FATTE XAJU FI : LES SOUVENIRS POUR CONJURER L’OUBLI
EXCLUSIF SENEPLUS - Comment nos présidents perdent-ils leur ancrage populaire ? Le nouveau film de Ramaka, guidé par Mamadou Ndoye, analyse ce syndrome du pouvoir sénégalais. Pourquoi nos dirigeants finissent-ils par croire que le pays leur appartient ?
« Quand le passé n'éclaire plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres » - Alexis de Tocqueville
Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau. C’est à l’intention de cette nouvelle génération qu’un film sur la grande histoire de la démocratie sénégalaise a été réalisé par Joseph Ramaka GaÏ intitulé « FATTE XAJU FI », autrement dit, il est hors de question d’oublier, « Se souvenir pour ne point oublier ».
Avec comme fil rouge, à l’instar d’un sage conteur, le docteur Mamadou Ndoye, référence de notre histoire démocratique à la colonne vertébrale pas sujette à torsions, nous narre les combats et les hommes qui les ont menés durant…un siècle. Et nous dépeint les syndromes qui les ont souvent conduits au…reniement.
L’hubris de nos gouvernants fait du Sénégal un pays qui est un énorme et perpétuel malentendu
Ce film, que les Sénégalais, notamment les jeunes, vont découvrir sur nos télés et nos réseaux, expose à travers l’élégant et docte récit de Mamadou Ndoye, ce qui sous-tend l’exception sénégalaise en Afrique, à savoir notre perpétuelle capacité à refuser l’injustice et à toujours se dresser contre l’arbitraire. Nous avons toujours connu des rebelles et avons toujours su créer des espaces d’expressions multiples pour accueillir les agitations d’idées de nos forces vives, rompues aux affrontements élégants, à mille lieux de nos « réseaux de cas sociaux » d’aujourd’hui.
Comment de Senghor à Diouf, de Wade à Sall, les combats des Sénégalais ont abouti à des ruptures victorieuses avant d’être noyées dans l’hubris des vainqueurs aveuglés au point d’avoir cru que les victoires étaient les leurs, et pas celles des peuples en lutte contre des injustices. Aucun n’a vu le lien avec les Sénégalais se rompre. Pour Abdou Diouf, Mamadou Ndoye situe la césure en 1988, celle du régime d’Abdoulaye Wade en 2007, et celle de Macky Sall en 2017, et chacun d’entre eux a renforcé l’appareil pour pallier la perte de sa base sociale. Wade a pensé que c’est lui qu’on avait élu et pas les alliés qui étaient allés le sortir de sa torpeur politique à Paris. Il lui en a cuit. Macky a détruit son opposition en la coalisant dans un BBY sans âme qui a laissé le terrain à une nouvelle génération d’opposants, auxquels il n’aura su s’opposer selon Mamadou Ndoye qu’à travers une répression inédite au Sénégal, n’ayant tiré aucune leçon du recul de Wade face à une pression populaire inédite aussi, autour d’une jeunesse active et consciente, qui a refusé de céder.
Le film retrace le moment essentiel de notre histoire que constituent « Les Assises nationales », produit de réflexions de haute volée de tous les segments productifs et actifs de notre Nation. Sans suite. Le film interroge aussi l’actualité et questionne : Pourquoi nos leaders qui arrivent au pouvoir pensent que le Sénégal leur appartient ? Comment Macky Sall a judiciarisé le débat politique avant de passer outre la colère et la mobilisation des citoyens face aux outrances de sa politique, pourquoi aucune enquête n’a été menée pour résoudre les énigmes des 80 morts, et des prétendus complots terroristes, gommant à la hussarde, 60 années de progrès démocratiques.
Comment organiser le vivre-ensemble ?
L’urgence selon notre sage conteur Mamadou Ndoye qui nous exhorte à ne rien oublier, est la récupération des préoccupations des Assises nationales, et d’une nouvelle charte démocratique, proposée par le Pacte, qui prône un état de droit, une démocratie citoyenne, une gouvernance sacralisant nos biens et richesses, une citoyenneté active et consciente, où droits, responsabilités et devoirs se répondent dans un écho réjouissant et galvanisant.
Enfin ce film nous navre d’avoir à constater que nos présidents préfèreront toujours se vautrer dans des « petites histoires » que d’avoir à écrire « La Grande Histoire du Sénégal. »
Pour que le souvenir empêche d’oublier, le sage conteur termine ce film ainsi :
« 22 septembre 1848 - 24 mars 2024, au bout d’une longue nuit sur les traces escarpées des luttes de notre peuple pour l’émancipation, l’indépendance, la justice et la démocratie, je recueille, sous l’arbre à palabre, les dernières paroles du sage-conteur…
Notre dernier combat est un combat de longue haleine ...
Nous devons tous être debout.
Nous devons agir pour avoir "une citoyenneté active et consciente" dans notre pays.
Tout ce que nous défendons ...doit être défendu par chaque citoyen, où qu'il puisse se trouver.
Tu dois savoir que c'est ton droit !
Tu dois le prendre radicalement !
Tu sais que c'est ta responsabilité et ton devoir ...
Tu dois l'assumer totalement !
Si chaque citoyen a cette "conscience", et agit tous les jours ... nous n'aurons plus un Pouvoir qui osera faire ce qu'il ne doit pas faire.
Parce que les citoyens ne l'accepteront pas.
Personne ne l'acceptera !
Non ! Comme le dit mon frère-grand …
Fàtte xaju fi…
Épilogue
Notre poète national Amadou Lamine Sall dans un texte poignant qui va de pair avec cette sagesse que nous espérons de nos élites dirigeantes, écrit : « La politique, après ses privilèges toujours éphémères, a la même finitude, subit la même chimie que celle qu’impose la mort, le même triste sort. On part toujours. Le pouvoir politique vous quitte toujours. Il a vocation de tourner le dos, un jour, à ceux qui avaient cru le conquérir pour toujours. On ne le dompte pas. C’est lui qui vous dompte ! C’est lui qui vous dévalue ! Ceux qui ne s’y préparent pas sont comme le berger qui sait laquelle de ses vaches boite et qui fait semblant de ne pas la voir, jusqu’à ce qui doit arriver, arrive. » Comme on dit « à bon entendeur Salut !!! »