POUR UNE MEILLEURE PRISE EN CHARGE DE L'ENFANT EN SITUATION DE HANDICAP
Des spécialistes réfléchissent sur un projet d'intégration de l'enfant handicapé à l'école classique
Le colloque international francophone, qui a réuni pendant trois jours à Dakar des spécialistes de l’enfant venus d’horizons divers, a consacré un panel à l’intégration des enfants en difficultés à l’école classique. Ce, dans le but de leur faciliter l’accès au monde du travail. Pour la réussite d’un tel projet, neurologues, pédiatres, psychiatres... demandent à l’Etat de former d’abord les enseignants. Et aux parents, d’emmener ces enfants en consultation pour un diagnostic avant de les inclure à l’école classique pour éviter la stigmatisation.
Quelles stratégies et quel type de projet à mettre en place pour la prise en charge des enfants en situation de handicap notamment leur accueil à l’école classique? Quelles pourraient être les stratégies de collaboration entre les ministères de la Santé et de l’Education pour un meilleur accompagnement de ces enfants différents de leurs autres camarades ? Telles sont, entre autres, les questions sur lesquelles des spécialistes nationaux et internationaux ont discuté en plénière lors du colloque international francophone de psychiatrie infanto-juvénile tenu à Dakar pour la mise en place d’une plateforme d’avenir à proposer aux autorités étatiques dans le but d’harmoniser des actions autour de ces enfants certes différents, mais avec des potentialités, des ressources, des spécificités et des besoins qui leur sont propres.
Pour y arriver, psychiatres, neurologues, neuro-pédiatres ... ont réfléchi sur le sujet et échangé sur les obstacles. Des réflexions et échanges à l’issue desquels ils ont surtout donné des propositions qui pourraient aider à réussir un tel projet d’inclusion de l’enfant différent dans les écoles classiques. La position du pédopsychiatre à l’hôpital des enfants de Diamniadio et chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital de psychiatrie de Thiaroye est radicale.
Pour Dr Ndèye Awa Dièye, avant d’inclure ces types d’enfants à l’école, il faut d’abord savoir de quoi ils souffrent. C’est pourquoi, elle encourage les parents et les écoles à envoyer ou emmener les enfants se faire consulter. Car, dit-elle, «il arrive qu’un enfant vive avec un handicap pendant 10 ans alors qu’il pourrait pourtant être pris en charge à l’hôpital pour une amélioration de sa situation de handicap». Encore que le diagnostic doive se faire en fonction de sa pathologie avant d’élaborer un projet autour de lui parce que, indique encore Dr Dièye, les handicaps sont différents, tout comme leur prise en charge. «Le handicap visuel étant donc différent du handicap mental, Dr Dièye considère que si on met un handicapé visuel, un sourd muet et un autiste dans une même classe en pensant qu’on fait de l’inclusion, «on ne fait pas de l’inclusion, en réalité, mais de la stigmatisation» par rapport à ces enfants.
Fort de ce constant et pour pouvoir repenser la problématique de l’intégration des enfants ayant des difficultés comme la déficience intellectuelle, les troubles de l’apprentissage... dans le système scolaire classique, un projet d’accompagnement, de prise en charge et d’inclusion des enfants en difficultés est en cours d’élaboration. D’ailleurs, le colloque international francophone de spécialistes de l’enfant, qui vient de se tenir à Dakar, a permis de discuter sur la problématique de l’intégration des enfants en difficultés. Ce qui a été le premier pas de ce projet d’accueil universel de tous les enfants (normaux comme anormaux) à l’école classique. Le neurologue, psychiatre spécialisé en neuropsychologie à l’hôpital d’enfants Albert Royer de Dakar, Pr El Hadj Makhtar Bâ, mise sur l’approche multisectorielle incluant tous les acteurs concernés à tous les niveaux. «La solution doit se coconstruire dans le stand de l’approche multidisciplinaire notamment les ministères en charge de l’Education et la Santé. Il faudra déjà que les acteurs, qui établissent les lois, puissent interpeler les autres acteurs concernés.
Au Sénégal, avec la loi d’orientation, il y a des choses qui ont été mises en place. Mais aujourd’hui, on sait qu’il manque un décret d’application. Il reste beaucoup à faire dans ce sens surtout par rapport au renforcement des spécialistes, parce qu’il y a un déficit terrible en spécialistes. Actuellement, il faut que les ministères de la Santé et de l’Education travaillent ensemble pour renforcer les capacités des enseignants, lesquels, dans les écoles ordinaires, vont recevoir ces enfants différents».
Par rapport à cette formation, explique le Pr El Hadj Makhtar Ba, «si on met un enfant qui, par moments, va faire des crises ou des attitudes particulières, si vous n’avez pas été formé, comment vous allez réagir s’il n’y a aucune formation qui accompagne le projet d’inclusion ?», s’est-il interrogé tout en soulignant que l’enfant différent est un enfant «normal», mais avec ses spécificités et besoins à lui. Un enfant qui fonctionne différemment par rapport aux autres enfants dans le sens commun, et qui a ses compétences et ses ressources mais qui, comme tout enfant, a aussi droit à l’éducation et à pouvoir bénéficier d’une scolarité qui va lui permettre d’accéder au monde professionnel.
En cela, il est important, selon le neuropsychologue à l’hôpital d’enfants Albert Royer de Fann, qu’il n’y ait pas une séparation entre les gamins « normaux » et leurs camarades « anormaux ». Seulement voilà, l’école ordinaire peut avoir ses limites. Dans ce cas de figure, qu’est-ce qu’il faudrait donc faire ? «Il faut aller dans la réflexion de classes spécialisées à l’intérieur de ces écoles ordinaires. Parce que cela donne l’avantage que, au moins durant la récréation, l’enfant aura à côté de lui d’autres modèles d’enfants comme lui. Cela va le stimuler davantage. Aussi, si on considère que le Sénégal est en voie de développement — comme on aime bien le dire alors qu’on a des ressources limitées et qu’on n’a même pas assez d’écoles ordinaires —, si on va dans le sens de vouloir créer des écoles spécialisées, je pense que cela va être très compliqué. On doit plutôt aller dans le sens de voir comment l’école classique pourrait-elle accueillir ces enfants ? Si on y arrive, je pense qu’on va acquérir une belle réussite», a soutenu le Pr El Makhtar Ba. Certes, mais tout doit reposer sur une synergie d’actions, à en croire le chef du service de neuro-pédiatrie à Albert Royer, le Pr Moustapha Ndiaye. «D’abord si les professionnels de la santé, ceux qui travaillent autour de ces questions, arrivent à se rencontrer, à identifier les problèmes, à se constituer en réseaux par de meilleures compréhensions de la réalité publique, aller vers les autorités publiques, discuter avec elles et faire en sorte que les conventions ratifiées par le Sénégal, que les lois en vigueur puissent avoir une certaine effectivité, je pense que c’est le premier pas, et j’espère qu’on y arrivera».
Selon ce neuro-pédiatre à Albert Royer, les réalités, les normes juridiques et les conventions ratifiées par le Sénégal, la loi d’orientation et les réalités sociales font qu’aujourd’hui, l’ambition de faire de l’Education au Sénégal quelque chose d’inclusif a du mal à se traduire en actes. D’où l’importance de ce panel sur le projet d’élaboration d’une plateforme d’avenir pour une harmonisation des actions autour des enfants en situation de handicap à l’école classique !