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26 novembre 2024
Culture
FATOU LAMINE LO, MISS SENEGAL 2021
C'est désormais elle, la plus belle femme du Sénégal en 2021. Un titre décroché à l'issue du concours de beauté édition 2021, tenue ce samedi 13 novembre au Grand Théâtre. Fatou Lamine Lo succède ainsi à Alberta Diatta, Miss Sénégal 2019
iGFM- Miss Dakar. C'est désormais elle, la plus belle femme du Sénégal en 2021. Un titre décroché à l'issue du concours de beauté édition 2021, tenue ce samedi 13 novembre au Grand Théâtre. Fatou Lamine Lo succède ainsi à Alberta Diatta, Miss Sénégal 2019.
L'écharpe de 1ère Dauphine est portée en 2021 par Miss Saint-Louis, Gladys Mouna. Et la 2ème Dauphine est Miss Kaolack, Sande Coumba. La nouvelle Miss représentera le Sénégal au concours Miss Afrique Cédéao en 2022.
LES NUANCES DE NOIR DU PHOTOGRAPHE OMAR VICTOR DIOP
Retour provisoire au bercail pour le talentueux photographe sénégalais, consacré sur tous les continents et qui expose à Paris en novembre…
Depuis 2011, Jeune Afrique l’avait dans son objectif. À l’époque, Omar Victor Diop exposait à la Biennale de Bamako. Il venait de se lancer dans la photo et, déjà, ce jeune autodidacte détonnait et se faisait remarquer.
En 2013, le voilà de retour au pays natal, pour exposer à la Galerie Le Manège, qui dépend de l’Institut français : à Dakar, sa ville, où il vit toujours et qu’il ne compte pas quitter. C’est là qu’en octobre 2021, JA a renoué le contact. En quelques années, malgré une consécration internationale et les voyages qui vont avec, il n’aura pas migré de plus d’une poignée de kilomètres : de Ouakam aux Almadies, deux quartiers voisins de la capitale sénégalaise.
Certes, son actuelle demeure reflète le chemin parcouru : vaste et haute, confortablement meublée, baignée d’un puits de lumière, elle englobe son « chez lui » et son studio de photo. L’homme, quant à lui, a su rester modeste malgré la consécration et vous reçoit comme si de rien n’était. Comme avant.
Sur plusieurs continents
Figure emblématique de la photographie africaine contemporaine, représenté désormais par la galerie Magnin-A, à Paris, ce quadragénaire talentueux a su capter l’attention des critiques et des amateurs d’art photographique sur plusieurs continents. Au cours des dernières années, il a ainsi exposé de Porto Alegre (Brésil) à Marrakech (Maroc) et de Houston (Texas, USA) à Oslo (Norvège), en passant par Melbourne (Australie) et Daegu (Corée du Sud).
LES SIGNARES OU LA MÉMOIRE MALMENÉE DES MÉTISSES QUI ONT RÉUSSI
Rencontre avec Aminata Sall qui, grâce à son musée, lutte pour que ces illustres femmes ne soient pas réduites à des élégantes tropicales dont de lointaines et séduisantes doublures agrémenteraient les visites de ministre
Aminata Sall ne s'en cache pas: elle demande "pour quoi faire" à quiconque approche son musée dans le nord du Sénégal pour piocher dans la spectaculaire collection de robes traditionnelles qu'il recèle.
Un professeur lui avait répondu que ces tenues renvoyant à l'histoire unique des femmes métisses de Saint-Louis serviraient lors d'une remise de diplômes.Elle lui a dit: "Si c'est juste pour le décor, je ne vous les loue pas", relate-t-elle dans son bureau aux fenêtres ouvrant sur le fleuve Sénégal, non loin des réserves sombres dans lesquelles une centaine de toilettes théâtrales or, grenat ou vert d'eau attendent l'occasion de sortir de leurs cartons.
Aminata Sall est la conservatrice d'un musée dédié à l'histoire et aux traditions.Elle fait aussi partie d'une association qui préserve la mémoire de Saint-Louis et de certaines de ses filles illustres, les signares.
Elles sont un certain nombre comme elle à faire en sorte que, malgré les siècles, les signares soient reconnues comme des femmes entreprenantes et souvent puissantes, et non pas réduites à des élégantes tropicales dont de lointaines et séduisantes doublures agrémenteraient les visites de ministre.
Il y a une "perte de sens", déplore la conservatrice.
L'ascension des signares épouse l'histoire de Saint-Louis, poste créé par des Français au XVIIème siècle, devenu un important comptoir du commerce de la gomme arabique, de l'or, de l'ivoire et des esclaves, et la capitale de l'ensemble colonial français en Afrique de l'Ouest.
A Saint-Louis ou plus au sud, sur l'île de Gorée, émerge alors un groupe à la croisée des cultures européennes et africaines, métissage longtemps distinctif de Saint-Louis, "laboratoire d'une nouvelle société différentielle" selon l'Unesco qui a inscrit la ville au patrimoine mondial.
A l'époque, les arrivants européens se mettent en ménage avec des autochtones.Certaines sont des esclaves que leur maître affranchit.Ils ont des enfants métis.Le "mariage à la mode du pays" s'institutionnalise, bien que réprouvé par l'Eglise, et sert d'ascenseur social.
- Un rituel sorti de l'oubli -
Des fortunes métisses se constituent, par le truchement de l'héritage, et grâce à l'opportunisme de ces femmes que les maris avaient associées à leurs affaires.
Apparaît un "nouveau mode de vie qui n'a rien à voir avec la tradition sénégalaise", selon les mots de la chercheuse Aissata Kane Lo.Les témoignages locaux et les récits de voyageurs dépeignent une bourgeoisie féminine agissante.A heures fixes, les signares sortent faire étalage d'un raffinement synthétisant traits européens et africains.
