«LE PS EST DEVENU UN INSTRUMENT AU SERVICE DES INTÉRÊTS D’UN GROUPE»
Babacar Diop parle de ses relations avec Ousmane Tanor Dieng, son alliance manquée avec le parti Pastef d’Ousmane Sonko et des retrouvailles socialistes
Dialecticien, Dr Babacar Diop est un féru de la philosophie qu’il enseigne à L’UCAD. Mais le président du parti FDS est aussi un homme politique au discours percutant. Ses diatribes contre le régime résonnent surtout lorsqu’il a proposé la mise en place d’un gouvernement d’union nationale au lendemain de la présidentielle. Dans cet entretien avec «L’As», il parle des ses relations avec le défunt secrétaire général du Ps Ousmane Tanor Dieng, sur son alliance manquée avec le parti Pastef d’Ousmane Sonko et sur les retrouvailles socialistes entre autres.
Que retenez-vous de feu Ousmane Tanor Dieng dont vous étiez un proche ?
J’ai connu Ousmane Tanor Dieng après la défaite de 2000.Cela signifie que je n’ai pas connu le Tanor au pouvoir, celui que j’ai connu et que j’ai fréquenté c’est le Tanor d’après la défaite. Ce que je retiens de lui, c’est qu’après la défaite, le Sénégal a découvert un homme digne, debout droit dans ses bottes pour tenir la barque comme un vrai timonier et pour défendre le legs du président Senghor. C’est ce qui a permis au parti de survivre après la défaite, parce que rappelez-vous, cela a correspondu avec la grande épopée de la transhumance. Et pratiquement tous les barons avaient abandonné la maison pour rejoindre les prairies bleues de Me Abdoulaye Wade et c’est toujours dans cette période que Tanor a tenu et a eu l’intelligence d’ouvrir le parti à des cadres, des jeunes Barthélémy Dias, Malick Noel Seck et moi. Je pense que nous avons réussi à donner un nouveau souffle au parti. Et c’est ce qui lui a valu un nouveau visage et lui a permis de revenir au premier plan pour être le leader de l’opposition .Donc il a joué un rôle décisif, important dans les grands rendez-vous de l’époque. Aussi, rappelez-vous du rôle joué par le parti dans les assises nationales, de celui aux élections locales de 2009 où il avait permis à l’opposition de gagner beaucoup de municipalités.
Il en est de même de son rôle au sein de Benno Siguil Sénégal à l’époque. Et j’ai l’habitude de dire peut-être que n’eût été les querelles au sein de Benno, qui sait Tanor serait aujourd’hui président de la république. Et on doit avoir l’honnêteté de reconnaître le rôle joué par Tanor entre 2000 et 2012. Mes divergences avec Tanor sont politiques et sont apparues à partir de 2012, après la défaite. Le parti avait une ligne qui était de soutenir M. Macky Sall, de participer au gouvernement, d’aller sur une même liste avec le parti du président Macky Sall. Et je considérais que si le parti persistait dans cette ligne, il pouvait perdre son identité et sa crédibilité. C’est ce qui a été à l’origine de notre divergence. Mais nous avions des relations très correctes et j’avais beaucoup de respect pour ce monsieur. L’autre qualité que je dois reconnaître de Tanor est qu’il est un homme franc et sincère. Il n’était pas un menteur Tanor ! Mais quelles que soient les divergences, il campe toujours sur sa position, avec ou sans votre accord.
Ses dernières volontés sont relatives à la reconstruction du Parti socialiste.
Que reste t-il aujourd’hui du parti socialiste. Ce parti tel qu’il fonctionne actuellement n’a plus d’avenir. Le parti refuse de se moderniser et de se démocratiser et de se reformer. Ces gens-là doivent comprendre que le bureaucratisme politique est suranné et dépassé. Tout tourne autour d’un clan et on serait tenté de dire que le parti est devenu un instrument au service des intérêts partisans d’un groupe, ou d’un clan politique. Et c’est ce qui est regrettable. Dans ce parti, on ne parle plus de projet politique, de socialisme ni de gauche ou d’avenir. Tout tourne autour de postes, de places, de positions et de privilèges.
Ne pensez-vous pas que c’est pourquoi, OTD a voulu des retrouvailles socialistes ?
Reconstruire autour de quoi ? Autour de quelle valeur ? Autour de quel projet ? S’il s’agit de reconstruire simplement parce que nous sommes des nostalgiques, il n’y a aucun sens. Le plus important dans un parti de gauche c’est de parler de projet. Souvenez vous que le Parti socialiste vient de loin .Au début c’était au mois de septembre 1948 avec à la tête Senghor, Mamadou Dia, Boissier Palun, Ibrahima Seydou Ndaw et Ibrahima Sarr. Et à cette époque, le parti était le parti du peuple, et des masses laborieuses. Il avait un projet politique pour défendre les gens invisibles. Les sans voix, les exclus, les abandonnés et les victimes. C’était un parti qui s’identifiait aux paysans, aux pêcheurs mais aujourd’hui, il est devenu un parti de clan, de famille, et d’opportunistes qui ont abandonné les idéaux de départ .Le parti ne parle plus de projet. Alors où seraient donc passées les grandes idées défendues par Senghor comme l’humanisme, le socialisme ? .Le parti ne débat plus.
