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22 novembre 2024
Cheikh Anta Diop
L'ITINÉRAIRE DE BOUBACAR BORIS DIOP
L'influence de Cheikh Anta Diop, les langues africaines et la littérature, le Prix Neustadt... L'auteur de "Murambi, le livre des ossements" répond à Eric Manirakiza de VOA Afrique - ENTRETIEN
VOA Afrique |
Eric Manirakiza |
Publication 08/11/2022
Boris Diop a reçu le 24 octobre 2022 le Neustadt, le prix international de littérature qui lui a été décerné dans l'Etat américain de l'Oklahoma. Dans un entretien exclusif à VOA Afrique, Boris raconte ce que le prix qu’il a reçu, équivalent du Nobel de littérature, représente pour lui.
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NATIONS NÈGRES ET CULTURE, UNE OEUVRE ACTUELLE
Le cadre de débat Pencum Warc revient sur ce livre majeur de Chekh Anta Diop "pour un réarmement moral de la jeunesse mais aussi pour la recherche d’un socle sur lequel bâtir le panafricanisme’’, avec Boubacar Diop Buuba, Aziz Salmone Fall, Maimouna Kane
Le cadre de débat Pencum Warc revient sur ce livre majeur de Chekh Anta Diop "pour un réarmement moral de la jeunesse mais aussi pour la recherche d’un socle sur lequel bâtir le panafricanisme’’, avec Boubacar Diop Buuba, spécialiste de l’Antiquité, le politologue Aziz Salmone Fall et Maimouna Kane, spécialiste de grammaire et littérature.
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MULTIPLE PHOTOS
CE QUE CHEIKH ANTA DIOP AURAIT FAIT DES RÉSEAUX SOCIAUX...
Qu'il s'agisse des personnes hautement éduquées, peu instruites ou analphabètes chacun trouve son compte dans l'usage des réseaux sociaux. Que ferait l’éminent savant Cheikh Anta Diop, s’il avait connu ces outils numériques ? Réponse du Dr Aoua Bocar Ly-T
Facebook, Twitter, Instagram, Whatsapp, Tik tok, ces réseaux sociaux numériques, sont définitivement entrés dans nos vies. Les usages utiles qu'on peut en faire sont illimités dans bien des domaines.
Que ce soit en politique, en économie, dans le domaine de la science, de l’enseignement, du commerce, de la formation, la recherche, des médias, l’éducation ces technologies de l'information et de la communication sont devenus incontournables.
Très rares sont des personnes qui ne possèdent un compte sur un moins un de ces réseaux sociaux numériques. Qu'il s'agisse des personnes hautement éduquées ou analphabète chacun y trouve son compte. Qu'elle usage aurait fait l’éminent savant et égyptologue, Cheikh Anta Diop, s’il avait connu ces réseaux sociaux ?
Selon la sociologue Aout Bocar Ly-Tall,l'égyptologue n’aurait pas hésité à se saisir de ces technologies pour atteindre les objectifs qu’il nourrissait pour l’Afrique. En clair si Cheikh Anta Diop avait connu cette ère des réseaux sociaux, il les aurait utilisé à fond pour faire avancer la cause de l’éducation pour tous au Sénégal et en Afrique.
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AOUA BOCAR LY-TALL EXPLORE L’HUMANISME DE CHEIKH ANTA DIOP
La chercheure en sciences sociales vivant au Canada présentait, samedi, à Dakar, son dernier livre, ‘’Cheikh Anta Diop : l’humain derrière le savant’’, paru cette année aux éditions L’Harmattan Sénégal
La dimension humaine de Cheikh Anta Diop (1923-1986) est tout aussi fulgurante que sa vie intellectuelle, déclare la sociologue Aoua Bocar Ly-Tall, auteure d’un essai-témoignage sur le savant sénégalais.
La chercheure en sciences sociales vivant au Canada présentait, samedi, à Dakar, son dernier livre, ‘’Cheikh Anta Diop : l’humain derrière le savant’’, paru cette année aux éditions L’Harmattan Sénégal.
Aoua Bocar Ly-Tall, docteure en sociologie, explore la vie du savant et du politique, de l’humain, de l’éducateur et du panafricaniste que fut Cheikh Anta Diop en même temps, selon la quatrième de couverture de l’ouvrage.
L’auteure s’est employée à ‘’peindre’’ l’éminent historien célébré aujourd’hui pour ses idées politiques, scientifiques et idéologiques, qu’elle a fréquenté pendant neuf ans. Son livre est fait, entre autres aspects, d’anecdotes sur la vie sociale et politique du savant dont la première université publique sénégalaise porte le nom depuis 1987.
‘’Cheikh Anta Diop, c’est la grandeur dans l’humilité’’, a témoigné Aoua Bocar Ly-Tall lors de la cérémonie de présentation de son livre, se souvenant des visites qu’elle effectuait à l’improviste au domicile du célèbre égyptologue, historien et homme politique, près de l’Université de Dakar – qui portera son nom plus tard.
La sociologue loue ‘’le respect et la sensibilité de Cheikh Anta Diop pour la cause paysanne’’. Selon elle, les paysans, que l’élite intellectuelle méprise par moments, était, aux yeux du savant, ‘’dépositaire de la sagesse africaine’’. ‘’On ne peut pas prétendre diriger un peuple sans le connaître dans sa profondeur’’, a commenté Aoua Bocar Ly-Tall, estimant qu’il en va de même pour qui veut diriger les paysans.
De même a-t-elle évoqué la contribution de Cheikh Anta Diop au débat politique au Sénégal, une contribution véhiculée par son parti politique, son journal d’opposition et le syndicat paysan dont il était le fondateur.
Une confrontation intellectuelle et politique
L’écrivain, professeur et ancien ministre de la Culture Abdoulaye Elimane Kane, prenant part à la cérémonie de présentation du livre, a loué la ‘’sobriété’’ et la ‘’rigueur’’ de Cheikh Anta Diop, qui adorait ‘’la simplicité’’, dans le port vestimentaire comme dans le régime alimentaire.
L’ambassadeur du Congo au Sénégal, Luc Aka-Evy, également neveu de Théophile Obenga, égyptologue et compagnon de Cheikh Anta Diop, se souvient encore de l’‘’humanisme’’ et de la ‘’générosité’’ du savant, qui ‘’n’hésitait jamais à [l]’introduire dans le cercle des savants, lors des rencontres scientifiques internationales’’ auxquelles ils participaient tous les deux, en France.
Le décès de Cheikh Anta Diop, survenu le 7 février 1986 à Dakar, mit fin à une intense vie politique, militante et scientifique. Outre son égypto-centrisme, il lui a été souvent reproché l’importance qu’il accordait à la notion de race et la grande influence de son combat politique sur ses théories scientifiques.