A partir du milieu du XIXème, l'empreinte des signares s'estompe sous l'effet de l'abolition de la traite, de la colonisation qui défavorise le commerce local, et des transformations sociales.
Marie-Madeleine Valfroy Diallo, 73 ans, journaliste, actrice, entretient la flamme.A la tête d'une société de production, elle a tiré de l'oubli en 1999 le fanal, fête populaire saint-louisienne qui aurait pour origine la procession des signares à la lumière des lanternes.
Depuis, "tout le monde vient et nous dit: +ah!on a une grande fête, on a des hôtes de marque, est-ce que Marie-Madeleine peut nous envoyer des signares+", revendique-t-elle.
Lors du fanal, les signares chatoient parmi les figurants en costume, robes cintrées au-dessus de la taille, bouffantes en dessous, parées de fronces, de voiles et de dentelles, avec la coiffe et le châle assortis.
Cet engouement fait travailler les artisans de la place.
Ndéye Diop Guissé, 42 ans, deux fois vainqueure du concours national des couturiers, confectionne des robes de signares sur commande, en plus de ses activités de styliste.Elle recrute comme mannequins les jeunes femmes qu'elle forme par ailleurs à la couture dans son modeste atelier d'un quartier populaire.
- "Un patrimoine" -
"Nous sommes vraiment fières de mettre ces tenues", dit l'une d'elles, Awa Marie Sy, après avoir consacré beaucoup de minutie et d'excitation à s'apprêter pour une démonstration sur les anciens quais de Saint-Louis.
"Ces tenues étaient portées par nos aïeules, qui étaient comme des reines, aimables, accueillantes, toujours le sourire au visage", dit-elle.
Des mots propres à piquer la conservatrice Aminata Sall."Les gens oublient ou font semblant d'oublier.Il faut qu'ils comprennent qu'elles ont joué un grand rôle, comme les colonisateurs.On ne peut pas l'effacer, c'est l'histoire", s'enflamme-t-elle.
Les signares ont inspiré Léopold Sédar Senghor, le musicien Youssou Ndour et des stylistes contemporaines.
Mais "seuls quelques notables s’en réclament encore.A Saint-Louis, mis à part le costume folklorisé à l’occasion d’événements culturels ou politiques, la mémoire des signares a disparu", dit l'universitaire Aissata Kane Lo.
"Il reste quelques noms (de signares), d'autres ont disparu parce qu'il y avait beaucoup de filles", relate Ariane Réaux, une hôtelière qui propose des conférences sur les signares et des mariages à la mode du pays dans son établissement au bout d'une étroite langue de sable entre océan et fleuve.
"Il y a beaucoup de choses que les gens ne comprennent pas trop", concède-t-elle.Mais elle rapporte une fascination répandue pour la rencontre impossible de deux mondes il y a des siècles de cela.
"C'est pas du spectacle, c'est un patrimoine, les signares.Cela fait partie d'une histoire entre la France et le Sénégal.Rien de tel ne s'est produit ailleurs", dit-elle.
MBOUGAR GAGNERAIT À CLARIFIER SA POSITION PAR RAPPORT À L’HOMOSEXUALITÉ
Waly Ba, critique littéraire et écrivain , revient dans cette interview accordée à «L’As» sur le talent du jeune lauréat, sa position «mitigée» sur l’homosexualité, analyse les niveaux de lecture d’une œuvre d’art.
Un critique littéraire, c’est une mémoire livresque considérable adossée à une vaste culture, à un esprit de découverte, à un fort pouvoir d’analyse et à un vrai talent d’écrivain. Pour séparer la bonne graine de l’ivraie par rapport à toutes les émotions suscitées par le prix Goncourt 2021 attribué à l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, Waly Ba est comme Bernard Pivot une voix autorisée pour éclairer la lanterne des Sénégalais sur cette consécration littéraire qui a créé un malaise chez certains dans le pays. Professeur de français, éditeur, critique littéraire et écrivain, Waly Ba revient, dans cette interview accordée à «L’As» sur le talent du jeune lauréat, sa position «mitigée» sur l’homosexualité, analyse les niveaux de lecture d’une œuvre d’art. A ses yeux, il est «grossier de «brûler» une œuvre d’art, si l’on n’est pas sûr d’en avoir saisi la quintessence.
Lauréat du prix Goncourt, Mbougar Sarr fait l’objet de virulentes critiques de la part de certains Sénégalais qui l’accusent de faire la promotion de l’homosexualité. Quels commentaire faitesvous de ces attaques?
Dans un match de football, quand un joueur tire un penalty et le rate, les appréciations vont généralement dans deux sens : certains accablent le joueur en question, tandis que d’autres vanteront le talent du gardien. Pourtant, l’on doit aussi se demander si le penalty est bien tiré ou non. Si l’on déplace cette allégorie sur le terrain de la création, on peut rapidement retrouver l’essence même de l’œuvre d’art, qui est fondamentalement esthétique. Malheureusement, pour Mbougar Sarr comme pour autant bien d’autres artistes confrontés circonstanciellement à la clameur publique à cause du contenu de leurs œuvres, on a souvent eu tendance à faire l’économie de l’importance de ce mythe fondateur de l’œuvre d’art. Je ne suis pas d’accord qu’on ramène tout l’art de ce garçon à des considérations purement morales. Tout comme je suis absolument contre le fait que l’œuvre d’art ignore effrontément la Morale ou qu’elle se permette de la sabrer à dessein.
