madame Mauricette Landeroin qui avait fait la connaissance de Senghor à Tours, en 1936 quand ce dernier y enseignait. Dans un registre intimiste, elle présenta lors de ce colloque, des lettres qu’il lui avait adressées, dans lesquelles il lui déclarait sa flamme et disait même son intention de l’épouser. Voilà ce qu’en dit Madame Landeroin : «Les sentiments exprimés dans ces quelques lettres avec tant de délicatesse témoignent, je crois, de l'intérêt que me portait le professeur Senghor. Lors de réceptions auxquelles il était convié par la bourgeoisie tourangelle, il confiait : «Je voudrais épouser une jeune fille qui ait le baccalauréat comme minimum d'instruction, qui soit de la bourgeoisie, et qui soit dotée». Il faut croire que je répondais à ces trois critères, puisqu'à deux reprises il m'a demandée en mariage ! En vain ! A l'époque, j'étais amoureuse d'un Russe aux yeux bleus que je rencontrais chez mes correspondants. On dit que les contraires s'attirent. Durant ma carrière en Afrique, il m'a été donné de rencontrer le président Senghor au cours des diverses conférences qui réunissaient les chefs d'Etat. A l'occasion de l'une d'elles, il m'a dit : «Mauricette, dans ma vie, j'ai eu tous les honneurs que l'on peut souhaiter, mais vous êtes, vous, l'échec de ma vie !»
Par Kaccoor Bi
CRIMES ET CHÂTIMENTS
Personne ne permettra au président Diomaye Faye d’avaliser ces décrets pris furtivement par son prédécesseur quelques jours, voire quelques heures, avant de lui transmettre le pouvoir. Oui pour une réconciliation, mais pas de « Massla ».
Bon, il faut le dire sans préjugé. Macky n’est pas Senghor. Il n’est pas non plus Diouf ni Wade. Les deux derniers s’étaient effacés après avoir quitté le pouvoir pour ne parler du Sénégal qu’à demi-mots même si le Père Wade ne se gênait pas à se lâcher obligés qu’il était de se faire entendre pour que son fils soit libéré.
Malgré tout, on peut reconnaitre à ces trois derniers présidents leur élégance proverbiale quand ils ont quitté le pouvoir. Ils n’ont jamais cherché à gêner leurs successeurs ce qui a fait d’ailleurs que, durant les premiers mois ayant suivi leur départ, ils choisissaient de s’établir à l’étranger le temps que ceux qui les ont remplacés prennent leurs marques.
Pour ce qui le concerne, même s’il ne le dit pas, on peut supposer que l’ex-Chef n’en a pas fini avec le pouvoir. Pour le moment, il est dans une surmédiatisation de ses nouvelles fonctions d’Envoyé spécial de Macron pour le Pacte de Paris pour les Peuples et la Planète. Les esprits grincheux diront qu’il est en quelque sorte le garçon de courses de celui à qui il n’a jamais rien refusé. C’est-à-dire le président français Emmanuel Macron. Moins de deux semaines après son départ du pouvoir, il donne l’impression de ne pas vouloir se faire enterrer. Un tweet pour annoncer sa rencontre avec le Secrétaire général de l’Onu dans ses nouvelles fonctions et une vidéo où on le voit dans les rues de New–York bien escorté par des body-guards.
Mais au fait, a-t-il croisé dans les couloirs du Building de verre de Manhattan son ex-Première ministre Mimi Touré qui s’y trouve en ce moment même pour y assister à une conférence de 17 éminentes personnalités ? Pendant ce temps, au pays, on parle de ses derniers actes posés et qui relèvent du registre des dérapages. Pour ne pas dire de la goujaterie. On pourrait penser qu’il a passé ses dernières heures au Palais de l’avenue Baay Seng à signer des décrets pour octroyer des privilèges à ses proches !
En effet, à chaque jour ses révélations scandaleuses comme ce décret signé pour faire bénéficier à d’anciens ministres, secrétaires d’Etat, à leurs épouses et rejetons des passeports diplomatiques. Pour qui connait le nombre exponentiel de cette cour des miracles, on pourrait bien comprendre la démesure de ces décrets. Or, dans la tradition républicaine, ces documents de voyage que sont les passeports diplomatiques sont liés à la fonction et doivent être rendus dès la cessation de celle-ci. Cela a toujours fonctionné ainsi à travers le monde entier et aussi naturellement au Sénégal.
Pendant qu’il y est pourquoi donc le généreux Chef n’avait-il pas aussi signé un décret pour octroyer aux mêmes bienheureux leurs résidences et véhicules de fonction ?
Faut-il alors fermer les yeux sur tout cela ?
Se taire et passer par pertes et profits les rapines de la camarilla qui a été au pouvoir pendant ces douze dernières années ?
Bien évidemment c’est inacceptable et il est hors de question d’accepter ce décret avalisant la rapine du Chef. Depuis quelques temps, on attend à tout-va le mot réconciliation. Oui pour la paix des cœurs.
Mais il faudra encore une fois une véritable rupture. Pas de chasse aux sorcières mais que tous ceux qui ont eu à gérer les deniers publics et sur qui planent ou pèsent des soupçons d’enrichissement illicite ou de mauvaise gestion rendent compte de leur gestion.
Personne ne permettra au président Diomaye Faye d’avaliser ces décrets pris furtivement par son prédécesseur quelques jours, voire quelques heures, avant de lui transmettre le pouvoir. Oui pour une réconciliation, mais pas de « Massla ».
Il serait incompréhensible que de petits voleurs soient en prison pendant que des caïds de notre économie ou des coupables d’assassinats circulent librement. Tout simplement parce qu’ils sont des acteurs de la politique ou protégés par des politiques. Que la reddition des comptes se fasse sans parti pris. Avec rigueur et sans faiblesse.