La période 1960-1980, marquée sa confrontation intellectuelle et politique avec le président et grammairien Léopold Sédar Senghor (1906-2001), président du Sénégal, est considéré comme l’un des épisodes culturels et politiques les plus saillants de l’histoire africaine contemporaine.
‘’Nations nègres et culture : de l’Antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire d’aujourd’hui’’, publié en 1954, fait partie des nombreux essais publiés par Cheikh Anta Diop et devenus de véritables références scientifiques et historiques.
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CHEIKH ANTA DIOP ET CHEIKH IBRA FALL, DEUX SPHÈRES AU RÉVÉLATEUR
Alpha Youssoupha Gueye parle sur iTV de son nouveau livre, Confluence, dont la trame réunit deux érudits en la personne de Cheikh Anta Diop et de Cheikh Ibra Fall
Alpha Youssoupha Gueye parle sur iTV de son nouveau livre, Confluence, dont la trame réunit deux érudits en la personne de Cheikh Anta Diop et de Cheikh Ibra Fall.
AU CAMEROUN, UNE BIBLIOTHÈQUE DÉDIÉE À CHEIKH ANTA DIOP
Le savant sénégalais vit toujours dans les mémoires, mais aussi au Cameroun à travers une bibliothèque située à Bonabéri, un canton de la ville de Douala
Un jour pas comme les autres dans une bibliothèque pas comme les autres. Ce jour de décembre 2021, le maire de la ville de Douala visite la bibliothèque Cheikh Anta Diop de la fondation AfricAvenir à Bonabéri.
Les tamtams résonnent pour invoquer les ancêtres afin qu'ils bénissent la circonstance. L'esprit des ancêtres est à présent parmi les visiteurs. Ils sont conduits par le fondateur de cette bibliothèque, Prince Kum'a Ndumbe 3 :
"Monsieur le maire, vous avez ici 300 livres sur la naissance du Cameroun. La particularité est que ce sont des livres qu'on ne trouve dans aucune université. Ça, c'est le premier maître que les Allemands ont envoyé au Cameroun : Theodor Christaller. Vous allez voir, monsieur le maire, ça c'est un livre qui a été publié en 1897. Et on voit la toute première école allemande au Cameroun".
Une histoire qui s'arrête à l'arrivée des Occidentaux en Afrique
Plus qu'un centre de recherche, la bibliothèque Cheikh Anta Diop est un lieu de mémoire. Sa spécialité est la civilisation africaine : l'histoire, la culture, les langues. Avec un fond de plus de 100.000 livres, cette bibliothèque hors du commun en Afrique centrale remonte l'histoire de l'humanité jusqu'à l'homo erectus, c'est-à-dire le premier humain à marcher sur ses deux pieds.
Or, l'histoire enseignée dans les écoles camerounaises s'arrête jusqu'ici à l'arrivée des Occidentaux en Afrique, comme l'explique l'universitaire Philémon Moubeke :
"Il faut situer la bibliothèque Cheikh Anta Diop dans le grand ensemble qu'est la fondation AfricAvenir International. La fondation AfricAvenir International est un lieu de mémoire qui se propose de restaurer l'homme africain dans sa dignité, dans sa civilisation, dans ses processus historiques. Parce qu'avec le processus de la plantation, c'est-à-dire de l'esclavage, l'homme africain a été déconnecté de sa propre culture, il y a eu comme un effacement relatif de la mémoire africaine", estime Philémon Moubeke. "Et la bibliothèque Anta Diop donne un fond documentaire pour réarticuler notre rapport au monde, notre rapport à nous-mêmes, recommencer à penser par nous-mêmes".
Le maire de Douala, Roger Mbassa Ndine, exprime son sentiment au terme de sa visite.
"C'est une grande bibliothèque que nous avons vue. Cheikh Anta Diop est un Africain, un grand Africain qui a beaucoup fait pour l'Afrique. Pour ceux qui ont lu les ouvrages de Cheikh Anta Diop, ils savent que c'est un homme qui a déblayé le chemin pour la renaissance de l'Afrique. Et donc une bibliothèque Cheikh Anta Diop à Douala, ce n'est que justice", estime le maire de Douala.
Une bibliothèque en constant développement
La bibliothèque Cheikh Anta Diop a été fondée en 1993. L'accès se fait par abonnement qui peut aller d'un jour à un an.
Mais le lieu se développe toujours. La bibliothèque fait en effet d'un grand ensemble qui comprend une galerie d'arts, une unité de production audiovisuelle avec une station web radio et une école doctorale qui offre depuis 2014 des bourses universitaires.
Enfin, s'y ajoute le projet de l'Université de la renaissance africaine, déjà validé par le gouvernement camerounais, prévu pour ouvrir dans trois ans avec un campus à Douala et un autre à Yaoundé.
par l'éditorialiste de seneplus, serigne saliou guèye
LE CULTE DE LA NON-MAÎTRISE DU FRANÇAIS
EXCLUSIF SENEPLUS - L’école coloniale nous a fait aimer sa langue en nous poussant vers ce que Boris Diop appelle la haine de soi. Decroix devrait s'ériger contre cette disposition constitutionnelle conférant au français une primordialité sur nos parlers
Serigne Saliou Guèye de SenePlus |
Publication 22/12/2021
Invité à l’émission Jury du dimanche du 12 décembre dernier, le politicien député Mamadou Diop Decroix n’a pas mis de gants pour s’attaquer avec une cruelle goguenardise aux enseignants. Leur péché mortel ? Ne pas maîtriser le français de nos ancêtres les Gaulois qui nous sert de langue d’enseignement depuis plus deux siècles. « …On a parlé de la qualité de l’enseignement. On ne peut pas avoir une qualité de l’enseignement si on n’a pas la qualité de l’enseignant. On enseigne dans quelle langue ? On enseigne en français. Aujourd’hui, ceux qui enseignent, je suis désolé, ne maîtrisent pas le français », disait-il au micro du journaliste Mamoudou Ibra Kane. Decroix s’immerge dans ce poncif abyssal et itératif qui est chanté comme une antienne : les enseignants ne maîtrisent pas le français et c’est ce qui explique la baisse de niveau voire la nullité des apprenants. On cloue au pilori les enseignants qui, chaque jour, se sacrifient, nonobstant les mauvaises conditions tous azimuts auxquelles ils sont confrontés dans leur tragique quotidienneté. Et dire que de 2000 à 2012, Decroix a appartenu à un régime qui n’a jamais songé un tantinet à poser la problématique du français comme langue officielle, lequel a montré ses limites en 61 ans de pratique imposée. Quand Abdoulaye Wade accédait à la magistrature suprême, il était question que l’on remît en cause le legs quarantenaire politico-linguistique de Senghor. Que nenni ! La rédaction d’une nouvelle Constitution qui, en réalité, n’était pas nouvelle dans ses grandes lignes, ré-officialisa le français comme la langue-déesse qui surpasse nos dialectes pluriels, lesquels n’ont même pas le statut de sous-langue aux yeux du colon et de ses suppôts locaux. Imposer que « celui qui ne sait ni lire ni écrire en français (article 28 de la Constitution) ne doit pas aspirer à la magistrature suprême » est un acte de discrimination et d’exclusion d’une bonne partie de la population statistiquement et « francisément » analphabète à 54,6%. Bref, le français est un instrument de ségrégation sociale, une langue de domination. Et cet oukase linguistique, la France l’a imposé à toutes ses colonies africaines qui l’ont gravé comme du marbre dans leurs Chartes fondamentales respectives. Pourtant, cette France n’a point inscrit expressément dans sa Constitution que « pour être candidat à la République, il faut savoir lire et écrire le français ».
