SenePlus | La Une | l'actualité, sport, politique et plus au Sénégal
19 avril 2025
Culture
AMADOU HAMPATÉ BA, LE «VIEILLARD-BIBLIOTHÈQUE» QUI A ÉBLOUI LE MONDE OCCIDENTAL DE SA SAGESSE
Amadou Hampaté Bâ est né en 1900 ou 1901 à Bandiagara, chef-lieu du pays Dogon et ancienne capitale de l’Empire toucouleur. Enfant de Hampaté Bâ et de Kadidja Pathé Poullo Diallo, il est descendant d’une famille peule noble
Amadou Hampaté Bâ est né en 1900 ou 1901 à Bandiagara, chef-lieu du pays Dogon et ancienne capitale de l’Empire toucouleur. Enfant de Hampaté Bâ et de Kadidja Pathé Poullo Diallo, il est descendant d’une famille peule noble. Peu avant la mort de son père, il sera adopté par le second époux de sa mère, Tidjani Amadou Ali Thiam, de l’ethnie toucouleur. Il fréquente d’abord l’école coranique de Tierno Bokar, un dignitaire de la confrérie tidjaniyya, avant d’être réquisitionné d’office pour l’école française à Bandiagara puis à Djenné. En 1915, il se sauve pour rejoindre sa mère à Kati (Mali) où il reprendra ses études. Il manquera d’être mobilisé par l’armée Française à Mopti, en 1916, pour partir au front en Europe, comme il n’arrivait pas à prouver la date de sa naissance. Finalement, il ne sera pas recruté, les Français estimant qu’il avait sans doute 15 ans, un âge trop jeune pour combattre. En 1921, il refuse d’entrer à l’École normale de Gorée. À titre de punition, le gouverneur l’affecte à Ouagadougou, en qualité d’« écrivain temporaire à titre essentiellement précaire et révocable ». De 1922 à 1932, il occupe plusieurs postes dans l’administration coloniale en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) puis jusqu’en 1942 à Bamako. En 1933, il obtient un congé de six mois qu’il passe auprès de Tierno Bokar, son maître spirituel.
De l’Ifan à l’Unesco…
En 1942, il est affecté à l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) de Dakar grâce à la bienveillance de son directeur, le professeur Théodore Monod. Il y effectue des enquêtes ethnologiques et recueille les traditions orales. Il se consacrera notamment à une recherche de quinze ans qui le mènera à rédiger l’Empire peul du Macina. En 1951, il obtient une bourse de l’Unesco lui permettant de se rendre à Paris et de rencontrer les milieux africanistes, notamment Marcel Griaule. En 1960, à l’indépendance du Mali, il fonde l’Institut des sciences humaines à Bamako et représente son pays à la Conférence générale de l’Unesco. En 1962, il est élu membre du Conseil exécutif de l’Unesco. En 1966, il participe à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines. En 1968, il est nommé ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire. En 1970, son mandat à l’Unesco prend fin.
Ahmadou Hampaté Bâ et son disciple Alfa Ibrahima Sow seront récompensés en 1975 par l’Académie française en reconnaissance des services rendus au dehors à la langue française (Médaille d’argent du Prix de la Langue Française). Amadou Hampaté Bâ se consacre alors entièrement à son travail de recherche et d’écriture. Les dernières années de sa vie, il les passera à Abidjan en Côte d’Ivoire à classer ses archives accumulées durant sa vie sur les traditions orales d’Afrique de l’Ouest ainsi qu’à la rédaction de ses mémoires, Amkoullel l’enfant peul et Oui mon commandant !, qui seront publiés en France en 1991. Il meurt à Abidjan en mai 1991. La publication, la révision et la conservation de ses écrits ont reçu l’aide de Hélène Heckmann, devenue sa femme en 1969.
Passionné par le patrimoine culturel africain, Ahmadou Hampaté Bâ le recueille, le transcrit et le traduit dès son plus jeune âge pour le sauvegarder, et rassemble de précieuses archives en français, pular, adjami, bambara, arabe qui alimentent son œuvre. Il collecte, transcrit, commente et publie ainsi de nombreuses traditions orales peules. Il accorde une grande importance aux valeurs de solidarité et de responsabilité présentes dans les civilisations africaines traditionnelles, et au rapport au monde naturel et à la spiritualité. Il affirme : « On se condamne à ne rien comprendre à l’Afrique traditionnelle si on l’envisage à partir d’un point de vue profane ». Dans sa première recherche à l’Ifan « L’Empire peul du Macina », Ahmadou Hampaté Bâ explique comment la tradition orale, analysée avec méthode, peut être considérée comme une archive fiable. Pour lui, « C’est notre devoir, à nous qui avons hérité d’une tradition orale, que d’essayer d’en transmettre ce que nous pouvons avant que le temps et l’oubli ne la fassent disparaître de la mémoire des hommes ».
« Chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est toute une bibliothèque qui brûle »
Lors de la onzième conférence générale de l’Unesco Amadou Hampaté Bâ prononce un discours le 1er décembre 1960 où il demande « que la sauvegarde des traditions orales soit considérée comme une opération de nécessité urgente au même titre que la sauvegarde des monuments de Nubie ». Il a cette métaphore : « Pour moi, je considère la mort de chacun de ces traditionalistes comme l’incendie d’un fond culturel non exploité ».
En 1962, au Conseil exécutif de l’Unesco où il a été élu, il répond au sénateur américain Benton qui traite les Africains d’ingrats, analphabètes et ignorants : « Je concède que nous sommes des analphabètes, mais je ne vous concède pas que nous soyons des ignorants.[...] Apprenez que dans mon pays, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui a brûlé ». Dans la pure tradition orale, la formule est abondamment reprise et déclinée en de multiples variantes, telles que « Chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est toute une bibliothèque qui brûle ». L’auteur fait lui-même une mise au point lors du Festival mondial des arts nègres de Dakar en 1966 et reformule ainsi sa pensée : « En Afrique, chaque fois qu’un vieillard traditionaliste meurt, c’est une bibliothèque inexploitée qui brûle ». Sa déclaration – « véritable fleur de l’oralité » – a pris le rang de proverbe africain et Hampaté Bâ incarne désormais le « vieillard-bibliothèque ». En 1975, l’Académie Française décerne à Ahmadou Hampaté Bâ la médaille d’argent du prix de la langue française pour ses services rendus à la langue française au dehors. En 1974, le Grand prix littéraire d’Afrique noire lui est octroyé pour L’Étrange Destin de Wangrin.
