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7 mars 2025
Cheikh Anta Diop
Par Amadou Lamine SALL
QUELLE EST DONC CETTE TENACE QUERELLE TANT ENTRETENUE ENTRE SENGHOR ET CHEIKH ANTA DIOP ?
Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire
Nous ne connaissons en Afrique, en son temps, exerçant une aussi profonde influence, aucun nom qui soit plus grand, plus doué, plus cultivé et plus étoffé que Senghor et Cheikh Anta Diop !
Comme Tocqueville en parlait pour le 18ème siècle, nous pouvons avouer aussi pour le 20ème siècle, qu’un immense homme de lettres et un savant, homme de pensées et de sciences de la recherche, Sédar Senghor et Cheikh Anta, sont «devenus les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent.» Deux hommes qui ont forgé leur légende et « qui par le commerce de la pensée et de la plume, combiné avec l’intervention dans les affaires publiques, ont exercé la plus grande influence dans leur temps.» Cela relève de leur génie propre !Ils ont fait l’éclat du Sénégal !
Entre Senghor et Cheikh Anta, une «famille d’esprit» opposée, «mais au-delà de la diversité de leurs opinions, un esprit de famille qui fait de la politique, non une profession, mais un prolongement naturel de la vie intellectuelle et artistique d’une époque.» N’ont suivi et succédé à ces deux icônes que des «hommes politiques professionnels» et raides !»Avec eux, le Sénégal «a changé et nous a changés !» Il aurait même changé Dieu ! Nous semblons ne plus être doués que pour le malheur, l’inculture, la haine, l’indiscipline, l’insulte, l’indignité ! Nombre d’entre nous ont renoncé à nos valeurs ! Le peu qui nous sort encore la tête de l’eau, c’est cette honte de ne plus être les premiers, comme hier Senghor et Cheikh Anta l’étaient en Afrique ! Le Premier ministre du Mali, Choguel Kokalla Maïga, à sa manière, nous l’a rappelé en s’adressant à son petit frère, homologue du Sénégal, venu à Bamako leur rendre visite en ce mois d’août 2024. Son hommage à Senghor avec cette reconnaissance au pré-panafricaniste qui a inventé la Fédération du Mali et l’a mise en place avec Modibo Keïta, inaugurant ainsi l’unité régionale avec ses «cercles concentriques» avant l’unité panafricaniste à hauteur de tout le continent et aujourd’hui encore si lointaine, presque utopique. Choguel Maïga s’exprime devant Ousmane Sonko installé au pouvoir 65 ans après. Émouvant. Puisse Choguel Maïga, étiqueté brillantissime intellectuel à qui, vrai ou faux, Sédar avait attribué une bourse d’étude en France, lutter de toutes ses forces et au-delà, pour rendre aux Maliens la liberté des urnes etle chant de la démocratie.
Oui, certes Senghor n’a pas tout réussi, mais la démocratie sénégalaise tant chantée par le monde et qui a permis par des alternances apaisées à grandir le Sénégal, on la doit, si infime soit-elle, d’abord à Senghor qui a commencé par instituer des courants politiques au-delà du parti unique, courants qu’Abdou Diouf a ouvert et amplifié et qui ont fini par donner une République ouverte à tous, jusqu’à Diomaye aujourd’hui. Il fallait bien commencer par quelque chose ! Ne raccourcissons pas l’histoire ! Pour encore demain, la jeunesse doit savoir et ne rien ignorer de notre histoire démocratique ! «Le Noir est une couleur, le Nègre une culture. Il y a des Nègres qui ne sont pas des Noirs», dit-on. Depuis l’Égypte, les fils de l’Afrique prodigieuse n’ont pas encore construit plus grand que les pyramides ! Cheikh Anta Diop attend ! Puisse son mausolée à Thieytou être reconstruit sous forme de pyramide. Pour la mémoire et le symbole ! «Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents (…) et arrachez votre patrimoine culturel (…) La plénitude culturelle ne peut que rendre un peuple plus apte à contribuer au progrès général de l’humanité…» nous dit Cheikh Anta Diop ! «Accéder à la modernité sans piétiner notre authenticité», recommande Senghor. Sachons une fois pour toute que Senghor et Cheikh Anta Diop, sans l’affrontement politique de deux hommes différents de camp, mais intellectuellement «enflés » et complémentaires, se rencontrent, quelque part, dans leur théorie. Quand «l’humanisme de Senghor consiste à affirmer la complémentarité des cultures et des civilisations», Cheikh Anta Diop «rêvait d’une synthèse entre ancrage et métissage culturel ». Comme Sédar, il était à la fois marié avec l’Afrique et avec une française admirable. Cessons donc de les opposer, deux haches à la main, et prions pour avoir dans ce pays en mutation d’autres Cheikh Anta Diop à venir, d’autres Senghor à venir.
Les deux hommes s’appréciaient et se respectaient. Je les ai vu arriver au mariage de maître Boucounta Diallo. Ensemble, verre à la main, ils échangeaient. En paix et en fraternité. Sembene Ousmane, le rebelle, était là, lui aussi. Il fêtera Senghor au CICES, en maître de cérémonie, le recevant en grande pompe avec les écrivains membres de la section sénégalaise du Pen Club International. Sembene, ce jour-là, habilla Senghor, pour le symbole, d’un soyeux boubou de «maître des circoncis» Ramenons les choses au beau et pas toujours au laid et à la division !
Allez donc prendre connaissance également de l’émouvante dédicace de Cheikh Anta Diop à Senghor, en lui offrant un exemplaire de son mythique ouvrage : « Nations nègres et culture. » Lisez la touchante lettre de condoléance de Senghor à Madame Diop. Vous serez alors ému par le respect et l’affection qui unissaient les deux hommes ! C’est sur la ligne de feu de la politique pour accéder au pouvoir, qu’ils se sont opposés et avec un respect mutuel. Normal que Senghor défende son trône que Cheikh Anta Diop voulait conquérir. Normal que Cheikh Anta Diop marquât sa différence de programme politique avec Senghor pour conquérir et convaincre son propre électorat. Ce qui est la nature même de la lutte politique et de la conquête du pouvoir. D’ailleurs, à la vérité, que faisait Cheikh Anta Diop en politique ? Il était déjà entré dans l’histoire, grand dans l’histoire et plus grand encore que la politique !
Autre fait admirable que nous raconte feu Bara Diouf, patron du quotidien national Le Soleil, que je rapporte dans mon ouvrage «Senghor : ma part d’homme», édition 2006. C’était lors de sa conférence sur Senghor le 29 décembre 2006, à l’hôtel Novotel. Bara Diouf témoigne : « Cheikh Anta Diop me téléphone et me dit qu’il se rend au Caire, en Égypte, et qu’il souhaiterait être accompagné par la presse. Je lui réponds que je n’ai pas d’argent pour faire partir un journaliste pendant un mois. Voyez avec les Arabes s’ils ne peuvent pas faire un geste. – «Cela me sera difficile», me répond Cheikh Anta. Alors je prends mon téléphone et j’appelle Madame Alexandre la secrétaire du Président Senghor au Palais. Il me reçoit et je lui rends compte de la requête de Cheikh Anta. Il me remet cinq millions de Francs et me dit ceci : «Il faut couvrir son voyage et le faire accompagner. Je ne veux pas qu’il y ait des traces de mon intervention, donc je n’en parle pas à notre ambassadeur. Que tout soit discret. Vois-tu, mon cher Bara, je ne laisserais jamais seul Cheikh Anta sur les bords du Nil.»
En lieu et place de ceux qui, à longueur de cœur et de pensée, sont ensevelis dans la partialité, la rancœur et la revanche, et qui tentent, sans se lasser, de mettre en duel Senghor et Cheikh, de les opposer, de les séparer, de les diviser, prions plutôt pour que le Sénégal, ce grand petit pays dont la renommée dépasse ses frontières, voie naître d’autres Senghor et d’autres Cheikh Anta Diop. Enivrons-nous de leur héritage. Enseignons leurs œuvres à nos enfants. Méditons leurs pensées et servons-nous en, quand arrive la nuit de la peur et de l’angoisse. Ils ont, tous les deux, laissé la plus belle et la plus haute des pyramides dans la mémoire des hommes. Leur héritage est comme un puits inépuisable. Leur nom et leur contribution à la marche de l’humanité, sont entrés d’un même pas cadencé dans l’histoire et la postérité. Les opposer pour en faire un fonds de commerce intellectuel, ne conduit qu’au ridicule, à la petitesse, à l’oubli et au néant.
M’inspirant de l’enseignement de Al Makhtoum, évitons ce qui est malencontreusement arrivé au Dieu unique ! Il nous a donné le prophète Mohamed. Il ne peut plus nous en donner un autre d’identique ou de plus grand. Le voudrait-il, il ne le pourrait ! Dieu ne peut plus le faire et ne le fera plus jamais, jusqu’à la fin des temps ! Comme Jésus ! C’est acté. C’est écrit ! C’est ainsi ! Par contre, nous ses si humbles, si fragiles, si éphémères sujets, avons, de par sa grace et sa Générosité sans fin, la force de prier pour que naissent d’autres Senghor, d’autres Cheikh Anta Diop. Il s’agit de grandir son pays, l’Afrique, le monde et de laisser un héritage digne de l’humanité comme celui de ses deux fils étoiles du Sénégal !
Bien des idées reçues et qui perdurent hélas encore, nous trompent et montrent du doigt tant de mensonges et de manipulations ! Tenez, comment par ailleurs interpréter cette posture de Mamadou Dia, qui, dès sa sortie de ses très longues années de prison par grâce présidentielle de Senghor, est allé de lui-même rencontrer «son ami» qui l’avait ainsi fait punir. Dia embrassa Senghor et le remercia. Mamadou Dia est un saint ! Cet acte émouvant et d’infinie humanité de sa part, dépassa un Senghor surpris ! Il ne peut exister plus touchante grandeur ! Et pourtant on en a voulu à Dia d’être allé au Palais embrasser Senghor «qui l’a poignardé dans le dos avec la complicité de la France», comme l’a craché, odieusement, en direct à la RTS, tel quel, bave et haine à la bouche, l’invité habile, hostile et vengeur du courtois et pudique journaliste d’une RTS pourtant si professionnelle, respectueuse et éthique qui, en ce douloureux dimanche du 28 juillet 2024, ne méritait pas de faire subir à son public, sur sa chaine, la diffusion d’une telle sortie haineuse et si violemment sectaire ! Feu Mamadou Dia ne serait pas d’accord !
L’invité délirant rempile de plus belle face au journaliste de la RTS, presque médusé, en vomissant encore ceci : «Il faut cesser d’avoir à la tête de nos pays des hommes d’État comme Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall… Senghor est une calamité, un dictateur, un grand Blanc… Senghor et tous les autres, c’est kif-kif bourico !» Un être normalement constitué ne peut pas ainsi s’exprimer sur la chaine nationale, face aux Sénégalais ! Cela ne doit plus arriver !
De cette émission de la RTS du dimanche 28 juillet 2024, si suivie par attachement à un journaliste solide et humble, nous en avons rapporté ici, par respect et pudeur, le moins pénible, le moins reptilien, le moins tragique et gluant, le moins répulsif et lépreux, le moins déshonorant et indigne, le moins indécent des propos de l’invité récidiviste ! Il creuse toujours, sans se lasser, pour déterrer Senghor et brûler ses os ! Mais la tombe de Sédar est un puits au fond inatteignable ! N’insulte pas Senghor qui veut pour aller dormir ensuite en ronflant ! Et dire que des liens de sang ont scellé par la volonté de Dieu les Senghor à sa famille ! Nul n’est un chef-d’œuvre achevé, hormis Dieu ! Senghor est déjà «mémorisé», «mémorialisé» avant toute mémoire. Il est «Onussisé». Il est «panafricanisé». Il est mondial Il est une histoire ineffaçable, une grande et très belle histoire. Comme Cheikh Anta Diop !
Nous nous inclinons respectueusement devant la famille de ce cruel et hérétique pourfendeur de métier, une famille où veille un homme hors du commun, un immense, intense et bel esprit. Il est dans l’ombre. Il est dans le silence, la paix, la méditation, la prière et la lumière des livres. Il est bon et affectueux. Et nous l’aimons de tout notre cœur. La revanche et les insultes aux morts, ne sont dignes d’aucune créature humaine, à moins de s’être éloigné et des hommes et même des bêtes, loin, très loin du divin ! Que le Seigneur veille sur cet homme pierreux, à l’âme sèche. Qu’Il lui ôte ce poison du cœur. Qu’il éteigne en lui cet incendie qui l’habite et le consume ! En paix, revenons à Senghor et à Cheikh Anta Diop ! On peut facilement penser que «Les deux hommes n’étaient pas faits pour se rencontrer, ni même pour s’estimer.» Et pourtant, c’est ce qui est arrivé. Cela est dû à un seul mot, une seule soif, une seule quête : la culture ! Senghor, poète et homme d’État, «homme du destin et de l’Histoire.» Cheikh Anta : «la permanence de l’intelligence», l’énergie et la rage du chercheur chevillé à rendre à l’Afrique prodigieuse son éclat et sa grandeur. Un temps jadis gouverné par deux grands penseurs et chercheurs ! Ce printemps si rare, à la fois ensoleillé et givré quelque part, reviendra-t-il ? Nous en sommes profondément nostalgique ! Le futur vaudra-t-il ce passé si rempli, si puissant, si nourrissant ? Nous en doutons au regard de la course folle des hommes vers l’argent, l’inculture, le pouvoir.
