«LA SITUATION SOCIALE EST FAVORABLE À DES AFFRONTEMENTS»
Le secrétaire général de la CNTS/FC s'exprime sur l'actualité sociopolitique nationale, dans un contexte tendu
Déclaration controversée du Président du 1er mai dernier, signature d’une convention collective dans le secteur du pétrole, état des lieux des accords dans le secteur de l’éducation, les premiers actes de la présidente du CESE Aminata Touré. Le secrétaire général de la CNTS/FC est revenu sur toutes ces questions dans cet entretien avec «L’As» avant d’alerter sur la situation sociale.
En quoi consiste cette convention collective des travailleurs du secteur du pétrole que vous venez de signer ?
Nous venons il y a deux semaines de signer la convention collective de la branche pétrole et gaz. C’est un travail qui a duré presque 3 ans de négociations et nous venons enfin de conclure la convention pour le pétrole. Une première au Sénégal qui règle en fait beaucoup de problèmes à l’orée de l’économie pétrolière que nous allons connaitre. Donc, il était extrêmement important avant d’engager cette économie pétrolière, de régler la question des textes qui régissent le dialogue social dans le secteur du pétrole étant entendu que le syndicat du secteur du pétrole est un syndicat historiquement responsable, qui a toujours initié des procédures de dialogue social. Il apaise le secteur, parce que nous savons que c’est un secteur stratégique de notre économie nationale. C’est un secteur qui a besoin de stabilité mais également de partager correctement la croissance générée par les travailleurs. C’est la raison pour laquelle, nous avons dans un premier temps négocié ce qu’on appelle l’indexation du coût de la vie au salaire. Cela veut dire deux fois par an, on calculait l’inflation et indexait les salaires à l’inflation. C’est une forme de négociation qui nous épargne de celles sur les augmentations de salaire. Nous avons réussi également ce qu’on appelle le pacte social.
Il a duré 3 ans durant lesquels nous anticipions sur tout ce qui pouvait être revendications et il n’y avait pas de conflits. A l’arrivée du président en 2012, il s’est inspiré du pacte pour effectivement négocier. C’est vous dire que le pétrole a toujours eu des initiatives qui confortent le partage correct des fruits de la croissance. Et aujourd’hui, nous avons ce qui manquait à savoir la convention et nous venons de la signer. Toutefois, il y a une partie du secteur du pétrole qui traine les pieds avec cette convention, c’est la section du transport des hydrocarbures qui ne se retrouvait pas dans la convention collective et qui avait demandé à ce qu’on négocie une convention annexe spécifique au transport d’hydrocarbure et nous l’avons accepté. Mais force est de constater que le gouvernement se rétracte, ce qui risque d’amener une perturbation dans le secteur du pétrole. Le syndicat doit déposer un préavis de grève pour amener les employeurs du transport d’hydrocarbure à poursuivre les négociations faute de quoi, le secteur risque d’être bloqué dans les semaines à venir.
Selon vous aussi, la part de la dette dans le secteur du pétrole est importante et avait un peu bloqué les négociations ?
Effectivement, la dette a impacté sur les négociations et c’est d’ailleurs ce qui a entrainé les lenteurs dans les négociations qui ont trainé sur plusieurs années. La dette dans le secteur du pétrole est devenue extrêmement lourde pour les sociétés importatrices comme La SAR et autres. Elle tourne autour de 300 milliards et c’est devenu insoutenable. C’est la raison pour laquelle nous pensons que l’Etat doit tout mettre en œuvre pour éponger cette dette qui a rendu très difficile nos négociations et continue à impacter le fonctionnement du secteur. Le secteur du pétrole est un secteur sensible et l’Etat doit aller vers l’apurement de cette dette qui en réalité concerne l’ensemble des entreprises du secteur privé, les BTP en particulier. Un mécanisme a été mis en place, mais il ne fonctionne pas .On avait mis en place le Fonds de Soutien à l’Energie (FSE) qui devait engranger en cas de prix bas sur le plan international des surplus pour alimenter la caisse .Et si les prix se relèvent ou que l’Etat maintienne les prix à la pompe, ce qui serait salutaire, la caisse devait jouer son rôle pour les importateurs et combler le gap Malheureusement cela n’a pas été le cas car les fonds qui devaient alimenter la caisse sont utilisés à d’autres fins.