Les communistes sont connus pour leur aversion au colonialisme et à toute idéologie qui porterait ou perpétuerait le projet colonial. Mais le Sénégal est le pays des paradoxes doctrinaux et des salmigondis idéologiques. Devant les bonheurs et les honneurs, des marxistes-léninistes et des maoïstes ont préféré brocanter leurs ardentes décennies de lutte chevillée à un socle idéologique apparemment imperturbable contre l’ivresse des voluptés du pouvoir.
Aujourd’hui, le combat que le député Diop Decroix doit mener est de mettre en branle une réflexion profonde qui promeut nos langues nationales et leur donne leur véritable place dans nos options et objectifs de développement.
Le mépris de Cheikh Anta contre l’extase senghorienne
Dans « Ethiopiques », Léopold Sédar Senghor qui est chantre ou aède du français s’extasie sans retenue devant la beauté divine de la langue de ses maîtres en ces termes laudatifs : « Si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle. Car je sais ses sources pour l'avoir goûté, mâché, enseigné, et qu'il est la langue des dieux. Chez nous, les mots sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang ; les mots du français rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit. » Pourtant, c’est lui qui disait « assimiler et non être assimilé », c’est-à-dire « saisir par la pensée un objet de connaissance et l'intégrer à son propre fonds intellectuel » ou « acquérir des connaissances nouvelles » et non « s’intégrer dans un groupe social au point de perdre son identité ».
Malheureusement, l’école coloniale nous a fait aimer sa langue en nous poussant vers ce que Boubacar Boubacar Boris Diop appelle « la haine de soi ». Nous nous abîmons dans une contemplation extatique quand nous entendons nos enfants parler avec aisance la langue coloniale. Combien de fois, dans nos écoles-purgatoires, n’a-t-on pas fait passer au fouettage, à la « cravacherie » tout apprenant téméraire ou imprudent qui baragouine la langue du maître blanc ? Et combien de fois sommes-nous restés insensibles, indifférents devant nos enfants et même de grandes personnes qui massacrent les règles de fonctionnement de nos langues maternelles ?
Cheikh Anta Diop tout comme Majmouth Diop, Ousmane Sembène et autres ardents défenseurs des langues nationales s’est toujours dressé contre le projet senghorien qui fait du français notre langue véhiculaire en réduisant les nôtres à de simples dialectes vernaculaires. Pour eux, le français est comme un cheval de Troie du colonisateur dont la mission princeps est d’investir nos langues et les reléguer à de simples sous-langues s’il ne les anéantit pas. Par conséquent, Diop Decroix, ancien communiste reconverti à la religion libérale, devrait plutôt s’inspirer de ces résistants à l’impérialisme du français au lieu de morigéner les enseignants qui se sont abreuvés à une source linguistique qu’on leur a imposée depuis des décennies mais qui ne parvient toujours pas à étancher leur soif de connaissances.
El Hadji Abdou Aziz Faty, dans sa publication « Politiques linguistiques au Sénégal au lendemain de l'Indépendance. Entre idéologie et réalisme politique », démontre l’importance de la maitrise de nos langues nationales dans tout projet de développement et de civilisation : « En 1817 s’ouvre la première école française à Saint-Louis sous la direction d’un instituteur laïc du nom de Jean Dard. Celui-ci est confronté d’emblée à une tâche de grande ampleur car, quelque statut que la langue française puisse avoir sous ces contrées, elle demeurera toujours une langue étrangère pour les enfants sénégalais. C’est alors que Dard commence à s’interroger sur la méthode à suivre. Deux voies s’offrent à lui : privilégier des leçons de langue (grammaire) pour une bonne connaissance des bases du français ou passer par la langue maternelle des enfants, le wolof, en vue d’une traduction. Il opte pour cette dernière, qui consiste à faire acquérir aux enfants une conscience linguistique claire de leur langue maternelle avant de les faire entrer dans une langue étrangère, le français. La voie choisie par Jean Dard, le détour par la langue maternelle des enfants, nécessite une bonne maîtrise du wolof. Il l’apprend et le maîtrise au point d’en écrire une grammaire et un vocabulaire. Ses élèves peuvent ainsi lire en wolof pour ensuite traduire en français. En procédant de cette manière, Dard s’éloigne du fameux « projet méthodologique » tracé par les autorités coloniales qui, d’ailleurs, ne tardent pas à réagir. En 1822, Jean Dard est démis de ses fonctions d’enseignant sous le prétexte de son inefficacité pédagogique. Restant persuadé du bien-fondé de son choix après sa destitution, Dard affirmait : « La civilisation des Ouolofs est plus que négligée, elle est mise à l’oubli puisqu’on a cessé d’instruire les noirs au Sénégal dans leur langue. Car, quoi qu’on en dise, il faut que les noirs soient instruits dans leur langue maternelle ; sans cela, point d’établissements durables, point de civilisation. » »
Et c’est ce que Philippe Rey a compris quand il affirme que « lorsque des enfants acquièrent des connaissances dans leur langue maternelle, ils progressent plus rapidement que s’ils font le détour par une langue secondaire ».
Cette conception de Dard sur l’utilité des langues maternelles rejoint aussi celle de Cheikh Anta Diop qui, « Dans Nations Nègres et Culture », est catégorique sur l’importance de promouvoir les langues locales : « Il est plus efficace de développer une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue étrangère : un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la connaissance. Très souvent, l’expression étrangère est comme un revêtement étanche qui empêche notre esprit d’accéder au contenu des mots qui est la réalité. »
Toute langue véhicule une culture. Qui perd sa langue perd sa culture. « Une société qui n’est pas enracinée dans sa culture, consciente des valeurs qui sont les siennes, ne peut aspirer au développement juste en copiant les autres. La langue, en tant que système abstrait sous-jacent à tout acte de parole, est avant tout un système de pensée qui est vecteur du savoir technologique propre à la société qui en a l’usage. Une langue, quelle qu’elle soit, si elle n’est utilisée quotidiennement ni au sein de l’administration ni dans le système éducatif et se trouve de plus en plus délaissée dans le cercle familial, est vouée à une disparition certaine », dixit Johanes Agbahey.