Une fondation Ahmadou Hampaté Bâ, soutenue par les autorités ivoiriennes, a été créée à Abidjan, avec pour vocation, notamment, de préserver le riche patrimoine que constituent les manuscrits, y compris non publiés, les recherches et les archives d’Ahmadou Hampaté Bâ. Une pièce de théâtre a été consacrée à l’héritage d’Ahmadou Hampaté Bâ et à Dakar (Zone B), une université privée porte son nom. Dans le 10e arrondissement de Paris, le square Amadou-Hampaté-Bâ lui rend hommage.
par l'éditorialiste de seneplus, Jean-Claude Djéréké
DADIÉ, L’ÉCRIVAIN QUI JAMAIS N’ACCEPTA LE DIKTAT DE LA FRANCE
EXCLUSIF SENEPLUS - Pour lui, si le Blanc refuse la liberté et la sécurité au Noir, c’est parce que, "dans le bureau où je travaille avec d’autres Africains, beaucoup d’Européens viennent, regardent, puis repartent déçus, disant : Il n’y a personne"
Jean-Claude Djéréké de SenePlus |
Publication 17/05/2022
“Le travail et, après le travail, l’indépendance, mon enfant. N’être à la charge de personne, telle doit être la devise de votre génération. Et il faut toujours fuir l’homme qui n’aime pas le travail.” Lorsque Bernard Binlin Dadié alias Climbié entendait ces paroles de l’oncle N’Dabian dans le roman éponyme, il était loin d’imaginer qu’il aurait à mener un jour, avec d’autres, le combat pour l’indépendance de son pays.
Nous sommes dans les années 1920 et Dadié n’a que 4 ans. La Côte d’Ivoire et d’autres pays de l’Afrique francophone subissent les affres de la colonisation. Gabriel Angoulvant, Jean-Baptiste Chaudié, Pierre Savorgnan de Brazza et d’autres gouverneurs français règnent en maîtres absolus sur les populations africaines. Que ce soit à Grand-Bassam pendant ses études primaires ou à l’École normale William Ponty de Gorée (Sénégal), là où étaient formés les futurs cadres de l’Afrique occidentale française, le jeune Dadié se heurte vite au complexe de supériorité du Blanc. Il ne comprend pas que ce dernier veuille remplacer la culture africaine par la culture occidentale.
À l’Institut fondamental d’Afrique noire de Dakar qui l’emploie comme bibliothécaire-archiviste pendant dix ans (1937-1947), il est confronté au même mépris. Pire encore, il est témoin du massacre des tirailleurs africains au camp de Thiaroye, le 1er décembre 1944. 70 anciens prisonniers de la Seconde Guerre mondiale sont tués ce jour-là par des gendarmes français. Leur crime ? Avoir osé réclamer le paiement de leur solde. De retour dans son pays, Bernard Dadié milite dans le Rassemblement démocratique africain (RDA) de Félix Houphouët-Boigny. Malheureusement, il est incarcéré en 1949.
Pendant seize mois, il séjourne dans la prison de Grand-Bassam en même temps que Mathieu Ekra, Jean Baptiste Mockey, Ladji Sidibé, Alloh Jérôme, Jacob William, Albert Paraiso, Philippe Viera, Bakary Diabaté. En prison, il note tout ce qui lui vient en tête dans un journal qui sera publié en 1981 sous le titre ‘Carnets de prison’ dont un extrait dit ceci : “Une voix partie d’une force homicide, dit : tuez-les, comme cela le monde sera libre. Tuez-les, comme cela nous pourrons digérer en paix.”
Pourquoi Dadié fut-il emprisonné ? Parce qu’il avait dénoncé l’exploitation dont les paysans ivoiriens étaient victimes, parce qu’il avait protesté, dans ses écrits, contre le café, le cacao et la cola achetés à un prix dérisoire par le colon. Celui-ci estimait, pour sa part, que Dadié était un antifrançais, qu’il s’était retourné contre la France qui l’avait formé, qu’il semait le désordre, qu’il poussait les indigènes à la révolte, bref que ses articles et discours “avaient excité les paisibles paysans qui maintenant refusaient de vendre leurs produits”. Le natif d’Assinie a beau ne pas avoir droit, dans cette prison, “au lit, au couvert, au repas venu de l’hôtel mais à la natte, à la vieille gamelle rouillée et sale, au repas infect cuit dans un fût d’essence au coucher de dix-sept heures”, il croit dur comme fer qu’on “ne peut l’empêcher de penser ce qu’il pense, de penser que l’homme a droit à un minimum de bien-être, un minimum de liberté, de sécurité, sans lequel il ne pourra jamais s’épanouir”. Pour lui, si le Blanc refuse la liberté et la sécurité au Noir, c’est parce que, “dans le bureau où je travaille avec d’autres Africains, beaucoup d’Européens viennent, regardent, tournent, se retournent, puis repartent déçus, disant : Il n’y a personne”.
C’est un des passages que j’aime beaucoup dans le récit autobiographique ‘Climbié’ (Ed. Seghers, 1956). Pourquoi ? Parce que l’Occident, à mon avis, continue de penser qu’il n’y a personne en Afrique. Car comment comprendre qu’il se comporte régulièrement en Afrique comme bon lui semble sans que nous ne réagissions comme Israël sait si bien le faire quand il est attaqué ? Notre passivité, notre tendance à nous résigner facilement et notre manie de nous défausser au moyen de formules aussi stupides que “à Dieu la vengeance et la rétribution” ne le confortent-elles pas dans l’idée qu’il n’y a personne en Afrique et que, quoi qu’il fasse contre les Africains, il n’y aura aucune sanction contre lui ?