Certains de ses détracteurs soupçonnent des lobbies LGBT d’être derrière lui. Cette hypothèse est-elle compréhensible ?
Personne n’ignore plus aujourd’hui la puissance tentaculaire des lobbies LGBT ; tout le monde sait aussi qu’ils n’hésitent plus à trouver des relais partout, dans tous les domaines d’activités où ils espèrent trouver une oreille attentive, un regard sympathique, un bras armé ou quelque chose de ce genre. Mais objectivement, je n’ose pas penser que notre jeune compatriote puisse se laisser aussi facilement manger à cette sauce. Mbougar Sarr est issu de bonne famille, et je crois que son passage au Prytanée militaire a aussi dû contribuer à consolider son éducation morale. Mieux encore, nous ne devons pas perdre de vue qu’il y a de beaux esprits, des intellectuels très responsables, qui ont pris ce garçon sous leur aile. J’ai nommé Felwine Sarr et Boubacar Boris Diop. Et franchement, je n’ose pas croire que ces deux éminents intellectuels, très attachés aux valeurs profondes du terroir, vont pousser leur poulain dans la gueule du loup. J’ai l’intime conviction que tout ce qu’il a écrit ces dernières années, ils l’ont vu et l’ont lu avec un œil critique avant publication ; et que s’ils ont validé, c’est parce qu’ils ont eu l’intime conviction que ce n’était pas impropre à la consommation. Par ailleurs, je crois quand même que Mbougar Sarr gagnerait à clarifier sa position par rapport à cette triste réalité des temps modernes qu’est l’homosexualité. Ce que je veux dire par là est que, au-delà de Mbougar Sarr l’artiste, le créateur et le romancier, il y a l’autre Mbougar, l’homme social. Celui-là doit se donner la peine et les moyens de rassurer la communauté à laquelle il appartient en lui donnant notamment la preuve que certains délires déviationnistes et transgressifs de certains de ses personnages ne l’engagent pas ; qu’il n’a fait que monter des scènes dérangeantes et tumultueuses pour «saigner» les consciences, pour forcer la réflexion sur des sujets catalogués «tabous». Moi, j’aime bien la belle littérature, la belle écriture, le beau style ; autant de qualités que Mbougar Sarr possède définitivement. Cependant, il cesserait d’emporter ma sympathie si le Sénégalais qu’il est, l’Africain, le Musulman qu’il est, s’était clairement déterminé en faveur de l’homosexualité. Je l’aurais tout bonnement «abandonné» et aurais sans doute cessé de le lire. Mais en l’état actuel des choses, je ne peux pas me permette de jeter l’opprobre sur lui en me fondant sur des extraits coupés de leur relation organique avec l’ensemble de ses œuvres auxquelles ils sont empruntés. Malheureusement, vous avez dû le constater, c’est l’exercice auquel se sont prêtés un certain nombre de maîtres-censeurs, qui ne semblent pas, d’ailleurs, comprendre grand-chose à la littérature et aux impératifs esthétiques qui la sous-tendent. Quand un d’entre eux traite les Sénégalais de complexés en déclarant trouver anormal et insensé qu’ils se bousculent dans les librairies pour s’arracher le livre de Mbougar Sarr, moi je dis qu’il y a danger. C’est vraiment là une «défaite de la pensée», pour reprendre le titre mythique du chef d’œuvre d’Alain Finkielkraut. C’est plutôt le contraire qui devrait étonner, c’est-à-dire le fait que prix lui soit attribué et que ses compatriotes ne fassent pas montre d’une telle bruyante curiosité.
Certains décrient les scènes érotiques qui parsèment son œuvre. Vous, personnellement, qu’est-ce que cela vous fait ?
C’est Sartre, je crois, qui disait que la littérature mène à tout, à condition d’en sortir…Quand on est lecteur, on doit aussi se préparer à affronter des bourrasques. On n’entre pas dans un livre en se disant qu’on ne veut y trouver que ce qu’on aime, que ce que l’on désire voir et entendre. Il est plus sage de se mettre dans les mêmes dispositions qu’Henri Michaux et Michel de Montaigne qui avaient une poitrine assez large pour accueillir tous les souffles de l’univers, même les plus contrariants. Le premier, d’ailleurs, disait ricaner en voyant certains de ses compatriotes «voyager contre un pays». Les scènes érotiques dans un roman, c’est la récréation de l’auteur. Ce sont des espaces de défoulement, les seuls où il peut libérer ces genres de fantasmes. Non, que cela soit chez Mbougar ou chez quelque autre romancier, les scènes érotiques dans un roman ne peuvent pas me choquer outre mesure, parce que je sais qu’une œuvre littéraire n’est pas un film…Vous voyez ce que je veux dire ? L’auteur, faut pas l’oublier, écrit dans la plus grande des solitudes ; tout comme le lecteur lit dans la plus grande des solitudes. Des répercussions fâcheuses peuvent difficilement découler de ces conditions de consommation d’un produit d’art, parce que la transmission immédiate n’est presque jamais garantie. Et puis, je vais vous le dire : la littérature narrative en cours, celle qui se publie ces dernières années dans nos éditions locales, sont remplies de lubricités. Donc, pour respecter un certain parallélisme des formes, nos maîtres débroussailleurs devraient aussi faire irruption dans ces champs-là…
Où s'arrête la liberté de l’écrivain ? A-t-il toujours besoin d'une dose d'imprudence et de folie pour exceller?
