AUDIOMULTIPLE PHOTOSDIALO DIOP, LE PLUS JEUNE PRISONNIER POLITIQUE JAMAIS CONDAMNÉ À PERPÉTUITÉ AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SenePlus : POUR LA PREMIÈRE FOIS, IL RACONTE SON CALVAIRE DE TAULARD DANS LES GÉÔLES DE SENGHOR
Arrêté puis condamné en 1971, à de lourde peine avec ses compagnons, pour leur combat contre le régime "autoritaire" du président Senghor, Dialo Diop, le jeune frère d'Omar Blondin Diop, a passé des années épouvantables à la prison centrale de Dakar et à l'annexe de Gorée, puis à Kédougou où il avait été déporté pendant plus de deux ans. Dans la suite de la série d'entretiens que ce leader du Rassemblement National Démocratique (RND) a accordée, en exclusivité à Seneplus, le Dr. Diop nous raconte son expérience de taulard, estimant que la prison est "la meilleure des universités" qui soit. Et pour cause, entré jeune et "immature" en prison, il en est sorti "adulte et mature".
Etudiant très prometteur et fierté de sa famille, Dialo Diop est entré en prison à l'âge de 19 ans pour son activisme dirigé contre le régime néocolonialiste et pro-occidental de Léopold Sédar Senghor. Il était alors nanti d'une licence en philosophie. Acteur clé des événements de 1971 à la suite desquels un certain nombre de jeunes ont été arrêtés pour avoir saboté la visite de George Pompidou à Dakar, c'est en prison qu'il a passé une partie de ses études.
Tout commence en 1971, au plus fort des grands chamboulements politiques et d'éveil des consciences de la jeunesse de par le monde. Le président George Pompidou doit effectuer sa première visite officielle à Dakar chez son ami Senghor. A l'occasion, de "gigantesque travaux" sont lancés 18 mois à l'avance dans Dakar : les grandes artères de la capitale sont bloquées, les bidonvilles cachées par des murailles de zinc, Dakar prend l'allure d'une ville française, du moins par l'omniprésence des drapeaux français qui flottaient au gré du vent. Les jeunes, déjà remontés contre "la dictature" de Senghor, sont indignés.
Dialo Diop et ses amis décident de marquer le coup. Ils entreprennent de brûler le CCF et le ministère des Travaux publics. Un coup réussi. Toujours d'attaque, pendant le séjour du président français, ces jeunes étudiants tentent de jeter les cocktails Molotov sur le cortège présidentiel. Senghor, blessé dans son orgueil par ce "blasphème", décide de laver l'affront et ce, de la façon la plus forte.
Arrêtés, jugés puis condamnés à perpétuité, Dialo Diop comme ses amis seront maintenus en détention préventive à 100 m2, puis à la prison centrale de Gorée. ils seront torturés à l'électricité, battus au besoin, en particulier lorsqu'ils ont tenté de s'opposer à leur transfert au Fort B, après que l'administration pénitentiaire ait découvert qu'ils avaient encore une marge de manœuvre politique même à l'intérieur de la prison.
En effet, à travers leur "théorie de poursuite de la lutte derrière les barreaux", Dialo Diop et ses compagnons enregistraient de petits messages audio qu'ils faisaient circuler. "Nous avons refusé ce transfert", explique M. Diop. Mais la réaction de l'administration ne s'est pas fait attendre. Quand les GMI débarquent, les jeunes opposants sont " sévèrement battus avant d'être transportés de force".
Après leur condamnation par un tribunal spécial et à la suite de la découverte de leur plan d'évasion, Dialo Diop et ses camarades emprisonnés sont déportés à Kédougou, ville située dans le sud-est du Sénégal, réputée pour son éloignement et ses rigueurs carcérales et qui a, pendant longtemps, été le lieu de détention de plusieurs opposants, aussi bien pendant la colonisation que sous le pouvoir de Léopold Sédar Senghor.
A l'opposé des 100 m2, du Fort B et de la prison de Gorée, à Kédougou où étaient également détenus Mamadou Dia, Ibrahima Sar et Valdiodio Ndiaye, Dialo Diop et ses compagnons avaient droit à de grandes villas. La chose la plus éprouvante, c'était la vie en réclusion. Aucun contact entre détenus n'était autorisé. Il s'agissait "d'un régime de réclusion absolu". Afin de rompre ce cycle de torture mental, Dialo Diop et ses compagnons vont engager une grève de la faim de 19 jours pour exiger le droit de se voir, d'avoir une radio, et des livres et journaux.
Dialo Diop précise : "Nous demandions, d'une part le droit de nous voir et deuxièmement le droit d'avoir une radio et nos livres". Ce droit accordé, les détenus pouvaient donc lire " Le Monde et la Canard enchainé jusqu'à la dernière ligne". C'est ainsi que Dialo Diop découvre " Nations Nègres et culture" de Cheikh Anta Diop, que lui avait offert son père. "C'était une révélation pour moi parce qu'évidemment, il n'était pas au programme dans les universités françaises", relève-t-il.
Mais après toutes ces tragiques années, il s'est construit en prenant cette page de son histoire comme une expérience très formatrice. "L'université de la prison, dit-il, c'est la meilleure des universités parce que. "ce n'est pas une université théorique. C'est une université pratique", déclare Dialo Diop, devenu médecin alors qu'il avait fait un cursus littéraire jusqu'à sa licence.