OUSMANE SONKO OU L’ENGRENAGE PERMANENT
La politique est un humanisme. Lui en a fait un conflit. Plus préoccupé par l’assise de son hégémonie sur la marche du pays, il peine à dissiper les confusions entre ses habits d’opposant et ceux de chef de gouvernement
Il s’est opposé sur un flot de sang. Il est en train de gouverner sur un volcan. Une gestion sismique qui accumule jour après jour, les signes avant coureurs d’une éruption. Entre sa défiance à l’égard du parlement, ses menaces envers certains médias, ses immixtions présumées dans l’organisation de la grande muette, les sueurs fiscales froides administrées aux entrepreneurs et quelques perditions contre les magistrats, sa gouvernance n’en finit pas de s’installer dans l’engrenage.
À l’évidence, ce n’est pas qu’un simple bouquet de maladresses et de dérapages, mais une composante essentielle de la méthode Sonko qui a occasionné dans un passé encore récent, quelques commotions insurrectionnelles sans précédent au Sénégal.
Aujourd’hui, le contexte a changé. Pas les discours. La réthorique du chef de gouvernement n’est pas sans rappeler les diatribes du chef d’opposition. Cette stratégie de la tension est le cœur du réacteur d’un homme qui ne s’accomplit que dans le conflit. Elle est le marqueur politique d’un combattant qui s’oxygène à l’odeur du champ de bataille, le label d’un rentier de l’illusion qui a fait du vacarme, le terreau de sa spectaculaire ascension politique. Alors pour ceux qui l’imaginent en « casque bleu» du pacte républicain, il faudra certainement repasser.
Il a joué l’alternance sur un ring
Il a beau être chef de gouvernement, Ousmane Sonko ne semble pas prêt à modifier sa posture de «guérillero». Épauler, ajuster, tirer. L’homme n’a rien perdu de ses impulsions combattantes. On ne change surtout pas une stratégie qui gagne. Si la surenchère a catalysé son dessein politique, c’est son instinct guerrier qui a structuré sa lutte de haute intensité contre Macky Sall et son régime. Seul et sans gants, le président du Pastef a joué la troisième alternance sénégalaise sur un ring. Un affrontement périlleux contre un pouvoir qui ne lui a rien épargné, lui infligeant un déluge sans précédent.
Ce jour là, le calendrier indique 24 mars 2024. Les Sénégalais sont appelés aux urnes. Ousmane Sonko, fraîchement élargi de prison, vient de faire basculer tout un système lors d’un scrutin historique. La vague Pastef inonde le pays, provoquant un véritable tsunami électoral. Bassirou Diomaye Faye est élu dès le premier tour. Il devient le cinquième Président de la République du Sénégal. Ce sera le point culminant de l’épopée Sonko. Le PROS comme on l’appelle, entre dans ces instants qui font l’histoire d’un pays pour avoir été l’architecte en chef de la stratégie de conquête du pouvoir par son parti.
Pour un homme qui était sous numéro d’écrou quelques jours plus tôt, personne n'imaginait que cela allait arriver si paisiblement. Surtout si rapidement. À l'échelle de la politique sénégalaise, c’est un fait historique inédit. Jamais, la marche de notre nation n’aura été à ce point, soumise à la volonté et à l’influence d’un seul homme, devenu le principe actif de la scène politique sénégalaise. Alors qu’on l’aime ou pas, Ousmane Sonko, c’est avant tout la force d’une destinée personnelle au service du destin politique du Sénégal.
D’un humanisme, il a fait un conflit
Pour le reste, pas grand chose à voir. Voire rien à signaler. Hier opposant, Ousmane Sonko a compilé promesses mirobolantes et engagements saisissants. Normal qu’en les portant lui et son candidat à la tête du pays, de nombreux Sénégalais espéraient « enfin » voir des remèdes à leur désespoir. Mais plus de 100 jours plus tard, ils sont de moins en moins à trouver des débuts de solution à leurs problèmes. La gouvernance Diomaye-Sonko est déjà source de déception chez de plus en plus de Sénégalais. Une partie de l’opinion, pas encore majoritaire, commence à se retourner contre le régime. Une colère qui s’entend encore de très loin, mais qui pourrait se rapprocher très rapidement, surtout chez les jeunes, qui ont été les moteurs de l’alternance. La réalité du pouvoir a rattrapé le sommet de l’exécutif qui est en train de payer l’addition de longues années de propagande populiste.