Par-dessus les générations, ce que nous avons vu et vécu au Sénégal avec Senghor, Cheikh Anta Diop, Pathé Diagne, Birago Diop, Sembene Ousmane, Majmouth Diop, Abdoulaye Ly, Amadou Mokhtar Mbow, Assane Seck, Alioune Diop de Présence africaine, Alioune Sène, Bara Diouf, Moustapha Niasse, Djibo Ka, Mame Less Dia, Doudou Sine, Abdou Anta Ka, le sociologue Pierre Fougeyrollas, le mathématicien Souleymane Niang, Sémou Pathé Guèye le philosophe, le Professeur Alassane Ndao, et tant d’autres, comme époque d’un foyer ardent de culture et d’esprit de révolte et de contestation, jusque dans l’arène politique aujourd’hui si rabougrie et miséreuse, ne peut être comparé à nul autre temps. Senghor resta intraitable avec ses brillantissimes opposants, intellectuels émérites. Répressif - au sens où on laisse l’individu exercer sa liberté tout en lui assignant des limites dont la transgression entraîne une sanction pénale prononcée par une juridiction-il ne lâcha rien. Les opposants non plus. Ce fut un temps de belles et grandes gueules, de «grandes plumes, de rigueur, de mentorat, de grande exigence !» Les têtes étaient pleines, les acteurs charismatiques et brillants, cultivés jusqu’à la moelle et rebelles. Nul n’entendait parler d’argent, de corruption, de manque d’éthique et de dignité ! Seules les idées portées par une immense culture, l’engagement intellectuel, le courage politique, dominaient. Respect !
Sous Senghor et Cheikh Anta, les relations, les luttes et les combats entre l’élite intellectuelle et le pouvoir, étaient une délicieuse confiture. Senghor prenait sa plume, comme intellectuel et non comme chef d’État, pour répondre directement par presse interposée, à ses détracteurs. Ce fait est rare et unique ! Il ne serait pas inintéressant de se poser aujourd’hui, depuis le départ de Senghor, la question du «rapport des intellectuels et des ‘écrivains’ au pouvoir, et quel est le rapport du pouvoir aux intellectuels, ‘aux écrivains ‘» Ne serait-il pas utile que « les intellectuels et les écrivains empêchent que la direction du changement soit exclusivement l’affaire des hommes au/du pouvoir ?»
Toujours ou très souvent, partout, «Les intellectuels mettent en cause l’ordre établi et contestent la gestion de la vie sociale en dénonçant le manque de démocratie et de liberté, l’injustice sociale, la domination extérieure acceptée selon eux par le pouvoir. Exclus des lieux des décisions nationales, ces intellectuels réagissent à cette exclusion en se repliant sur des idéologies ou des positions doctrinales…»
Cheikh Anta Diop restera Cheikh Anta Diop. Senghor restera Senghor. Immortels et éternels tous les deux. Prions pour Sédar et Cheikh Anta. Qu’ils reposent en paix. Apprenons à nous élever, à grandir et à servir le beau ! Seul le beau rend beau ! Août 2024.
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JUBBANTI, ÉLEVONS CETTE LANGUE EN ÉLEVANT SON ORTHOGRAPHE
«Jubbanti» et non Jubanti, «Ceddo» et non Cedo, «Siggi» et non Sigi ou encore Kër et non Keur . Adoptons la bonne orthographe. La parole d’Arame Fal, de Pathé Diagne, Cheikh Anta Diop ou d'Ousmane Sembène est souveraine. Explication de Mademba Ndiaye
Au moment où le débat sur l’introduction des langues nationales dans le système éducatif est très actuel, il n’est pas juste que des responsables au sommet ne respectent pas les normes orthographiques de ces langues dans leur communication officielle.
Dans le slogan de campagne en wolof «Jub Jubal Jubbanti » du Pastef, le mot «Jubbanti » est souvent écrit avec un seul « B ». Ce qui est une faute du point de vue des linguistes confirmés. Bien que les spécialistes eurent donné la règle juste, les membres du Pastef semblent persister à écrire ce mot à leur convenance, avec un seul « B » au lieu de 2 « BB ».
En répondant à notre entrevue sur le Pacte de Bonne gouvernance, Mademba Ndiaye invite les membres de Pastef à adopter humblement la bonne orthographe, celle retenue par les scientifiques qui font autorité dans ce domaine.
Mais quand on remonte l’histoire, cette question de l’orthographe juste de certains mots wolof n’est pas nouvelle comme le rappelle fort à propos Mademba Ndiaye.
Sous le magistère du président Léopold Sédar Senghor, bien des mots wolof ont ainsi fait l’objet de débat féroce entre intellectuels. Le président Senghor, poète confirmé et puriste s’était affronté au trio composé d’Ousmane Sembène,, Pathé Diagne et Cheikh Anta quant à l’orthographie des mots « Ceddo», « Siggi » par exemple.
Senghor, le poète, grammairien et puriste de la langue imposant de manière péremptoire sa volonté au linguiste Pathé Diagne, à l’écrivain-réalisateur Ousmane Sembène, ou à l’historien Cheikh Anta Diop, savant plutôt pluridisciplinaire, qui n’est pas un nain en matière de linguistique, lui qui a établi la patentée linguistique entre les peuples d’Afrique.
En somme, l’écriture du mot JUBBANTI » a amené le journaliste émérite Mademba Ndiaye, aujourd’hui consultant, à rappeler cette histoire entres ces géants intellectuels dans leurs domaines respectifs a ceux qui ont oublié ou à le faire savoir à ceux qui ne l’ont jamais appris, notamment les jeunes.
Suivez son explication dans cette vidéo.
L'ÉDITORIAL DE RENÉ LAKE
DÉCOLONISER LA JUSTICE
EXCLUSIF SENEPLUS - Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution
Aller chercher le savoir jusqu’en…Chine ! Cette recommandation de bon sens est une invite à aller au-delà des frontières de la vieille métropole coloniale pour chercher les meilleures pratiques (best practices), surtout quand, dans un domaine particulier, celle de l’ex-colonisateur n’est pas le meilleur exemple pour la bonne gouvernance à laquelle les Sénégalaises et les Sénégalais aspirent. S’il y a bien un domaine où la France n’est pas une référence à l’échelle mondiale, c’est bien celui de la Justice dans son rapport avec l’Exécutif.
Dans un État démocratique et de droit, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire est fondamentale pour assurer le bon fonctionnement et l'indépendance de chaque institution. Au lendemain de la remise au président Diomaye Faye du rapport général des Assises de la justice qui se sont tenues du 15 au 17 juin 2024, ce texte a l’ambition de mettre en lumière l'importance de cette séparation et pourquoi il est critiqué que le président de la République soit également le président du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Prévention de l'abus de pouvoir. La séparation des pouvoirs empêche la concentration excessive de pouvoir entre les mains d'une seule personne ou d'un seul organe. Chaque branche agit comme un contrepoids aux autres, ce qui limite les abus potentiels et favorise la responsabilité.
Indépendance judiciaire. En particulier, l'indépendance du pouvoir judiciaire est essentielle pour garantir des décisions impartiales et justes. Les juges doivent être libres de toute influence politique ou pression externe afin de pouvoir appliquer la loi de manière équitable. En de bien nombreuses occasions, tout le contraire de ce que l’on a connu depuis plus de 60 ans au Sénégal et qui a culminé pendant les années Macky Sall avec une instrumentalisation politique outrancière de la justice.
Fonctionnement efficace du législatif. Le pouvoir législatif doit être libre de proposer, examiner et adopter des lois sans interférence de l'exécutif ou du judiciaire. Cela assure la représentation démocratique des intérêts de la population et la formulation de politiques publiques diverses et équilibrées.
Le président de la République et le Conseil Supérieur de la Magistrature -
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est souvent chargé de la nomination, de la promotion et de la discipline des magistrats. Dans de nombreux pays démocratiques, il est critiqué que le président de la République soit également le président de cet organe pour plusieurs raisons notamment celle du conflit d’intérêt potentiel et de la menace pour la séparation des pouvoirs.
En occupant simultanément ces deux fonctions, le président peut influencer directement les décisions judiciaires et les nominations de magistrats, compromettant ainsi l'indépendance judiciaire. Cette perversion n’a été que trop la réalité de la justice sénégalaise depuis les années 60 avec une accélération sur les deux dernières décennies avec les régimes libéraux arrivés au pouvoir après une alternance politique.
Cette situation a fortement affaibli la séparation des pouvoirs au Sénégal en concentrant trop de pouvoir entre les mains de l'exécutif, ce qui a régulièrement mené à des décisions politiquement motivées plutôt qu'à des décisions basées sur le droit.
La crainte d’une République des juges -
Les acteurs sociaux favorables à la présence du chef de l’État dans le CSM invoquent régulièrement la crainte d’une "République des Juges". Cette idée d'une "République des juges" où le pouvoir judiciaire dominerait les autres branches gouvernementales, n'est pas pertinente dans un système démocratique où il existe de multiples recours et des contrepoids aux potentiels abus des juges. Cette idée relève plus du fantasme jacobin que d’un risque réel dans une démocratie bien structurée, où il existe plusieurs niveaux de recours judiciaires permettant de contester les décisions des juges. Ces recours assurent que les décisions judiciaires peuvent être réexaminées et corrigées si nécessaire.
Par ailleurs, le pouvoir législatif a le rôle crucial de créer des lois et de superviser l'exécutif. En dernier ressort, le législatif peut modifier des lois pour contrer toute interprétation judiciaire excessive ou inappropriée, assurant ainsi un équilibre des pouvoirs.
Enfin, l'indépendance judiciaire signifie que les juges sont libres de rendre des décisions impartiales, mais cela ne signifie pas qu'ils sont au-dessus des lois ou qu'ils ne sont pas responsables. Les juges doivent toujours interpréter et appliquer les lois dans le cadre des normes constitutionnelles établies par le législatif.
La crainte d’une République des juges est un chiffon rouge agité en France depuis longtemps pour justifier un système judiciaire bien plus attaché à l’Exécutif que dans les autres démocraties occidentales.
Historiquement, le président de la République française a été le président du Conseil Supérieur de la Magistrature. Cette pratique a été critiquée pour son impact potentiel sur l'indépendance judiciaire. Actuellement, la réforme de 2016 a réduit le rôle direct du président dans le CSM, mais des questions persistent sur l'indépendance réelle.
De son côté, le système américain illustre une stricte séparation des pouvoirs, où le président n'a qu’un rôle indirect dans la nomination des juges fédéraux. Dans ce processus le président est chargé uniquement de nommer et seul le Sénat américain détient le pouvoir de rejet ou de confirmation. Cela vise à maintenir une certaine distance entre l'exécutif et le judiciaire.
L'Allemagne pour sa part maintient également une séparation rigoureuse des pouvoirs avec des organes distincts pour l'exécutif, le législatif et le judiciaire, évitant ainsi toute concentration excessive de pouvoir et préservant l'indépendance du pouvoir judiciaire.
Le modèle progressiste sud-africain -
L'Afrique du Sud offre un cas fascinant de respect de la séparation des pouvoirs, essentielle pour la stabilité démocratique et la protection des droits constitutionnels depuis la fin de l'apartheid. Suit une exploration de la manière dont la séparation des pouvoirs est respectée dans le système judiciaire sud-africain.
La Constitution sud-africaine, adoptée en 1996 après la fin de l'apartheid, établit clairement les pouvoirs et les fonctions de chaque institution de l’État : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Elle garantit également les droits fondamentaux des citoyens et définit les principes de gouvernance démocratique.
La Constitution insiste sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, affirmant que les tribunaux sont soumis uniquement à la Constitution et à la loi, et ne doivent pas être influencés par des intérêts politiques ou autres pressions externes. Les juges sont nommés de manière indépendante, et leurs décisions ne peuvent être annulées que par des procédures juridiques appropriées, garantissant ainsi leur autonomie dans l'interprétation et l'application de la loi.
La Cour constitutionnelle est la plus haute autorité judiciaire en matière constitutionnelle en Afrique du Sud. Elle est chargée de vérifier la constitutionnalité des lois et des actions du gouvernement, de protéger les droits fondamentaux des citoyens, et de maintenir l'équilibre entre les pouvoirs. La Cour constitutionnelle a le pouvoir de rendre des décisions contraignantes pour toutes les autres cours, garantissant ainsi l'uniformité et la primauté du droit constitutionnel.
En plus de la Cour constitutionnelle, l'Afrique du Sud dispose d'un système judiciaire complet avec des tribunaux inférieurs qui traitent des affaires civiles, pénales et administratives à différents niveaux. Chaque niveau de tribunal joue un rôle spécifique dans l'administration de la justice selon les lois applicables.
La Cour constitutionnelle a souvent été appelée à vérifier la constitutionnalité des lois adoptées par le Parlement sud-africain. Cela démontre son rôle crucial dans le maintien de la séparation des pouvoirs en s'assurant que les lois respectent les normes constitutionnelles et les droits fondamentaux.