Les Sénégalais, avec Kaccoor Bi au premier rang, demeurent vigilants et attendent du président Bassirou Diomaye Faye des actes forts. Il ne faudrait surtout pas qu’on les pousse à reprendre le maquis contre les voleurs du « Mackyland » !
par Ousmane Thiam
LA MÉTAPHORE DE L’ENTONNOIR
Longtemps dissociés institutionnellement, l'urbanisme et l'aménagement du territoire sont désormais réunis au sein d'un même ministère. Cette réforme marque-t-elle le passage d'une logique sectorielle à une vision systémique du développement territorial ?
Urbanisme d’abord, aménagement du territoire ensuite ? L’inverse ? Ou les deux en même temps ?
Comme beaucoup de mes compatriotes, c’est avec une satisfaction immense que j’ai accueilli le regroupement, dans un même ministère, des départements de l’urbanisme, des collectivités territoriales et de l’aménagement des territoires. Longtemps souhaitée et réclamée par les spécialistes et acteurs du territoire, toutes échelles confondues, cette décision marque sans doute une volonté du nouveau régime à changer de paradigme et à placer les collectivités territoriales au cœur de la mise en œuvre de ces deux compétences transférées.
Urbanisme et Aménagement du territoire : de quoi parle-t-on exactement ?
La différence fondamentale entre l’aménagement du territoire et l’urbanisme se résume à une question d’échelles et de vocations stratégiques. L’aménagement du territoire s’intéresse aux grands ensembles territoriaux, du supranational au département pour prendre l’exemple du Sénégal. Il analyse leurs formes, leur occupation, les tendances lourdes de leurs grandes distributions (populations, établissements humains et armatures, réseaux et divers phénomènes) ainsi que les structures spatiales qu’elles génèrent ou susceptibles d’en résulter dans un horizon temporel défini. Le territoire est l’échelle de la planification spatiale stratégique.
L’urbanisme, quant à lui, se focalise sur les micro-échelles (la ville, la commune, le parcellaire cadastral), les interactions directes entre les communautés et leur milieu de résidence/vie, la superstructure qui en résulte et la conception du dispositif technico-humain et réglementaire visant à promouvoir l’harmonie et l’épanouissement dans la cité. La quête effrénée du bien-être humain fait désormais de l’habitant, ou plus correctement du citoyen, un acteur de droit dont les goûts et les désirs légitimes deviennent des dimensions clés du projet urbain (placemaking).
Urbanisme et Aménagement du territoire : quelle approche pour le Sénégal ?
Si la création de ce méga-ministère est très largement appréciée, la terminologique et la syntaxe de sa dénomination « ministère de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’aménagement des territoires » suscitent néanmoins une grande interrogation. S’agit-t-il tout simplement d’un coup de charme ou, plus sérieusement, d’une réelle volonté disruptive visant à opérer la rupture tant attendue dans la mise en œuvre des politiques territoriales ?
En matière d’aménagement du territoire, la méthode de l’entonnoir est la plus répandue. L’entonnoir est une image parfaite pour décrire, conceptualiser ou modéliser des processus complexes dans divers domaines, l’entonnoir de vente par exemple dans le secteur du commerce/marketing. Dans notre cas, l’axe vertical représente la structure institutionnelle qui promeut la subsidiarité des échelles et les axes horizontaux, le territoire, du niveau global aux niveaux les plus fins.
La méthode de l’entonnoir consiste à partir des grands ensembles du territoire pour constituer un référentiel unique et opposable à toutes les échelles sous-jacentes. Ce sont les tendances lourdes du territoire qui inspirent et déterminent les orientations politiques nationales, toutes échelles confondues, y compris celles de l’urbanisme stratégique. C’est l’approche adoptée au Sénégal depuis l’indépendance du pays, avec comme objectifs l’atténuation du centralisme hérité de la colonisation, la création de dynamiques d’ensemble et une intégrité territoriale renforcée. Le PNAT de 1997, le PNADT adopté en 2020 et la LOADT qui encadre sa mise en œuvre s’inscrivent dans cette démarche.
L’approche en entonnoir inversé (top/down) consiste à s’appuyer sur un ou plusieurs points stratégiques du territoire, des centres urbains en général, pour organiser et contrôler un territoire. Ses sources d’inspiration sont le mercantilisme expansionniste et les théories géographiques des lieux centraux incarnées notamment par les célèbres modèles de WalterChristaller et de Von Thünen.
Elle vise en général deux objectifs, souvent antagonistes dans l’esprit du planificateur :
Un objectif de domination et de contrôle territorial : ce fut le cas de la colonie du Sénégal dont la forme du territoire (partie occidentale), guidée par une volonté « exploitationniste » cynique et sauvage, rappelle étonnement celle de l’entonnoir. Ailleurs dans le monde, l’exemple le plus parfait est représenté par l’ex URSS. C’est l’option des régimes politiques qui aspirent à l’Etat fort. Le centre, lieu du pouvoir et du commandement, détermine et oriente toute la politique d’aménagement du territoire. L’accent est mis sur les grands projets urbanistiques qui doivent refléter le prestige, la grandeur et l’unicité du pouvoir central. C’est une approche actuellement très peu rependue dans le monde (Etats communistes et pétroliers arabes).
Un objectif d’aménagement et de développement territorial : c’est ce que semble suggérer la syntaxe de la dénomination du nouveau Ministère de l’Urbanisme (échelle micro), des collectivités territoriales (échelle méso) et de l’aménagement des territoires. Le mode opératoire consiste, sans être forcément dans une logique dirigiste, à s’appuyer sur des centres de taille et de niveaux divers, des chefs-lieux administratifs de préférence, pour impulser les dynamiques souhaitées et diffuser des règles, des pratiques ou des innovations (effet chef-lieu). Le centre et sa périphérie entretiennent des relations symétriques et complémentaires. Pour le cas du Sénégal, cette approche est consacrée par la Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales à son article 15 qui promeut l’« égale dignité » des collectivités territoriales.