Le 26 juillet 2007, à Dakar, Sarkozy nous insulta en déclarant ex cathedra que l’homme africain n’était pas assez entré dans l’Histoire et il n’y eut personne dans la salle de l’université Cheikh Anta Diop pour le contredire, séance tenante. En 2011, Mouammar Kadhafi fut abattu comme un chien dans un pays détruit par les bombes de l’OTAN et il n’y eut personne pour riposter. L’armée française commit des massacres en Côte d’Ivoire en 2004, puis en 2011 mais il n’y eut personne pour porter plainte contre elle. Le Togolais Sylvanus Olympio fut assassiné le 13 janvier 1963, parce qu’il voulait sortir du franc CFA, le Malien Modibo Keïta qui prônait le non-alignement à l’extérieur et un modèle de développement socialiste sur le plan local fut renversé le 19 novembre 1968, le Burkinabè Thomas Sankara perdit la vie dans un coup d’État le 15 octobre 1987, parce qu’il refusait de faire allégeance aux gouvernants français et il n’y eut personne pour se battre pour que justice leur soit rendue. Si Dadié était encore en vie, il remercierait et féliciterait les autorités judiciaires maliennes d’avoir convoqué à Bamako Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères de la France, pour atteinte aux biens publics.
C’est en 1960 que la Côte d’Ivoire devint “indépendante”. 17 ans plus tard, Dadié est nommé ministre de la Culture. Il occupe cette fonction pendant 9 ans. Son départ du gouvernement est un soulagement pour lui. Il faut dire que, après le désapparentement du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) avec le parti communiste français en octobre 1950 et la décision prise par ce parti de travailler désormais avec l’administration coloniale, Houphouët avait perdu l’estime de Dadié. C’est la raison pour laquelle Dadié affirmait être “ni houphouétiste ni anti-houphouétiste mais RDA”.
Dans ses nouvelles, contes, romans, poèmes, pièces de théâtre ou chroniques, Bernard Dadié a toujours milité pour l’indépendance et la souveraineté de l’Afrique, fustigé cette “France qui dit bien la voie droite et chemine par les chemins obliques” (Léopold Sédar Senghor dans ‘Hosties noires’, Seuil, 1948), plaidé pour que personne ne décide à la place des peuples noirs car la Seconde Guerre mondiale a révélé que “l’Européen, tout comme l’Africain, est un homme qui peut souffrir, avoir faim, soif, un homme constamment à la recherche de la sécurité” (cf. Climbié’). Défenseur de la culture africaine, Bernard Dadié reçoit en 2016, des mains de la Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova, le premier prix Jaime Torres Bodet. Il obtient à deux reprises le Grand prix littéraire d’Afrique noire pour ‘Patron de New York’ (1965) et ‘La ville où nul ne meurt’ (1968).
Au début des années 2000, la cible de Dadié n’est plus le colonialisme mais le néocolonialisme, que Kwame Nkrumah présente comme “le dernier stade de l’impérialisme”. Lorsque la Côte d’Ivoire est attaquée et divisée en deux dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 par une horde de voyous et de renégats soutenus par Paris, Bernard Dadié ne tarde pas à prendre position pour la République et ceux qui l’incarnent. C’est logiquement donc qu’il est choisi pour présider le Congrès national de résistance pour la démocratie (CNRD). Malgré son grand âge, l’écrivain publie des articles pour appeler le peuple à la résistance. Le 16 juin 2016, avec l’ancien Premier ministre togolais, Joseph Kokou Koffigoh, il lance une pétition pour la libération de Laurent Gbagbo déporté à La Haye, le 29 novembre 2011. En six mois, la pétition récolte plus de 26 millions de signatures.
Hommage est rendu à ce grand résistant en septembre 2010 devant plusieurs personnalités du monde de la culture et de la politique parmi lesquelles Émile Derlin Zinsou, ancien président du Bénin, Seydou Badian, Cheikh Hamidou Kane et Christiane Yandé Diop, la veuve d’Alioune Diop. Il s’agissait d’honorer et de célébrer un homme qui jamais n’accepta de subir le diktat de la France, un homme qui en 1956 déjà écrivait ceci : “Contact des Blancs et des Nègres, la guerre ! Toujours la force. Arracher au faible sa bouchée de pain, l’asservir puis, sur les hécatombes, danser de joie, crier sa victoire. Voilà ce qu’on appelle asseoir la Civilisation, le Droit, la Liberté. À ceux qui acceptent l’état de fait, on donne tout. À ceux qui refusent la sujétion, parlent de droit, on donne l’exil, la prison, la mort.” (cf. ‘Climbié’).
SIDIKI DIABATÉ VA ANIMER LE CONCERT D’OUVERTURE DE LA BIENNALE DE DAKAR, VENDREDI
L’artiste malien Sidiki Diabaté va animer le concert d’ouverture de la 14e Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’Art, 19 mai- 21 juin), vendredi à 20 heures, à l’ancien palais de justice du cap Manuel
Dakar, 17 mai (APS) – L’artiste malien Sidiki Diabaté va animer le concert d’ouverture de la 14e Biennale de l’art africain contemporain de Dakar (Dak’Art, 19 mai- 21 juin), vendredi à 20 heures, à l’ancien palais de justice du cap Manuel, a appris l’APS auprès du comité d’organisation de l’événement artistique.
Le concert sera précédé de la cérémonie d’ouverture du Dak’Art, qui aura lieu jeudi à 9 heures, au Grand Théâtre national Doudou-Ndiaye-Rose.
L’ancien palais de justice du cap Manuel va accueillir une exposition internationale, à laquelle prendront part 59 artistes venus de plusieurs pays, selon le programme de la Biennale de l’art africain contemporain de Dakar.