Les juges en Afrique du Sud sont nommés sur la base de leur compétence professionnelle et ne sont pas soumis à des influences politiques directes. Cela garantit que leurs décisions sont prises en fonction du droit et non de considérations partisanes ou externes.
La séparation des pouvoirs renforce la protection des droits fondamentaux des citoyens en permettant au pouvoir judiciaire d'agir comme un contrepoids aux actions potentiellement inconstitutionnelles ou injustes du gouvernement ou du législateur.
En respectant la séparation des pouvoirs, l'Afrique du Sud renforce la confiance du public dans le système judiciaire, crucial pour la stabilité politique, économique et sociale du pays.
Se référer aux bonnes pratiques –
La Fondation Ford a joué un rôle significatif et historique dans le processus d'élaboration de la Constitution sud-africaine de 1996. Franklin Thomas, président de cette institution philanthropique américaine de 1979 à 1996, a été un acteur clé dans ce processus. Avant les négociations constitutionnelles officielles qui ont conduit à la Constitution de 1996, l’institution philanthropique américaine a soutenu financièrement des recherches approfondies et des débats critiques sur les principes et les modèles constitutionnels. Cela a permis de jeter les bases d'une réflexion constructive et informée parmi les diverses parties prenantes en Afrique du Sud.
Des rencontres et des dialogues ont été facilités entre les leaders politiques, les juristes, les universitaires, ainsi que les représentants de la société civile et des communautés marginalisées. Ces forums ont joué un rôle crucial en encourageant la participation démocratique et en favorisant la compréhension mutuelle nécessaire à la construction d'un consensus constitutionnel.
Par ailleurs, plusieurs organisations de la société civile en Afrique du Sud ont joué un rôle actif dans les négociations constitutionnelles. Cela comprenait des groupes de défense des droits humains, des organisations communautaires et des instituts de recherche juridique.
En encourageant des initiatives visant à promouvoir la justice sociale, l'équité raciale et les droits fondamentaux, ces efforts ont contribué à ancrer ces valeurs dans le processus constitutionnel sud-africain. Cela a été essentiel pour contrer les héritages de l'apartheid et pour établir un cadre constitutionnel solide basé sur les principes de l'État de droit et de la démocratie.
Le rôle de ces initiatives dans l'élaboration de la Constitution sud-africaine a laissé un héritage durable de liberté et de justice en Afrique du Sud. La Constitution de 1996 est largement reconnue comme l'une des plus progressistes au monde, protégeant une vaste gamme de droits et établissant des mécanismes forts pour la protection de la démocratie et de l'État de droit.
L'expérience sud-africaine a souvent été citée comme un modèle pour d'autres pays en transition ou confrontés à des défis de consolidation démocratique ou de rupture systémique. Elle démontre l'importance du partenariat entre les acteurs nationaux dans la promotion de la bonne gouvernance et des droits humains.
Nécessité d'une transformation systémique au Sénégal –
Avec l'arrivée au pouvoir du mouvement Pastef, il est crucial pour l’administration Faye-Sonko de ne pas tomber dans le piège des petites réformes qui maintiennent intact le système ancien mais d'envisager une réforme judiciaire qui s'inspire des meilleures pratiques internationales, telles que celles observées en Afrique du Sud.
Décoloniser et émanciper la justice au Sénégal implique de repenser et de réformer le système judiciaire de manière à renforcer l'indépendance, la transparence et l'efficacité. S'inspirer des meilleures pratiques internationales tout en adaptant ces modèles au contexte spécifique du Sénégal est essentiel pour promouvoir une gouvernance démocratique solide et durable, répondant aux aspirations des citoyens pour une justice juste et équitable. L’instrumentation politique de la Justice doit devenir une affaire du passé au Sénégal.
Réformer la Justice pour assurer la Rupture au Sénégal ne peut se concevoir que dans un cadre plus général de refondation des institutions. L’éditorial SenePlus publié sous le titre “Pour une théorie du changement“ développe cet aspect de manière explicite. L’ambition pastéfienne de sortir le Sénégal du système néocolonial est partagée par l’écrasante majorité des Sénégalais et des jeunesses africaines. Cette ambition doit cependant être exprimée dans la présentation d’un cadre général clair, discuté et élaboré avec les citoyens. Le processus doit être réfléchi, inclusif et sérieux. Cela aussi, c’est la Rupture exigée par les Sénégalaises et les Sénégalais le 24 mars 2024.
LE SÉNÉGAL DE SENGHOR À SONKO, UNE GESTION PARADOXALE DE L'ÈRE POSTCOLONIALE
Nous assistons à l’ouverture de la troisième République, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia
Gaston Kelman et Jemal M Taleb |
Publication 07/04/2024
Le Sénégal ne laisse aucun Africain indifférent parce qu’il s’est toujours présenté comme un modèle unique. Unique, il l’a été dans l’approche mémorielle de l’histoire de l’Afrique. En effet, avec la porte de non-retour de l’île de Gorée, on a le mémorial qui a su imposer à tous les présidents américains de s’incliner devant le drame de la traite négrière. On se serait attendu à ce que chaque côte africaine ait le sien. Le Sénégal l’a fait. L’honneur est sauf. Un jour peut-être… Un jour qui sait… Les autres comprendront que les âmes des déportés attendent cela de nous pour devenir respectables au pays des ombres. Après le mémorial pour l’histoire, la bien nommée Statue de la Renaissance dont l’espérance de vie est plus que millénaire, pointe le doigt vers un avenir radieux et offre au continent qui en manque cruellement, une trace de notre génération pour la postérité.
Mais le Sénégal est aussi unique dans sa gestion paradoxale de l’ère postcoloniale, mélange d’une aliénation outrancière à l’Occident et du plus bel espoir de changement. En effet, la gouvernance des nations africaines postcoloniales s’inscrit sur quelques axes majeurs. Les frontières entre ces axes ne sont pas étanches. Nous allons nous contenter d’en illustrer trois ici, parce qu’ils comportent des des éléments assez forts non perceptibles à première vue. Tous ces axes sont des suites bien logiques d’une histoire unique, celle de l’Afrique et de l’Afrique francophone en particulier, faite de violence, de soumission, d’humiliation, d’aliénation, de traumatisme. Il y a au cœur de tout cela, cette difficulté de la France à comprendre que le monde évolue, même l’Afrique. Puis on voit poindre quelque chose comme une aube nouvelle au pays des énigmatique Signares.
Premier axe : le temps des coups d’état.
Le coup d’état est un mode assez répandu d’accès au pouvoir en Afrique. C’était le modèle le plus logique. Le colon avait fait signer des accords iniques par des dirigeants dont il avait organisé l’accession au pouvoir. Si quelqu’un ne correspondait pas ou plus à son modèle, il le faisait déposer par un plus docile. Tenus par la peur, les dirigeants espéraient ne pas devoir assister à la destruction programmée de leur pays comme ce fut le cas pour la Guinée, parce que Sékou Touré avait osé dire non au plan unilatéral de la France sur son pays.
Un autre aspect justifiait le coup d’état. Le colon a usé de la violence comme seul modèle d’exercice de pouvoir sur les indigènes. Le gouverneur venu d’un pays démocratique n’était pas élu par ceux qu’il dirigeait. Il leur était imposé par la force et exerçait cette force sur eux comme unique outil de gouvernance. C’est donc le seul modèle de dévolution et de conservation de pouvoir que le dirigeant africain connaissait.
Il convient de noter que le coup d’état n’est pas mort. Il reprend même de la vigueur. Pourtant, le concept a très fortement évolué. Jadis, c’est l’Occident qui fomentait des coups d’état pour mettre des dirigeants à sa solde. Il n’a d’ailleurs pas abandonné cet axe. Mais aujourd’hui, les coups d’état sont aussi organisés localement pour déposer les dirigeants que l’on juge trop à la solde de l’Occident.
Deuxième axe : la tentation dynastique.
Il y a quelques années, le coauteur de ce texte, Gaston Kelman, publiait un article intitulé « La tentation dynastique ». Il soutenait que c’était le modèle de gouvernance le plus conforme aux aspirations des humains. C’est celui dont on trouve la trace dans tous les peuples non acéphales. En Occident, il était déjà en cours pendant la période de barbarie médiévale. On le retrouve à la renaissance et il assure le développement de l’Occident. La démocratie inventée cinq siècles avant l’ère chrétienne ne séduit personne et n’a absolument pas ébranlé ce modèle qui allait de pair avec la monarchie. C’est quand il a achevé son développement avec ce système aux contours clairs – je suis le chef et je lègue le pouvoir à mon fils – que l’Occident a mis en place ce fourre-tout qui a pour nom « démocratie » dont on ne trouve pas une application identique dans deux pays. Ici, on a recours à la votation-référendum, ailleurs la démocratie est dite représentative, avec une élection par les individus ou par les grands électeurs, au scrutin uninominal ou de type proportionnelle, elle même totale ou partielle. Et après avoir démocratiquement élu ses représentants, le peuple est obligé de descendre dans la rue tous les jours pour se faire entendre, pour faire respecter ses droits, parce que quelques lobbies n’en font qu’à leur tête et se paient la sienne.
La tentation dynastique est logique dans les nations en construction comme les nations africaines ou les… Etats-Unis d’Amérique. Qui peut imaginer que Georges W. Bush aurait été président si son père ne l’avait été avant lui ! Hilary Clinton aurait-elle rêvé de la Maison blanche si elle ne l’avait connue à travers son Bill ! On sait que Barack Obama y a pensé – et peut-être y pense encore – pour sa Michelle et que les Kennedy un instant ont été convaincus qu’ils allaient se céder le bail les uns après les autres, par ordre d’aînesse sur plusieurs générations. En Occident et en France en particulier, les présidents de la république créent souvent une véritable cour familiale autour d’eux.
Fort logiquement, le modèle dynastique a le vent en poupe en Afrique. Il ne s’agit point d’approuver ou de désapprouver. Personne ne se félicitait des coups d’état. Ils étaient logiques parce que le dominant ne voulait pas lâcher le dominé. Le modèle dynastique qui s’insinue dans le paysage africain charrie toute la panoplie de personnages qui va avec, le dauphin, le régent et même Brutus. Parfois elle prend des formes qui pourraient échapper aux statistiques. Sur une vieille photo en noir et blanc des années 1960/1970 (à voir en illustration 2), on voit divers personnages. Ce qui les caractérise, c’est qu’ils ont tous exercé le pouvoir suprême et continuent à se léguer le palais présidentiel. Il y a la Jomo Kenyatta, premier président du Kenya (1964/1978) qui tient un gamin de cinq ans par la main. On y voit Daniel Arap Moï qui sera le deuxième président (1978/2002) et Mwaï Kibaki (2002/2013) qui sera le troisième. L’enfant que Jomo tient en main, c’est son fils Uhuru, qui avait été élu en 2013.
Point n’est besoin de faire l’inventaire de la situation actuelle. Les cas sont nombreux. On a – ou on a eu – au pouvoir des régences, des Brutus et des dauphins. Il paraît que le président camerounais, un modèle assez exceptionnel de longévité, caresserait le rêve – ou y serait poussé par la courtisanerie – de voir son fils Franck lui succéder.
L’axe majeur : les nervis de l’Occident et de la France en particulier.
L’Afrique est secouée par des mouvements de révolte. On a l’impression d’assister au deuxième acte des indépendances. Ces mouvements sont-ils identiques partout ? Ce qui est certain, ils sont tous placés sous un commun dénominateur, le sentiment anti français. C’est ce bel euphémisme qu’ont choisi les médias hexagonaux. Mais hélas, la situation est bien plus explosive, beaucoup plus préoccupante qu’un pâle sentiment. Il s’agit de la haine suscitée et entretenue par l’arrogance des gouvernants français, leur autisme face aux évolutions en Afrique. Cette situation est décriée même par certains élus et inconditionnels de la France. Cette situation a créé un sentiment de ras-le-bol qui frise l’asphyxie au sein de la jeunesse.
Il existe sur le continent des dirigeants que l’on considère à la solde de la France. Ils seraient plus là pour les intérêts du maître que pour le développement de leur pays. Ce sentiment a été renforcé récemment par le soutien que ces dirigeants on apporté à l’Eco, cette monnaie que l’on a proposé pour remplacer le CFA.
La colère a franchi un cran avec la levée de bouclier de la CEDAO contre le coup d’état au Niger. La lecture que le continent a fait de la position de la CDEAO était qu’elle obéissait à la France qui gigotait dans des positionnements ubuesques, d’un comique troupier. Certains de ces présidents vont jusqu’à dire qu’ils doivent tout à la France et que leurs pays vivent sous perfusion grâce à l’aide au développement. L’obstination de la France à s’appuyer sur ces nervis, plutôt que de concevoir un autre système de relations avec l’Afrique, voilà le carburant du ressentiment de la jeunesse africaine. Et parmi cette jeunesse, on compte le nouveau pouvoir du Sénégal.
Le Sénégal, un cas à part.
Puis il y a le Sénégal qui apparaît au départ comme la terre de l’aliénation et de l’adaptation simiesque au modèle occidental, et français en particulier. Paradoxalement au fil de l’évolution de la gouvernance de ce pays, on observe un mouvement ascendant, comme irrésistible, espoir de désaliénation. Avec l’avènement du nouveau pouvoir, nous avons réparti l’ère post coloniale du Sénégal en trois républiques.