Mais pourtant vous avez soutenu un libéral, Idrissa Seck, quelqu’un qui assume son amitié avec Jacques Attali, un des produits les plus aboutis du libéralisme ?
Si j’en viens au contexte dans lequel s’est déroulée l’élection, je pense que l’idéal était d’avoir un candidat socialiste, issu des rangs socialistes avec un projet de gauche renouvelé et axé sur des problématiques modernes et contemporaines. Malheureusement il n’y a pas eu de candidat socialiste .Nous avons un parti politique très jeune, qui a été créé le 8 avril 2018, à quelques mois de la présidentielle .On avait pas encore les moyens politiques, humains financiers et infrastructurels de nous engager dans une présidentielle. Nous avions jusqu’ici toujours lutté contre la politique de corruption menée par le président Macky Sall et je pense qu’il nous fallait un candidat en mesure de nous écouter et de prendre en compte nos préoccupations .L’essentiel en 2019 c’était de se regrouper pour mettre fin à la politique de corruption de Macky Sall.
Vous faites partie de la plateforme ‘’AAR Liniou Book ‘’.Est ce- que votre mouvement n’est pas en train de s’effriter ?
Vous savez, il faut toujours revenir au contexte .La plateforme a été bien lancée avec des manifestations à Dakar, à l’intérieur du pays et dans la Diaspora. Mais avec la CAN nous n’avons pas eu un moment favorable de mobilisation. Pendant plusieurs semaines, les sénégalais ne respiraient que par et pour la CAN et les lions. Politiquement, il y a ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. L’euphorie de la Can n’est pas compatible avec une mobilisation des masses et il fallait donc la Can passer. Je pense qu’il fallait attendre la fin de la Can pour reprendre le travail et c’est ce que nous sommes en train de faire .On est dans une phase d’évaluation et de remobilisation .Mais Aar Liniou Bokk est loin d’avoir abdiqué et nous sommes déterminés à continuer la lutte pour la transparence dans la gestion du pétrole et du gaz.
Vous faites partie de l’aile dure de l’opposition. Pourquoi cette radicalisation ?
Le discours est radical parce que la situation l’exige .Si au 21 siècle, malgré les conquêtes démocratiques et les acquis, on peut permettre à une famille de s’enrichir sur le dos des citoyens, de contrôler les ressources économiques d’un pays ou à des hommes politiques de détourner les deniers publics pendant qu’on a besoin d’électrification, de centres de santé un peu partout .Pendant que nous avons une jeunesse désœuvrée qui chôme. Peut on permettre à un clan, à une caste politique de continuer de s’enrichir sur le dos des honnêtes citoyens ? Ce qui fait que nous déclarons la guerre à cette mafia au pouvoir .c’est ce qui explique ce discours que nous développons parce que nous voulons que les problèmes des citoyens soient pris en charge par les politiques.
Une radicalisation qui a perdu Guy Marius Sagna qui a maille à partir avec la justice…
Cette arrestation est arbitraire. C’est un scandale .Guy Mary Sagna est un prisonnier politique, un otage politique entre les mains de Macky Sall. Il a simplement participé aux manifestations de Arr Liniou Book et a simplement exigé et réclamé la transparence dans la gestion du pétrole, rien d’autre .Parler de fausse alerte au terrorisme c’est ridicule et je pense que c’est une stratégie de diversion et Arr Linou Book va prendre en charge cette question des libertés publiques fondamentales, inaliénables et imprescriptibles qui doit être respectée par le régime .Guy doit être libéré .Il ne peut pas rester en prison pendant que Aliou Sall est dehors. Guy est un symbole pour cette jeunesse de refus qui lutte pour un ordre politique nouveau et plus juste et plus égalitaire et je suis d’accord avec le Pr Djibril Samb quand il dit qu’une belle jeunesse, c’est une jeunesse indocile et Guy est un symbole de cette jeunesse de refus.
Après avoir soutenu le président du Rewmi, quelles sont les nouvelles perspectives pour votre parti FDS ?
C’est d’organiser le parti et on est en train d’évaluer le travail qui a été fait jusque-là depuis la création du parti en 2018 .Nous avons participé à l’élection présidentielle dans la coalition de Idrissa Seck .Et depuis lors on a fait des tournées à l’intérieure du pays pour renforcer la présence du parti .Notre objectif est d’en faire le premier parti politique du pays dans les prochaines années.