À cela, s’ajoute la méconnaissance de l’État. Il y a des fonctions qui requièrent le sens des responsabilités. Celle, particulière qu’occupe Ousmane Sonko, en fait partie. Être Premier ministre oblige à prendre de la hauteur et à respecter les exigences républicaines liées à ce poste. Lui est entré dans la fonction exactement comme il a quitté l’opposition, pénétré de l’illusion de puissance et d’ambitions impériales. Plus préoccupé par l’assise de son hégémonie sur la marche du pays, il peine à dissiper les confusions entre ses habits d’opposant et ceux de chef de gouvernement.
La politique est un humanisme. Lui en a fait un conflit. Vaguement démocrate, infiniment rebelle, plutôt radical et un rien autoritaire, l’homme change si souvent de costume et de posture qu’il est devenu de plus en plus difficile de définir Ousmane Sonko.
La République c’est presque lui
Depuis sa nomination, il sature médias et réseaux sociaux. Il ne compte pas ses mots et parle autant qu’il fait parler. Cette obsession patibulaire d’attirer la lumière et les attentions ont fait d’Ousmane Sonko, l’épicentre du pouvoir. Il a cassé tous les codes de la relation au sein du couple exécutif. Aujourd’hui c’est le Premier ministre qui incarne l’âme de la République, parasitant par la même occasion, la fonction présidentielle.
Ses immixtions dans la politique étrangère, domaine réservé de Bassirou Diomaye Faye ont été décriées. Le sublime est atteint avec l’annonce de sa tournée dans les pays de l’AES. L’affaire du « Général Kande » dans laquelle son nom est cité avait aussi scandalisé et déclenché une forte polémique. L’affectation-éloignement de ce général, tourment selon la clameur populaire des indépendantistes de la Casamance, s’est alourdie du soupçon prêté au Premier ministre de redessiner la carte des alliances militaires sénégalaises.
Cette prérogative qui relève exclusivement du président de la République, chef suprême des armées est au cœur du système nerveux républicain. Si l’épisode du Général Kandé a exposé aux torches médiatiques les secrets militaires. Il fut surtout interprété comme le symbole d’un Premier ministre « jupitérien», affranchi de tout et dont la toute puissance est à la mesure de la concentration inédite de pouvoirs entre ses mains.
Enlisé hors du champ républicain, Ousmane Sonko agit comme s’il était « La République». Une attitude qui rappelle étrangement celle de son tribun d’ami populiste, Jean-Luc Mélenchon, qui s’était opposé à des policiers venus perquisitionner le quartier général de son parti en vitupérant : «la République, c’est moi ». Si toute proximité idéologique entre les deux hommes n’est que fortuite, il faut dire que personne, avant Ousmane Sonko n’a osé rabaisser, à un tel niveau plancher, le seuil du respect que ses prédécesseurs, sans exception, ont manifesté aux institutions de la République.
Le patron du Pastef restera certainement et pour longtemps encore, le seul premier Premier ministre à avoir osé affubler publiquement un chef d’Etat sénégalais, d’un sobriquet (Serigne Ngundu) pour le moins irrespectueux dans l’imaginaire populaire national, comme s’il voulait dynamiter l’autorité et la sacralité de la clé de voûte de nos institutions.
Dans le même registre, jamais aucun Premier ministre en exercice n’avait critiqué aussi violemment les plus hauts gradés de la magistrature sénégalaise. Ousmane Sonko a t-il oublié qu’il ne pouvait plus désormais dire tout ce qui traverse son esprit ? Que ses discours au canon contre les juges, n’étaient désormais plus ceux d’un opposant mais engageaient désormais tout l’Etat ?
Dans sa posture, on doit apprendre à parler bien et à agir juste. Aujourd’hui chef du gouvernement, il devrait ranger son agenda du chaos et éviter de se laisser aller à des outrances qui fragilisent les organismes de notre système immunitaire démocratique.
Pas de honte à se tromper
Tout encore à la propagation de sa geste populiste et à l’élargissement de son périmètre d’influence, l’homme s’est placé à contrepied des espoirs placés en lui. Il a oublié ruptures et promesses. Chef d’un gouvernement qui doit faire face à d’innombrables urgences, lui qui avait promis de guérir les mal voyants et marcher sur Mars au lendemain de sa victoire, est encore loin de là où il est attendu.
Le populisme génère la déception comme l’autoritarisme forme la résistance. À force, le discours de Ousmane Sonko hier, est aujourd’hui perçu comme un catalogue d’illusions. Pape Alé Niang, très proche du Premier ministre, Directeur de la télé nationale et non moins actionnaire certifié du « Projet Pastef », à récemment fait entendre sa voix en demandant au pouvoir « de dire la vérité au sénégalais ». A juste raison.