1. Senghor et la république de l’aliénation.
Qu’est-ce qui a pu pousser ce Sérère dans cet inattendu degré d’aliénation pour un intellectuel ! En effet, l’on conçoit fort bien que le traumatisme de l’impérialisme pousse le dominé à se croire inférieur. Mais dans toutes les situations, l’essence de l’intellectuel est de prêcher la libération, ce bien vers lequel aspire tout individu. Et du temps de la lutte pour la libération, on n’imaginait pas un intellectuel digne de ce nom qui ne soit pas « engagé ». L’engagement était le signe distinctif de l’intellectuel colonisé et toutes les dissertations de français tournaient autour de ce thème.
Des compagnons de route de Senghor qui ont connu la même histoire (Mamadou Dia le colonisé) ou même des situations plus complexes (Césaire, descendant d’esclave et colonisé) ont eu des discours plus libres, plus engagés. On n’oubliera pas Le discours sur le colonialisme de Césaire et son cri selon lequel, le malheur de l’Afrique c’est d’avoir rencontré la France. On n’oubliera pas non plus le Cahier d’un retour au pays natal, véritable manifeste de la libération et de la grandeur future de l’Afrique qu’il voit « multiple et une, verticale dans sa tumultueuse péripétie, avec ses bourrelets et ses nodules, un peu à part, mais à portée du siècle comme un cœur de réserve ».
Senghor ne voit l’Afrique que sous la tutelle de la France. Il est dans une allégeance assumée, revendiquée, professée. Il veut y embarquer le Sénégal et toute l’Afrique qui pour lui est «attachée à la France par le nombril». Le plaidoyer du premier président par rapport à la langue française est tout simplement inqualifiable. Le Français, cet outil merveilleux qu’il aurait trouvé dans les décombres du colonialisme, il voudrait l’ériger en trésor africain, dont les langues maternelles occuperaient désormais la même place que le basque ou l’occitan. La fascination de Senghor par rapport à la langue française – et l’allégeance à la France qu’elle reflète – est sans borne. « Le français, offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des alizés la nuit sur les hautes palmes, à la fulgurance de la foudre sur la tête des baobabs_ ». Désormais, après avoir fait verdir les chênes et rougir les vignes, la poésie française sifflera sur la cime des palmiers et des baobabs d’Afrique. On a l’impression que pour lui, son sérère natal, le wolof, le bambara, la langue de Servantes ou celle de Dante ne peuvent pas exprimer la poésie. En un mot, c’est la France et la colonisation qui ont créé l’Afrique. La France elle-même n’en demandait pas tant.
On a de la peine a penser qu’un intellectuel, de surcroit président d’un état, ignore que les deux fondements d’une nation sont justement le territoire et la langue ; que comme le lui opposera Sembene Ousmane, «on ne décolonisera pas l’Afrique avec les langues étrangères». Justement, Senghor ne demande pas la décolonisation de l’Afrique, mais son effacement et sa dissolution dans la francophonie. Vous avez dit francophonie ! On lui offre généreusement d’avoir été le créateur de cette supposée unité culturelle. On lui offre une place à l’Académie française et un peu partout, on pense au timeo danaos_ du grand prêtre troyen Laocoon. Après le poète qui voudrait assujettir le culture africaine à la francophonie, l’homme politique va défendre les intérêts de la France et pour atteindre cet objectif, rien ne va l’arrêter.
Même pas son compagnon de route, Mamadou Dia. Avec le père de la Négritude, il fonde en 1948 le Bloc Démocratique Sénégalais (BDS). Les rôles sont repartis. Senghor sera président de la république et lui Président du conseil des ministres dès 1956. C’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal. Le modèle de gouvernement est un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Senghor président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. Mamadou Dia élabore la politique intérieure et économique du pays. Plus radical que Senghor, il veut rompre le vis-à-vis avec la France en diversifiant les partenaires. Pour Senghor c’est non-négociable. Il organise le renversement de Dia pour sauvegarder les intérêts de la France et le condamnera à la prison à perpétuité dont il purgera douze années.
En quoi la position du poète président est-elle exceptionnelle ? L’Afrique a connu et connaît encore des dirigeants assujettis. Mais chez les uns et les autres, on sent plus la peur que la conviction. Il y a parfois aussi des aliénés naïfs qui pensent que l’aide de l’occident leur est nécessaire. Avec Senghor, nous sommes en présence du complexe du dominé qui n’arrive pas à se libérer de l’emprise du maître. L’aliénation de Senghor est unique. Il n’a pas peur de la France, il l’aime. Il lui est dévoué. Il est convaincu qu’elle est supérieure et que l’Afrique doit l’accepter et s’arrimer à elle, faire partie comme au temps jadis, de l’empire colonial, de la même façon que la Martinique ou Wallis et Futuna.
L’ère de l’aliénation Senghorienne se terminera avec l’appendice Abdou Diouf, roi fainéant, qui récoltera lui aussi pour services rendus, une retraite dorée au sommet de l’organisation de la… francophonie.
Abdoulaye Wade le bâtisseur ou la deuxième république.
Après l’intermède Diouf, un géant de l’Afrique contemporaine prend le pouvoir au Sénégal. C’est aussi un ancien et permanent opposant à Senghor. Abdoulaye Wade arrive au pouvoir à la faveur de la démocratie, ce canevas de la culture occidentale supposé universel et panacée du développement. C’est occidental, donc c’est excellent pour cette annexe de l’Occident que le Sénégal a toujours rêvé d’être. Les longues années de l’opposition, et l’indéniable intelligence de Gorgui, cet homme plein d’ambition pour son pays, vont faire le reste. L’homme est un prince bâtisseur. Il ne veut rien de moins que de changer la face du Sénégal. Il ouvre des chantiers pharaoniques dans l’urbanisme et les infrastructures. La puissance symbolique de certaines de ses réalisations est inégalée. La statue de la Renaissance est la première merveille de l’Afrique contemporaine et les monuments qu’il envisage de bâtir sous le nom des sept merveilles sont une ambition de grand homme.
Abdoulaye Wade va solliciter un troisième mandat pour terminer l’œuvre engagée. Il ne l’aura pas. Si Senghor a réussi à positionner son dauphin, Wade sera éjecté par le sien, Brutus Macky Sall. L’homme mènera une campagne farouche contre son ancien mentor pour soutenir contre vents et marrées cette nouveauté qu’est la limitation des mandats. Le Sénégal y tient mordicus, car ce doit être un indicateur des sociétés civilisées. Le discours le plus courant de Dakar à l’époque était le suivant. « Wade est excellent. On n’aura pas mieux, mais il a fait ses deux mandats, il doit partir ».
Que retiendrons-nous du règne appenditiel de Macky Sall ? Qu’il a poursuivi vaille que vaille quelques chantiers de Wade ; qu’il a construit un TER trop utile mais trop coûteux, ou qu’il se félicitait de l’amour que la France a toujours manifesté pour le Sénégalais, puisque les soldats sénégalais avaient le dessert et les autres rien. Peut-être on retiendra aussi cet alignement caricatural et attristant à l’option dictée par Paris sur les coups d’état qui secouent le Sahel. Mais on retiendra surtout sa volonté farouche de ne pas s’appliquer la limitation de mandats. Et tout y est passé, l’interprétation très opportuniste des textes constitutionnels, le harcèlement et l’emprisonnement arbitraire des opposants, la répression sanglante des soulèvements populaires…
Bassirou Diamoye Faye et la rupture de la troisième république.
Une image a fait le tour de la planète. Un jeune homme arpente une plateforme, une femme à sa droite, une femme à sa gauche. Cet jeune homme, c’est le nouveau président du Sénégal le soir de son élection. Et ces deux jeunes dames, ce sont ses épouses. Nous sommes au Sénégal, un pays africain où la polygamie est autorisée. Nous sommes en présence de Bassirou Diamoye Diakhar Faye, le tout nouveau président de la république et de deux jeunes dames, en beauté, en grâce et au port altier. On écrirait une encyclopédie en plusieurs volumes pour analyser la puissance de cette image. En Afrique, beaucoup de présidents ont plusieurs épouses. Mais la pensée unique leur interdit d’assumer leur culture. La même pensée unique ici vante parfois son charme et l’appelle affectueusement « poly amour ». Alors, ces présidents et hauts responsables tartuffent à qui mieux-mieux et laissent leurs épouses dans l’ombre. Le jeune président assume. Mais ce n’est pas tout.
Le jeune homme qui parade avec ses deux épouses n’est pas celui qui était prévu à cette place. En fait, le père de cette aventure se nomme Ousmane Sonko, l’homme a abattre du régime Sall. Il aurait pu mettre le Sénégal à feu et à sang. Il a choisi une voie inédite. Puisqu’il est l’homme a abattre, puisqu’il ne cherche pas le pouvoir mais le bien du Sénégal, il trouve parmi ses compagnons celui que le magnat Sall ne pourra pas récuser. Et comme l’équipe est porteuse d’une vision et que nous sommes au Sénégal où on ne court pas derrière un messie mais derrière un programme de changement, le choix du parti est plébiscité par le peuple. On a connu des situations en Afrique où des candidats demandaient le boycott des élections présidentielles quand ils ne pouvaient pas se présenter ou celui des autres scrutins pour qu’il n’y ait pas un conseiller municipal de leur parti, encore moins un maire ou un député qui pourraient leur faire de l’ombre.
Quelle que soit la suite que ce gouvernement donnera à son aventure, nous assistons à une authentique révolution dans le modèle de gestion du pouvoir en Afrique. Nous assistons à l’ouverture de la troisième république, celle de la renaissance, mais surtout de la fierté d’être africain avec ou sans l’onction de l’ancien maître. On survivra sans le dessert. Et l’on retrouve ici comme la réhabilitation de Mamadou Dia.
Tout le monde peut se revendiquer de Mamadou Dia puisque l’aliénation senghorienne ne fait plus recette. Le baptême d’un bâtiment ou d’une rue en son nom, c’est bon à prendre. Mais l’ancien président du Conseil posait l’autonomie de son pays par rapport à la France comme un impératif. Depuis son éviction, aucun président sénégalais, même pas Abdoulaye Wade, n’a osé relever le défi, viser ce niveau d’émancipation mentale. C’est donc à ce rendez-vous avec l’histoire que l’on attend de cette équipe de jeunes au profil de baba cool. Elle aussi revendique l’héritage de Dia. Le discours de campagne allait dans ce sens. Ousmane Sonko et ses camarades ont martelé leur exigence : que la France nous laisse tranquille comme les autres anciennes puissances coloniales le font pour leurs anciennes colonies. Les premiers gestes de la nouvelle équipe sont prometteurs et portent une puissance symbolique novatrice. Et en filigrane, on croit entendre comme ces mots d’Aimé Césaire quand il hurle aux autres, accommodez-vous de moi, je ne m’accommoderai point de vous.
Gaston Kelman est écrivain.
Jemal M Taleb est avocat au barreau de Paris, Diamantis & Partners.
ELGAS DÉCRYPTE L'ALTERNANCE AU-DELÀ DES DISCOURS CONVENUS
Les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme. Ce qu’on appelle système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille - ENTRETIEN
Elgas revient avec recul et nuance dans cet entretien sur l'élection de Diomaye Faye et sur la véritable portée de cette alternance politique. Il interroge notamment l'idée d'une rupture définitive avec l'héritage de Senghor et replace le débat sur l'indépendance du Sénégal dans une perspective historique plus large.
Seneweb : La victoire de Bassirou Diomaye Faye à l’élection présidentielle a été présentée au Sénégal aussi bien qu'ailleurs comme une rupture avec l’ère inaugurée par Léopold Sédar Senghor. Partagez-vous ce point de vue ?
Elgas : Cela me semble être une lecture paresseuse, facile et rapide. Elle est du reste un récit que font pro domo les dégagistes, en oubliant une donnée majeure : les ruptures sont incarnées par des pratiques sur le long-terme ; les annonces sont souvent des prophéties trahies et c’est bien là quelque chose de factuel. Un Etat, c’est d’abord une continuité institutionnelle. Toute alternance est porteuse de rupture, de nouveauté, de nouveaux horizons, certes l’illusion d’une pureté nouvelle est contraire à ce qui fait la force des administrations, leur capacité à survivre à toutes tempêtes. Attribuer un quelconque magistère presqu’éternel à Senghor, comme substance d’un système inchangé, c’est accréditer l’idée que tout était plus ou moins condamné d’avance et les dés pipés. Une nation, un pays, un Etat évoluent, souvent dans une lenteur institutionnelle imperceptible. Les marqueurs de l’ère Senghor, si jamais on devait arriver à les nommer – bicéphalisme avec Dia, centralité étatique, socialisme – ne sont pas restés structurants pendant les magistères suivants. Et si on reste dans une telle optique, c’est déresponsabiliser les gouvernants. Ce qu’on appelle système est souvent un fantasme collectif que la conquête du pouvoir cible et que son exercice réhabilite immanquablement d’où d’ailleurs le sentiment de statu quo. Bassirou Diomaye Faye a été bien élu, comme le furent avant lui Wade et Sall. Il lui reste de poser les actes d’une rupture avec les pratiques malfaisantes. Ce sont elles plus que le système, le nid des problèmes qui s’endurcissent avec le temps. Cela me paraît résolument plus pertinent que de pourchasser l’héritage de Senghor, c’est s’acharner sur l’ombre et pas la proie, préférer le confort des symboles à l’inconfort des faits.