Le résultat est un territoire en structure fractale dont la complexité est telle que chaque centre, chaque entité territoriale prend un sens et une identité uniques qui garantissent sa résilience et sa survie.
La mise en commun des similitudes et des avantages comparatifs permet de constituer, à différentes échelles pertinentes, des ensembles (intercommunalités, ententes, …) homogènes, cohérents et robustes favorisant la continuité territoriale des politiques. Les grands ensembles territoriaux sont un mécanisme efficace pour lutter contre l’ «ostracisme» territorial, mais également pour lisser les aspérités et les externalités négatives liées à l’entropie territoriale ou au voisinage (avantage absolu). Il favorise l’équité et bonifie la communication institutionnelle.
L’idée d’organiser le territoire en pôles régionaux émise par le président Abdoulaye Wade (provincialisation), reprise, sans grand succès, par son successeur le président Macky Sall (pôles territoire) et ressuscitée par le régime du président Bassirou Diomaye Faye vise ces objectifs.
La réalisation de ce second objectif peut s’appuyer sur deux mécanismes, non exclusifs :
Un mécanisme de type programmatique (rattrapage) : les actions s’inscrivent dans des programmes spécifiques avec comme objectif de produire des résultats immédiats (court terme) et fortement impactants. La décision historique et audacieuse du Président Abdoulaye Wade d’organiser, de manière tournante, la fête nationale du 4 avril dans les capitales régionales du pays, avec à chaque étape un important programme d’investissements lourds à la clé et les programmes d’urgence du Président Macky Sall (PUDC, PUMA, PROMOVILLE, PACASEN, …) obéissent à ce mécanisme innovant certes, mais non durable à cause d’un portage politique aléatoire et limité dans le temps (durée du mandat présidentiel).
Un mécanisme de type planification stratégique : les actions s’inscrivent dans une temporalité longue et raisonnable. Les ressources et le chemin critique nécessaires à leur réalisation sont objectifs et normalement insensibles aux changements de régime politique. C’est dans cet esprit de continuité de l’action publique que beaucoup de préconisations du PNAT de 1997 ont été reprises et adaptées au contexte du PNADT marquées par des changements institutionnels et des mutations territoriales importantes.
Acquis à consolider et manquements à combler
Les secteurs de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire au Sénégal, pourtant très stratégiques, enregistrent un bilan modeste après plus de 60 d’indépendance. L’existence depuis 1997 d’un Plan national d’aménagement du territoire (PNAT) révisé en 2020 en Plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT), l’adoption, la même année, de la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADT) et la révision récente des Codes de l’urbanisme et de la construction sont des avancées significatives et appréciables certes, mais très insuffisantes par rapport à l’immensité des besoins et des défis à relever.
C’est pourquoi, dans le but de mieux consolider ces acquis et permettre à ces deux secteurs de jouer pleinement leur rôle, des réformes et mesures fortes s’imposent. Elles concernent prioritairement :
Au plan institutionnel
La signature du décret portant création du Fonds d’impulsion à l’aménagement du territoire (FIAT)
La suppression des doublons institutionnels,
La fusion des agences, directions et services techniques ayant presque les mêmes missions et les mêmes cibles,
La création d’un guichet unique territorial pour les communes et les départements
Le transfert institutionnel et la régionalisation de la Commission de contrôle des opérations domaniales (CCOD)
Le transfert de la tutelle technique des services cadastraux
Au plan technique
L’effectivité, le renforcement et la décentralisation des Fonds destinés à l’urbanisme et au logement,
Le renforcement des services techniques déconcentrés
La généralisation des documents de planification urbaine et territoriale
Une meilleure implication dans les instances et dispositifs de gestion foncière et domaniale
La mise à jour, à partir de 2025, du Plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT)
Au plan territorial
La mise en œuvre de la Charte de la déconcentration,
La révision et la mise à jour du Code général des collectivités locales (CGCL),
La réforme des fonds d’appui à la décentralisation, pour une meilleure efficacité,
Une meilleure appropriation du BCI par les collectivités territoriales,
La consolidation de la fonction publique territoriale,
La correction des incohérences territoriales (en priorité la délimitation et le bornage des limites territoriales),
Le retour à la région collectivité territoriale (échelon manquant), en mettant l’accent sur les grands ensembles (pôles, ententes, …),
Le renforcement des Départements par une fiscalité propre
L’adoption d’un statut de l’élu territorial et la réforme du conseil municipal et du bureau du conseil départemental
L’audit du foncier urbain
La généralisation des pôles urbains
Pour un Sénégal fort, juste et prospère … !
Dr. Ousmane Thiam, Agence nationale de l’aménagement du territoire (ANAT) - Responsable du Pôle oriental (Tambacounda et Kédougou).
À petit feu, le monde bascule dans la guerre. Jamais l’humanité n’a été aussi proche d’un précipice meurtrier. Depuis un an, la bande de Gaza subit une brutalité sans gêne et un déluge de feu nourri d’une soldatesque israélienne déchainée.
À petit feu, le monde bascule dans la guerre. Jamais l’humanité n’a été aussi proche d’un précipice meurtrier. Depuis un an, la bande de Gaza subit une brutalité sans gêne et un déluge de feu nourri d’une soldatesque israélienne déchainée.
Sur la même séquence temporelle, le Soudan a cessé d’être une nation pour devenir une prison à ciel ouvert du fait d’un indescriptible chaos provoqué par deux généraux qui se vouent une haine irascible pour la conquête du pouvoir.
Abdel Fattah al-Burhan des Forces armées soudanaises (SAF) et Mohamed Hamdan Dagalo des Forces paramilitaires de soutien rapide (RSF). Pour avoir travaillé ensemble, ils se connaissent. Ce sont deux ennemis intimes. Ce qui complique tout dans ce Soudan chaotique.