Voilà ce qui explique essentiellement les retards de développement de tous les pays qui ont voulu exclusivement faire de la langue du colon un instrument de science et de développement en confinant les langues locales à de simples idiomes vernaculaires. Cela fait 204 années que nous étudions avec le français glottophage et 61 ans que nous en avons fait notre langue officielle et, pourtant, plus de 50 % de la population se heurtent à sa complexité lexicale voire sa difficulté grammaticale et syntaxique. Le mal est plus profond que ne le laisse penser Diop Decroix. Il est structurel et structural. En tant que député du peuple depuis une décennie, Diop Decroix doit aller dans le sens d’une initiative de lois réformistes qui remettraient en cause cette disposition constitutionnelle conférant au français cette primordialité linguistique sur nos parlers endogènes. C’est sur cela que les enseignants l’attendent.
Mais en attendant Decroix, les enseignants continuent de porter leur croix en passant sous les fourches caudines d’un système d’enseignement importé et imposé.
PS : Je me permets d’apporter quelques corrections au texte de Diop Decroix, maître ès-français, publié dans plusieurs sites le 15 décembre 2021. Certainement que le mien regorge plus de fautes mais je ne me fais point de complexe d’estropier cette langue importée qu’on m’a imposée.
Texte original
« J’ai lu l’article de François Soudan où est publiée une liste de personnalités dans laquelle on trouve pêle-mêle Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean Pierre Mbemba, bref d’anciens présidents de la République ou d’institutions nationales, d’anciens Premiers ministres, des milliardaires et des personnalités très en vue dans le monde comme Julius Malema d’Afrique du Sud, etc. Toutes ces personnalités selon monsieur Soudan auraient bénéficié des largesses du président Alpha Condé. Et, comme un cheveu dans la soupe, mon nom apparaît dans ce gotha. Monsieur Soudan s´est lourdement trompé sur mon compte. Je signale que je ne connais pas monsieur François Soudan et que lui non plus, ne me connaît pas.
Je crois cependant avoir compris son objectif : Secouer des personnalités de par le monde pour lesquelles Alpha Condé aurait accordé des faveurs pour qu’elles retournent l’ascenseur et qu’elles bougent en soutien à leur bienfaiteur. L’objectif est louable mais la méthode me semble quelque peu approximative pour les raisons suivantes : Pour les faux amis d’Alpha Condé, s’il en existe, un article de presse, fût-il de François Soudan, ne changera pas d’un iota leur posture. Ils ne feront rien de toutes façons pour le président Condé. Peut-être même qu’ils s’essayent déjà à devenir les amis des nouvelles autorités. Les choses marchent malheureusement ainsi ici et là dans le monde.
Quant aux vrais amis d’Alpha dont je me réclame, même s’ils n’ont pas été toujours d’accord avec lui, ils ne l’abandonneront pas, quand bien même leurs moyens d’actions peuvent être relativement limités. Mais ceux-là, ce n’est pas l’argent qui les liait à Alpha Condé.
Dans mon cas, c’est au moins 20 ans avant son accession à la présidence de la République de Guinée que j’ai connu Alpha Condé. Entre 1994 et 2010, on a beaucoup échangé entre nous deux et aussi, par moments, entre les deux partis. J’ai pris part à ses congrès et lui aussi a pris part à nos événements ici à Dakar ou à Paris. Mais en dépit de tout cela, jamais l´argent ne s´est mêlé à ses relations. Je pense qu’il avait une certaine conception de nos rapports et je la respectais. Ma famille, mes proches et certains qui ne sont même pas dans mon cercle restreint savent bien de quoi je parle. Les raisons qui fondent nos relations sont que nous partagions des principes communs sur l’anti-impérialisme et sur l’unité de l´Afrique. Et je le prenais pour un camarade, un grand frère. Ça n’a pas changé.
Monsieur Soudan soutient que les amis d’Alpha Condé n’ont pas été entendus depuis son éviction. Me concernant ce n’est pas exact.
La situation en Guinée a toujours retenu mon attention. Il y a deux ans déjà, j’ai écrit pour alerter. (Il donne une référence de dakaracatu.com). Par la suite, dès le lendemain du coup d’État, je me suis exprimé sur ma page Facebook le 6 septembre 2021. Concluons : Lorsque le président Alpha Condé sortira de sa situation actuelle, je le lui souhaite ardemment, je pourrais, si nécessaire, expliciter certains aspects qui montreront que ce que monsieur François Soudan a écrit est fort éloigné de la réalité, du moins en ce qui me concerne. »
Texte corrigé : les corrections sont en gras
« J’ai lu l’article de François Soudan où est publiée une liste de personnalités dans laquelle on trouve, (virgule) pêle-mêle, (virgule) Nicolas Sarkozy, François Hollande, Jean Pierre Mbemba, bref d’anciens présidents de la République ou d’institutions nationales, d’anciens Premiers ministres, des milliardaires et des personnalités très en vue dans le monde comme Julius Malema d’Afrique du Sud, etc. Toutes ces personnalités, (virgule) selon monsieur Soudan, (virgule) auraient bénéficié des largesses du président Alpha Condé. Et, comme un cheveu dans la soupe, mon nom apparaît dans ce gotha. Monsieur Soudan s´est lourdement trompé sur mon compte.
Je signale que je ne connais pas monsieur François Soudan et que lui, (virgule) non plus, ne me connaît pas.
Je crois, (virgule) cependant, (virgule) avoir compris son objectif : lettre minuscule secouer des personnalités de par le cette expression est maladroite ; « du » est plus convenable monde pour lesquelles « auxquelles et non « pour lesquelles » Alpha Condé aurait accordé des faveurs pour qu’elles retournent l’ascenseur et qu’elles il devait éviter la répétition de « qu’elles » ; c’est un peu maladroit bougent en soutien à leur bienfaiteur. L’objectif est louable mais la méthode me semble quelque peu approximative pour les raisons suivantes : Pas de majuscule après « deux points » Pour les faux amis d’Alpha Condé, s’il en existe, un article de presse, fût-il de François Soudan, (virgule) ne changera pas d’un iota leur posture. Ils ne feront rien de toutes façons pour le président Condé. Peut-être même qu’ils s’essayent déjà à devenir les amis des nouvelles autorités. Les choses marchent malheureusement ainsi ici et là dans le monde.
Quant aux vrais amis d’Alpha dont je me réclame, même s’ils n’ont pas été toujours d’accord avec lui, ils ne l’abandonneront pas, quand bien même « quand bien même est suivi du conditionnel » leurs moyens d’actions peuvent pourraient être relativement limités. Mais ceux-là, ce n’est pas l’argent qui les liait à Alpha Condé.