Il faut qu’on se le tienne pour dit : la grande littérature ne s’est jamais accommodée et ne s’accommodera jamais peut-être d’une politesse à toute épreuve. «Un livre doit remuer des plaies, en provoquer même. Un livre doit être un danger». J’ai cité Cioran. Le vrai écrivain est censé habiter un désir ardent : celui de faire bouger des lignes. Et pour cela, il ne doit pas avoir peur d’assigner aux mots des tâches inhabituelles. Parce que l’écrivain visionnaire, comme le soutient si pertinemment André Gide, c’est celui qui «nage à contre-courant». Moi, je crois qu’il est insensé de vouloir imposer des directions thématiques à des auteurs au nom d’une morale, fut-elle religieuse. Si l’œuvre d’art doit s’entourer de limites, c’est l’artiste lui-même qui doit les fixer ; et c’est justement pourquoi, il doit se forger une éducation à la responsabilité.
Lui-même, dans un entretien accordé à une télévision de la place, dit comprendre ces critiques, mais il a ajouté qu’il faut savoir le lire, et que lire ça s’apprend…
Si je me place du point de vue de ma posture d’homme de lettres, je ne peux qu’être totalement d’accord avec lui. Aimer un livre ou le détester, c’est facile. Mais le comprendre, c’est beaucoup moins évident. Et c’est un peu grossier tout de même de «brûler» une œuvre d’art, si l’on n’est pas sûr d’en avoir saisi la quintessence. Je n’en déduis pas cependant que la lecture doit être la chasse gardée d’une minorité d’experts. Mais, il y a forcément un seuil d’interprétation qu’un profane n’est pas en mesure de franchir.
Selon vous, que représente un Goncourt pour un auteur africain ?
Pour un écrivain qui veut aller à la conquête du monde – et je crois bien que c’est le cas de Mbougar Sarr– le Goncourt représente forcément quelque chose. Car, force est de reconnaître que le Goncourt est une véritable institution, une sorte de voie royale pour se faire entendre quand on a que la plume pour parler à l’univers. Il est indéniable cependant qu’il y a quelque chose de foncièrement cosmétique et mondain dans l’attribution de ce prix. Des auteurs qui ne le méritaient pas tout à fait l’ont remporté, là où d’autres qui le méritaient fort bien l’ont perdu. Et c’est sans doute pour ce genre de disparités qui l’entachent qu’un monstre sacré de la littérature, génie incomparable s’il en est, comme Julien Gracq, pour ne pas le nommer, l’a tout bonnement refusé en 1951. Il ne s’était pas d’ailleurs contenté de le refuser, il avait sorti un pamphlet d’une rare virulence : «La littérature à l’estomac» pour décrier ces ridicules fabriques d’auteurs que sont les prix littéraires et autant d’autres logiques grossières propres au monde de la création. Mais moi, je pense que les retombées du prix serontforcément bien plus importantes pour son pays d’origine le Sénégal que pour lui-même en tant que créateur solitaire. Car, en termes de vitalité et de performance littéraires, le Sénégal, durant ces dernières décennies, s’est fait plutôt discret. Et le fait qu’un Sénégalais (de cet âge ! ce n’est pas inutile de le rappeler) soit «goncourisé» va forcément remettre le pays de Senghor sous les feux de la rampe littéraire, en offrant aussi une belle occasion à d’autres auteurs ambitieux du pays de se surpasser. Est-ce que l’Afrique doittoujours attendre que ses plus brillants créateurs soient consacrés de l’autre côté, à l’étranger ? Question importante, j’allais dire essentielle. Cette situation est pour moi une anormalité qui n’a que trop durer. Il est inadmissible qu’il n’y ait pas en Afrique un prix digne de ce nom. Dans un passé qui va bientôt devenir lointain, on avait le Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire, qui a, pendant quelques décennies, été un beau stimulant pour la créativité dans nos pays. Il a consacré un certain nombre d’auteurs de talent comme BoubouHama, auteur du très bel ouvrage «Kotia Nima». Qu’est-ce qui s’est passé pour que ce prix disparaisse comme ça un jour, comme par enchantement ? Je ne saurai le dire. Quoi qu’il en soit, ce prix doit être restauré. Et mieux, l’on doit rapidement songer à en créer d’autres. Car on a beau dire, mais les prix ont un côté très avantageux, aussi bien pour les auteurs que pour le royaume des écrivains. Leur existence impose par exemple à tous ceux qui rêvent d’intégrer le cercle restreint des grands auteurs le culte de la perfection et du surpassement de soi. Quand vous participez à un prix sérieux et que vous ne le gagnez pas, vous vous dites inévitablement que ce que vous avez proposé n’a pas été sublime. Que vous êtes peut-être en train de boiter, ou tout au mieux de marcher, mais que vous ne courez pas encore. Tant que les auteurs africains chercheront à savoir ce qu’ils valent et ce qu’ils pèsent en acceptant de monter sur des balances situées de l’autre côté de l’Atlantique, les jugements portés de part et d’autre sur leurs créations seront toujours faussés. Si le Goncourt crée en France par des Français s’est ouvert à l’espace francophone, ce n’est pas à vrai dire par philanthropie. Car nous savons tous que de l’autre côté, l’industrie des prix littéraires obéit à des logiques impitoyables auxquelles aucune velléité d’indépendance ne peut résister. Je veux dire par là que pour le cas de Mbougar Sarr par exemple, si le prix lui a été décerné ce n’est pas seulement parce que «La plus secrète mémoire des hommes» est bien écrite ; loin s’en faut.
Le prix Goncourt a été décerné à Mbougar dans un contexte où le l’Etat du Sénégal promeut les matières scientifiques. Est-ce un paradoxe ?