Certains de ses partisans en commentant son élection ont déclaré : le Sénégal prend enfin son indépendance. Y a-t-il une part de réalité ?
C’est encore là la manifestation des euphories compréhensibles mais ivres et illusionnées. C’est presque nihiliste de supposer que les tous les hommes des régimes successifs, les intellectuels, les universitaires, les religieux, les artistes, les citoyens, n’ont jamais rien fait et se complaisaient dans une position d’allégeance. L’indépendance ne se proclame pas, elle se vit. Dans l’état actuel de notre économie, des flux de capitaux qui soutiennent encore l’édifice économique, d’un informel émietté qui ne donne pas de ressources majeures à l’Etat, les ambitions de souveraineté doivent répondre à un travail méthodique de longue haleine et à une habileté pour créer les conditions locales de la prospérité. Étant entendu qu’aucune autarcie, aucun isolement, aucune rupture avec le monde, et le flux des échanges, n’a jamais créé nulle part au monde, les conditions d’un essor. L’histoire regorge d’exemples de ce genre, les cités-Etats médiévales les plus développées étaient celles ouvertes au commerce du monde. Tout enclavement réduit la portée des échanges. La notion d’indépendance devrait du reste être étudiée dans sa symbolique au Sénégal, avec la notion de « surga », qui montre la prévalence d’une dépendance interne qui, inéluctablement, influe dans les consciences. L’indépendance est un horizon, sans illusion d’enfermement. On ne l’acquiert pas par un vote seul, fût-il démocratique mais par une ingénierie politique.
Le nouveau président s’est présenté dans Le Monde comme un “panafricaniste africain de gauche”. Ce qui fait un peu penser à Cheikh Anta Diop. Parmi les soutiens de M. Faye figure Dialo Diop, membre fondateur du Rassemblement National Démocratique (RND), le dernier parti politique créé par Cheikh Anta Diop. L’élection de ce nouveau président est-elle une forme de revanche de Cheikh Anta Diop sur Senghor?
Il y a bien longtemps que Cheikh Anta Diop a pris sa revanche sur Senghor. Il bénéficie d’une aura bien plus grande et il est plus cité. Mais attention également à ne pas épouser des récits tout faits. Wade comme Macky Sall ont revendiqué un ancrage panafricain, et Senghor davantage avec le FESMAN, les NEAS et il a fait de la capitale Dakar, le refuge et le havre d’un dialogue avec les Haïtiens entre autres. Il ne faut pas toujours dans une dynamique conflictuelle de segmentation du panafricanisme. Senghor est déjà condamné par le tribunal de l’histoire, mais ensevelir tout son héritage serait contre productif et bien injuste. La notion de panafricanisme de gauche est une habile trouvaille, c’est un pléonasme, parce que le panafricanisme est du côté de la justice, de la solidarité et de l’égalité. Mais très souvent, au pouvoir, il a trahi, l’exemple de Sékou Touré étant le plus emblématique des glissements où le pouvoir devient autoritaire, répressif, fermé à l’ouverture et ne gardant plus du panafricanisme comme identité vidée. La vigilance doit être de mise pour que les mots comme l’histoire ne soient pas tronqués.
Y a-t-il nécessité selon vous de réhabiliter Senghor et sa pensée ?
Senghor est présenté ou caricaturé comme le symbole de la soumission à la France ou jugé trop universel. La nouvelle ère qui s’ouvre sera-t-elle synonyme de repli identitaire comme certains le craignent ou plutôt de rééquilibrage ?
Je n’ai aucun catastrophisme avec le régime qui arrive. Je lui souhaite de réussir, tout en étant conscient que cela sera dur au vu des attentes. Je ne crains ni repli, ni racornissement de notre identité. Il serait bien vain de nier que Senghor avait des relations énamourées avec la France et que cela a influé dans sa gouvernance. Tout comme il faut se garder de condamnation définitive, il faut se garder de promettre l’échec au nouveau régime. Senghor ne doit pas être l’obsession du nouveau régime, ce serait une terrible erreur. Il a reçu un plébiscite, avec une plateforme formidable pour construire, il serait mal inspiré de s’assombrir avec l’énergie sombre de la rancœur. La terre espérée de l’homme c’est l’avenir, pas farfouiller dans les tombes.
Enfin, votre dernier essai s’intitulait « Les Bons Ressentiments ». Ces bons ressentiments ont-ils été palpables dans la séquence politique que nous venons de vivre ?
Je ne parlerai pas de bons ressentiments. Tout est prématuré pour l’instant pour statuer. Je parlerai de révolutions conservatrices. C’est ce qui a cours partout sur le globe. La défiance contre des élites, et le retour souhaité à des valeurs anciennes. C’est un bouleversement tant le conservatisme a toujours été populaire avec un État qui osait l’impopularité d’aller à rebours. Ce qui change c'est que le conservatisme est porté par l’Etat qui devient une caisse de résonance et pas de régulation de la foule. Beaucoup s’en réjouissent. J’ai plein de doute, pour dire le moins.
par Dialo Diop
LE LEGS POLITIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP ET LES DÉFIS CONTEMPORAINS
Éclairage sur les principes qui inspirèrent la conduite politique de Cheikh Anta durant ses années partisanes, et comment il fut un aiguillon du pouvoir senghorien, se positionnant contre le gouvernement tout en faisant recours aux institutions
Dans ce témoignage précis, Dialo Diop, compagnon de route du Rassemblement national démocratique (RND), apporte un éclairage sur les principes qui inspirèrent la conduite politique de Cheikh Anta Diop durant ses années partisanes, et comment il fut un aiguillon du pouvoir senghorien, se positionnant contre le gouvernement tout en faisant recours régulièrement aux institutions. En second lieu, il montre les traces actuelles de cet héritage, tant parmi les intellectuels que les militants.
Rencontre avec Cheikh Anta Diop et parcours intellectuel et militant
Hasard ou nécessité, mon père, Ibrahima Blondin Diop, fut un ami personnel de Cheikh Anta Diop. « Médecin africain » de formation, il a choisi, à la veille des « Indépendances africaines », de poursuivre un cycle complet d'études médicales à Paris (doctorat et spécialité en endocrinologie). De ce fait, mes frères et moi-même avons eu l'occasion de rencontrer Cheikh Anta Diop dès 1958, nos domiciles étant proches dans la banlieue parisienne, lui à Villemomble et nous à Gournay. Rentré au pays immédiatement après avoir soutenu sa thèse de doctorat d'Etat ès lettres en 1960, nous ne l'y retrouverons qu'en 1965. Il rendait régulièrement visite au papa, quand il se trouvait à Dakar, jusqu'à sa mort subite, le 7 février 1986, où son certificat de décès fut établi par son fidèle et vieil ami !
Cependant, ma relation personnelle avec lui s'est nouée après ma sortie de prison en mars 1974, lors de la libération de tous les prisonniers politiques du Sénégal (une vingtaine), prélude à une « ouverture démocratique » limitée. C'est en effet dans les rangs de la jeunesse du Rassemblement national démocratique (RND) que Cheikh Anta Diop dirigeait, que j'ai eu l'opportunité de réviser ma formation marxiste-léniniste initiale pour m'orienter vers le nationalisme africain ou panafricanisme. Je fus ainsi le plus jeune membre du Bureau politique du RND durant la période de lutte pour sa reconnaissance légale (1976-1981).
Du point de vue du cursus académique, outre la majeure partie de mon cycle primaire et secondaire à Paris (lycées Montaigne et Louis-le-Grand), j'ai passé un baccalauréat série A à Dakar (1968) et obtenu une licence de philosophie à Paris 8 Vincennes (1970). Après ma sortie de prison, j'ai repris mes études de médecine à la Faculté de Dakar, d'où j'ai été exclu en fin de troisième année. C'est ainsi que j'ai dû regagner Paris, afin d'y achever mon cycle d'études médicales de 1978 à 1982 (Paris 6 Pitié-Salpêtrière).
Rentré au pays, j'y ai exercé dans la fonction publique loin de la capitale, en Casamance notamment, et me suis en fin de compte de compte réorienté vers la biologie moléculaire sur les conseils avisés du prof. Cheikh Anta Diop, qui me l'a désignée comme une « science d'avenir ». C'est ainsi qu'après un recyclage en maîtrise de biochimie, puis un DEA de biologie moléculaire (1986-1988), j'ai soutenu une thèse de doctorat ès sciences biologiques en 2006 (Paris 6 Jussieu).
Enfin, en ce qui concerne mon parcours politique, disons simplement que depuis que j'ai viré ma cuti de la maladie infantile du gauchisme, j'ai adhéré au RND, dont je suis membre fondateur, siégeant au Bureau politique depuis 1976, élu secrétaire général adjoint au Second Congrès (1992), puis SG titulaire aux Troisième et Quatrième Congrès (2008-2016). Notre parti ayant fusionné, en compagnie d'autres alliés politiques, avec celui des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (Pastef), j'assume à présent les fonctions de vice-président dudit parti, chargé du panafricanisme et des questions mémorielles.
Le parcours politique de Cheikh Anta Diop témoigne de la continuité de son engagement
Il convient de relever que le premier parti politique auquel il a adhéré à la fin des années 1940, durant ses études universitaires à Paris, fut le Rassemblement démocratique africain (RDA), dont il a dirigé la section estudiantine en France de 1950 à 1953. De même, le troisième et dernier parti politique qu'il crée après son retour définitif au pays en 1960 et dirige jusqu'à son dernier souffle est le Rassemblement national démocratique (RND) en 1976. Entre-temps, il a initié deux autres partis politiques, le Bloc des masses sénégalaises (BMS, 1961) et le Front national sénégalais (FNS, 1963-1964) qui furent respectivement dissous et interdits par le président Léopold Senghor. Quant au RND, il dut lutter pied à pied et faire face, quasiment seul, au despotisme senghorien cinq ans durant, avant d'obtenir de son successeur désigné, la reconnaissance légale du parti, en 1981.
L'on voit ainsi apparaître, dès le début de son engagement, une constante caractéristique de la conduite politique de Cheikh Anta Diop : la volonté de rassembler les forces patriotiques et démocratiques, de faire bloc ou front face à l'adversaire, doublée du souci de considérer l'Afrique comme un seul et unique champ de bataille, une totalité organique, définissant la patrie à défendre et la nation à reconstruire. Il s'agit là, d'un invariant politique, d'ordre à la fois stratégique et tactique, que l'on retrouva tout au long de son parcours.
En témoignent notamment sa visite à Londres en 1951, à la tête d'une délégation de l'Association des étudiants du RDA venue rencontrer ses homologues de la West African Students' Union (WASU) qui, à leur tour, vont participer au Premier Congrès panafricain des étudiants africains tenu à Paris en juillet de la même année, ou encore sa solidarité active avec le Front de libération nationale (FLN) d'Algérie dès le déclenchement de la guerre d'indépendance le 1* novembre 1954, et l'année suivante, avec celle de l'Union des populations du Cameroun (UPC), section camerounaise du RDA dirigée par Ruben Um Nyobe (1913-1958). Plus tard, il dénonce le soutien occidental (anglo-américain et franco-allemand) au programme d'armement atomique du régime d'apartheid en Afrique du Sud, et apporte le ferme soutien du RND à la résistance armée du Polisario contre le projet d'annexion monarchique marocain, pour le respect du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui.
Encore étudiant et prêchant par l'exemple au début des années 1950, il multiplie les conférences publiques à l'intention tantôt d'un auditoire africain lettré à Paris, tantôt d'un public dakarois ou saint-louisien réputé analphabète, auquel il s'adressait alors en wolof, durant ses vacances, pour attirer l'attention de l'opinion sur la « nécessité et la possibilité d'un enseignement dans la langue maternelle en Afrique' » ou bien sur les risques de sécheresse et de désertification au Sahel...
Et l'on retrouve aussi dans le programme de son parti jamais reconnu, le FNS (1963-1964), ses thèmes de prédilection récurrents et transversaux tels que « réaliser l'unité fédérale de l'Afrique noire » au plan po-litique, « restaurer la conscience de notre continuité historique » au plan culturel, « rechercher la sécurité économique du citoyen » au plan social et enfin « créer des secteurs d'État dans l'industrie et l'agriculture » au plan économique?.
C'est dire à quel point, tout au long d'une vie d'épreuves et de luttes théoriques et pratiques, il a su faire preuve de constance et de lucidité dans ses orientations politique et doctrinale, autant que de cohérence et de rigueur dans ses méthodes de lutte et de travail.
Malgré son engagement, Cheikh Anta Diop n'accède jamais au pouvoir, quitte à rester en retrait
L'une de ses formules favorites, répétée au soir de sa vie, indiquait que ni lui-même, ni ses partis politiques successifs « n'étaient intéressés par le pouvoir pour le pouvoir », réaffirmant ainsi son indifférence aux « délices et poisons » de la toute-puissance étatique !