Dans mon cas, c’est au moins 20 ans avant son accession à la présidence de la République de Guinée que j’ai connu Alpha Condé. Entre 1994 et 2010, (virgule) on a beaucoup échangé entre nous deux ce n’est pas la peine d’écrire « entre nous deux » et aussi, par moments, entre les deux partis. J’ai pris part à ses congrès et lui aussi a pris part à nos événements ici à Dakar ou à Paris. Mais en dépit de tout cela, jamais l´argent ne s´est mêlé à ses nos ? relations. Je pense qu’il avait une certaine conception de nos rapports et je la respectais. Ma famille, mes proches et certains qui ne sont même pas dans mon cercle restreint savent bien de quoi je parle. Les raisons qui « ont fondé » pour la concordance des temps avec « partagions » fondent nos relations sont que nous partagions des principes communs sur l’anti-impérialisme et sur l’unité de l´Afrique. Et je le prenais pour un camarade, un grand frère. Ça n’a pas changé.
Monsieur Soudan soutient que les amis d’Alpha Condé n’ont pas été entendus depuis son éviction. Me concernant, (virgule) ce n’est pas exact.
La situation en Guinée a toujours retenu mon attention. Il y a deux ans déjà, j’ai écrit pour alerter. (Il donne une référence de dakaracatu.com). Par la suite, dès le lendemain du coup d’État, je me suis exprimé sur ma page Facebook le 6 septembre 2021. Concluons : pas de majuscule après une virgule Lorsque le président Alpha Condé sortira de sa situation actuelle, je le lui souhaite ardemment, je pourrais, si nécessaire, expliciter certains aspects qui montreront que ce que monsieur François Soudan a écrit est fort éloigné de la réalité, du moins en ce qui me concerne.
En 1954, son ouvrage Nations nègres et culture fait l'effet d'une bombe dans le milieu scientifique. Il affirme que l'Égypte antique était peuplée d'Africains noirs, et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées dans l'Afrique
Historien, anthropologue, spécialiste en physique nucléaire, Cheikh Anta Diop est né au Sénégal. En 1954, son ouvrage Nations nègres et culture fait l'effet d'une bombe dans le milieu scientifique. Il affirme que l'Égypte antique était peuplée d'Africains noirs, et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées dans l'Afrique de l'Ouest.
par l'éditorialiste de seneplus, Ousseynou Bèye
CONFLUENCE, LE COUP DE MAÎTRE D’ALPHA YOUSSOUPHA GUÈYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Quelle est la place des religions révélées dans la pensée de Cheikh Anta ? Quelles sont les perspectives de la pensée de Cheikh Ibrahima Fall ? Des pistes de réponses à ces questionnements sont formulées dans le nouveau livre (2/2)
Ousseynou Bèye de SenePlus |
Publication 10/11/2021
Qui était Cheikh Anta Diop, et quel a été son apport à la Science et à l’Histoire ?
L’auteur nous sert une présentation limpide, sans équivoque :
Au regard de tous les enjeux que ses travaux ont suscités, Cheikh Anta Diop fut un génie comme rarement le monde moderne en a connu. Il était tout à la fois, anthropologue, historien, linguiste, mathématicien, chimiste, physicien, égyptologue… et homme politique. Ses fascinants travaux qui ont pour épicentre la restauration de la conscience nègre ont été pionniers par leur transversalité et leur impact sur les peuples africains, dans la connaissance de ces mêmes peuples africains.
Au-delà de cette présentation synthétique, l’écrivain va aller en profondeur, comme à son habitude, pour mieux connaître et faire connaître l’homme qui se cache derrière le savant. Et, en homme de science, Alpha Youssoupha aura d’abord fini de partager avec nous sa méthodologie :
Aussi, il sera intéressant de connaître ses parents, sa famille élargie, en somme sa généalogie. Revenir sur quelqu’un qui a laissé une empreinte sur l’histoire du Sénégal parmi les siens et chercher comment son esprit a été forgé dès le bas-âge sera bénéfique. Toutes ces approches seront utiles pour saisir l’homme. Le rôle crucial de l’éducation de base chez l’enfant se vérifie chez Cheikh Anta Diop. Ce mélange d’influences a généré un résultat qu’il faut scruter pour en tirer des enseignements qui pourront être utiles aux systèmes éducatifs africains.
C’est le moment pour l’auteur de questionner, en toute humilité mais aussi avec toute la pertinence requise, la dimension intellectuelle du savant. D’abord ce qu’Alpha Y. Guèye appelle laposture épistémologique de Diop, et citant Pathé Diagne (« Cheikh Anta Diop et l’Afrique dans l’histoire du monde » Sankoré/L’Harmathan) :
« Diop a toujours respecté le protocole de recherche scientifique. Il disait du mimétisme intellectuel : « L’usage de l’aliénation culturelle comme arme de domination est vieux comme le monde ; chaque fois qu’un peuple en a conquis un autre, il l’a utilisé… il devient donc indispensable que les Africains se penchent sur leur propre histoire et leur civilisation et étudient celles-ci pour mieux se connaître, arriver ainsi par la véritable connaissance de leur passé à rendre périmées, grotesques et désormais inoffensives ces armes culturelles. »
Et Guèye de renchérir :
Tout se joue sur la conscience et la connaissance de soi qui constituent le combat que les peuples doivent gagner. C’est un travail qui n’est pas évident d’autant que c’est l’arme principale de domination qui a opéré pendant l’esclavage et la colonisation. Tous les théoriciens de la domination raciale tels qu’Hegel ou Gobineau ont utilisé ce procédé… Malgré les incompréhensions et les procès d’intention provenant d’intellectuels africains, au-delà de l’adversité des intellectuels occidentaux à laquelle il faisait constamment face, il n’a pas dévié de son objectif et de sa posture.
Se fondant sur la conviction de Cheikh Anta Diop selon laquelle « Le rôle de l’histoire dans l’existence d’un peuple est vital », l’auteur souligne le sens de l’histoire qui habitait le savant. N’est-ce-pas d’ailleurs ce dernier qui a conçu et théorisé la notion de « conscience historique » ? Et Guèye de relever les propos de l’historien :
« Sans conscience historique, les peuples ne peuvent être appelés à de grandes destinées. Si en se libérant du colonialisme et de l’impérialisme, les différents pays d’Afrique noire doivent former un état multinational démocratique allant de la Libye au Cap, de l’Océan Atlantique à l’Océan Indien, il importe, dès à présent, d’introduire dans la conscience de ces peuples, le sentiment de leur communauté historique. Celle-ci n’est pas une fiction. »
Alpha Youssoupha ne boude pas son plaisir et en rajoute une couche :
La conscience historique accélère la connaissance de soi et fonde des repères qui renforcent l’estime de soi. Savoir que son peuple a été capable de si belles choses, a créé la civilisation la plus brillante qui soit sur les plans technique, scientifique, économique et spirituel constituant les problématiques les plus actuelles de notre époque, permet de voguer allègrement vers un devenir plus radieux.