C’est la raison pour laquelle, les travailleurs pensent que le FSE doit être géré autrement , par les acteurs avec l’Etat qui a un droit de regard .
Vous avez plaidé aussi pour une revalorisation du taux de participation du personnel dans le capital de la SAr ?
La SAR est en train d’être entièrement privatisée et le processus n’est pas encore à son terme. C’est l’Etat qui est majoritaire, mais il y a des actionnaires comme LOCAFRIQUE et ITOC qui sont actionnaires et qui cherchent à avoir le monopole. LOCAFRIQUE, particulièrement doit détenir près de 50% pour pouvoir contrôler entièrement la SAR .Aujourd’hui comme c’est le cas dans beaucoup de secteurs, nous pensons que les travailleurs doivent avoir au moins 10% du capital de la SAR .Ceci peut être une source de motivation, mais également une source de stabilité dans le secteur .Nous devons intéresser les travailleurs dans le capital des sociétés parce que ceci peut participer à booster la production et à apaiser le climat social dans les entreprises mais aussi à générer des négociations collectives de qualité .
Dans un autre registre, vous avez invité le président Macky Sall à épurer le passif social.
Disons que la situation du dialogue social se tourne autour de quelques points essentiels. Le passif social, la crise qui secoue le secteur de l’éducation et de la santé , le faible pouvoir d’achat des travailleurs, les inégalités avérées dans les rémunérations, la recrudescence des violations des droits des travailleurs dans certaines entreprises mais également il y a le retard des entreprises en difficulté .Voilà essentiellement les questions qui plombent le dialogue social .Pour ce qui concerne le passif social et l’Etat c’est d’abord les accords au niveau de l’éducation et de la santé mais également au niveau des ex-travailleurs de la SIAS et des chemins de fer .Ce passif là, l’Etat avait pris des engagements pour les résoudre. Nous avions fait beaucoup de rencontres. Il y avait une réunion interministérielle à l’époque avec le premier ministre le 10 mars 2017. Le président dit souvent que le passif est trop lourd mais celui qui concerne l’Etat n’est pas aussi lourd que ça. Ils ont même commencé à régler des dossiers. Au niveau des chemins de fer il y avait trois dossiers. Et le dossier sur les indemnités de salaire a été réglé. Il ne reste que les dossiers des ex temporaires et du plan social. Pour le secteur de la santé, les techniciens supérieurs de santé ont un problème qui me parait aussi urgent.
Ces techniciens sont sous classés par rapport à des agents qui sont sous leur supervision ou des agents qu’ils encadrent. Nous demandons à l’Etat de régler très rapidement cette question. Pour l’éducation, le chef de l’Etat avait posé un acte fort à la veille du premier mai 2018 en rencontrant les syndicats, en décrétant un monitoring. Mais je pense que la solution demeure le résultat de ces conclusions. Et aujourd’hui nous constatons que cette rencontre n’a pas encore produit tous ses effets. En plus, il y a un maillon très important du secteur de l’éducation qui est le corps des inspecteurs. Ce corps des inspecteurs avait fait plusieurs rencontres avec le Premier ministre de l’époque. Aujourd’hui, nous avons des propositions concrètes de protocole d’accord qui règlent définitivement le conflit qui sévit dans le secteur. Et nous étions en phase avec l’Etat et il ne restait qu’à se retrouver pour signer ce projet.
Mais est-ce que vous êtes optimiste si on sait que le président a dit qu’il ne pourra pas augmenter les salaires?
