LAMBAYE ENTRE OMBRES ET LUMIÈRES
Ancienne capitale du Baol, la communauté rurale de Lambaye est riche de son patrimoine matériel et immatériel. Elle dispose d’énormes potentialités, mais elle est dépourvue de route bitumée
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Ancienne capitale du Baol, la communauté rurale de Lambaye est riche de son patrimoine matériel et immatériel. Elle dispose d’énormes potentialités, mais elle est dépourvue de route bitumée. Le village, ancien fief des Teignes, s’ouvre à la modernité tout en étant attaché à son passé glorieux.
Un des villages les plus célèbres du pays, Lambaye cherche à s’inscrire dans un cycle de renouveau. Cet arrondissement situé au centre du pays semble être dépouillé des stigmates de son passé de « ceedo » ou de royaume dirigé par des Teignes. L’ancienne capitale du royaume du Baol, passe aujourd’hui pour une terre de foi. Elle garde jalousement les traces de ceux qui sont considérés comme des piliers solides du mouridisme. Leurs noms reviennent toujours dans les discussions, leurs louanges chantés. L’ombre de ces « hommes de Dieu » plane dans ce village teinté d’une forte dose de spiritualité. Il s’agit, entre autres, de Cheikh Babacar Ndiaye, de Serigne Alioune Diouf et de Serigne Mor Mané Mbaye, trois fidèles compagnons du fondateur de la confrérie mouride, Cheikh Ahmadou Bamba. Ils ont su mettre en avant le sens de l’honneur et du devoir pour s’émanciper de l’influence des rois de l’époque, dont la plupart ont été des animistes. Cette partie de la région de Diourbel a beaucoup œuvré pour la propagation du mouridisme. « On peut dire, avec force conviction, que la voie du mouridisme tire sa source de Lambaye », martèle Serigne Saliou Diouf. Son guide, Serigne Alioune Diouf, appelé Borom Lambaye, y a joué un rôle déterminant. Son nom s’associe à l’histoire du Baol.
Rencontré le jour de la célébration de la naissance du Prophète Muhammad (Psl) ou Gamou chez le khalife de Serigne Alioune Diouf, notre interlocuteur feuillette, avec passion, les pages de l’histoire de ce dernier qui continue à jouir d’une solide réputation. Au départ, il s’appelait Serigne Aly Diouf, mais il a été rebaptisé Serigne Alioune Diouf par le guide spirituel du mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba. Sa maison est le point de convergence de plusieurs disciples mourides en ce jour de Gamou avec la bénédiction du Khalife Serigne Thierno Faly Diouf, qui a bien voulu nous ouvrir ses portes. Après un accueil chaleureux, il nous oriente vers Serigne Saliou Diouf pour nous fournir les informations nécessaires.
Notre interlocuteur est entouré de ses condisciples qui opinent de la tête chaque fois que des anecdotes sont racontées. Tous cherchent à livrer un témoignage sur Borom Lambaye.
Les orientations religieuses de Serigne Alioune Diouf, Borom Lambaye, ont impacté, à grande échelle, la vie des ressortissants de cette localité. Elles ont aussi permis de lutter contre toutes les poches de résistance de l’animisme. L’islam y est bien implanté. Serigne Alioune Diouf est le fils de Sokhna Coumba Nar Ndiaye, appartenant à une lignée aristocratique et de Birama Dior Diouf, qui fut un Jaaraf et un ceedo très tôt converti à l’islam suite à sa rencontre avec Serigne Malick Kaye. « Ils ont fait connaissance lors d’une bataille qui a eu lieu à Samé. Elle était conduite par son père, Birama Dior qui portait le titre de Fara Lambaye. Il a régné pendant plus d’une trentaine d’années. Birima Dior a vu en rêve un marabout qui lui a intimé l’ordre d’emprunter la voie islamique et de le retrouver à khandague. Il a quitté Dengue, où il habitait, pour le rejoindre avec son fils Serigne Aly Diouf qui n’avait que 7 ans. Quand il est décédé, il a été décidé de ne pas l’enterrer dans une localité ensanglantée par les ceedos. Il a été le premier à être enterré à Diacko, mais son fils Serigne Alioune Diouf a tenu à revenir à Lambaye pour faire rayonner l’islam. C’était un « tanef », un homme de Dieu, on peut considérer qu’il fait partie de ses élus », raconte Serigne Saliou Diouf.
Après un cheminement spirituel auprès du fondateur du mouridisme, Serigne Alioune Diouf a consacré sa vie à l’islam. « À l’image de ses deux autres compagnons, il a défié l’autorité des Teignes et montré sa détermination à sacrifier sa vie pour le triomphe de ses idéaux et des principes islamiques. C’était un homme de refus et d’honneur qui marque l’histoire de Lambaye », témoigne à son tour le chef de village de Lambaye escale, Ibrahima Sarr.