C'est dans le cadre de son combat politique partisan qu'il va donner la mesure de l'ampleur et de l'originalité de son engagement personnel. En 1958, l'effondrement de la Quatrième République française, sous les coups de massue de la défaite de Dien Bien Phu, de la résistance algérienne et de la montée en puissance du RDA et des autres mouvements anticolonialistes (PAI, PRA, etc.), est sanctionné par le retour au pouvoir du général Charles de Gaulle. Cette évolution inattendue va nécessiter une révision déchirante de la politique coloniale de la France en Afrique. Un comité ad hoc fut donc créé pour la rédaction de l'avant-projet de Constitution de la future Cinquième République, à soumettre au référendum. Quelques élus africains de l'ancien empire devenu « Union française » furent conviés à y prendre part. Pressenti, Cheikh Anta Diop opposa un refus catégorique, arguant qu'on ne saurait lui demander d'aider à « une réflexion sur la meilleure manière de ligoter et asservir son propre peuple » !
Et ceci, contrairement aux députés Félix Houphouët Boigny et Léopold Sédar Senghor, qui vont non seulement y siéger, mais finiront de surcroît par se retrouver, au lendemain du référendum du 28 septembre, ministre ou secrétaire d'Etat dans le premier gouvernement de Gaulle. Et cela jusqu'à leur installation en 1960 comme présidents des pseudo-républiques de Côte d'Ivoire et du Sénégal respectivement !
Après sa mémorable soutenance de thèse, le 9 janvier 1960, et son retour immédiat au pays, avec l'intention déclarée de contribuer à la formation des cadres et à la recherche scientifique, ce pédagogue né s'est vu privé d'enseignement pendant deux décennies et même arbitrairement (mais brièvement) mis en prison en 1962, suite à une provocation partisane dans un contexte électoral.
Il a en outre su résister aux oftres insistantes du président Senghor de rallier son régime, moyennant un double quota substantiel de ministres et de députés, à condition qu'il renonce au programme de son propre parti et consente à le dissoudre dans le sien, l'Union progressiste sénégalaise (UPS).
Paradoxalement, la faible participation du RND à la vie politique assure sa longévité
Le paradoxe n'est qu'apparent, car c'est précisément l'originalité de sa ligne politique, centrée sur les besoins des masses laborieuses, ainsi que le caractère atypique de ses méthodes de lutte non violente, qui désorientaient le régime néocolonial senghorien… Tout en renforçant dans le même temps l’influence et le crédit du nouveau parti dans l’opinion. Telle semble être la logique explicative de la durabilité, voire de l’accroissement
continu de l’influence de sa pensée et de son action politique dans le pays d’abord, puis sur l’ensemble la jeunesse africaine.
Il fait preuve de la même fermeté sur ses principes lorsqu'à la suite d'une fausse accusation de « tentative de coup d'État » visant à éliminer l'aile patriotique du régime, alors incarnée par l'ancien président du Conseil Mamadou Dia', il contracte une alliance politique avec les partisans de ce dernier. Face au refus obstiné du président Senghor de reconnaître ce nouveau « Front » en 1963, Cheikh Anta Diop va tenir parole en patientant plus d'une décennie, jusqu'à la libération de tous les prisonniers politiques du Sénégal en mars 1974, avant de créer le 3 tévrier 1976 son dernier parti, le RND, qui compte Mamadou Dia parmi ses cofondateurs... C'est alors dans le cadre d'un regroupement hétérogène de courants politiques divers que le secrétaire général (SG) fondateur assisté de deux adjoints, M° Babacar Niang et D' Moustapha Diallo, déploie ses talents de stratège et d'organisateur. Il s'agissait aussi bien d'adeptes du nationalisme africain, fidèles compagnons de Cheikh Anta Diop secrétaire général (SG) ou de l'ex-président Mamadou Dia, associés à divers partis et groupuscules d'obédience marxiste-léniniste, dont l'ancien Parti africain de l'indépendance (PAI), que de personnalités indépendantes, patriotes et démocrates sincères. La cohésion d'un tel ensemble reposait, outre les statuts adaptés à un parti de masse plutôt qu'à un parti d'avant-garde, sur les trois textes fondateurs du RND :
• un manifeste, dont le premier objectif est l'avènement d'un État de type nouveau, indépendant et souverain, démocratique et populaire ;
• treize principes d'organisation avec un article 1e stipulant que « dans toutes les réunions du Parti, les langues de travail sont les langues nationales et, éventuellement, le français » ;
• un programme en 29 mesures parmi lesquelles, primo : « décoloniser complètement l'appareil d'État » ; deuxio : « réviser tous les accords inégaux qui portent atteinte à notre souveraineté nationale ou lèsent nos intérêts nationaux » ; tertio : « réviser la Constitution pour substituer au pouvoir personnel incontrôlable et incontrôlé, un pouvoir démocratique, contrôlable et contrôlé ».
La naissance du parti entraîna une modification unilatérale et autoritaire de la Constitution sénégalaise avec la fameuse loi restrictive des partis politiques dite « des trois courants de pensée » (socialisme démocra-tique, libéralisme et communisme). Préférant la contre-attaque à l'autodéfense, le parti a riposté au double plan politique et judiciaire. D'abord par une lettre ouverte au chef de l'Etat, lui rappelant, dates à l'appui, que prétendre appliquer rétroactivement à la demande de reconnaissance du RND des dispositions qui sont postérieures à sa création équivaudrait à suspendre la Constitution de facto : « En décider autrement c'est refuser d'appliquer la loi ; c'est suspendre la Constitution. Ce que personne n'a le droit de faire, fût-il le Président de la République. » Ensuite, par l'introduction d'un recours en excès de pouvoir auprès de la Cour suprême, dont la section administrative était présidée par Bruno Cheramy, maître de requêtes au Conseil d'Etat français et, par ailleurs, conseiller juridique du Président de la République... En dépit de ce conflit d'intérêt manifeste, ce magistrat a reconnu sur le fond le bien-fondé dudit recours, tout en déboutant le parti pour « tardiveté de la requête », le 8 janvier 1978 !
Ainsi, dès après le prononcé du délibéré par le juge suprême, c'est dans la salle des pas perdus du palais de justice de Dakar que le secrétaire général (SG) Cheikh Anta Diop demanda à l'énorme foule présente, de poursuivre au grand jour le travail d'organisation et d'implantation du RND à travers le pays, insistant sur la légitimité de notre combat et le refus de passer dans la clandestinité : « La détermination du peuple est plus forte qu'un simple récépissé. Le défaut de bulletin de naissance ne saurait empêcher un enfant de vivre et de grandir. Un jour viendra où nous obtiendrons ce récépissé qu'on nous refuse aujourd'hui ; alors nous le banaliserons en le jetant à la poubelle.
Après avoir été débouté par la Cour suprême, le Secrétariat politique (SEPO) prit l'initiative d'une pétition nationale exigeant la légalisation du RND et de tous les partis politiques qui en font la demande. Elle a aussitôt recueilli des milliers de signatures, parmi lesquelles plusieurs centaines de personnalités et d'intellectuels de renom. Mais c'est la diffusion par le quotidien parisien Le Monde, sous forme d'encart pu-blicitaire, d'un échantillon de cette liste de pétitionnaires, qui va provoquer la colère du président Senghor et une polémique ouverte dans les colonnes d’un journal étranger.
Un recours régulier aux outils de lutte officiels
L'on retrouve ici l'illustration d'une autre règle méthodologique du SG du RND, qui consiste à veiller dans toute lutte, individuelle ou a fortiori collective, à être et demeurer dans son bon droit : avoir la vérité, et donc la justice, de son côté aux yeux de tout observateur impartial. En cas de conflit majeur et de contentieux juridique, il faut épuiser les procédures légales dans la mesure du possible, avant d'engager une épreuve de force imposée par l'obstination de l'adversaire.
Toutefois, après la légalisation du parti par le président Abdou Diouf, le 18 juin 1981, l'acte politique emblématique de la démarche pédagogique de Cheikh Anta Diop et de son éthique personnelle reste, à notre avis, son attitude face aux premières élections générales auxquelles le RND a pu participer, le 27 février 1983. Un double scrutin, présidentiel et législatif, se tenait le même jour, tous deux à tour unique. Le Bureau politique (BP) du Parti choisit d'appeler à l'abstention pour l'élection présidentielle et de demander au peuple la majorité parlementaire pour le RND. Une option tactique qui sera assimilée par certains à une entente cait que le pouis tir un eond sectes lord ma posie le buteleide de anger de cion dectorale politique locale à partir du Parlement : la légitimité d'une majorité collégiale prévalant naturellement sur celle d'un seul individu, fût-il président de la République et chef de l'État !
Au terme d’une campagne électorale menée tambour battant à travers tout le pays et exclusivement en langue nationale, c’est le président de la Cour suprême lui-même, « juge des élections », qui, l’avant-veille du scrutin, émet une simple « circulaire » autorisant le vote avec la seule carte d’électeur, sans présentation concomitante d’une pièce d’identité, ouvrant ainsi la voie à un bourrage d’urnes sans limite !
Le samedi après-midi, le SEPO donna une conférence de presse alertant l'opinion nationale et internationale sur cette manœuvre qui enlevait toute signification au scrutin du lendemain, équivalant de ce tait à « une non-élection ». En conséquence, dès le 2 mars, le Bureau Politique du Parti, élargi aux candidats, rendit publique une résolution affirmant qu'il était hors de question pour le RND de siéger dans une Assemblée nationale issue d'un tel scrutin. Elle précisait en outre que le Parti ne participerait plus à aucune élection sans identification de l'électeur ni secret du scrutin, c'est-à-dire sans passage obligatoire à l'isoloir. Naturellement, Cheikh Anta Diop, tête de liste et unique élu du Parti, s'abstint d'occuper « le siège du refus», en ces termes :
J'ai le regret de vous faire savoir que je m'en tiens à l'engagement que j'avais pris le 13 mars 1983, devant l'Assemblée générale du RND, de ne pas siéger à l'Assemblée nationale. Notre parti, qui a longtemps lutté pour le triomphe de la démocratie au Sénégal, voudrait, par voie de conséquence, que soit garantie l'irréversibilité du processus de démocratisation de nos institutions. Puisse notre manière de protester contribuer dans l'avenir à sauver nos mœurs électorales de la dégradation. C'est aussi par respect pour tous nos militants dont les votes ont été bafoués que notre parti a choisi cette forme appropriée de protestation. Chaque parti politique a sa philosophie. La nôtre n'est pas élastique.
Cette lettre de démission sans précédent, lue intégralement en séance plénière par le président du Parlement et retransmise en direct par la radiotélévision nationale, est restée gravée dans la mémoire de ses concitoyens ! D'autant plus qu'une campagne de désinformation gouvernementale l'amènera à persister et signer à l'occasion d'une interview accordée à Elimane Babacar Faye sous le titre : « Je ne siégerai pas à l'Assemblée nationale ; le RND ne fera partie d'aucun gouvernement. » Ultime illustration de son éthique en politique, il ajoutait : « Qu'est-ce qui explique que soudainement un certain nombre de journalistes font chorus pour essayer de falsifier et de caricaturer notre personnalité et nos idées? Peine perdue, car s'ils contrôlent leur plume, ils ne contrôlent pas mes actes. Or, c'est par des actes que je répondrai toujours aux allégations issues de l'imagination des gens. »
Cette position de principe, fondée sur un style politique qui lui était propre, il s'efforçait de l'inculquer à la jeunesse du parti et le caractérisait ainsi : « le culte de la vérité et la sérénité de l'expression ». L'on peut croire que sa leçon a été retenue, car malgré des secousses répétées consécutives à sa disparition précoce et soudaine, le RND a su maintenir le cap du boycott électoral pendant une décennie (1983-1993), jusqu'à obtenir, dans le cadre de la Commission nationale de réforme du Code électoral (1992), le respect de deux principes démocratiques, à la fois élémentaires et fondamentaux, universellement exigibles : une seule voix par personne et le secret du scrutin.
Les légataires qui s'inscrivent aujourd'hui dans la pensée de Cheikh Anta Diop
La force démonstrative et persuasive des travaux scientifiques de Cheikh Anta Diop, autant que de son combat politique, explique sans doute qu'il ait connu des adhésions et suscité des vocations en plus grand nombre ailleurs en Afrique et surtout dans la diaspora extracontinentale. Ce n'est assurément pas un hasard si son premier et principal disciple et compagnon de route scientifique aura été Théophile Obenga du Congo, tandis qu'un des plus fins connaisseurs de sa pensée holistique, le regretté Jean-Marc Ela du Cameroun, ne l'a jamais rencontré, s'étant contenté de fréquenter son œuvre...
Et c'est un autre grand écrivain africain, Ayi Kwei Armah du Ghana qui, dans le cadre d'une coopérative multifonction dénommée Per Ankh et située à Popenguine, a initié une entreprise collective de traduction multilingue (neuf langues africaines, de l'Akan au Zulu, trois européennes et dernièrement une sémitique, l'arabe) de textes classiques de la littérature égypto-nubienne antique à partir du texte hiéroglyphique, après translittération (Shemsw Bak®).
