VIDEOPOUVOIR ET RELIGIONS : DES LIAISONS DANGEREUSES?
En Iran, au Vatican, en Mauritanie ou encore en Afganistan qui sont des théocraties, ça ne créerait aucune espèce de débat puisque c'est dans l'ordre des choses, mais dans une république multifonfesionnelle se dit laique, pose des interrogations
Après sa prise de fonction, le président Diomaye Faye a fait le tour des foyers religieux pour rencontrer les responsables. Visites de remerciements, mais aussi dans une certaine mesure de prise de contact puisque pendant son magistère, il aura parfois besoin du concours de ces acteurs pour garantir la paix sociale. Toutefois, une trop grande proximité entre ces acteurs pose question et invite à la réflexion. Le Pr Penda Mbow souhaite que le chef de l’État sache gérer la relation avec tact même si elle admet qu’au Sénégal la frontière entre temporel et spirituel est ténue.
Le Sénégal est un pays profondément de croyants où les différentes confessions religieuses se côtoient dans le respect mutuel et en toute harmonie. Cette cohabitation pacifique et harmonieuse est tout à l'honneur du pays et antérieure à la fondation de la République du Sénégal.
En revanche, vu le caractère laïc de l’État, ainsi que préconisé par la Constitution sénégalaise, les affaires politiques et les affaires religieuses ne devraient pas trop s’imbriquer, même s’il est quelques fois précieux, voire impérieux que le chef de l'État et les chefs religieux discutent pour résoudre les problèmes politiques et sociaux du pays.
Tout de même, le pouvoir politique se doit de garder une certaine équidistance vis-à-vis des différentes confessions religieuses du pays puisque le Sénégal est un État laïc et multiconfessionnel. Dans des théocraties comme l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, l’Iran ou encore la Cité du Vatican - où le chef de l’État en personne est avant tout un religieux -, ce ne serait que normal.
Mais dans un État comme le Sénégal cette équidistance garantira au mieux l’harmonie. C’est en cela que la récente déclaration d’un membre du parti au pouvoir demandant de manière expresse l’érection d’une grande mosquée au cœur du Palais de la république n’a pas manqué de susciter la stupéfaction de certains citoyens.
L’historienne Penda Mbow, ancienne conseillère du Patrimoine nationale, spécialiste du Moyen-âge musulman et occidental et ancienne ministre de la Culture sous le magistère du président Abdoulaye Wade, ne veut pas que l’on fasse ce mélange de genres. Ce serait ouvrir une boite de Pandore que de donner une suite favorable de telle déclaration.
Non seulement il n’y a pas d’espace pour construire de lieu de culte au Palais, mais si on décide d’y ériger une mosquée, au nom de l’égalité des citoyens, accepterait-on d’accueillir une chapelle, une synagogue, des autels de nos croyances endogènes qui sont d’ailleurs les plus accommodants en termes d’occupation d’espace, et même de discrétion ? La suite, serait-elle gérable ?
Pour le Pr Penda Mbow, la requête de ce membre du Pastef relève de la méconnaissance du fonctionnement de la République. La présidence de la République est un patrimoine national. On ne peut en faire ce qu’on veut du Palais ou au palais parce qu’on est président de la République. Non. En d’autres termes, pour grand que soit le chef, il est ce que nous sommes : un citoyen, tenu au respect du patrimoine national qui n’est pas une propriété privée de certains citoyens. Penda Mbow évoque le cas des meubles du Palais par exemple qu’on ne peut changer selon ses goûts parce qu’ils portent le poids de l’histoire et de la mémoire du pays.
Si les visites de remerciements du président aux chefs religieux constituent peu ou prou une prise de contact avec ses acteurs vu de leur rôle dans la préservation de la paix sociale quand le pays a mal, le président devrait se garder d’aller trop loin. Passé, ces tournées, le chef de l’État devrait s’organiser pour ne pas tout le temps apparaître en personne dans presque toutes les manifestations religieuses du pays.