LES ATELIERS DE LA PENSÉE, PLUS QU'UN ÉVÉNEMENT, UNE NÉCESSITÉ
Réfléchir par nous mêmes, comme le font Felwine Sarr et les autres, c'est essayer de (se) désaxer ce centrisme européo-occidental, de la montée des radicalismes et d'une gestion à la petite semaine de nos États dirigés sans paradigme endogène de progrès
Tout projet est critiquable. Les Ateliers de la pensée, initiés par Felwine Sarr et Achille Mbembé, le sont aussi. Cependant, la critique sur l'utilité même de cet grand messe intellectuelle africaine, dont la troisième édition se tiendra du 30 octobre au 02 novembre à Dakar, est curieuse et surtout expose à quel point nous avons oublié l'importance de la pensée, de la théorie et de l'imaginaire dans toute action. Le Président du Faso, Thomas Sankara, dont personne ne peut dire qu'il n'est pas un homme d'action profondément pressé de sortir son peuple de la pauvreté, le rappelait d'ailleurs en 1984 lors de son discours de l'Assemblée Générale de l'ONU, en ces termes :
"Le vocabulaire et les idées nous viennent d’ailleurs. Nos professeurs, nos ingénieurs et nos économistes se contentent d’y adjoindre des colorants parce que, des universités européennes dont ils sont les produits, ils n’ont ramené souvent que leurs diplômes et le velours des adjectifs ou des superlatifs.
Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu’il n’y a pas d’écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d’hier et d’aujourd’hui, le monopole de la pensée, de l’imagination et de la créativité. " - Thomas Sankara
L'Europe a vécu une révolution culturelle en plusieurs temps entre le 14e et le 18e siècles : renaissance, rationalité, querelle des anciens et des modernes, avènement des lumières etc. L'arsenal et la production théoriques qui ont été tirés de ces 4 siècles lui ont permet de faire des transformations sociétales majeures, de démocratiser l'accès au savoir, de faire exploser le savoir scientifique et par conséquent d'améliorer ses capacités techniques, capacités avec lesquelles elle a soumis les autres régions et peuples du monde. C'est donc ce travail de conceptualisation puis de mise en oeuvre des idées de ce monde européen nouveau, repensé, qui lui a permis - avec les richesses spoliées et la force de travail soumise lors de ses conquêtes - d'être le centre épistémique et technique du monde. Les Etats-Unis sont à cet égard, compris dans le bloc Europe, car en étant une émanation directe comme cela se voit dans ses symboles, sa langue, son ethnicité et sa forme de l'Etat.
Réfléchir pour nous mêmes et par nous mêmes, comme le font le Pr Felwine Sarr et ceux qui interviennent aux ateliers de la pensée, c'est essayer de (se) désaxer ce centrisme européo-occidental, de faire notre propre révolution à l'heure de l'accélération technicienne, du réchauffement climatique global, de la montée des radicalismes et d'une gestion à la petite semaine de nos états qui sont incapables de presque tout pour eux-mêmes ou pour nos populations, car dirigés sans véritable paradigme endogène de progrès.
Que les intellectuels africains continuent de produire. Qu'ils débattent de manière violente. Qu'ils nous sortent de notre léthargie de la pensée. Nous en avons diablement besoin. D'autres intellectuels, que l'on qualifie d'organiques, se chargeront de diffuser ces idées. Et les politiques ou ceux qui aspirent à le devenir, pourront s'en inspirer. Un effort en langues nationales, notamment pour faire un résumé des actes de ces ateliers, aiderait à coup sûr à leur diffusion.
Bon courage à tous les intervenants !