Et il ne manque pas de faire le lien avec la source islamique :
La quête de la conscience historique répond à la célèbre tradition prophétique : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras ton Seigneur » (sentence du Prophète Mohamed – PSL -). Cheikh Anta Diop a aidé à creuser ce soi africain pour découvrir les trésors d’une civilisation bâtie par les Noirs.
Au-delà de la posture épistémologique du savant et de sa contribution à la connaissance de l’Histoire de l’Humanité, Guèye met l’accent sur son apport à la philosophie universelle :
Il synthétise les pensées des grands philosophes tels que Descartes, Leibniz, Kant qui mettent en lien les théories des philosophes et celles des scientifiques.
Youssoupha en tire sa propre conclusion :
Cheikh Anta Diop met un lien entre la philosophie, ses applications scientifiques et la justification de l’actualité de la religion. En partant de la biologie moderne, il discute de l’imaginaire chez l’homme qui lui, montre ses limites devant l’infini.
A méditer !
Ayant débusqué le savant, le scientifique mondialement respecté, Alpha Youssoupha ne s’arrête pas en si bon chemin et, nous tirant à sa guise, il nous guide pour explorer tour à tour : l’origine familiale de Cheikh Anta, ses ancêtres, son terroir originel du Guet et le processus d’islamisation de ce terroir, son environnement familial et religieux, les alliances des Diop de Koki avec des familles royales du Kajoor (Cayor), et, pour finir, sa filiation.
S’agissant précisément de sa filiation, Guèye emprunte la plume au fils du savant, Cheikh Mbacké Diop, physicien comme son père, qui précise (« Cheikh Anta Diop, l’homme et l’œuvre ») :
« Cheikh Anta Diop est né au Sénégal le 29 décembre 1923 dans la région de Diourbel où se situe le village familial, Caytu, à environ 150 km à l’est de Dakar. Cette région est le Baol-Kayoor (Cayor) dont la langue est le wolof. Le nom de la mère de Cheikh Anta Diop est Magatte Diop, et celui de son père Massamba Sassoum Diop. Son grand-père maternel est celui que l’on appelle encore aujourd’hui « Le Vieux Massamba Sassoum ». C’est auprès de lui que repose Cheikh Anta Diop dans le village de Caytu. Le père de Cheikh Anta Diop est décédé très peu de temps après la naissance de son fils. Sa mère s’est éteinte en 1984. Mame Magatte, comme on l’appelait avec affection et respect, était unanimement louée pour son courage, son extrême générosité, sa droiture. »
Guèye nous fera vivre l’évolution du jeune garçon, orphelin de père, dans la grande concession (Kër gu Mag) de son père adoptif, Cheikh Ibrahima Fall, le maître spirituel Làmp Faal et époux en secondes noces de sa mère.
Une autre épisode qu’Alpha Youssoupha Guèye se fera le plaisir de nous rendre témoins sera la rencontre à haute portée émotionnelle entre l‘adolescent Diop et le guide Cheikh Ahmadou Bamba ; rencontre qui est aujourd’hui encore l’objet de moult commentaires et supputations de la part des historiens traditionnels.
Toujours avec notre guide, nous continuons notre exploration qui va nous conduire encore dans le monde de l’enfance, de l’éducation et de la formation de Cheikh Anta : entre la contrée mouride (Touba, Diourbel), l’agglomération de Saint-Louis et Dakar, la capitale. Ville d’où il partira pour la France poursuivre ses humanités avec deux baccalauréats (Math Elem et Philosophie) décrochés la même année 1945.
Le lecteur découvrira avec curiosité les péripéties qui ont jalonné cette période de jeunesse de celui qui deviendra l’illustre savant que l’on connaît aujourd’hui. Aussi, les influences fortes qu’il a eu à subir, notamment celle de son cousin et ami Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma à qui l’auteur consacre tout un chapitre (un long chapitre !). Mais le lecteur comprendra surtout combien ce Royaume d’Enfance a engendré, a bâti, a façonné cette forte personnalité au caractère si trempé et à l’érudition hors du commun.
Le lecteur dès lors, ne s’étonnera plus, comme le chercheur Abdoul Aziz Mbacké Majalis (La vision politique de Cheikh Ahmadou Bamba, L’Harmattan), dont Alpha Youssoupha nous rapporte la pertinente interpellation :
« Qui aurait cru que Cheikh Anta Diop, l’illustre parrain de la première université du Sénégal, l’icône de l’intellectualisme panafricain, ait pu recevoir une partie de son éducation de base chez les Baye-Fall, cette singulière frange des mourides considérée généralement par tous les chercheurs comme la plus obscurantiste et féodale ?»
En France Cheikh Anta Diop mènera de front études et militantisme.
Il fréquentera Alioune « père » Diop et les autres « grand-frères » Aimé Césaire, Price Mars, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright… Cependant son long séjour dans la capitale française sera surtout marqué par les combats épiques qu’il mènera contre l’establishment de l’Université française, adepte de la « falsification de l’Histoire ». Ce long et rude combat sans merci sera marqué notamment par la publication de Nationsnègres et Culture en 1954, et vingt ans plus tard par le fameux Colloque du Caire qui consacrera définitivement la véracité et la reconnaissance universelle de ses thèses, avant l’épilogue qu’a constitué le très suivi Symposium Sankoré de Dakar. Le Colloque du Caire fut une rencontre historique où le savant fit bénéficier à ses pairs égyptologues d’un cours magistral et sur la langue wolof… Élevant ainsi les langues africaines non plus seulement à leur dimension de Patrimoine national, mais aussi en instrument de travail et en outil scientifique. Ce que Nations Nègres… avait déjà présagé, mais ce dont hélas les Sénégalais sont encore en attente de bénéficier !
Bien évidemment, notre auteur reviendra largement sur ces thèses aujourd’hui bien connues et largement acceptées dans les milieux universitaires, mais dans une perspective actualisée. Celles-ci tournent autour des questions de l’antériorité de l’homme noir dans l’histoire de l’Humanité ; la magnificence de la première civilisation de l’Histoire, l’Égypte pharaonique et son identité noire africaine ; la conscience historique des Africains et leur rapport à l’Universel ; l’importance fondamentale des langues nationales dans le développement économique et culturel des nations ; et aussi le devenir de l’Afrique qu’il ne conçoit que dans la perspective de l’unité du continent qu’il théorise sur des bases scientifiques.
L’auteur ira plus loin, en cherchant à dégager les enseignements à tirer de l’œuvre des « deux Cheikh ». Ce faisant, Confluence… apporte des réponses à des questionnements de taille. Par exemple : Quelles sont les indications précises sur la lecture de la continuité historique, concept-clé dans la perspective de Diop ? Quelle est la place des religions révélées dans la pensée de Cheikh Anta Diop ? Comment mesurer la contribution de ce dernier à une compréhension renouvelée de bien des aspects des textes sacrés ? Quelles sont les perspectives actualisées de la pensée et de l’action de Cheikh Ibrahima Fall ? Quel modèle de société et quel système éducatif émergent du rapprochement de ces deux figures exceptionnelles dont il nous a été donné de disséquer les oeuvres ? Quelle relation la science et la religion devraient-elles entretenir pour les Africains ?