Cette fumisterie d’État est franchement une bonne malheureuse initiative, et nous en vivrons les mortels contrecoups pour longtemps encore. L’homme est une créature cosmopolite par essence et il faut un peu de tout pour lui tirer le meilleur de lui-même. Si on veut faire la promotion des sciences au nom d’un prétendu réalisme pédagogique, tant mieux ; mais qu’on n’essaye pas de mettre dans la tête des enfants l’idée selon laquelle c’est avec une prédominance fabriquée des disciplines scientifiques dans notre système scolaire qu’on arrivera à accélérer le processus de mutation de notre pays en une réalité émergente. Les meilleurs d’entre nous ne sont ni totalement blancs ni totalement noirs, mais gris (Je reprends là une belle formule du poète Samba Ndiaye). Pascal, sans doute le plus bel esprit de l’ère classique, inventeur de la machine à calculer, était à la fois redoutable scientifique et un incomparable littéraire et philosophe. Notre État ne réussira pas sa politique de promotion des sciences auprès de nos apprenants tant qu’il n’aura pas réinstauré en eux le goût de l’imaginaire et la fréquentation du «MOT» comme source d’imagination et de perpétuelle réinvention du monde.
Quel avenir imaginez-vous pour Mbougar Sarr ?
Je ne crois pas que Mbougar Sarr soit entré en littérature pour être ou rester un auteur de seconde zone. Je crois qu’il a très tôt su où il voulait aller et où son art devait le mener. A 31 ans, il est déjà au sommet. Je crois que s’il garde la tête sur les épaules, cette culture littéraire éclectique qu’il possède et qui manque tellement à tant d’auteurs, l’y maintiendra. Mbougar, nous l’avons tôt vu venir. En 2015, à la parution de «Terre ceinte», nous avons longuement parlé au téléphone à son père. C’était pour un entretien que nous souhaitions avoir avec le jeune auteur dans le journal que je venais de fonder, «Expressions Littéraires». Il nous confiait, la mort dans l’âme, que ce roman, il n’y avait pas une des personnalités littéraires de ce pays à qui son fils n’avait pas remis son manuscrit, ne serait-ce que pour avoir un retour. Mais personne n’avait jamais réagi. Et il nous avait beaucoup remercié de nous intéresser déjà à lui. Aujourd’hui, en pensant à cet entretien, je suis triste de voir autant d’agitation et de volonté tacite de récupération autour de ce garçon. Je ne saurai terminer sans m’adresser à l’autorité académique suprême pour lui dire qu’au-delà du tollé qui entoure pour l’instant son œuvre, Mbougar Sarr doit être traité comme une chance pour résoudre trois problèmes majeurs qui commencent à nous peser : la désertion de la lecture, la floraison d’une littérature kleenex et le déclin du culte de l’excellence.
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VIOLENTE CHARGE D'IBOU FALL CONTRE MAME MAKHTAR GUEYE
Le patron du P'tit Railleur s'en prend aux détracteurs de Mbougar Sarr, récent lauréat du Goncourt. À l'en croire, le leader de Jamra serait un rigolo qui n'a jamais rien écris de sa vie
Le journaliste Ibou Fall s’en prend avec véhémence sur itv à Mame Makhtar Gueye qui selon lui n’a aucune idée de ce qu’est la littérature. “Il n’a rien écrit, rien produit”, affirme-t-il, indiquant que le leader de Jamra est “un rigolo”.
Parlant du livre de Mbougar Sarr primé au Goncourt, le patron du P'tit Railleur affirme que c’est de la vraie littérature, contrairement à certains ouvrages africains publiés il y a quelques décennies, dont “L’enfant noir” de Camara Laye. Il considère l'auteur de La plus secrète mémoire des hommes comme un grand écrivain annonciateur de la prochaine “cavalerie” avec un grand nombre de jeunes brillants écrivains au Sénégal, pays de Culture.
« CARABANE ILE MEMOIRE » : DR RAPHAËL LAMBAL RETRACE LE PASSE GLORIEUX D’UN TERROIR « OUBLIE »
Ancienne capitale administrative de la Basse-Casamance, l’île de Carabane, troisième porte de la Sénégambie, a toute une histoire. Mais, celle-ci est peu racontée.
Ancienne capitale administrative de la Basse-Casamance, l’île de Carabane, troisième porte de la Sénégambie, a toute une histoire. Mais, celle-ci est peu racontée. Dans son ouvrage « Carabane île mémoire », Dr Raphaël Lambal, enseignant-chercheur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor (Uasz), met le curseur sur le passé glorieux de cette île pour impulser une dynamique de reconnaissance et de sa renaissance.
ZIGUINCHOR – Il était une fois, Carabane ! Une île sentinelle. C’est à partir de ce terroir, en pleine période coloniale, que l’on contrôlait tous ceux qui entraient sur le sol casamançais. Carabane, ancienne capitale de la Basse-Casamance, avec son peuple jadis réfractaire à toute occupation étrangère, a joué un rôle fondamental dans le Sénégal colonial. Cependant, l’histoire de cette île aux multiples facettes économiques et culturelles est peu connue des habitants du département d’Oussouye et du reste du Sénégal.
Dans son livre « Carabane île mémoire », l’auteur Dr Raphaël Lambal explique qu’il fallait se lancer dans ce travail de « fabrique de mémoire » en vue de permettre aux populations, au plan local, national et international, de s’approprier ce patrimoine de Carabane. Dr Lambal propose une promenade et un voyage à ses lecteurs dans cette île « porteuse » d’histoires au destin mitigé. Ses plages, ses monuments, ses maisons des esclaves et comptoirs, ses places publiques, ses rues, son port récemment rénové par l’État, le célèbre tombeau du capitaine Aristide Protêt qui, selon plusieurs témoignages, y avait été enterré debout…
Bref, l’enseignant-chercheur et directeur de la Presse universitaire de l’Université Assane Seck de Ziguinchor embarque son lectorat dans un endroit qui a joué les premiers rôles dans le Sénégal colonial, à l’image de Gorée. Toutefois, le voile de l’oubli s’empare de Carabane.