De même, ce sont nos compatriotes africains-américains des États-Unis qui auront été les premiers et, à notre connaissance, les seuls, à lui avoir rendu sincèrement et de son vivant l'hommage solennel qu'il méritait en 1985. C'est en effet le maire Andrew Young de la ville d'Atlanta (Georgie), qui l'a invité officiellement à célébrer en personne le lancement d'une Journée Cheikh Anta Diop au niveau municipal (tous les 4 avril).
Pour sa part, Morehouse College lui a décerné un doctorat honoris causa, dans la chapelle Martin Luther King de l'établissement. Rappelons qu'il n'avait pas été convié à prendre part au premier Festival mondial des arts nègres de Dakar (1966), malgré sa participation fort remarquée aux deux Congrès des écrivains et artistes noirs de Paris (1956) et Rome (1959) à l'issue desquels il fut décidé de tenir ce futur festival en terre afri-caine, une fois les indépendances acquises. Ainsi, ni lui-même, ni le défunt érudit africain-américain quasi centenaire W.E.B. Dubois n'ont-ils pu recevoir en personne le prix décerné conjointement par le Colloque scientifique du festival aux « deux intellectuels africains ayant exercé l'influence la plus profonde sur la pensée noire au XX° siècle » !
Il n'en demeure pas moins que le plus bel hommage posthume, le plus durable aussi et sans doute celui auquel il eût été le plus sensible, reste la marée montante et irrésistible de l'intérêt porté par la jeunesse africaine du continent comme de la diaspora à son double héritage scientifique et politique. La quantité et la qualité, en croissance exponentielle, des travaux issus de son nouveau paradigme révolutionnaire africain, d'ordre à la fois conceptuel, méthodologique et programmatique, produits en wolof aussi bien qu'en français et anglais, en attendant le kiswahili et le hausa, l'arabe ou le mandarin, entre autres, en sont des preuves éloquentes.
Un bel exemple local en est fourni par l'équipe regroupée autour du romancier Boubacar Boris Diop, qui met en œuvre concrètement le même paradigme, en publiant des traductions bilingues (wolof et français) de classiques de la littérature tant nationale qu'internationale, en version papier, e-book et audio-book, ainsi qu'un périodique en ligne d'informations en wolof, Lu defu waxu. Et ceci, en dépit de l'exclusion persistante de l'œuvre de Cheikh Anta Diop des curriculae de l'enseignement officiel dans son pays de naissance... qui, il est vrai, demeure la plus vieille colonie française d'Afrique (près de quatre siècles de domination, alors que la Guinée n'a connu que soixante ans d'occupation coloniale : de la capture de Samory en 1898 au « Non » de Sékou Touré en 1958).
Cela dit, il est difficile de répondre dès à présent et de façon exhaustive à cette question pour deux raisons au moins : le caractère transdisciplinaire, voire encyclopédique, de l'œuvre du savant longtemps os-tracisée, sinon dénigrée, d'une part; la dimension de rupture paradigmatique de sa contribution politique théorique et pratique, qui fait l'objet d'une sorte d'occultation par le silence en lieu et place de la diabolisation antérieure, d'autre part ! C'est dire que nul « légataire », ni institutionnel ni individuel, ne saurait accaparer l'immense patrimoine intellectuel légué par Cheikh Anta Diop, en priorité à la jeunesse africaine du continent et de la diaspora d'ascendance africaine directe, mais aussi et plus largement à la jeunesse du monde entier. Car toutes deux portent solidairement la lourde responsabilité de sauver notre planète et tous ses habitants des multiples menaces d'autodestruction qui la guettent de nos jours.
Certaines idées politiques de Cheikh Anta Diop apparaissent aujourd'hui comme visionnaires
Elles sont nombreuses, mais nous ne retiendrons que les principales idées phares, à commencer par sa fameuse prédiction de 1960, au tournant des « indépendances africaines », sur le danger d'une éventuelle « sud-américanisation » de l'Afrique si ses dirigeants échouaient, à l'image de Simon Bolivar, à réunifier le continent divisé par le partage impérial de Berlin (1885). Une anticipation qui s'est vérifiée jusqu'à la caricature avec, notamment, la multiplication des guerres civiles et/ou étrangères, des coups d'État militaires ou constitutionnels, des compétitions électorales devenues la principale source d'instabilité et de violence, sans compter le phénomène de cocaïnisation massive du continent qui, de zone de transit vers l'Europe, s'est transformé en centre de consommation.
Cette clairvoyance ne relève d'aucun don particulier ; elle s'explique par sa méthode d'analyse consistant à « étudier l'histoire non pour s'y complaire, mais pour y puiser des leçons'». Il pense certes d'abord à l'histoire multimillénaire des peuples africains, mais aussi à l'expérience accumulée par les autres peuples du monde, en particulier ceux d'Asie, des Amériques et d'Océanie.
Il en est de même pour l'idée quasi obsessionnelle qu'un « État africain continental est une condition préalable à la survie des sociétés noires, où qu'elles se trouvent. Les communautés noires doivent trouver les moyens d'articuler leur unité historique. [...] Les liens entre les Africains noirs et les Noirs d'Asie, d'Océanie, des Caraïbes, d'Amérique du Sud et des États-Unis doivent être renforcés sur une base rationnelle'° ».
Une autre idée essentielle de sa doctrine politique souligne le rôle déterminant de la culture nationale, et donc des langues africaines, comme « le rempart le plus puissant contre les agressions étrangères"». D'où l'urgente nécessité de doter nos langues nationales du statut de langues de travail, c'est-à-dire d'administration et d'enseignement ! Ainsi que l'ardente obligation de s'entendre sur le choix d'une seule et même langue africaine d'unification pour le travail d'administration et d'éducation dans le futur État fédéral.
De même, Cheikh Anta Diop a dit et répété que « la sécurité précède le développement ». Une tormule galvaudée depuis lors par de nombreux chefs d'État africains, le plus souvent incapables de garantir aussi bien la paix civile sur leur territoire (la sécurité des personnes et des biens), que l'intégrité de leurs frontières extérieures. Il avait même précisé : « Au xx' siècle, un continent qui ne peut pas assurer sa propre sécurité militaire, qui ne contrôle pas en particulier son espace atmosphérique et cosmique, n'est pas indépendant et ne peut pas se développer'?.• » L'observation vaut a fortiori pour ce début de xxI siècle de tous les dangers.
Au vu de l'insécurité généralisée vécue de nos jours par tous les peuples et Etats africains sans exception (sans compter nos compatriotes de la diaspora d'ascendance africaine directe d'Occident et d'Orient), une première évidence saute aux yeux : aucun peuple lucide ne saurait déléguer ni sa sécurité, ni sa souveraineté à autrui, et surtout pas à un État étranger, c'est-à-dire non africain ! Autrement dit, une défense efficace du territoire repose d'abord sur une autodéfense populaire, structurée et disciplinée, tout comme la protection réelle des civils commence par une autoprotection collective, citoyenne et organisée.
Autre formule-choc chère à Cheikh Anta Diop : « l'intégration politique précède l'intégration économique!3 ». Or, les organismes africains dits d'intégration régionale ou sous-régionale (UEMOA/ CEMAC, UMA, CEDEAO, SADC, etc.) considérés par Cheikh Anta Diop comme autant de « faux ensembles », ne sont tout simplement pas viables, dans la mesure où « l'organisation rationnelle des économies africaines ne saurait précéder l'organisation politique de l'Afrique'». Pire, ils ont fini de se discréditer dernièrement aux yeux de l'opinion, non pas du fait de leur impuissance, mais surtout en s'affichant en véritables clubs de désintégration de l'Afrique, avec la manipulation de certains dirigeants africains contre d'autres, à l'instigation de puissances extracontinentales !
Enfin, venons-en au défi énergétique. « Au commencement est l'énergie. Tout le reste en découle », écrivait Cheikh Anta Diop dans son manifeste politique, publié au lendemain de sa soutenance de thèse, à la veille de la cascade des fausses indépendances africaines des années 1960. Mais il n'est pas sans intérêt de signaler, d'une part, que c'est à l'occasion de la première conférence de presse du RND, légalisé le 12 août 1981 à la Chambre de commerce de Dakar, qu'il a pour la première fois et longuement exposé sa proposition d'une « doctrine énergétique africaine » basée sur le vecteur hydrogène; et, d'autre part, que son avant-dernière communication publique, donnée au Symposium international de Kinshasa (avril 1985) sur le thème « La science, la technique et le développement de l'Afrique : l'Afrique et son avenir », avait pour titre : « Le problème énergétique africain ». C'est dire l'importance qu'il a toujours accordée à cette question centrale afin de mettre en évidence l'unicité et la cohérence de sa démarche en politique comme en science.
Sa communication débutait en ces termes : « Faisons une projection dans le proche avenir et demandons-nous quelle sera la physionomie énergétique du monde dans les 30 à 40 ans, aux confins des années 2010-2020. » Résumons sommairement son analyse telle qu'elle a été publiée dans les colonnes du journal du RND'5. Après avoir réitéré son postulat de base, à savoir que « nos principaux problèmes de sécurité et de développement ne peuvent trouver de solution qu'à l'échelle continentale et mieux dans un cadre fédéral », il attire l'attention sur « la vitesse à laquelle notre continent est vidé de ses richesses non renouvelables pendant notre somnolence », en prenant pour exemple « un Koweit africain comme le Gabon [qui] sera dans moins de 60 ans une caisse vide ». Se situant donc d'emblée dans la perspective d'un État fédéral continental ou subcontinental, il propose :
Un schéma de développement énergétique qui tienne compte à la fois des sources d'énergie renouvelables et non renouvelables, de l'écologie et des progrès techniques des prochaines décennies. [...] L'Afrique Noire devra trouver une formule de pluralisme énergétique associant harmonieusement les sources d'énergie suivantes : hydroélectrique (barrages), solaire, géothermique, nucléaire, hydrocarbures (pétrole) et thermonucléaire. Les cinq premières sources d'énergie sont déja exploitables à des degrés différents en Atrique et dans le reste du monde, alors que la dernière ne l'est même pas en laboratoire, mais il ne fait pas de doute, malgré un certain pessimisme de méthode, que son exploitation sera opérationnelle d'ici 40 ans, c'est-à-dire bien avant deux générations, et ce, au moment précis où le règne du pétrole s'achève avec l'épuisement des dernières nappes terrestres. Cependant, si cette source d'énergie devenait exploitable avec un contrôle efficace de la réaction thermonucléaire, les besoins énergétiques de la planète seraient couverts pour une période d'un milliard d'années. Les futurs appareils qui produiront cette énergie, que l'on appelle réacteurs thermonucléaires ou tokamaks (à cause de l'origine soviétique des premiers appareils d'essais qui portent ce nom) seront alimentés au stade vraiment opérationnel et définitif avec de l'hydrogène dit lourd qui sera obtenu essentiellement par l'électrolyse de l'eau de mer.
Il poursuit : « En ce qui concerne l'énergie solaire, le développement des recherches en vue d'abaisser le prix de revient des photopiles permettra peut-être de disposer au seuil de l'an 2000 de centrales solaires opérationnelles (dites héliovoltaïques terrestres ou solaires). »
On a coutume de dire qu'il n'est de science que prédictive. Pour mieux illustrer à la fois l'envergure paradigmatique et le caractère visionnaire de la réflexion du penseur africain contemporain capital, nous prendrons deux exemples significatifs : il a dit et répété que la politique ne l'intéressait guère et qu'il s'y est engagé par simple devoir patriotique, ajoutant que son tempérament le poussait plutôt vers la recherche scientifique, avec la physique théorique comme domaine de prédilection.
Dans l’ultime article qu’il a donné à la Revue sénégalaise de philosophie, en conclusion du colloque « Philosophie, Science et Religion16 » qu’il avait présidé, Cheikh Anta Diop revient sur un sujet déjà évoqué dans sa somme finale, Civilisation ou Barbarie17, et discute dans le détail les résultats de l’expérience d’un certain Alain Aspect, chercheur au laboratoire physique théorique de l’université de Paris Orsay. Il prédit que ses résultats expérimentaux auront pour conséquence un bouleversement radical de notre conception de la réalité et de la rationalité, à la lumière des dernières découvertes dans l’univers des particules élémentaires. Quarante ans plus tard, Alain Aspect s’est vu attribué le prix Nobel de physique !
Le second exemple est plutôt révélateur de la démarche méthodique de Cheikh Anta Diop en sciences humaines. Il s’agit de sa préface à l’ouvrage du professeur de sciences économiques Makhtar Diouf : la longue citation vaut le détour...
Il s’agit d’un véritable programme de refonte des structures économiques actuelles à partir de l’analyse de leurs défauts. Ce livre contribuera à éclairer la décision des cadres appelés à forger le destin économique de l’Afrique. C’est un puissant outil de conscientisation que tous les agents impliqués dans le développement de l’Afrique devraient lire. Ce qui manque le plus, et ceci ne dépend pas de l’auteur, c’est la volonté politique pour la mise en œuvre de toutes les idées fécondes contenues dans ce travail d’avant-garde. Une volonté politique, non pas seulement régionale, mais continentale, suffisamment forte pour accepter la création d’un exécutif continental fédéral africain permettant l’organisation rationnelle de l’économie du continent et l’édification de nouveaux États adaptés à l’ère cosmique qui est la nôtre.