Décédé en 1951, il a été enterré à Touba. Lambaye, empire des Teignes, lui décerne une fière chandelle. Ses descendants, dont ses premiers fils Serigne Modou Cheikh Diouf et Serigne Modou Diouf, encadrés par Mame Thierno Ibrahima Faty Mbacké, Borom Darou Mousty, se sont évertués à préserver son héritage et contribuer à l’implantation du mouridisme à Lambaye. Aujourd’hui, son khalife maintient le flambeau.
Lambaye à l’heure de la modernité
Lambaye tient aussi à s’inscrire dans une dynamique de modernisation. Ses fils ont pris l’option d’apporter leur contribution pour donner un nouveau souffle à la localité. Déjà à l’entrée, plus précisément à Lambaye escale, des infrastructures socioéducatives y sont construites avec un style architectural frisant la modernité. C’est le cas d’un bâtiment flambant neuf érigé par un ressortissant de la localité établi aux États-Unis.
Il sert de centre polyvalent qui offre aux jeunes du village la possibilité de se former aux différents métiers, nous explique le chef du village de Lambaye escale, Ibrahima Sarr. Il raconte que de petits changements sont en train de s’opérer dans cet espace chargé d’histoires. La place de l’indépendance, baptisée Alioune Meissa Tanor Fall, et inaugurée le 12 juin 2021, par le maire Cheikh Ndiaye, dégage des airs de modernité. Ce lieu est aussi porteur d’une partie de l’histoire de Lambaye. Le « Kad palukay » y est implanté. Un tableau avec deux photos des deux illustres chefs de canton est accroché. Il s’agit d’Alioune Meissa Fall et son frère Tanor Momar Fall, les deux derniers chefs de cantons. Un mur peint aux couleurs du drapeau national est érigé autour d’un mythique baobab qui trône au milieu.
D’autres chefs de canton sont aussi immortalisés. Leurs noms figurent sur le panneau installé par le maire sortant Cheikh Anta Ndiaye. Il permet de retracer l’histoire de cette localité à l’époque où elle était la capitale du Baol. Parmi les chefs de canton qui ont pris le relais des teignes, figurent Cheikh Yacine Diama Fall 1923-1928, Ndongo Malicoumba Fall 1928-1933, Lamame Dieng 1938-1947, Alioune Meissa Fall 1949-1959 et Tanor Momar Fall.
Lambaye se souvient également de ses chefs d’arrondissement. Il a inscrit dans les tablettes de l’histoire le nom de Bounama Sall qui a occupé ce poste de 1923-1928, suivi d’Ibra Fall 1928-1933, puis d’Aissa Diaga Ndiaye de 1938-1947, Sakhéwer diop 1949-1959, enfin de Mamadou Saliou Fall de 1959-1960. Il en est de même pour ses sous-préfets allant du premier à exercer cette mission, Mamadou Bousso de 1976 à 1979 à Cheikh Anta Dieng depuis 2020.
Un passé glorieux
Lambaye peut aussi s’enorgueillir, selon les témoignages, du courage de ses fils, qui ont toujours réclamé une certaine autonomie. Son histoire a pris une nouvelle tournure après l’accession du Sénégal à l’indépendance en 1960. Elle a connu une évolution administrative, mais ses fils gardent aussi en mémoire le passé des Lamanes. Le mot, qui vient du mot sérère Lam, désigne les propriétaires terriens. « L’histoire retient l’époque des Lamanes, riches terriens qui n’hésitaient pas à affronter les rois qui faisaient preuve d’un abus de pouvoir. Parmi eux, figurent Lamane Dieng qui a su se battre pour préserver ses biens et œuvrer pour l’intérêt des populations », raconte M Sarr. Il a souligné que son père à lui, venu de Mekhé Lambaye, a marché sur ces traces. « Avec la collaboration de valeureux hommes comme Gorgui Bassirou Ndiaye, Gorgui Samba Awa Badiane, Modou Thiam, ils se sont battus pour créer Lambaye escale. En tant qu’opérateurs, ils tiraient leur richesse du commerce, de l’élevage et de l’agriculture. Ils ont pu obtenir gain de cause en fédérant leurs actions. Ils ont aussi bénéficié du soutien d’un proche du premier président de la République du Léopold Sédar Senghor. Grâce à lui, ils ont pu procéder à une délimitation territoriale et contribuer au développement de la localité », explique-t-il.
Lambaye compte aujourd’hui plus de 2000 habitants avec deux chefs de villages, l’un de Lambaye Pé et l’autre de Lambaye Escale, mais souffre d’une absence de routes bitumées. « C’est notre principale doléance. Nous souhaitons que les autorités se soucient davantage du devenir de notre localité. La route est sablonneuse et notre localité difficile d’accès. Nous vous exhortons à porter le plaidoyer pour qu’on puisse avoir une route digne de ce nom », indique M Sarr. Il estime que l’ancienne Capitale du Baol mérite un meilleur traitement en ce sens qu’elle garde un riche patrimoine matériel et immatériel du Sénégal.