Ainsi, Alpha Youssoupha Guèye s’appesantira encore sur l’analyse de ces œuvres pour en dégager les riches enseignements à retenir pour la postérité, en s’engageant dans la problématique des convergences, de la confluence des « deuxCheikh ». Le lecteur découvrira des pistes de réponses à tous ces questionnements… en se délectant de Confluence…
CONFLUENCE, SUR LES DESTINS CROISÉS DE CHEIKH IBRA FALL ET CHEIKH ANTA DIOP
EXCLUSIF SENEPLUS - Alpha Youssoupha explore à travers son livre, ce chantier, que d’aucuns pourraient qualifier de saugrenu, du rapprochement de deux fortes personnalités du 20e siècle, qu’en apparence rien ne permet de mettre en parallèle (1/2)
Ousseynou Bèye de SenePlus |
Publication 03/11/2021
Un nouveau livre, au titre fort évocateur, va paraître (Editions Omayal) en deux tomes : Confluence,Spiritualité et sciences dans l’action de Cheikh Ibrahima Fall et la pensée de Cheikh Anta Diop (1). On l’aura remarqué, la maison d’édition est également un nouveau-né. Son auteur ? Un écrivain qui vient frappe fort à la porte des grands, avec sa belle plume. Il se nomme Alpha Youssoupha Guèye.
Mais laissons plutôt nous le présenter, le préfacier qui n’est personne d’autre que Boubacar Boris Diop, l’écrivain émérite (récemment lauréat du Prix international de littérature Neustadt) :
… À peine la quarantaine entamée, Alpha Youssoupha Guèey qui totalise dix-huit années d’expérience professionnelle, est membre de l’Ordre National des Experts-Comptables et des Comptables Agréés du Sénégal (ONECCA) tout en étant chercheur universitaire en sciences de gestion.
L’auteur de Murambi, le livre des ossements n’a pas été peu impressionné lors de sa première rencontre avec son futur confrère :
Je découvre surtout très vite qu’il est depuis toujours habité par une réelle passion pour les grands débats d’idées qui agitent depuis le siècle dernier l’Histoire universelle et que même la familiarité avec le maniement des chiffres ne l’en a heureusement pas « guéri ». Guèye n’en fait d’ailleurs pas mystère : “ Je suis, dit-il, attentif depuis mes 18 ans aux questions de l’Islam et des autres religions et à la cause noire, à celle de l’Afrique et à leurs interactions.”
Pourquoi cette œuvre ?
A la lumière de ces éclairages, on comprendra aisément qu’Alpha Youssoupha explore (le premier à s’y essayer ?) ce chantier, que d’aucuns pourraient qualifier de saugrenu, du rapprochement de ces deux fortes personnalités du 20e siècle, qu’en apparence rien ne permet de mettre en parallèle, Cheikh Ibrahima Fall et Cheikh Anta Diop. Entreprise certes, d’une exceptionnelle ambition.
L’auteur de l’essai est conscient du défi qui se présente à lui, et dès les premières lignes de son introduction, nous en fait l’aveu :
“Évoquer deux personnalités de l’histoire du Sénégal connus dans deux différents domaines cloisonnés des hommes du commun, pour en observer une confluence peut sembler une gageure.”
Pourtant le lecteur aura le plaisir de lire une plume alerte lui narrer la vie et l’œuvre de deux illustres acteurs de l’Histoire du Sénégal. D’abord de Cheikh Ibrahima Fall, un maître spirituel célèbre certes au Sénégal, mais très peu connu quant au fond de son action et de sa pensée. De Cheikh Anta Diop aussi, qui partage avec Cheikh Ibra d’être paradoxalement une célébrité mal connue quant à la signification profonde de son oeuvre. Alpha Youssoupha Guèye comble ici, avec bonheur, ces lacunes à travers une érudition remarquable et une écriture des plus fines.
Ainsi, pour schématiser, le Tome 1 de l’œuvre sera consacré au disciple de Cheikh Ahmadou Bamba et le Tome 2 au savant universellement connu, avant que la « confluence » ne soit mise en exergue. Mais ne nous y méprenons pas : il ne s’agit point d’études cloisonnées de personnalités qui n’auraient rien à voir entre elles ; au contraire, l’auteur navigue souvent de l’un à l’autre, et vice-versa. Du reste, Boris, à sa manière habituelle, nous aura prévenus dans sa préface :
Alpha Youssoupha Guèye…ne se contente pas de superposer deux posters géants : il les fait au contraire se rencontrer en plein mouvement à l’image du Nil bleu et du Nil blanc de l’Égypte si chère à Cheikh Anta Diop.
Mais qu’est-ce donc que la confluence ?
On s’en doute bien, le scientifique ne pouvait manquer dès le départ, de camper le contexte et de définir ses concepts :
…Dans la matière scientifique qu’est la géographie, la confluence se manifeste par un point où un cours d’eau, appelé affluent, se jette dans un autre.
En géologie, elle est la rencontre de deux vallées glaciaires.
En informatique, la confluence revêt la propriété d'un système de réécriture qui est convergent.
Dans le Coran, la notion de confluence est souvent utilisée pour désigner la réunion d’eau salée et d’eau douce observable par exemple en Irak ou à Saint-Louis et Dakar, au Sénégal. La confluence est également citée en Égypte pour l’endroit situé entre le Nil bleu et le Nil blanc.
Dans les sourates 18 (la Caverne) et 55 (le Tout-Miséricordieux) du Coran, la confluence est donnée comme preuve de la miséricorde divine et objectif d’une quête spirituelle déterminée à travers le prophète Moïse et son serviteur (Josué)…
Et l’auteur de nous préciser :
Ces définitions nous amènent à l’idée générale qui sous-tend ce travail, à savoir : examiner les relations possibles que la spiritualité et la science sont susceptibles d’entretenir, dans une confluence, au bénéfice de l’homme. Notre étude porte sur Cheikh Ibrahima Fall et Cheikh Anta Diop pour leurs contributions respectives majeures.
Il montrera aussi comment le concept est né dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop, notamment dans Nations Nègres et Culture et dans L’Unité Culturelle de l’Afrique Noire.
Qui était Cheikh Ibrahima Fall, et quel a été son apport à l’Islam et à l’Histoire ?