Même l’égoïsme lucide militerait pour l’émergence d’une telle volonté politique. Si elle tardait à apparaître dans les cercles des spécialistes qui gouvernent aujourd’hui le destin de l’Afrique, l’instinct vital des masses, et la volonté de survie des peuples africains ne tarderaient pas à l’engendrer au sein des couches sociales les plus déshéritées, comme une lame de fond venant briser tous les obstacles secondaires qui bouchent l’avenir du continent et risquent de compromettre son destin18.
L’autonomie énergétique africaine et le développement de l’industrialisation passaient en effet pour lui par une fédération africaine, au cœur de son projet politique
Le message politique fondamental légué par Cheikh Anta Diop est tiré de l’expérience historique singulière accumulée sur la longue durée par les peuples africains du continent et d’ascendance africaine directe ailleurs dans le monde (schématiquement pour la souche mère : un cycle de grandeur multimillénaire, puis de régression pluriséculaire et enfin de renaissance en cours), un message qui tient en une formule lapidaire : « hors la fédération panafricaine, point de salut ! Ni pour les Africains du continent, ni pour ceux de ses diasporas d’Orient comme d’Occident, dans la mesure où le sort individuel et collectif de nos compatriotes à l’étranger dépend directement de la position et du statut de l’Afrique dans le rapport de force mondial ».
Mais le stratège africain a pris soin de préciser qu'à la différence des deux grandes fédérations du xx* siècle, les États-Unis et l'URSS qui, comme tout projet impérial, ont été bâties par le fer, le feu et le sang, le projet fédéral africain devra se réaliser, non par la contrainte, mais plutôt par la persuasion, une adhésion consciente et volontaire étant la condition sine qua non de sa pérennité et de son épanouissement.
D’autant que sa conception de la renaissance africaine, telle qu’esquissée dans sa vision de l’État fédéral, est incompatible avec toute forme de discrimination ethnoraciale, de genre (vu que la tradition endogène à l’Afrique est le matriarcat), de caste ou de classe, ou encore d’ordre confessionnel ou idéologique ! Comme lui-même a pu le dire à propos de son travail multidimensionnel et du programme qui en résulte : « Malgré les insuffisances inévitables, les grandes lignes sont solides et les perspectives justes19. »
Aimé Césaire a pu dire que « le plus court chemin vers l'avenir passe, comme toujours, par l'approfondissement du passé ». En vue de la reconstruction d'une Afrique souveraine, réunifiée et véritablement démo-cratique, nous aurons vraisemblablement autant, sinon plus, à apprendre de l'expérience de l'Égypto-Nubie antique prédynastique durant ses millénaires d'édification communautaire et égalitaire, que de l'histoire des trois empires successifs (Ancien, Moyen et Nouvel) de l'ère pharaonique, prototype de l'État territorial centralisé, monarchique, théocratique et par conséquent inégalitaire.
L'AUTOROUTE À PÉAGE LIVRE SES CHIFFRES
L’autoroute à péage Dakar-Diamniadio dit Autoroute de l’avenir enregistre ‘’plus de 12 mille pannes’’ de véhicules et ‘’plus de 1000 accidents’’ par an, a révélé Pathé Ndoye, le secrétaire général d’Eiffage Concessions, concessionnaire de ladite autoroute
Dakar, 10 jan (APS) – L’autoroute à péage Dakar-Diamniadio dit Autoroute de l’avenir enregistre ‘’plus de 12 mille pannes’’ de véhicules et ‘’plus de 1000 accidents’’ par an, a révélé Pathé Ndoye, le secrétaire général d’Eiffage Concessions, concessionnaire de ladite autoroute, préconisant des solutions pour remédier à cette situation.
« Je peux vous dire que sur l’Autoroute de l’avenir, nous enregistrons plus de 12 mille pannes par an et plus de mille accidents par année’’, a-t-il déclaré, notant que ce sont des ratios ‘’extrêmement élevés par rapport à ce qui est relevé dans les pays développés’’.
M. Mbodj s’exprimait lors d’un panel sur la circulation, organisé à Dakar à l’occasion de l’atelier bilan des dix ans du Bureau opérationnel de suivi du Plan Sénégal émergent (BOS).
La mise en service du Train express régional (TER), l’extension de la voie de dégagement nord (VDN), la réalisation de nouveaux échangeurs et autoponts n’ont pas permis de résoudre le problème des embouteillages, fait-il observer.
« Cette situation s’explique, selon lui, par une explosion démographique à l’intérieur de la capitale Dakar mais aussi une forte croissance des véhicules particuliers ou individuels avec un taux variant entre 8 et 10% par année ».
Pathé Ndoye soutient qu’il existe plusieurs leviers sur lesquels les autorités pourraient agir pour améliorer la situation.
Il déclare que le premier levier est ‘’l’incitation au télétravail dans les entreprises’’. ‘’Pendant la douloureuse période de la pandémie de Covid-19, les pays qui ont initié ces mesures de restriction de circulation ont relevé une baisse des volumes de déplacements de l’ordre de 70% et une baisse des distances ordinaires variant entre 35 et 40%’’, a-t-il révélé. Pour lui, cette période a prouvé que ‘’la présence physique n’est pas obligatoire pour atteindre les objectifs’’.
Décaler les horaires de travail
La deuxième mesure, selon lui, pourrait être ‘’le décalage des horaires de travail dans l’administration et une incitation de ces mesures auprès des entreprises privées’’.
Il estime que « cette situation permettrait d’étaler les demandes de transport sur une plus large période », préconisant aussi le « développement et l’encadrement du covoiturage ».
Il estime que « ce système a permis à certains pays qui le pratiquent de diviser par trois la demande de trafic pendant les heures de pointe ».
« Au Sénégal, nous avons malheureusement un taux d’occupation des véhicules particuliers individuel très faible. La valeur tourne autour de 1,2 alors que dans les pays développés ce taux dépasse les 2 points », a révélé M. Ndoye.
« Le matin, dans les véhicules particuliers individuels, il y a généralement une personne, voire deux au maximum. Ce qui ne témoigne pas d’une efficacité et une efficience de notre système de transport », a-t-il déploré.
Le covoiturage pour diviser la demande par trois
Sa conviction est que « la mesure de développement du covoiturage permettra de diviser par trois la demande de transport pendant ces périodes ». Il contribuera également, selon lui, à « améliorer l’efficience économique de nos systèmes de transport ».
Par exemple, le covoiturage sur l’axe Dakar-Thiès, d’une distance de 70 km et qui revient généralement à dix mille francs CFA, pourrait permettre à l’automobiliste, avec trois passagers, de faire des économies de 75% sur les coûts globaux des déplacements, a-t-il relevé.
Le secrétaire général d’Eiffage Concessions suggère également des mesures structurelles pour régler le problème de manière plus définitive, en misant notamment sur le transport de masse, à l’image du Bus rapid transit (BRT). ‘’Les autobus, les rames de TER ont une capacité de 80 voire 90 passagers. Cumulés, ils parviennent à transporter plus de 15000 [passagers] par heure’’, a-t-il expliqué.
Il suggère également « le développement de pôles mixtes regroupant des secteurs d’activités économiques, commerciales, sociales, éducatives ».
Il s’agit, selon lui, de permettre aux travailleurs de « loger dans ces pôles et d’aller tranquillement le matin au travail, sans faire recours à un moyen de transport ».
Mauvaise répartition des activités économiques
Il considère qu’ »il y a une mauvaise répartition spatiale des activités économiques dans des zones de résidence, créant ainsi des besoins de déplacement entre le centre-ville et la banlieue ».
Selon lui, « la prise en charge du dernier kilomètre des axes routiers pourrait être une solution ». « Nous avons constaté que les bouchons commencent à se former généralement à l’extrémité des points de destination », a-t-il expliqué.
Pathé Ndoye conseille « d’aménager des parkings de grande capacité pour permettre aux titulaires des véhicules de pouvoir stationner et aux passagers de prendre d’autres moyens de transport plus efficaces dans le centre-ville ».
LE COMBAT SCIENTIFIQUE DE CHEIKH ANTA DIOP RÉSONNE ENCORE AU LABORATOIRE CARBONE 14
Grâce à la datation au radiocarbone, ce haut lieu scientifique a révolutionné notre vision du passé africain. Et œuvre aujourd'hui pour une meilleure connaissance des défis environnementaux contemporains
Brice Folarinwa de SenePlus |
Publication 31/12/2023
À l'occasion du centenaire de la naissance de Cheikh Anta Diop, célébré du 21 au 29 décembre 2023, le laboratoire Carbone 14 qu'il avait fondé en 1966 à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar a ouvert ses portes au public, révèle le site d'information RFI dans une dépêche en date du 29 décembre. Cette occasion a permis de mettre en lumière l'héritage toujours vivant laissé par le célèbre historien et scientifique sénégalais dans le domaine de la datation au radiocarbone.
Créé en 1966, le laboratoire Carbone 14 de Cheikh Anta Diop fut le premier du genre en Afrique. Par sa technique de datation au carbone 14, consistant à "analyser des objets comme des coquillages, du bois ou des ossements afin de connaître leur âge", il a permis de révolutionner l'histoire du continent en confirmant que "l'Afrique est le berceau de l'humanité", comme le rappelle le directeur par intérim Nouhou Diaby. Grâce aux travaux pionniers menés dans ce laboratoire, "on a pu mettre en évidence" que les "premiers hommes et les premières civilisations étaient nés en Afrique", réhabilitant ainsi l'histoire longtemps bafouée du continent.
Aujourd'hui, l'héritage de Cheikh Anta Diop perdure au laboratoire, qui poursuit ses activités de datation tout en élargissant ses recherches aux questions environnementales, à l'instar de la quantification de la pollution à Dakar. Selon l'ingénieur Alpha Omar Diallo, "être une force de proposition sur plusieurs thématiques comme la pollution atmosphérique, la pollution des eaux, la pureté de certains produits" permet d'"éclairer la lanterne des décideurs". Malgré une mise en sommeil dans les années 80, le laboratoire a repris du service au début des années 2000, prouvant la pérennité de l'œuvre scientifique débutée par le célèbre historien sénégalais il y a un demi-siècle.
par Ousmane Sonko
CHEIKH ANTA DIOP, UNE LUMIÈRE POUR LES DÉFIS ACTUELS ET À VENIR
Notre monde est en crise d'humanité et de civilisation. La pensée de celui dont nous célébrons le centenaire indique de regarder du côté de l'Afrique où se joue son avenir, là où précisément l'Humanité est née
Les échos de la célébration, par la communauté scientifique africaine et sénégalaise, de la vie et de l'œuvre du professeur Cheikh Anta Diop, me sont parvenus.
La commémoration du centième anniversaire de ce grand savant panafricain survient alors que la jeunesse, les communautés et les élites progressistes sont résolument engagées dans un combat politique et culturel pour la renaissance de l'Afrique et de sa Diaspora. Au centre de cette reconquête de l'initiative historique par les Africains, se trouve l'enjeu capital de la réappropriation de nos patrimoines historiques, culturels, linguistiques ainsi que celles de nos valeurs qui font la magnificence des civilisations africaines depuis l'Égypte pharaonique noire.
Faut-il le rappeler, le renouveau intellectuel et culturel dans lequel s’inscrit mon engagement repose sur la souveraineté. Et le projet porté par Pastef s'enracine dans l’histoire des peuples africains en lutte pour leur dignité et fondamentalement pour la souveraineté, la sécurité, la gouvernance démocratique, la richesse partagée et le bien-être de tou.t.e.s. conformément aux valeurs morales et humaines profondes de notre continent.
C’est pourquoi, la vision et le programme de Pastef s’inspirent d’ailleurs en partie de la pensée stratégique du professeur Cheikh Anta Diop dont l'enseignement doit être plus et mieux institutionnalisé.
Je suis d’ailleurs déterminé à relever le défi de l'éducation dans nos langues africaines, à donner des moyens accrus à la recherche dans tous les domaines, à développer la formation professionnelle valorisant tous les métiers productifs, artistiques et culturels. Mais surtout, je suis déterminé à mener une politique réellement panafricaine de remembrement solidaire des espaces économiques, commerciaux et culturels pour une économie d'abondance au Sénégal, dans notre sous-région et sur tout le continent africain.
Je sais que le professeur Cheikh Anta Diop a mis l'accent sur l'exploitation judicieuse de nos ressources foncières, minières, forestières, hydro-électriques, etc. en s'appuyant sur la recherche technologique de pointe. Il a par ailleurs démontré la nécessité de réaliser des infrastructures modernes de sorte à connecter toutes les régions du continent entre-elles. Tout ceci doit selon sa pensée renforcer le sentiment d'une nouvelle citoyenneté panafricaine. Et tout cela est l'aspiration exprimée par une jeunesse africaine en plein éveil de conscience.
Au demeurant, notre monde est dévasté par des inégalités sociales insoutenables, des violences et des guerres destructrices. Il est en crise d'humanité et de civilisation. La pensée de celui dont nous célébrons le centenaire indique de regarder du côté de l'Afrique où se joue son avenir, là où précisément l'Humanité est née.
Pour toutes ces raisons, je souhaite plein succès à cette importante célébration d’un homme modèle de vertus dont les travaux sont d’une brûlante actualité.