La capitale Khartoum, ressemble à une ville fantôme, vidée de sa population qui erre sans fin, infrastructures détruites, pillages de banques, des services, des hôpitaux, des entrepôts, des silos. Ceux qui le peuvent, deux ou huit millions ( !), fuient et se réfugient au Soudan du sud, en Égypte, en Éthiopie, au Tchad soupçonné d’être le point de passage (ou de transit) des armes en grande quantité destinées aux belligérants d’un sanglant conflit qui s’enlise.
Bien évidemment Ndjaména, dément mais ne convainc personne. Ces armes, proviennent d’une Libye désarticulée au lendemain de la mort de Kadhafi. L’hécatombe et l’horreur se combinent.
Le Soudan sert de lieu d’évacuation des matériels militaires achetés à prix d’or par le défunt colonel libyen du temps de sa splendeur ou de sa factice grandeur. Il s’agit proprement d’un trafic orchestré par des hommes de tous acabits reconvertis en marchands de la mort prospères.
Les deux pays, géographiquement distants, se rapprochent grâce à des similitudes de situations avec de part et d’autres une double belligérance qui oppose des officiers supérieurs enivrés par leur puissance de feu et qui ne perçoivent leur bonheur personnel que dans l’accomplissement de leur volonté quitte à massacrer leurs semblables, en un mot leurs compatriotes.
La cruauté des tueries et l’enchaînement des crises alimentaires ont plus ou moins secoué l’indolence d’une communauté internationale frappée d’inaction jusque-là. Mais la voilà secouée. Et promptement, une conférence réunit à Paris les acteurs de l’humanitaire mondial, les financiers de haut vol et des… militaires (cartes à l’appui) pour travailler ensemble à mettre fin à cette guerre sans nom avec une pression insistante sur les protagonistes.
Enjeu : mobiliser dans l’urgence 4 milliards de dollars. Rapidement, préviennent les organisateurs ! Cette surprenante réaction ne gomme pas pour autant l’indifférence du début découlant d’une légère appréciation du contexte et (surtout) d’une négligence coupable des grands dirigeants du monde qui n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts propres.
Or à Paris, le président français, Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz sont à pied d’œuvre pour, disent des observateurs, « un espoir de motivation ». Ils veulent stopper la saignée.
Mieux, la désagrégation du Soudan, selon eux, équivaudrait à une fragilisation accentuée de l’Afrique déjà en proie à une série de crises résiduelle : Sahel, Salafisme à l’ouest, RDC/Rwanda, Centrafrique, des millions de déplacés pour différentes causes de guerre, famine et réchauffement climatique.
Par ce biais, l’Allemagne revient au-devant la scène en jouant les premiers rôles aux côtés d’un Macron qui se voit en « acteur majeur » sur cette même scène internationale.
D’ailleurs, jeudi dernier, il s’est rendu ostensiblement en Dordogne dans le sud-ouest de la France pour y visiter une usine de fabrique de munitions tout en posant la première pierre d’une autre unité de production. Requinqué par l’objet de cette « tournée », M. Macron, la mine réjouie, sans doute épanouie, annonce sans sourciller qu’une économie de guerre « produit de la richesse ».
Le propos n’est pas passé inaperçu. Il sonne plutôt comme un retournement de conjoncture à la faveur de l’éclosion de plusieurs théâtres de conflits armés. En le proclamant, songeait-il à la guerre Russie-Ukraine aux portes de l’Europe ?
Le continent en souffre encore parce que fortement impactée par les conséquences en termes d’approvisionnement en hydrocarbures et en blé et céréales en provenance de Kiev. L’industrie militaire est donc en marche !
Ne nous méprenons pas en revanche si, demain, les priorités d’investissement et de transformations s’inversent pour privilégier la fabrique d’armes sophistiquées. Les pays producteurs sont ceux-là mêmes qui gouvernent le monde via le G7 et, accessoirement le G20. Ils pilotent à leur guise l’économie du monde dont la guerre est une composante essentielle. Surveillons également les indicateurs de liquidités afin d’apprécier leur inclination conjoncturelle.
La récente attaque de l’Iran contre Israël par des missiles balistiques de moyenne portée signe une tournure nouvelle du conflit au Proche et au Moyen Orient. L’Iran révèle ses capacités techniques qui peuvent surprendre tout le monde sauf Israël et les Etats-Unis.
Washington tempère Tel-Aviv pour ne pas riposter instantanément. A tout prix, l’Amérique veut éviter l’embrasement et l’escalade à la fois. Le Premier ministre Netanyahu n’a pas la même lecture de l’affront iranien qu’il veut laver au plus tôt pour ne pas apparaître indolent voire faible aux yeux des Israéliens inquiets pour leur sécurité face à ces « attaques » qui titillent l’armée, le Tsahal. L’attaque a-t-elle été contreproductive ou s’agit-il de la part des Iraniens d’une provocation pour tester le degré de réaction des Israéliens ?
Dans la péninsule se joue un conflit larvé. Suite à la destruction en juin 2019 d’un drone américain, les Etats-Unis avaient déclenché des frappes contre l’Iran qui avait été lourdement sanctionné. Il avait payé un lourd tribut et faisait l’objet d’une surveillance accrue en raison de ses velléités de disposer d’un uranium enrichi pour devenir à terme une puissance nucléaire.
Ce danger bien que réel n’effraie pas Israël. Il ne le méconnait pas non plus. En outre, l’Amérique a averti que les proportions sont à prendre en considération : l’Iran c’est 90 millions d‘habitants, Israël, 10 millions. L’économie iranienne s’appuyant sur ses richesses, s’affranchit de toute dépendance paralysante tandis que Israël bénéficie du parapluie américain qui se déploie en sa faveur en toutes circonstances.