La réponse de l’auteur à cette question coule de source :
Cheikh Ibrahima Fall a donné une lecture nouvelle de la soumission connue depuis le prophète Abraham (Ibrahim_AS) ; ce qui avait valu au père des prophètes son titre de premier soumis. Cheikh Ibrahima Fall a traduit en actes la prière sur le prophète Mouhamed (PSL) ; démontré par sa conduite l’humilité assignée aux hommes ; donné l’effet de la demande de soumission ou de prosternation indiquée aux Anges vis-à-vis d’Adam. Dans son action, il est observé comment il a eu à surmonter l’épreuve de Iblis [Satan] qui était pratiquant et sachant, même si son savoir teinté de vanité et d’orgueil ainsi que son rang l’ont perdu devant l’apparente imperfection d’Adam. En effet, dans cet épisode coranique crucial absent de la Bible, Iblis a refusé d’exécuter l’ordre divin de se prosterner devant Adam.
Dans son action, Cheikh Ibrahima Fall a rappelé la relation du Prophète avec ses compagnons, de même que la révérence due au Prophète et applicable à son héritier spirituel légitime.
Cet ‘héritier spirituel légitime’ à qui ‘la révérence est due’, aux yeux de Cheikh Ibrahima Fall, n’est autre que Cheikh Ahmadou Bamba. Mais Alpha Youssoupha prend bien soin de nous préciser que : “Nous ne parlons pas de la soumission à tous les guides sans distinction qui est en passe de devenir un fléau au Sénégal… » Du reste, il ne manquera pas, par ailleurs, de nous révéler le contenu spirituel de cette soumission au Guide.
Mais auparavant, il se fera le devoir de nous entrainer dans la biographie envoûtante de celui que l’on appellera avec affection et dévotion LàmpFaal. Son lieu de naissance et de jeunesse, avec une monographie précise de ce qui deviendra la contrée Mouride ; son appartenance familiale, avec une riche documentation sur la généalogie du chef spirituel ; la rencontre sublime avec son futur guide : moment historique, moment émotionnel, moment d’une haute portée spirituelle…
Cheikh Moussa Ka, le poète très présent dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop, s’épanchera dans des vers pour célébrer l’événement :
Seriñ ba naa ko Cheikh Ibra Faal
Ndigal foo fëqe
Mu wax ko tektal ya fa moom
Seex Bamba wax ko la fa moom
Mu xam ni gis na ka ko moom
Mu daadi fab mbirem joxe
Ainsi, le maître de la pensée et de la parole, le poète immortalisa l’instant fugitif, fugace. Mieux, en chroniqueur de l’actualité, en historien, il prend date pour la postérité :
Ma wax la bis ba ndax mu wóor
Ñaar fukki fan ci weeru koor
Bisub dibéer la mbir ma woon
Seex Ibra yaa réyi pexe.
L’essayiste nous donne la traduction française de ce témoignage poétique :
Cheikh Bamba lui demande l’objet de sa venue
Cheikh Ibra lui donne des indices sur le maître qu’il cherche
Cheikh Bamba lui répond
Cheikh Ibra le reconnaît comme son maître et lui prête allégeance.
Que je te dise le jour de cet événement pour que ça soit sûr
c’est le 20e jour du mois de ramadan
un jour de dimanche que l’événement a eu lieu
Cheikh Ibra, tu es très intelligent.
Sur les pas du maître spirituel, l’auteur nous mènera également à Saint-Louis du Sénégal, étape importante dans l’ascension de Cheikh Ibrahima Fall vers les sommets ; ville où il affirmera son modèle économique, son entregent diplomatique, en particulier dans ses relations avec les colons français ; son rôle dans le retour d’exil de Khadimou Rassoul, ses relations avec les autres guides religieux d’autres obédiences… seront mis en exergue.
Évidemment, la mission de Cheikh Ibra Fall, n’aurait eu aucun sens s’il ne s’était pas adossé au socle de la pensée de son guide et de la voie qu’il avait tracée, la voie Mouride. C’est pourquoi, Alpha Youssoupha consacre un long et riche chapitre à cette confrérie ainsi qu’aux ‘apports fécondants’ que Cheikh Ahmadou Bamba recevra des autres maîtres spirituels de son époque, notamment des preux chevaliers Cheikh Oumar Foutiyou Tall et Maba Diakhou Bâ.
L’auteur à l’érudition remarquable (encore une fois) nous aidera aussi, tout au long de ses développements, à décrypter le message du Maître spirituel des Baay Faal.
De la ‘tarbiya’ de Cheikh Ibra au culte de l’humilité et celui de l’environnement, en passant par ’l’opérationnalisation de la valeur Travail’ – ‘valeur cardinale du Mouridisme’ -, à son ’expérience spirituelle, son ‘njebelu’ - notion de soumission au Guide - … l’essayiste décortique méticuleusement les fondamentaux de la Voie Baay Faal.
Cette voie est sous-tendue par une philosophie qui se fonde sur la source islamique, le mysticisme de Cheikh Ibrahima Fall, les notions de fidélité au Guide et de vénération du Guide, et aussi sur les concepts de morale et de discipline reconnus sous le vocable du ndigal.
Enfin, Alpha Youssoupha n’a pas manqué de tirer les enseignements qu’il a relevés de l’œuvre de Làmp Faal. Son ouverture d’esprit et son humanisme, sa qualité d’artisan et de sage de l’Islam, ses théories économiques, sa conception du pluralisme religieux… et tout le contenu de son ouvrage intitulé Jazboul Mourid.
La revue ainsi esquissée relativement à la vie et à l’œuvre de Cheikh Ibrahima Fall, est loin d’épuiser la très riche teneur du Tome 1 de Confluence… dont le second tome est en grande partie consacré, comme nous l’avons déjà indiqué, à un autre valeureux fils du Sénégal et de l’Afrique, le savant, professeur Cheikh Anta Diop.
Pour projeter le débat dans sa continuité, l’auteur, dans la partie introductive du tome 2, revient sur sa quête de l’identité et de la philosophie de Cheikh Ibrahima Fall, avant de faire le lien avec son filsadoptif, Cheikh Anta Diop :
L’action du fondateur de la Voie Baay Faal qui s’inscrit entièrement dans le cadre islamique a d’emblée posé de fortes interrogations puisque sa posture était nouvelle. Il a souffert de rejets et d’incompréhensions persistants. C’est par une quête aux confins de la vérité ontologique que nous avons pu arriver à percevoir la cohérence et le sens profond de son action. La place du Noir dans toutes les traditions et en définitive dans l’Islam, une part importante de la revivification de la dernière religion révélée en acte, le don de soi, le positionnement dans la période coloniale pour faire émerger une voie née en Afrique qui pose les jalons d’un universel, sont les différents versants de son action. Cette action estmontée à un niveau où son fils adoptif Cheikh Anta Diop l’a rejoint avec d’autres engagements, d’autres pensées et d’autres découvertes. Cette frontière de retrouvailles en hauteur, ce sommet du Kilimandjaro pourrait simplement s’appeler la Vérité.
La jonction initiale ainsi amorcée, en attendant l’approfondissement des liens qui sous-tendent la Confluence, la présentation du savant et de son œuvre peut être entreprise.