D’après l’auteur, c’est une nécessité de montrer que Carabane est un foyer où est né le Sénégal moderne au même titre que Saint-Louis et Gorée. « J’ai produit cet ouvrage pour étoffer cette mémoire. Ce qui m’a motivé dans l’écriture de cet ouvrage, je dirai que tout est parti d’une déception. Parce que les gens ne connaissent pas beaucoup cette troisième porte. Vu le statut de Carabane et l’importance de cette île dans l’histoire du Sénégal, il est important qu’il y ait un support imprimé, notamment un livre pour faire connaître l’histoire de cette île aux générations actuelles et futures », a expliqué Dr Raphaël Lambal. Cet ouvrage est à la croisée de plusieurs décennies. Car, il exhume la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, symbole du rapprochement du Sénégal avec l’Occident, la France en particulier. Selon l’auteur, l’histoire de Carabane mérite d’être revalorisée afin que cette île soit classée patrimoine mondial de l’humanité. De plus, a-t-il indiqué, il faut réhabiliter Carabane et développer le tourisme dans la zone. Avec le rôle que cette île a eu à jouer, Dr Lambal pense qu’un nouveau jour va se lever dans cette partie de la commune de Diembéring (Oussouye) et que Carabane aura enfin sa place dans le patrimoine mondial de l’humanité.
MOHAMED MBOUGAR SARR FAIT COMMANDEUR DE L’ORDRE NATIONAL DU LION DU SENEGAL
En France depuis mercredi dans le cadre de la 4e édition du Forum de Paris sur la Paix, le président de la République Macky Sall a décoré vendredi cinq personnalités du pays, dont les célèbres écrivains Felwine Sarr et Mohamed Mbougar Sarr
En France depuis mercredi dans le cadre de la 4e édition du Forum de Paris sur la Paix, le président de la République Macky Sall a décoré vendredi cinq personnalités du pays, dont les célèbres écrivains Felwine Sarr et Mohamed Mbougar Sarr, vainqueur, la semaine dernière, du prestigieux Prix littéraire de l’académie Goncourt.
« Monsieur Mohamed Mbougar Sarr, nous vous faisons Commandeur de l’Ordre National du Lion », a notamment déclaré le Président Sall devant la foule, qui a remis la médaille au jeune écrivain. La cérémonie s’est déroulée dans les locaux de l’Ambassade du Sénégal à Paris.
« Je l’accueille avec beaucoup de joie, beaucoup de simplicité et beaucoup d’émotions parce que ma mère était là. Je suis extrêmement touché par cette attention », a réagi, sur la Rts, l’auteur de «La plus secrète mémoire des Hommes ».
Pour Mohamed Mbougar Sarr, au-delà de sa personne, c’est toujours la culture sénégalaise qui est récompensée et honorée par le chef de l’Etat Macky Sall.
«Le Sénégal est un pays de culture, de grande culture et depuis très longtemps c’est à travers la culture qu’on a reconnu et salué ce pays dans le monde entier et en ce sens c’est une tradition qui continue, un geste qui se perpétue », a ajouté le lauréat du Prix Goncourt 2021.
Ce dernier succède à Hervé Le Tellier (L’Anomalie, éd. Gallimard, 2020) et rejoint la liste d’illustres lauréats, parmi lesquels Proust (« A l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919), Malraux ( « La condition humaine », 1933), Modiano (« Rue des boutiques obscures », 1978) ou encore Duras (« L’Amant », 1984).
Pour la liste finale du Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr était en lice face à Christine Angot pour « Le Voyage dans l’Est » (éd. Flammarion), Louis-Philippe Dalembert pour « Milwaukee blues » (éd. Sabine Wespieser) et Sorj Chalandon pour « Enfant de salaud » (éd. Grasset).
Ramatoulaye Sisokho est une figure connue du stylisme. Curieuse et ouverte, elle est convaincue que le stylisme ne se limite pas seulement à l’habillement.
Vous êtes très présente sur le réseau culturel dakarois ?
Je suis styliste et j’ai été formée à l’Institut de coupe couture et de mode de Dakar. J’ai pratiqué la couture comme tout le monde en faisant des défilés et en réalisant des modèles pour des clients. En un moment donné, je me suis retirée pour pouvoir m’occuper de ma famille. Mais là, je suis revenue autrement.
Vous venez de lancer la mode « Bàjjan wax ma » qui a été très bien accueillie sur les réseaux sociaux. Comment est né ce concept ?
Avec «Bàjjan wax ma », les réseaux sociaux ont massivement et positivement réagi. Le concept a été très bien accueilli. « Bàjjan wax ma », parce qu’elle est la pièce maîtresse de toute éducation en Afrique et même ailleurs. La bàjjan est d’abord une femme doublée d’un homme. Dans le langage wolof, on dit : « Bàjjan mooy Baay ». Cela veut tout dire. Elle est incontournable dans l’éducation. Elle transmet la tradition. Elle est à la fois régulatrice et bouclier pour toute la famille. Donc, vêtue de son habit de femme, elle est aussi mère. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à reprendre de nos jours. Car elles sont toujours d’actualité. La bàjjan nous permet de connaître toutes nos traditions familiales du côté paternel. Donc, elle est à la fois mère et père. Elle est habilitée à nous révéler ce qu’il y a de mieux dans notre tradition et notre culture. C’est un prétexte pour amener les gens à se parler, à se poser les bonnes questions sans pointer du doigt personne. Ce concept parle de toutes les ethnies du Sénégal. Mais aussi de toutes les races qui vivent au Sénégal. « Bàjjan wax ma », c’est aussi le partage, la sensibilisation, sur les comportements relationnels vestimentaires et alimentaires. Il s’agit de vivre en utilisant ce qu’on a pour ne pas dire favoriser le Consommer local.