Tel-Aviv détient certes l’arme nucléaire mais redoute que Téhéran l’acquière alors que ses savants y travaillent d’arrache-pied à l’abri de tout regard inquisiteur. Les Etats-Unis agissent sur les deux tableaux pour contenir les intentions des radicaux des deux côtés, bellicistes impénitents qui ne songent qu’à en découdre.
L’autre arme dont se sert l’Iran est le pétrole. Il peut et veut souvent en user pour perturber le commerce de l’or noir. Il est membre influent de l’OPEP au sein de laquelle trône l’autre géant qu’est l’Arabie Saoudite, fidèle alliée des Etats-Unis et farouche adversaire de l’Iran dans la gouvernance du monde musulman. Chiite d’un côté, sunnite de l’autre.
La complexité de la géopolitique ajoute une difficulté supplémentaire à l’enjeu d’une économie de guerre qui se met en place sous nos yeux. Quand des éléphants se battent, l’herbe en souffre plus.
par Nioxor Tine
CONJURER LES PIÈGES CONTRE LA TRANSFORMATION SYSTÉMIQUE
Mettre le bilan immatériel au premier plan, en instaurant une nouvelle gouvernance vertueuse, en assainissant les mœurs politiques, en conquérant toutes nos souverainetés confisquées, reste le plus sûr garant du succès du projet
Le peuple sénégalais n’a pas encore fini d'exulter après la brillante victoire électorale du Pastef, qui aura donné tant de fil à retordre aux faucons de Benno Bokk Yakaar. C’est dire qu’il est du devoir de tous les patriotes et démocrates sincères de notre pays d’accompagner ce mouvement, qui se veut de transformation systémique, tout en gardant un esprit critique.
Passage de témoin dans une ambiance « bon enfant »
Ainsi, il n’a pas échappé, même aux observateurs les plus proches de la nouvelle « mouvance patriotique », l’excès de civilités entre les équipes entrante et sortante, surtout entre le nouveau président, Bassirou Diomaye et l’ancien président, maître-d’œuvre du projet autocratique avorté.
Déjà, l’opinion s’était émue, lors de la conférence de presse tenue au lendemain de leur libération, de ce qui semblait être, sinon une absolution prématurée, tout au moins une indulgence exagérée à l’endroit de l’apprenti-autocrate, contrastant avec un acharnement féroce – quoiqu’amplement mérité – contre le candidat-kleptomane, mal-aimé de Benno Bokk Yakaar.
Il y a eu, ensuite, les discours mielleux lors des passations de pouvoirs entre anciens et nouveaux ministres de la République, qui cadraient mal avec la longue liste de contentieux du régime de Benno Bokk Yakaar avec, d’une part l’opposition sénégalaise, de l’autre avec l’ensemble du peuple sénégalais.
Nous restons convaincus qu’il ne s’agit là que de gestes d’élégance républicaine auxquels, nous ne sommes plus habitués après douze longues années de « barbarie institutionnelle ». Néanmoins, le président nouvellement élu, dont tout le monde salue la politesse exquise doit garder en mémoire ce qu’il est advenu, plus de soixante ans après, de notre prétendue indépendance obtenue à l’issue de négociations très policées d’une petite demi-heure entre le président Senghor et le Général de Gaulle.
Le lourd héritage d’une gouvernance calamiteuse
Contrairement à Me Abdoulaye Wade, après la première alternance de 2000, tout heureux d’avoir hérité d’une importante manne financière du gouvernement socialiste, fruit amer de plus d’une décennie d’un simulacre d’ajustement structurel, responsable d’une paupérisation dramatique des couches populaires, le duo Ousmane-Diomaye, lui, a plutôt eu droit à un endettement colossal. Et encore, s’il ne s’agissait que de ressources financières !
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Pastef dissous et ses fidèles alliés stigmatisés de Yewwi Askan Wi ont pâti d’une déliquescence notoire des institutions de la République, qui aura lourdement handicapé les préparatifs en vue d’une véritable alternative sociopolitique.
Si le monde entier retient surtout le report aussi arbitraire que spectaculaire de l’élection présidentielle le 3 février dernier, le peuple, les démocrates et patriotes de notre pays n’ont pas oublié toutes les autres forfaitures (opacité de la sélection par le parrainage, refus de remettre des fiches de parrainage au mandataire d’Ousmane Sonko, candidats de l’opposition interdits de campagne, procès irréguliers, arrestations arbitraires…).
Tant et si bien que, si notre réputation de vitrine démocratique en Afrique a été préservée et les apparences finalement sauves, notamment concernant le nombre et la durée des mandats présidentiels, ainsi que la victoire électorale attendue du Pastef, beaucoup d’entorses aux normes démocratiques ont été constatées. A titre d’exemple, l’incarcération de la quasi-totalité du staff dirigeant du Pastef a pu impacter négativement sur la cohésion organisationnelle et surtout programmatique de la Coalition Yewwi Askan Wi.
Par ailleurs, en réussissant la prouesse de terrasser, dès le premier tour, le mastodonte que constitue le Parti-Etat apériste, héritier de ses homologues socialiste et libéral, les jeunes cadres politiques du Pastef se sont, de fait, affranchi de toute pression venant de leurs alliés politiques, une situation pleine d’opportunités mais aussi de risques.
Quelle démarche pour écarter les dangers pesant sur la transformation systémique ?
Malgré sa victoire électorale éclatante, le Pastef créé par des cadres de la haute administration, a le devoir impérieux, d’élargir et de consolider sa base sociale focalisée dans les couches moyennes et les grandes agglomérations urbaines, en vue de convertir le vote protestataire en vote d’adhésion au fameux projet patriotique, souverainiste et anti-impérialiste, lors des prochaines législatives.