Car il n’y a pas d’infaillibilité absolue en politique. Il n’y a pas de honte à se tromper. Le «Projet» n’est pas un théorème. Trafiquer la vérité pour des profits politiques participe à alimenter le populisme qui est un fusil à un seul coup. Ousmane Sonko a déjà tiré le sien. Il est désarmé après avoir épuisé tous les champs lexicaux de la conquête des suffrages. Aujourd’hui, les VAR sont là pour saccager une bonne partie de ce qui lui restait de crédibilité aux yeux de l’opinion.
Le Premier ministre ne dispose pas de beaucoup de marge de manœuvre face à l’ampleur de la demande sociale et à l’espérance qu’il a suscitées. Il n’y a pas de croissance magique comme il n’y aura pas d’emplois magiques.
Le vrai combat de Ousmane Sonko est économique et social. Et ce n’est certainement pas dans ses guerres de tranchées avec les patrons de presse, l’Assemblée nationale, l’opposition ou la magistrature, que la jeunesse sénégalaise risque de trouver solution à ses problèmes d’emploi et de formation.
L’effondrement programmé du binôme Diomaye-Sonko ?
L’élection a rendu son office. Le pays a aujourd’hui besoin de calme après avoir été traumatisé et fracturé par un combat sans merci pour le contrôle du pouvoir. Des dizaines de jeunes y ont perdu la vie. Des familles se sont disloquées. Des mariages se sont fracassées. Des amitiés se sont brisées. Des entreprises ont fermé leurs portes. De nombreux sénégalais et étrangers ont perdu leur travail. Plus grave encore, la «dérépublicanisation» de pans importants de notre haute administration, voire de certaines forces de sécurité et de défense qui ont piétiné leur serment de loyauté vis à vis de l’État.
Les piliers de la République ont chancellé. Les fondements de la nation ont vacillé. C’est tout le sens du chantier du président Faye qui doit remettre côte à côte un peuple que le combat sanglant entre Macky Sall et Ousmane Sonko a mis face à face.Le Sénégal a besoin d’un exécutif capable de s'élever à la hauteur de la grandeur démocratique de notre pays et des espérances de son peuple. Pour le coup, on ne peut pas encore dire qu’il y a de la lumière à tous les étages du pouvoir Diomaye-Sonko.
Ce qui détermine souvent la longévité d’un couple se trouve dans l’équilibre des responsabilités. Nous sommes loin du compte avec ce qui ressemble à aujourd’hui une subordination du président à son Premier ministre. Une inversion inédite des pouvoirs entre « deux amis » qui incarnent l’état au plus haut niveau.
Aux antipodes l’un de l’autre, entre le président et le Premier ministre, c’est l’entente politique cordiale sur fond de mise en scène médiatique. Le duo est sans heurts. Tout au moins our le moment. Aujourd’hui chacun sert de bouclier à l’autre, même si nous sommes loin des effusions théâtralisées d’antan. Mais une un chose est sûre, cette union sacrée de circonstance, n’est pas exempte de calculs politiques. Tous ont 2029 en ligne de mire. « Mais trop tôt pour en parler », dixit le président face à la presse senegalaise le 13 juillet dernier. Alors, trop tôt pour parler de rivalité entre lui et son Premier ministre ? Peut être. Trop tôt pour écrire l’oraison funèbre de la saga Diomaye-Sonko ? Certainement.
Sauf que derrière le rideau des convenances entre amis, Diomaye et Sonko pensent aussi à demain. Et pas que devant leur miroir. Le seul suspense concerne qui pliera devant l’autre. Qui laissera le champ libre à l’autre. Le moment de la sonnerie du glas, qui sera indexé sur le ballet de leurs ambitions respectives, alimente déjà toutes les spéculations autour de l’espérance de vie du « ticket Bassirou-Ousmane ».
Le risque pourrait être alors grand de voir le pays entrer dans une sorte de cohabitation à fleuret moucheté, à la sénégalaise, avec deux acteurs du même bord politique. Le début d’une guerre d’usure inédite au sommet de l’état dans laquelle, le contrôle de l’arme du temps sera décisif entre un Sonko conquérant mais à l’activisme frénétique et autodestructeur et un Diomaye sans étincelle, à la tempérance de cardinal mais qui pique de plus en plus, le cœur des Sénégalais.
Malick Sy est journaliste, conseiller en communication.