Vous êtes très active et vous lancez souvent de nouveaux concepts d’où tirez-vous les moyens ?
Je réalise tout avec mes propres fonds. Parce que j’ai l’amour de ce que je fais et c’est ma façon de contribuer au développement de mon pays en apportant ma pierre à l’édifice. Je n’ai pas de subventions qui me soient venues de la Direction des Arts ou du Ministère encore moins ailleurs. Je n’ai pas de mécènes et j’utilise mes fonds propres par amour de ce que je fais. Les subventions seraient bienvenues car tout le monde sait que ce n’est pas facile.
Le secteur est aujourd’hui plus ou moins en léthargie. Il y a une époque où chaque grande styliste avait son événement annuel. Toutes ces manifestations ont pratiquement disparu…. Vous avez une explication ?
Honnêtement, je n’ai pas d’explications. Je salue ces grandes dames de la couture qui continuent de faire la fierté de tout un pays. Même si c’est moins exposé. Peut-être que les choses se passent ailleurs. Cela signifie qu’avant, il n’y avait pas autant de visibilité et les gens étaient obligés de faire recours à ces grands moments pour vendre et montrer au reste du monde ce qu’ils faisaient. Maintenant, avec Internet et les réseaux sociaux, les gens peuvent organiser des défilés de manière virtuelle sans pour autant organiser ces véritables grandes messes. Bien qu’elles étaient très belles et grandioses. Mais actuellement, on peut tout organiser à partir de son salon et toucher le plus grand nombre.
Avec l’avènement des Grands prix du chef de l’État pour les Arts, votre secteur n’a jamais brillé ?
Tout est dans le style. Il ne se lève pas un jour sans qu’une personne ne sorte habillée. Cela fait partie de notre vie et nous ne pouvons pas être laissés en rade. Je reste optimiste et je pense que les choses vont revenir à leur place. On est présent dans la vie de tous les citoyens du monde
par Awa Ngom Diop Telfort
UNE SI LONGUE LETTRE
On constate bien tard et avec tristesse que la lettre de Falla Paye n'est que la suite fatale de celle de Mariama Bâ. Car les profondes mutations génèrent toujours de terribles conséquences. Et au virage des changements de dynamique, ça passe ou ça casse
À l'entame, je m'incline solennellement devant les corps de ces trois merveilleux bouts de chou, assassinés par un géniteur indigne, démentiel, suicidaire. Pour le repos de leur âme je prie, et présente mes condoléances à toutes celles et à tous ceux qui les ont connus et aimés.
Le drame est absolument chargé et insoutenable. Mais tandis que des plumes furieuses se déchaînent à juste raison, et déversent leur bile sur l'acte et son coupable, je voudrais, pour un instant, me détacher du tumulte émotionnel et des prises de parti « basées sur le genre ».
Me concentrer plutôt sur le fait de société. Pour mettre les pieds dans la marmite. Et replacer les dés sur l'échiquier. En m'intéressant froidement à l'outil. Qui n’est autre qu’une correspondance. Pour le parallèle peu banal qu’il évoque. Et analyser son empreinte sociologique. Car tout est là.
Indispensable dès lors de remonter à la source. Pour interroger l'histoire. Et servir la postérité. En revisitant une graine semée antan, sous la plume immense de Mariama Ba, dans son roman épistolaire. Intemporel dilemme de la femme africaine contemporaine.
Ainsi, en 1979, dans "Une si longue lettre", Mariama Bâ écrivait : « Nous étions tous d’accord qu’il fallait bien des craquements pour asseoir la modernité dans les traditions. Écartelés entre le passé et le présent, nous déplorions les « suintements » qui ne manqueraient pas… Nous dénombrions les pertes possibles. Mais nous sentions que plus rien ne serait comme avant. Nous étions pleins de nostalgie, mais résolument progressistes. »
Comme une prémonition, Mariama avait tout consigné dans sa correspondance à Aïssatou. Où elle esquissait les contours d’une société qui réajustait ses atours. Évoquant déjà les signes précurseurs. Qu’aucun patriarche n’avait pris le temps de décoder, ni aucun sociologue la peine de modéliser.
Pourtant quelque part, cette graine allait germer. Car le texte avait fait écho. Dans les têtes et dans les cœurs de ces mères qui, à pas de velours, avaient décidé de changer le sens du vent. Elles se mirent alors à chuchoter aux oreilles de leurs filles. Plaçant en elles le défi de la relève. Leur disant que le premier mari était le diplôme. Guidant leurs pas vers la lumière. Avec comme unique pouvoir leur espérance, et leur foi. Nouées de crainte et d’incertitude. Priant pour qu’un jour, leurs filles puissent faire face. Qu’un jour, ces filles n’aient pas à subir les fils de ceux, qui ne les avaient pas laissé, elles, exprimer leur potentiel. Qu’un jour, comme Aïssatou, elles puissent allègrement tourner le dos, déployer des ailes et prendre l’envol. Exhiber leurs diplômes et leurs fiches de salaire. Loger à leurs propres frais. Endosser les charges familiales, scolaires et domestiques. Conduire des voitures payées à leur solde. Dépenser des sonnantes et des trébuchantes sans affecter la DQ. Un jour, assumer, « prendre leurs responsabilités ».