Le document annonce d’autres concerts de reggae all stars, de black rock et d’art numérique à Dakar et dans sa banlieue.
L’association Africulturban, dirigée par le rappeur Matador, a prévu de tenir neuf concerts avec des artistes de Flow Up, au cours du Dak’Art.
‘’Toute une logistique sera mise en place, afin que la scène où se produiront les artistes ne puisse être accessible au public qu’à la seule condition de parcourir au préalable le circuit des expositions du ‘IN’ de la Biennale’’, lit-on dans le programme.
La compagnie de danse 5e Dimension se produira lors du Dak’Art.
UNE BIENNALE POUR REPLANTER L'ART CONTEMPORAIN AFRICAIN DANS LA RUE
D'intriguantes pyramides...et un énorme chien jaune ont fait irruption sur la corniche de Dakar: pour la très attendue Biennale d'art contemporain africain s'ouvrant jeudi, des artistes investissent l'espace public pour "faire tomber les murs" des musées
D'intriguantes pyramides...et un énorme chien jaune ont fait irruption sur la corniche de Dakar: pour la très attendue Biennale d'art contemporain africain s'ouvrant jeudi, des artistes investissent l'espace public pour "faire tomber les murs" des musées et galeries, une innovation de cette 14e édition.
Face au bleu magnétique de l'océan, des habitants s'approchent en silence des deux mausolées en forme pyramidale.A l'intérieur et à l'extérieur, des dizaines de visages en terre, les yeux fermés à jamais, certains hurlant.Des chaussures s'échappent des mausolées, alignées jusqu'au bord de la falaise, comme tombant à la mer.
Une évocation et une dénonciation puissantes, par l'artiste sénégalais Yakhya Ba, des tragédies de la migration clandestine qui endeuillent tant de familles africaines.
Un peu plus loin, un imperturbable chien surdimensionné est l'objet de selfies de résidents amusés, le but de l'Egyptien Khaled Zaki qui a voulu donner de la joie aux enfants et évoquer le problème des chiens errants de la capitale.
Faire "tomber les murs des galeries et des musées", déplacer "l'atelier de l'artiste dans la rue" et briser "l'imaginaire élitiste que le citadin se fait de l'art": ce projet "Doxantu" (la promenade, en langue wolof) est un véritable "plaidoyer pour un art plus présent dans l'espace public", plaident les organisateurs.
- Centaines d'expositions -
La bouillonnante capitale est réputée pour son énergie créative, dans un pays qui a vu naître de grands artistes tels qu'Ousmane Sow.
Après un report en 2020 à cause du Covid, la 14e édition accueille jusqu'au 21 juin le meilleur de la création contemporaine du continent.L'édition 2018 avait drainé près de 250.000 visiteurs, dont plus de 50.000 venus de l'étranger.
"85 pays sont représentés et plus de 2.500 artistes présents dans le IN et le OFF sur l'étendue du territoire et de la diaspora", selon les organisateurs.
Le directeur artistique, El Hadji Malick Ndiaye, a la franchise de faire le constat que, dans ce pays pauvre, "la société, au-delà des acteurs culturels, n'a pas toujours ressenti la Biennale", malgré les centaines d'expositions et lieux ouverts à tous et la couverture médiatique.
Il a demandé à 17 artistes de produire in situ des oeuvres monumentales pour "dialoguer" avec les lieux jalonnant la corniche (village de pêcheurs, université, prison etc), et programmé des performances "dans des endroits reculés" de la capitale.
Le thème de cette édition est "Ndaffa (la forge, en wolof)", "la construction de nouveaux modèles".
Près de 300 expositions à Dakar et sur les îles de Ngor et Gorée, et une grosse centaine dans d'autres villes et pays de la diaspora, sont au programme du IN et environ 350 projets dans le OFF.
"Cette Biennale est symboliquement forte parce que c'est après la crise du Covid-19 qui a secoué et testé les pays africains", souligne M. Ndiaye dans un entretien à l'AFP.
"L'Afrique est au carrefour de plusieurs mutations : mouvements pour une nouvelle appropriation du patrimoine africain, questions sur le franc CFA, sur l'autonomie des pays africains, troubles dans plusieurs pays, émergence de nouvelles consciences citoyennes..."
Lors de cette Biennale, "on invite les artistes à avoir leurs propres points de vue sur tout cela, à forger de nouvelles manières de penser, à tout faire pour ne pas se replier sur soi-même et ne pas partir à la dérive", dit-il.
- "Faire crépiter la culture" -
L'exposition internationale présente, dans un ancien palais de justice à l'atmosphère hors du temps, 59 artistes visuels de la sélection officielle, venus de 28 pays, dont 16 pays africains et 12 pays de la diaspora.
Parmi eux, on pourra être interpellé par les visions oniriques de la sensation de l'art contemporain africain, le peintre sénégalais Omar Ba, par une vidéo de la Sud-Africaine Sethembile Msezane ou une installation transportant dans l'espace de la Franco-Togolo-Sénégalaise, Caroline Gueye, également astrophysicienne.
Parmi d'autres expositions phares, une "forêt" de 343 sculptures - hommes, femmes, enfants, sans bras, comme accablés - du Sénégalais Ousmane Dia, qui dénonce les inégalités, invitant à un ordre nouveau "qui s'appesantisse davantage sur la dignité humaine".
Un colloque scientifique, organisé par l'écrivain Felwine Sarr, débattra de la restitution du patrimoine africain.
"C'est aussi le moment où de l'autre côté du monde, il y a une guerre", dit M. Ndiaye à propos de l'invasion russe en Ukraine."Quand les armes crépitent, on doit faire crépiter la culture et miser encore plus sur elle", exhorte-t-il.
LE PATRIMOINE ARCHEOLOGIQUE DE GOREE
L’exposition Parcours de l’île de Gorée permet de mettre en avant le riche patrimoine archéologique de l’île mémoire, a-t-on appris auprès de ses initiateurs.