Il faudra aussi transformer les préjugés favorables dont ce parti et le président Diomaye (lui-même très attaché à sa ville natale, Ndiaganiao) bénéficient dans le monde rural en de solides positions politiques. Il s’agira ensuite de s’ouvrir davantage au monde du travail, notamment aux syndicats et à leurs centrales, sans oublier certains partis de gauche traditionnellement liés à certains secteurs de la classe ouvrière, même ceux d’entre eux qui étaient hostiles au camp patriotique ravalé au rang d’agrégat de sectes populistes.
Pour écarter les menaces, qui pointent à l’horizon, la cooptation dans l’Exécutif, de personnalités neutres, ayant fait la preuve de leur indépendance d’esprit et de leur courage est une excellente chose. Dans le même ordre d’idées, le pays a grandement besoin d’experts, dont les compétences ne font l’objet d’aucun doute, car ayant été concrètement matérialisées et mises en œuvre.
Mais évidemment, les critères de choix les plus déterminants devraient être l’option résolue pour le renforcement de la souveraineté nationale et une véritable transformation sociale de notre pays vers plus de justice sociale, d’équité et de liberté.
On observe déjà quelques embûches dressées sur le chemin des nouvelles autorités allant des décrets de dernière minute sur la nomination de magistrats véreux, les passeports diplomatiques au profit de politiciens affairistes, venant après la fragilisation budgétaire conjuguée au contexte inflationniste.
Il y a aussi cette maladresse avérée et regrettable sur la représentation féminine dans le gouvernement, qui commence à prendre une ampleur disproportionnée, rappelant les éternelles tentatives déjà utilisées par les précédents régimes libéraux, d’instrumentaliser la cause féminine à des fins politiciennes, surtout électoralistes d’ailleurs.
La question est de savoir, si le nouveau régime sera capable de contourner tous ces pièges, pour mener à bien sa tâche de « transformation systémique ».
Dans son allocution du 3 avril, le président Bassirou Diomaye Faye, bien que signataire du pacte national de bonne gouvernance initié par des organisations de la société civile, dont le Sursaut citoyen, a omis de mentionner les Assises nationales, mais a plutôt préconisé des concertations isolées sur le processus électoral et le système judiciaire et d’autres mesures de lutte contre la corruption, la fraude fiscale et de protection des prête-noms repentis et autres lanceurs d’alerte…
Tout en saluant ces mesures courageuses, de rupture par rapport à la gabegie des précédents régimes, nous n’en pensons pas moins, qu’il ne sert à rien de réinventer la roue, avec des mesures disparates, qu’il faudrait plutôt fédérer dans un cadre harmonisé. C’est ce qui nous fait militer pour une approche holistique, telle qu’elle ressort des travaux des Assises nationales et du projet de constitution de la C.N.R.I, qui, à notre humble avis, devrait, après réactualisation, être soumis à référendum, avant la fin de l’année.
Mettre le bilan immatériel au premier plan, en instaurant une nouvelle gouvernance vertueuse, en assainissant les mœurs politiques, en conquérant toutes nos souverainetés confisquées, reste le plus sûr garant du succès du projet qui sera suivi de plusieurs autres victoires du camp du patriotisme et du progrès social.
Par Hamidou ANNE
PAUSE DEMOCRATIQUE MALIENNE
Au Mali, la junte vient de suspendre tout simplement la démocratie résiduelle qui survivait après les putschs du Colonel Assimi Goïta.
Au Mali, la junte vient de suspendre tout simplement la démocratie résiduelle qui survivait après les putschs du Colonel Assimi Goïta. Par un décret du 10 avril 2024, le président de la Transition malienne suspend jusqu’à nouvel ordre les activités des partis politiques et celles à caractère politique des associations du pays. Les autorités maliennes justifient cette mesure inédite par une volonté de «recoudre le tissu social» et de «renforcer la cohésion nationale». Poursuivant dans la même logique, la Haute autorité de la communication du pays a ordonné aux médias de suspendre toute diffusion d’actualités relevant de la politique.
C’est une nouvelle dérive de la junte malienne qui ne cesse de plonger le pays dans l’inacceptable avec des abus quasi quotidiens. Après les putschs, les arrestations arbitraires et les menaces et intimidations désormais récurrentes dans le pays, il s’agit d’un nouveau coup porté à la liberté dans le pays. Le régime de la Transition devait prendre fin le 26 mars dernier après quatre ans de… transition. Mais sans surprise, la junte refuse de rendre le pouvoir aux civils. Le Président et son gouvernement retardent un retour à l’ordre constitutionnel, qui devrait s’effectuer à travers l’organisation d’une élection libre, transparente et démocratique. Au contraire, nous assistons à une volonté de la junte malienne de prolonger son bail, violant ainsi ses engagements précédents et poursuivant la logique de la prise illégitime du pouvoir en 2020 puis en 2021.
Cette attitude est peu surprenante au regard du passif des militaires au pouvoir. Elle rend davantage stupides les communiqués et prises de parole au Mali et dans toute Afrique de l’Ouest saluant la chute du défunt Ibrahim Boubacar Keïta par des moyens antidémocratiques. Le régime militaire n’est jamais une solution car souvent en cours de route les illusions disparaissent et le pouvoir tient grâce à l’intimidation, à la violence et à l’étouffement de toutes les voix discordantes.
Le Colonel Goïta et ses adjoints ont pris le pouvoir dans une période particulière, où le phénomène dit «sentiment anti-français» prenait de l’ampleur poussant les opinions publiques, notamment la jeunesse, à exiger de rompre les ultimes liens avec l’ancienne puissance coloniale sur fond d’accusations parfois fantaisistes et de promesses farfelues. Il y a beaucoup à dire sur les ressorts du dudit «sentiment anti-français» ; entre revendications légitimes, réponses limitées, mensonges distillés grâce notamment aux réseaux sociaux et manipulations de masse sur fond de guerre idéologique et de positionnements géopolitiques entre grandes puissances.