La déclaration malheureuse du chef de l’Etat lors du premier mai ne règle pas le problème à mon avis. Et il y a eu beaucoup d’incompréhensions à travers cette déclaration, parce que nous pensons que les revendications des organisations syndicales sont très précises. Dans la fonction publique, la question était de régler les accords dans la santé et dans l’éducation. Le passif des accords, c’est également de poursuivre les actes qui ont été posés lors de la rencontre avec le chef de l’Etat. Mais aussi et surtout d’ouvrir des négociations autour du système de rémunération qui est un système inéquitable. Pourquoi le chef de l’Etat met les pieds dans les plats en disant qu’il n’augmente pas les salaires ? Nous ne crachons pas sur la valorisation du taux indiciaire mais nous avons tellement de questions à régler avant de poser ce problème. La déclaration du président a malheureusement plombé les négociations surtout dans le secteur privé qui n’avait aucun problème en réalité.
Vous parliez des crises. A quoi faites- vous allusion ?
La situation est favorable aux affrontements : Faire une inflation tous azimuts tout en bloquant le pouvoir d’achat des travailleurs. Des négociations qui étaient entamées pour l’augmentation généralisée des salaires sont bloquées. Les négociations qui étaient entamées sur la convention collective interprofessionnelle sont bloquées à cause de la déclaration du chef de l’Etat. Donc il y a problème, il faut qu’on s’explique pour qu’on se comprenne sinon on va vers des confrontations. Ce qui n’est pas souhaitable et ce n’est pas aussi notre volonté d’aller vers cela. Notre finalité est de négocier et de trouver des solutions aux préoccupations des travailleurs. Mais en toute logique, la CNTS/FC est en train de se préparer à cette situation d’affrontements.
Par ailleurs, vous êtes membres du Conseil économique, social et environnemental, comment jugez-vous le baptême du feu de la présidente Mme Aminata Touré ?
En toute sincérité nous n’avons pas l’habitude de jeter des fleurs. Mais aujourd’hui, nous constatons pour cette première session que le Conseil s’inscrit dans une logique nouvelle qui doit produire des avis de qualité. Et la dynamique enclenchée par la présidente est une approche intégrale. Elle est en train de faire beaucoup de consultations, de motiver par des rencontres, par des discussions et par des échanges avec les groupes socio-professionnels pour dire son agenda. Dire son intention de faire travailler plus et mieux notre institution.
Beaucoup de voix s’élèvent pour dire que les leadeurs syndicaux sont devenus des hommes politiques encagoulés. Que répondez-vous ?
Bon cela n’engage que ceux qui le disent. Mais très souvent, les gens apprécient de manière superficielle. Mais nous, en tant que mouvement syndical, nous ne portons pas le complexe de l’opposant c’est-à-dire voir tout négatif. S’opposer coûte que coûte à l’Etat. Nous, encore une fois notre finalité, c’est le progrès social. Mais si l’Etat pose des actes en direction de ce progrès social, pourquoi ne pas accompagner ? Notre action s’inscrit dans celle du peuple.
Il y a une désunion dans le mouvement syndical. N’est ce pas un facteur de fragilisation ?
J’appelle à l’unité. Aujourd’hui, la dispersion des forces syndicales pose un problème. La désunion des entités du mouvement syndical pose problème. Je dois rappeler que le mouvement syndical repose sur deux piliers essentiels : l’élite engagée et le mouvement ouvrier. Pour l’élite engagée, comprenez-les organisations syndicales d’élite mais aussi les intellectuels de haut niveau engagés pour le progrès social. Ces deux piliers ont posé les fondements idéologiques du mouvement syndical. Aujourd’hui, il est malheureux de constater que dans beaucoup de syndicats d’élite, ils n’intègrent pas le mouvement ouvrier qui se retrouve dans les centrales syndicales.
Ils cheminent seuls, et c’est malheureux, parce que c’est développer le corporatisme. Encore que le corporatisme n’est pas le syndicalisme. Nous avons intérêt à inviter les enseignants entre centrales syndicales à se retrouver et à travailler ensemble. C’est un cri du cœur que je lance aux syndicats