L’exposition Parcours de l’île de Gorée permet de mettre en avant le riche patrimoine archéologique de l’île mémoire, a-t-on appris auprès de ses initiateurs. «L’objectif est de diversifier les narratives au¬tour de l’île de Gorée en mettant en avant son riche patrimoine archéologique», a indiqué, samedi, Pr Ibrahima Thiaw, de l’Unité de recherche en ingénierie culturelle et anthropologie (Urica) de l’Ins¬titut fondamental d’Afrique noire (Ifan- Cheikh Anta Diop). Il intervenait lors de l’inauguration de l’exposition «parcours, île de Gorée racontée par l’archéologie». «Le projet est une sorte de démocratisation de l’île qui permet d’offrir des perspectives de longue durée que généralement les textes écrits n’ont pas», a-t-il notamment ajouté.
Il a rappelé que contrairement aux autres sources, l’archéologie a la capacité de pénétrer le temps pour raconter des histoires dépassant le mémoriel ou le texte. Selon lui, il était question de raconter une histoire de Gorée, couvrant la période bien avant la traite des esclaves et son ouverture au monde atlantique et au commerce triangulaire. «C’est une collection d’objets des fouilles que nous avons menées durant la première décennie des années 2000 qui couvrait des sites datant des périodes néolithiques dont l’âge n’a pas été plus au moins contrôlé, mais se situant dans la période avant Jésus-Christ», a-t-il précisé.
«Pendant très longtemps, l’histoire de l’île de Gorée a toujours été racontée par voie orale ou par des textes documentaires, des écrits. Nous, en tant qu’archéologues, nous avons cherché à interroger les objets que les gens qui y ont vécu ont laissé sur place», a-t-il fait savoir.
A partir de ces objectifs, a martelé Pr Thiaw, un récit a été développé dans plusieurs sites, pour sortir du cadre du récit unique de la Maison des esclaves et ouvrir les espaces mémoriels à d’autres sites. «En mettant les panneaux dans différents endroits de l’île, le visiteur pourra être bien renseigné et informé sur comment les autres espaces ont été impliqués dans la vie de l’île», a-t-il expliqué. «Cette initiative vise à améliorer des narratives sur l’île, elle permet de savoir comment arriver à communiquer avec les jeunes, comment transmettre ce savoir, raconter l’histoire, etc.», a quant à elle soutenu la conseillère régionale pour la culture de l’Unesco, Guiomar Alonso. Ce parcours archéologique reste une mémoire liée à une phase tragique de l’histoire de la traite des noirs incarnée par l’île, a-t-elle souligné. «Qu’est-ce que les fouilles archéologiques nous racontent sur l’île depuis des milliers d’années ?
Ce travail en est la réponse», a-t-elle fait savoir. Pour sa part, le directeur du Patrimoine culturel, Omar Badiane, a souligné que ce parcours archéologique fera la promotion des visites touristiques, scientifiques sur l’île. «Nous saluons le fait qu’un laboratoire ait pu travailler sur ces recherches et demandons à la commune de faire en sorte que son environnement socio-professionnel soit dans des meilleures conditions», a-t-il plaidé.
Selon un communiqué de presse, ce projet de valorisation du patrimoine archéologique met l’accent sur l’accueil et les échanges qui pourront être suscités par cette exposition et ce qu’est Gorée. Il s’agit aussi d’un effort de montrer autrement, à travers la culture matérielle, la vie quotidienne sur ce site inscrit sur la liste du patrimoine mondial et offre aux visiteurs une expérience empirique de la trajectoire de l’île sur près de 2000 ans.
Par Hamidou ANNE
DIALOGUE PRIMORDIAL
«Picasso Remix» est une esthétique de la résonance et une mise en perspective des formes qui s’inscrivent dans un dialogue fécond entre hier et aujourd’hui, autour de la figure de Picasso
Avec cette belle exposition «Picasso Remix», Olivia Marsaud et Mohamed Al Amine Cissé s’inscrivent dans l’hommage au centenaire de l’événement Picasso à Dakar en 1972 et assument une filiation avec Africa Remix, la grande exposition de Simon Njami, qui a présenté trois années durant (2004-2007) la création africaine contemporaine. «Picasso Remix» est une esthétique de la résonance et une mise en perspective des formes qui s’inscrivent dans un dialogue fécond entre hier et aujourd’hui, autour de la figure de Picasso, artiste inspiré par l’art africain dont les influences se retrouvent à travers son œuvre.
Seize artistes revisitent Pablo Picasso par-delà le temps et l’espace. Si Koko Komégné assume l’influence de l’espagnol dans son travail, d’autres, comme Sandra Seghir ou Roméo Mivekannin, entrent en résonance avec deux toiles célèbres de l’espagnol. Avec «LES PRIMITIFORDIALES», Sandra Seghir propose une œuvre sublime en réponse aux célèbres Demoiselles d’Avignon. La jeune peintre autodidacte, dont on n’a pas fini d’entendre parler, réhabilite les prostitués de Picasso en les sortant de la maison close catalane pour les plonger dans un autre espace, et nous invite à un jeu de perception afin que «le spectateur puisse créer son propre rapport à l’œuvre».
Dans le même exercice de correspondance et de parallèle, Mivekannin contribue à «Picasso Remix» avec un Guernica majestueux en drap aux mêmes dimensions que le célèbre tableau du musée Reina Sofia à Madrid. Ce Guernica présenté à Dakar rappelle l’acuité de la violence qui sévit à travers les conflits localisés comme en Ukraine ou au Mali et qui nous interpellent sur les menaces qui pèsent sur des vies humaines fragilisées par l’horreur de la guerre.
Le poids du hasard taquin marque l’exposition et illustre le lien spirituel qui existe entre des artistes et des œuvres de périodes et d’aires géographiques différentes dans le temps long de l’histoire de l’art. «Picasso Remix» rassemble des œuvres commandées pour l’exposition du Manège, comme «Africaine Giants», la première toile de la Sénégalaise Audrey D’Erneville dont j’ai été sensible à l’esthétique urbaine issue du graphisme. Mais on y admire d’autres objets conçus sur deux décennies (2000-2022), et qui n’ont ainsi aucun rapport avec l’idée initiale des deux concepteurs.