A l’aune de la réussite, elles se tiendront comme des ananas : droites et la tête haute, ornée d’une couronne. Celle de l’accomplissement. Car elles savent désormais que cela prend autant de mains pour nouer un pantalon que pour attacher un pagne.
Et si tout se passe comme prévu, le mari sera nécessaire, mais pas indispensable. Un accessoire. Pour compléter le tableau et se conformer, parce que « dieukeur sakk leu ». Par contre et surtout, il leur fallait faire des enfants. Pour connaître l’amour. En dépit de celui du bonhomme. Pour avoir la chance d’en donner et d’en recevoir. Comme elles-mêmes en avaient donné et reçu de leur progéniture.
Acté !
La si longue lettre de Mariama devenait ainsi un outil de référence. Même pour celles qui ne savaient pas lire. Pour que l’angoisse et l’incertitude changent enfin de camp. Pour faire de leurs filles des boucliers. Et défier les coups qu’elles n’avaient pas pu esquiver, et ceux qu’elles avaient dû ravaler. Faire de leurs filles des roseaux, une espèce résiliente. De cette trempe déterminée qui plie, mais ne rompt pas, même quand les coups sont épouvantables.
Une si longue lettre pour finalement « oser l'avenir ».
Et tout s'éclaire en lisant la trop longue lettre de Falla Paye. Mince. Ça saute aux yeux, quand on prend conscience. De leur impréparation à la rupture volcanique qui s’opérait sous leur nez. Hélas !
Car personne n’avait pris le temps de les mettre à niveau. Eux. Confortablement installés dans une domination mâle qui filait tout droit à l'obsolescence. Hélas ! Vautrés sur leurs lauriers, ils ne les ont pas vu venir. Celles qui, avec assiduité, apprenaient à leur arriver à la cheville et à l’épaule. Pensant d’elles qu’elles étaient juste le sexe faible. Car on ne leur avait jamais avoué que le sexe fort n’existe pas. On ne leur avait pas non plus enseigné que la complémentarité est le socle viable du tissu social et des questions conjugales. Qu’elle seule [la complémentarité] donne le pouvoir d'enjamber les obstacles, de résister aux secousses, et à l’usure.
On constate alors bien tard et avec tristesse que la lettre de Falla Paye n'est que la suite fatale de celle de Mariama Bâ. Car les profondes mutations génèrent toujours de terribles conséquences. Et au virage des changements de dynamique, ça passe ou ça casse.
Espérons qu'en décryptant ces deux si longues lettres, ils comprendront. Et qu'en s'y attelant avec assiduité, ils réaliseront, qu’ils accepteront. Que désormais les dés ont tourné. Que les « craquements » ont commencé. Et que les « suintements » ne manqueront pas.
Pourvu seulement que cela ne se fasse PLUS JAMAIS au détriment de la vie de nos enfants !
PAR Jean-Paul Brighelli
DU BONHEUR D'AVOIR LU MOHAMED MBOUGAR SARR
La plus secrète mémoire des hommes est aussi la preuve que le système éducatif sénégalais n’a pas été contaminé, contrairement à son lointain modèle français, par les rêveries des pédagogues fous qui tiennent ici le haut du pavé
Les imbéciles étant légion, autant commencer par eux : non, La plus secrète mémoire des hommes n’a pas eu le Goncourt parce que son auteur est sénégalais, mais parce que c’est un grand roman. Et les crétins « éveillés » qui, par racisme inversé, font avec enthousiasme de la reductio ad nigrum étant à peine moins nombreux, autant les prévenir également : non, ce roman n’est pas « une nouvelle voix noire », c’est une magnifique exaltation de la langue et de la culture françaises.
C’est aussi la preuve que le système éducatif sénégalais dont est issu l’auteur n’a pas été contaminé, contrairement à son lointain modèle français, par les rêveries des pédagogues fous qui tiennent ici le haut du pavé. Formé au Prytanée de Saint-Louis du Sénégal, puis en prépas littéraires à Compiègne, Mohamed Mbougar Sarr (autant donner son nom entier, qu’on ne le confonde pas avec un footballeur sénégalais quasi homonyme qui évolue au Standard de Liège) est le produit de l’ambition de l’excellence. Et son livre en atteste.
Commençons par le tout début – par la dédicace à Yambo Ouologuem. Tout le monde ou presque avait oublié cet écrivain sénégalais qui, en 1968, obtint le Renaudot pour Le Devoir de violence – Sade réécrit par Flaubert et Guyotat, un livre insoutenable et brillant. Affront insupportable pour une certaine intelligentsia qui l’accusa de plagiat, de sorte qu’à quelques textes alimentaires près, Ouologuem disparut de la littérature, jusqu’à sa mort en 2017.
PLAGIAT ET LITTÉRATURE
Sarr s’inspire de cette violence faite à un texte et à un homme. Son héros-narrateur (il n’est à vrai dire héros que parce qu’il narre – comme si Homère l’emportait sur Achille – et il partage d’ailleurs cette qualité avec d’autres personnages, narrateurs alternatifs) enquête sur la disparition d’un certain T.C. Elimane, qui, après avoir publié le Labyrinthe de l’inhumain en 1938, a disparu de même, accablé par l’accusation de plagiat lancée par un chercheur raciste et relayée par des journalistes trop heureux de renvoyer le « nègre » dans sa case. Est-il mort, est-il vivant ? Pourquoi n’a-t-il plus rien écrit – alors que son seul livre est un chef-d’œuvre ? A-t-il vraiment tué tous les critiques qui ont (mal) parlé de son livre ? Mohamed Mbougar Sarr me poussera-t-il au suicide ?