LE LOURD PRIX DE LA VÉRITÉ POUR LES JOURNALISTES AFRICAINS
Le "bon journalisme peine et vit péniblement" tandis que son antithèse prospère, "toujours compt[ant] sur la généreuse part du fruit de la corruption" octroyée par "une branche gangrenée du pouvoir politique"
(SenePlus) - Dans un éditorial percutant diffusé sur les ondes de RFI le 4 mai 2024, Jean-Baptiste Placca a soulevé une question fondamentale : qu'en est-il de la liberté de la presse en Afrique ? Prenant appui sur une interview accordée la veille par le journaliste camerounais Haman Mana à Christophe Boisbouvier, l'éditorialiste dresse un constat saisissant de la situation.
Le témoignage de Haman Mana, affirme Placca, "nous ramène à ce que l'on observe dans nombre d'autres pays sur le continent, le meilleur, de temps à autre, et le pire, trop souvent, malheureusement." Son propos révèle un journaliste courageux, une voix parmi les quelques-unes qui osent s'élever face à l'adversité.
Placca souligne qu'il faudra constituer une "masse critique" de ces voix dissidentes pour rendre à la presse africaine "la place irréversible qu'elle mérite." Mais l'existence même de ces journalistes est déjà, admet-il, "un motif d'espérance, dans un environnement où le pire, triomphant d'arrogance et de cupidité, a une fâcheuse tendance à vouloir éclipser le meilleur."
Reprenant la métaphore employée par Mana, il oppose ainsi "l'eau propre" d'un journalisme intègre à "l'eau sale" d'une "presse à gages" vénale. Cette dernière, dénonce Placca, déploie "à des fins mercantiles, [son] zèle et [son] talent au service de causes douteuses, sinon mafieuses".
Il salue le courage de Haman Mana d'avoir cité "le commanditaire présumé de l'assassinat de Martinez Zogo", le présentant comme l'incarnation de ces "mercenaires de la plume" dénoncés jadis par l'écrivain Mongo Beti.
Face à ces "Al Capone de la rotative", les véritables journalistes se doivent de "faire œuvre de salubrité publique" en dénonçant les détournements de fonds qui privent les populations des services essentiels. Mais en retour, poursuit Placca, "le journaliste de la 'presse à gages' s'emploie à jeter le discrédit sur [leur] travail".
Dans cette lutte inégale, le "bon journalisme peine et vit péniblement" tandis que son antithèse prospère, "toujours compt[ant] sur la généreuse part du fruit de la corruption" octroyée par "une branche gangrenée du pouvoir politique". Ce constat implacable résonne dans le destin tragique des journalistes qui "meurent courageusement pour la liberté de la presse", à l'opposé de ceux "prêts à tout pour des gains faciles et une gloire à bon marché".
Face à cette réalité d'une "réelle gravité", Jean-Baptiste Placca appelle à approfondir le débat, pour que la presse cesse d'être "un instrument au service de quelques intérêts égoïstes". Son ambition ? Qu'elle devienne au contraire "le moteur de l'État de droit, de la démocratie et du développement des nations".