Les femmes de Nder de Kiné Aw, rencontrent Massacre en Corée, comme les Demoiselles de Carl-Edouard Keïta revisitent la période cubiste du peintre andalou. Les pièces en bronze de Hervé Yamguen sont aussi un hommage -par hasard- à l’œuvre sculpturale de Picasso, certes moins connue que ses toiles.
Il faut saluer le choix des commissaires d’exposer les pièces de Meïssa Fall, artiste singulier qui, de sa niche fabuleuse de l’île de Saint-Louis, recycle des pièces de vélos en œuvres d’art. Comme Picasso, il utilise un guidon et une selle pour proposer à la postérité une Tête de taureau qui, contrairement à l’œuvre de l’artiste espagnol, est démuséifiée et offerte à la vue de tout le monde. L’art se montre à la rue et décolonise son espace d’expression.
Cette exposition pluridisciplinaire, qui convoque diverses formes d’expressions – peinture, sculpture, photographie, céramique -, alterne au gré des œuvres, entre hommage, dialogue, influence, confrontation. Des artistes africains contemporains se mesurent à un maître incontesté, comme pour maintenir intacte la flamme de l’art comme vecteur d’universel et substance dans un monde où la notion du sens n’a jamais été autant interrogée.
«L’art nègre ? Connaît pas !», œuvre de Dimitri Fagbohoun installée en face de l’entrée de la galerie, accueille le visiteur pour tout de suite l’inviter à prendre part au débat sur l’influence de l’art africain chez Pablo Picasso. L’art contemporain africain, en cette période de ferveur de la Biennale, sera à nouveau au cœur du bouillonnement entre artistes, critiques, collectionneurs et amateurs. C’est le lieu de rappeler le cri du cœur de Mohamed Amine Cissé, jeune co-commissaire de l’exposition, lors du vernissage.
L’ancien banquier d’affaires devenu commissaire d’art indépendant, par sa vocation de passeur d’humanités à travers l’art, nous interpelle : «A l’heure où le débat sur le retour d’œuvres pillées durant la période coloniale continue de faire rage : afin de n’être ni spectateur ni acteurs d’une seconde vague de disparition du travail de nos artistes, et cette fois de manière autrement plus légale, collectionnons, gardons ces chefs-d’œuvre chez nous.»
ENQUÊTE SUR UN MASSACRE DE TIRAILLEURS AU SÉNÉGAL
Que s’est-il passé le 1er décembre 1944 dans le camp militaire de Thiaroye ? 80 ans après les faits, un documentaire se penche sur ce massacre grâce à trois jeunes artistes sénégalais qui, par devoir de mémoire, explorent les zones d’ombre de ce drame
En novembre 1944, la France est peu à peu libérée de l’occupant nazi. Après quatre années de guerre, 1 300 tirailleurs ouest-africains sont rapatriés par l’armée française à Thiaroye, dans un camp militaire de la banlieue de Dakar. Ils réclament le paiement de leurs soldes de captivité ainsi que diverses primes qui ne leur ont pas été versées. Le 1er décembre à l’aube, des coups de feu éclatent dans le camp. L’armée française évoque une mutinerie qu’elle a dû réprimer dans le sang. Pourtant, de nombreuses zones d’ombre demeurent. On ne sait toujours pas combien ont été tués, ni où ils sont enterrés.
Il y a dix ans, en 2012, le président François Hollande s’était rendu pour son premier voyage officiel en terre africaine dans le petit cimetière militaire de Thiaroye. Son discours avait fait l’effet d'une bombe politique. "Une répression sanglante", avait-il affirmé au sujet des tirailleurs tombés sur ce sol, le 1er décembre 1944, sous les balles de leurs frères d’armes français. Pour la première fois depuis près de 70 ans, la version officielle de l’histoire des événements de Thiaroye était remise en question.
Jusqu’ici, "l’affaire de Thiaroye" était considérée comme une "rébellion lourdement armée et une prise d’otage" ayant nécessité une "riposte" au bilan funeste de 35 morts et 35 blessés. En 2014, en marge du sommet de la Francophonie, le président français évoquait encore "un événement épouvantable, insupportable". Il remettait en grande pompe au président Macky Sall une copie des archives liées à l’évènement. Une commission d’historiens avait même été nommée pour faire enfin la lumière sur ce crime emblématique de l’injustice coloniale. Il n’en a rien été. Rien n’a filtré de ces archives et personne ne s’en étonne. Les élites politiques et scientifiques semblent, au Sénégal comme en France, avoir tourné la page. Le nombre des victimes reste indémontrable. La fosse commune où elles sont enterrées est introuvable. Comme si la mémoire de ces soldats était toujours enfouie, voire dissimulée, dans des rapports de domination qui perdurent.
Pourtant, les faits ne semblent aujourd’hui plus contestables : il s’agit d’un massacre colonial, de l’assassinat prémédité par leurs supérieurs de plusieurs dizaines, voire centaines, de tirailleurs désarmés qui réclamaient le paiement de leurs salaires de combattants. Un crime sans images tombé dans l’oubli, le plus grand crime de masse de l’histoire du Sénégal contemporain. Le premier d’une longue série commise par l’armée française à l’issue de la Seconde Guerre mondiale : Sétif en Algérie, Madagascar, Côte d’Ivoire, Cameroun... Parce que la France estimait ne plus avoir besoin de ses "troupes de couleur", parce qu’il fallait les exclure du récit national, restaurer l’ordre colonial, au mépris de ses valeurs et de ses promesses d’égalité.