Mais l’un dans l’autre, ce sont les Maliens, les Burkinabè, les Nigériens qui trinquent au motif d’un anti-impérialisme de pacotille et de slogans d’estrade, qui peuvent fouetter l’ego de certains mais ne changent fondamentalement la vie des citoyens.
Les soldats français sont partis. Les «instructeurs» de la nouvelle puissance amie sont présents. La rengaine nationaliste est quotidienne dans les médias publics et sur internet. Mais la réalité concrète est éloquente et visible de tout le monde. Malgré les bravades incessantes, les conditions de vie des Maliens ne se sont pas améliorées, si elles n’ont pas empiré. Leurs libertés sont confisquées par des autorités politiques qui sont aussi des hommes armés régnant par la terreur. L’ennemi du populisme est le réel. C’est dans l’exercice du pouvoir que les galéjades et les promesses intenables sont mis à nu. Les envolées martiales et guerrières contre l’anti-impérialisme ne dureront pas éternellement. Elles masquent un temps l’incurie des régimes populistes et leur incapacité à apporter des solutions aux préoccupations des gens. Mais dans le temps, leur résultat positif est maigre…
Il est heureux de voir les démocrates maliens s’organiser. Ils font preuve d’un courage remarquable et d’une grande maturité politique. Des partis politiques et associations de la Société civile ont signé la Déclaration du 31 mars pour fustiger les atteintes graves aux libertés dans le pays et promettent de faire face. Ils ne peuvent qu’avoir notre soutien, car face à ces décisions scandaleuses, il n’y a pas d’autre issue que la lutte sans relâche. Le Mali peut recouvrer sa place de nation démocratique arrachée de haute lutte, après des décennies d’effort et d’engagement.
Par Aubin Félix AMANI
LEÇONS D’UNE COMBATIVITE DEMOCRATIQUE GAGNANTE
Analyse du contexte de l'élection de Diomaye Faye avec des suggestions au gouvernement sénégalais
Le 3 avril dernier, la classe politique sénégalaise et sous régionale était réunie autour de Bassirou Diomaye Faye, tout nouveau président élu de la république du Sénégal pour son investiture. 5ème depuis la création de l’Etat sénégalais, il est le plus jeune président de toute l’histoire politique du pays. Comme quoi, on peut être sous les tropiques des pays sub-sahariens et avoir des jeunes présidents élus démocratiquement pour présider aux destinées de leur peuple. Comment en dépit de toutes les tracasseries politico-judiciaires, Faye a-t-il réussi à faire ce qui est considéré comme un grand exploit vu comment les choses se passent dans les pays africains en termes de démocratie ?
Contexte historique endogène
Le 1er aspect est (il est important de le rappeler), que le Sénégal est le seul pays en Afrique de l’Ouest, à n’avoir connu ni de coups d’état militaire, ni de guerre civile de toute son histoire politique. Ce qui fait que malgré tous les soubresauts politiques possibles, la stabilité institutionnelle est la caractéristique essentielle de ce pays frère. De Senghor à Faye en passant par Diouf, Wade et Sall, il eut des successions démocratiques qui permirent au pays de renforcer son encrage en termes de stabilité politique.
Le 2ème aspect de la société sénégalaise est son homogénéité ethnico-religieuse. Le wolof est parlé à plus de 80% par la population (il est aujourd’hui la 2ème langue nationale officielle) après la langue française, et l’Islam orthodoxe et tolérant est pratiqué à plus de 95%. Ces deux éléments conjugués ensemble, font qu’il existe la véritable conscience d’une identité nationale et une réelle conscience d’appartenance très pointue à une nation. Ce qui fait que le jeu politique est au-dessus des considérations des clivages ethniques et religieux : La nation d’abord.
Le 3ème aspect enfin, est la solidité du système éducatif du pays. Déjà durant la période coloniale, Dakar était la plate-forme de l’élite ouest-africaine. Ce n’est donc pas une surprise que l’université Cheick Anta Diop de Dakar fasse partie des meilleures d’Afrique. La stabilité politique et culturelle aboutit bien évidemment à un système éducatif stable et performant. Quand le système éducatif d’un pays est stable par la volonté politique, les exemples à suivre pour la jeunesse ne sont pas les influenceurs des réseaux sociaux, tiktokeurs ou rigolos de la république sans oublier l’arnaque à ciel ouvert etc.
Ces trois facteurs mis ensemble créent des conditions de lutte démocratique plus ou moins à la loyale.
La lutte démocratique du PASTEF
C’est dans ce contexte stable, vues les nombreuses insuffisances et tares de la société sénégalaise que des jeunes syndicalistes, cadres fiscalistes décident de monter au créneau et faire front. Ils s’engagent dans une lutte démocratique non sans prendre des risques énormes y compris la perte de leur boulot et de leur liberté. Ousmane Sonko, le leader de ce nouveau mouvement va très vite acquérir l’adhésion populaire, surtout de la jeunesse afin de faire bouger les lignes. Par leur mobilisation, ils vont réussir à obtenir des acquis démocratiques avec l’obtention de sièges au parlement, des communes, mais aussi et surtout faire barrage à la volonté du locataire du palais du Plateau de Dakar de faire un 3ème mandat.