Trois jeunes artistes
Aïcha écrit des pièces de théâtre, Magui est une étoile montante du rap, Babacar est comédien. Tous les trois ont grandi à Thiaroye, cette banlieue populaire qui vibre au rythme des cultures urbaines comme le rap, le slam ou le graffiti. Le camp colonial abrite toujours une présence militaire mais une ville s’y est développée dans l’anarchie. Les traces de l’histoire y sont éparses : quelques ruines des baraquements, des portraits de tirailleurs peints sur les murs, un cimetière militaire aux tombes vides délaissé au bord d’une autoroute, l’école des "Martyrs" où les jeunes retrouvent, parfois, des douilles dans le sable. Lorsqu’ils déambulent dans les rues de Thiaroye, peut-être marchent-ils sur leurs cadavres ? Ensemble, ils partent sur leurs traces et cherchent à comprendre ce qui s’est réellement passé.
Guidés par Martin Mourre, un jeune historien spécialiste du massacre qui poursuit en parallèle son travail d’enquête, ils plongent dans les contradictions des archives militaires. Ils rencontrent Biram Senghor, le fils d’un des tirailleurs assassinés qui se bat jusqu’à aujourd’hui pour obtenir réparation, ou encore Dialo Diop, l’une des grandes figures militantes du Sénégal, pour se confronter aux nœuds qui enserrent le récit de ce massacre. La vérité semble parfois tangible et, pourtant, toujours elle se dérobe. La mémoire, elle, se perpétue à travers les performances artistiques d’Aïcha, de Magui et de Babacar.
Le film entend combler un vide important : il n’existait à ce jour aucun documentaire consacré au massacre des tirailleurs de Thiaroye. Un seul film – de fiction – a échappé aux griffes de la censure, "Camp de Thiaroye" d’Ousmane Sembène, couronné à la Mostra de Venise en 1988 mais interdit en France pendant près de dix ans, comme les rares œuvres culturelles qui ont tenté de perpétuer cette mémoire. Ce film participe au même élan, celui d’une histoire partagée entre la France et ses anciennes colonies, entre les générations, les genres, les arts. Il n’a pas l’ambition de faire toute la lumière sur les béances de cette histoire, mais de briser le silence et l’ignorance en dévoilant une mémoire encore bien vive, notamment pour la jeunesse d’aujourd’hui. S’interroger sur le drame de Thiaroye, c’est mettre le doigt dans la mécanique de la violence coloniale et questionner sa résurgence.
VIDEO
FACE PEU OU PAS CONNUE DE CHEIKH ANTA DIOP
La sociologue Aoua Bocar Ly-Tall explore dans son nouvel ouvrage, un autre aspect de l'éminent égyptologue Cheikh Anta Diop, parrain de la première université du Sénégal, dans un livre intitulé "Cheikh Anta Diop, l'humain derrière le savant.
Dans son dernier ouvrage intitulé « Cheikh Anta Diop, l’humain derrière le savant », la sociologue Aoua Bocar Ly-Tall explore le côté féministe de l’éminent chercheur Cheikh Anta Diop, qui s’est battu toute sa vie pour restaurer à l’Afrique sa dignité contre l’Occident qui a travesti l’histoire du continent.
Grand égyptologue, panafricaniste convaincu, humaniste, Cheikh Anta montre que le matriarcat a longtemps dominé les vielles sociétés africaines contrairement aux autres sociétés. Malgré son envergure, son aura, Cheikh Anta était un homme humble, grand défenseur des droits des femmes. Mais ce côté ne semble pas suffisamment mis en avant de l’avis de Oua Bocar Ly-Tall. C’est Fort de constat qu’elle a choisi de consacrer cet ouvrage à l’auteur de « Nations nègres et culture » en mettant en exergue ce côté peu connu méconnu de lui.
En marge de la cérémonie de présentation du livre Confluence d’Alpha Moustapha Guèye, samedi à l’UCAD II, nous avons interrogé l’auteur sur son ouvrage intitulé « Cheikh Anta Diop, l’humain derrière le savant.
PAR Badara Niang
EL HADJI SY OU LA SYNTAXE EN ART
EXCLUSIF SENEPLUS - L’Art d’Elsy n’interpelle pas que la vue, encore moins le toucher ou l’ouïe d’ailleurs ! Il sollicite tous nos sens humains à la fois. On ne sort pas indemne de son œuvre
« Mon propos n’est pas audible, il est visuel !» Ma rhétorique est silencieuse, nous-dit Elhadji Sy, elle se capte par la vue.
C’est donc en oxymore qu’Elsy a décidé de définir sa prise de … parole ! Cette figure de style, qui postule une apparente contradiction, traduit en fait toute la complexité de son œuvre. En réalité, l’Art d’Elsy n’interpelle pas que la vue, encore moins le toucher ou l’ouïe d’ailleurs ! Il ne met pas sur orbite un sens, pris isolément. Il sollicite tous nos sens humains à la fois, d’un coup les inhibe, d’un autre les apaise !
Refusant le cantonnement dans un style prédéfini, Elsy use de tous moyens et outils (de la peinture à huile à l’acrylique, du goudron au crayon noir, de l’encre, à la peinture à eau, indifféremment) et sur tout support à portée de peinture : toile ou toile de jute, papier mâché, papier craft, bois, sous verre, murs de béton, mosaïque de carreaux….
Figuratif ? Abstrait ? Mixte ? je vais rester honnête : je ne sais pas !
Malgré les nombreuses années, noyé dans les immenses pièces d’Elsy, de longues heures assis, en spectateur, ébahi de voir « sortir de toile » autant d’émotions et d’éléments, je n’ai toujours pas la réponse à cette question ! J’abdique ! À quoi bon savoir ? Qu’y a-t-il à savoir au fait ? et pour quel usage d’ailleurs ?
Elsy, en toute espièglerie comme à son habitude, échappe à notre tendance naturelle à vouloir catégoriser ou classer. Dakar d’abord, son laboratoire, sa source d’inspiration, qu’il ne quitte jamais longtemps ; ensuite de Sao Paulo à Bale, de Berlin à San Francisco, Francfort, Johannesburg, Varsovie, Washington, Elsy s’installe, de manière volatile, sur l’univers transformé pour la circonstance en support multidimensionnel, pour partager avec le monde l’ensemble des « humanités qu’il porte », selon ses propres mots.