Ce ne fût pas facile. Car mener une bataille politique entre la perte de son travail et de sa liberté y compris son intégrité physique, n’est pas chose aisée. Leur ténacité, cohérence et résilience finiront par payer et l’ancien régime jettera l’éponge de son projet d’un 3ème mandat. Pour anecdote, je disais à un collègue très proche du dossier sénégalais que l’annonce officielle de Macky Sall de ne pas faire un 3ème mandat mettrait Sonko en difficulté parce que connaissant un peu la psychologie des hommes politiques africains, leur stratégie idéale est : « Pas moi, toi non plus ! ». J’avais donc suggéré qu’il serait donc judicieux pour Sonko de trouver une autre alternative crédible pour parer à toute éventualité et éviter toute mauvaise surprise. Deux solutions se présentaient à lui : soit mettre la pression populaire pour faire céder Macky Sall pour une transition politique avant la fin de son mandat, soit trouver un autre cheval gagnant en cas de difficulté ou même de disqualification. A peine annoncé que les déboires judiciaires de Sonko ont commencé. Invalidant ainsi, sa candidature à la présidence de la république sénégalaise. C’est alors qu’il sort alors son joker gagnant, compagnon de lutte et de prison, loyal, pour affronter le candidat du régime. Il passe haut les mains dès le 1er tour avec plus de 50% des voix. L’exploit de cette équipe à la stratégie gagnante nous pousse à nous demander ce qu’est la politique. D’où la nécessité d’un bref rappel.
La politique démocratique au cœur de République
La politique démocratique et républicaine, désigne un domaine spécifique et fondamental : celui de la prise en charge commune, par la pluralité des citoyens sur un pied d’égalité – dans la délibération, l’action et la décision --, des affaires communes. Pour mieux expliciter la politique démocratique, nous partirons de deux tendances mises en confrontation. D’abord selon Julien Freund : « Le but spécifique du politique se détermine en fonction du sens d’une collectivité, c’est-à-dire il consiste dans la volonté d’une unité politique de conserver son intégrité et son indépendance dans la concorde intérieure et la sécurité extérieure ». Cette vision conservatrice permet de compter trois dimensions de la politique : ainsi, la finalité spécifique de de la politique est la recherche du « bien commun », ou de l’« intérêt commun » selon les mots Jean Jacques Rousseau, ou le « bien du pays » selon Alexis Tocqueville ; en outre, la sécurité intérieur dans le lien conflictuel avec les autres entités extérieures, pour parvenir à la paix ; enfin, la concorde intérieure et la prospérité.
Quant à Hannah Arendt, la politique ne se réduit pas uniquement à l’existence et au fonctionnement d’une communauté jugée indispensable pour satisfaire des besoins que chacun ne peut satisfaire tout seul. En partant de la définition aristotélicienne de « politique », elle met en lumière sa conception contemporaine du concept. Car si le terme « politique » a émergé avec la cité antique, et notamment avec la cité athénienne au 5ème siècle – c’est-à-dire avec l’émergence de la démocratie –, c’est pour signifier tout autre chose, qu’Aristote aurait bien saisi ensuite dans sa Politique. Dans ce sens spécifique plus libéral, la cité est liée à la liberté, c’est-à-dire à l’absence de domination : « dans cette acception grecque, le politique est donc centré sur la liberté, la liberté étant entendue négativement comme le fait de ne pas être dominé et de ne pas dominer, et positivement comme un espace que seul le grand nombre peut construire et où chacun se meut parmi ses égaux »
Ainsi donc, là où Freund lie profondément la politique aux questions de commandement et à la constitution d’une identité communautaire durable et de facto inséparable de l’Etat, Arendt fait référence tacitement à une politique démocratique qui doit advenir par-delà des formes de commandement et par-delà aussi les catégories de étatiques. Ces deux lectures nous mettent sur la piste selon laquelle la politique relève de la prise en charge des affaires communes et publiques, et ce sens diffère radicalement de la gestion des affaires privées et particulières. De même, il peut y avoir tension, contradiction et antagonisme – mais aussi complémentarité – entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public. En somme, dans les deux définitions de la politique est engagée une vision du « bien commun » ou de l’« intérêt général ».Quelles leçons tirer donc de la victoire éclatante du PASTEF ?
Les leçons de cette victoire 0du PASTEF
La 1ère leçon à retenir est que la victoire politique voire démocratique ne s’improvise pas. Il s’agit d’un travail constant, laborieux, en équipe. Ousmane et ses amis ont bataillé pendant plus de 10 ans à occuper le terrain politique en expliquant la différence entre leur vision et celle du régime de Macky Sall contre vents et marrées. Ils ont fait un véritable corps à corps avec l’électorat.
La 2ème leçon est que le messianisme politique n’a plus droit de cité sous nos tropiques. La posture de se présenter comme l’unique capable de battre un adversaire ou même de gagner une bataille politique est révolue. Ousmane n’a pas hésité à se mettre de côté pour soutenir son compagnon Faye pour en faire le cheval gagnant dans un tandem sûr et solide, qui du moins est né et a vécu tout le temps à l’intérieur du Sénégal. Car ils connaissent les réalités de leurs concitoyens.
La 3ème leçon est qu’aucune victoire politique n’est possible sans conviction réelle et infaillible. La stratégie politique qui consiste à se cacher derrière des rumeurs pour avancer en eaux troubles ne peux plus prospérer en Afrique. Il faut certes, des moyens pour faire la politique, mais il n’y a pas que ça. C’est la valeur intrinsèque et convaincante avec un discours cohérent et réaliste qui amène les gens à suivre.
Conclusion et Suggestions à la nouvelle équipe du Sénégal
La brillante victoire du PASTEF est due au combat politique avec des conditions endogènes plus ou moins d’homogénéité et de stabilité. Elle pourrait ouvrir une nouvelle ère démocratique en Afrique. En revanche, vu le chemin parcouru pour réussir leur mission, il faut :
Que le principe de loyauté et de cohérence entre eux (surtout le tandem Sonko-Faye) soit maintenu afin de rendre ce tandem gagnant plus fort et sûr.
Qu’ils n’oublient pas ce pourquoi ils se sont battus durant toutes ces années, et restent fidèles aux idéaux et valeurs dans lesquels ils ont cru qui leur a valu toutes ces souffrances
Qu’ils n’oublient pas leur histoire, encore moins le peuple qui les a soutenus au prix des vies humaines tombées sur le champ d’honneur
Que justice soit rendue à toutes les victimes de la lutte démocratique au Sénégal de ces dernières années.