Oui, en effet, la peinture d’Elsy est un humanisme, une œuvre à la fois d’avant-garde et bien de son temps, évolutive mais constante dans son engagement militant, anticonformiste, voire « déviante » mais très ancrée, et sans complexe, dans les influences authentiques du foisonnement culturel d’un Sénégal postcolonial en quête de réappropriation de son imaginaire remodelé.
Qu’attendre d’autre de celui qui, pour « (…) fouler du pied (…) » les préceptes d’un Art Nègre contingenté dans le sillage de la bienpensante École de Dakar, « clone » de l’École de Paris, a, à un moment donné, décidé de peindre avec ses pieds ?
N’a-t-il pas osé, en plein vernissage, bousculant bienséance et protocole, jeter à la figure des autorités officielles, la représentation en sculpture, d’un bateau chavirant, portant en son sein les restes anonymes de victimes de la tragédie du bateau le Joola ?
Qui encore, lors de la première édition de Dak’Art en 1992, a décliné l’invitation des autorités par un retentissant épistolaire « Je ne suis pas quelqu’un qu’on invite quand recevoir me revient » ?
Elsy donne aux contemplateurs de ses œuvres, à ses contemplateurs tout court, une alternative claire : apprécier ou … apprécier ! On ne sort pas indemne de son œuvre ; en sort-on d’ailleurs ? On y reste, scotché, absorbé par la gravité des traits, la profondeur insaisissable des émotions, la versatilité du style…
Peut-être en ai-je finalement trop dit sur quelqu’un qui considère que son « (…) art est une syntaxe visuelle », qui parle, sans mot, sans son et n’en attend aucun en retour !
Trois (3) ans, après sa brillante flash-expo « 7 Portes Pour Entrer En Peinture » au musée de l’IFAN, Elsy, rare et précieux, nous revient dans cette édition du Dak’Art 2022, en OFF collectif (Esprit Boulangerie à Ouakam), et en solo au Plateau (Galerie Selebe Yoon) ! En force et en douceur ! Oxymore, a-t-on dit !
REQUIEM POUR UN MASSACRE
Au Sénégal, en décembre 1944, plusieurs centaines de tirailleurs étaient massacrés à Thiaroye. Un documentaire revient sur cette tragédie jamais totalement éclaircie
On sait qu’ils ont été enterrés dans ce périmètre, mais où exactement ? « Qu’est-ce qui nous dit qu’on n’est pas en train de marcher sur eux ? » s’interroge, face à la caméra, le jeune comédien Babacar Dioh, qui a lui-même grandi à Thiaroye. Dans cette ville de la périphérie de Dakar, dont le nom est à la fois associé à la Seconde Guerre mondiale et aux crimes coloniaux, nul mausolée n’honore la mémoire des tirailleurs sacrifiés le 1er décembre 1944.
Dans « Thiaroye 44 », diffusé ce 14 mai sur France 24 (et qui sera repris en septembre sur TV5 Monde et Public Sénat), les réalisateurs Marie Thomas-Penette et François-Xavier Destors s’efforcent de ressusciter les tirailleurs de Thiaroye, après plus de soixante-dix-sept années de déni.
En cette fin de novembre 1944, plusieurs centaines de ces soldats africains, démobilisés après avoir été faits prisonniers de guerre en France, sont regroupés dans le camp militaire de Thiaroye, de retour vers leur pays natal. Les uns sont originaires du Sénégal, d’autres du Dahomey (l’actuel Bénin), du Soudan français (l’actuel Mali), de Côte d’Ivoire ou de Guinée. Le pays pour lequel ils ont combattu, lui, a fait abstraction des indemnités et des primes qui leur étaient dues.
Quand la grogne monte dans leurs rangs, la riposte française se fait sanglante. Le 1er décembre 1944, à l’aube, des soldats et des gendarmes français sous les ordres du général Marcel Dagnan ouvrent le feu sur les tirailleurs qui revendiquent leur solde. La terre de Thiaroye deviendra la fosse commune de ceux qui passent pour de dangereux mutins.
Questions sans réponse
Si l’événement est connu de longue date, des zones d’ombre demeurent. Deux questions, en particulier, restent non résolues : combien de tirailleurs ont trouvé la mort dans ce massacre et où leurs dépouilles ont-elles été enterrées – ou, plutôt, dissimulées sans recevoir de sépulture décente ?
En octobre 2014, en marge du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), à Dakar, François Hollande avait fait une halte au cimetière de Thiaroye pour y prononcer un discours qui se voulait symbolique. Le président français, dont les déclarations sont en partie reprises dans le film, célébrait tout à la fois la « mémoire glorieuse » et la « mémoire douloureuse » unissant la France à ses anciennes colonies. Au cœur de cette histoire commune, selon lui, une « dette de sang qui unit la France à plusieurs pays d’Afrique, dont le Sénégal ».
François Hollande reconnaît alors que « les événements qui ont eu lieu ici, en décembre 1944, sont tout simplement épouvantables, insupportables ». Or la France, assure-t-il, « se grandit chaque fois qu’elle est capable de porter un regard lucide sur son passé ». « La répression sanglante de Thiaroye » est alors évoquée explicitement. Faut-il y voir un virage dans le storytelling français ?
Déclic
Ce discours, aux paroles empreintes de noblesse, laisse imaginer un aggiornamento. Il provoquera un déclic chez les deux jeunes réalisateurs, qui décident alors de se lancer dans ce projet de documentaire. François Hollande n’avait-il pas promis qu’il remettrait au Sénégal les archives françaises sur Thiaroye ?
Pourtant, selon François-Xavier Destors, « François Hollande n’a rien fait par la suite. » « Qualifier ce massacre de ‘répression sanglante’ pose par ailleurs un problème, ajoute-t-il. Car, en France, la version d’une mutinerie trop sévèrement réprimée est toujours en vogue dans les milieux militaires, voire chez des historiens réputés. »